Cette review comprend plusieurs spoilers sur les événements de King in Black #1 et #2
L'événement King in Black démarrait en décembre dernier, comme le dernier fix' d'une stratégie éditoriale en mal de sensations fortes. En l'espace d'un an, Marvel a eu l'opportunité de prouver à la concurrence ou aux supérieurs hiérarchiques de l'empire culturel que les sentiments de gêne ou de tempérance n'étaient plus un rempart susceptible de gêner la frénésie des sorties : après Iron Man 2020, Empyre, X of Swords, avec leur batterie de parutions parallèles embarquées, l'entreprise n'attend plus que la poussière retombe pour enchaîner avec le crossover suivant. Pour qu'une année entière de titres Marvel ne soit plus qu'un très long crossover, en définitive, et où les ponts se font à un rythme fou.
Dans le cas de
King in Black, l'éditorial eut même l'idée de proposer un numéro de jonction :
Web of Venom : Empyre's End #1, un
single dispensable dans le grand plan de
Donny Cates mais censé guider le lecteur d'un premier événement vers l'autre en orchestrant une rencontre entre un vaisseau
Skrull et l'armée des symbiotes. Pas forcément désagréable, ce numéro se basera sur une sorte d'hommage à la saga des
Alien en rendant aux tâches d'huiles noires cosmiques leur rôle de monstres baveux menaçants. Quelque part,
Empyre's End #1 était, sans le savoir, le plus original et peut-être l'un des meilleurs
tie-ins de l'événement
King in Black à date de rédaction - on ne pourra pas enlever à
Marvel leur talent assuré pour les ouvertures de bal.
La difficulté de tout suivre et de tout lire se pose une fois encore pour ces séries événementielles du catalogue de la Maison des Idées - une périphrase largement obsolète pour cette part précise de l'éditorial local, qui se contente de recycler une même formule à coller à tous les
crossovers dérivés. Une attaque d'extra-terrestres, une bataille
sur plusieurs plans et plusieurs points de vue, pas forcément cohérente sur le plan temporel et surtout formée de numéros jetables où peu de choses servent dans le grand plan d'ensemble. Faisons le point.
King in Black #1 et #2, Ombre et Poussière
Après de longues années à caresser l'idée de cet ultime duel au sommet, Donny Cates ne perd pas de temps avec l'ouverture dans King in Black #1. Tout juste rentrés de leur galéjade cosmique, les Avengers se sont déjà échauffés, prêts à livrer bataille. Une pluie de symbiotes s'abat sur la Terre, prise dans la nasse d'une grande prison gluante et sombre de créatures gouvernées par un roi. Les héros de la Terre se frottent à Knull, comprenant assez vite le différentiel de puissance : le Sentry se fait broyer en plusieurs morceaux, dans une double page en forme d'hommage au Siege d'Olivier Coipel pour jouer sur le rapport ironique des échelles de puissances. A l'époque, le héros du soleil représentait la quintessence des super-héros Marvel, brute indémontable évoquant la patate de Superman. La mise en scène fonctionne : Knull est beaucoup trop fort, la situation paraît évidemment sans espoir.
Donny Cates appuie d'ailleurs cette rencontre sur le plan symbolique. Comme beaucoup de super-héros de ce niveau de puissance, Sentry a un point faible : son existence seule suffit à donner vie et matière à l'un des super-méchants les plus puissants de l'univers Marvel, The Void, sorte de double maléfique représentant les ténèbres de l'univers. Cates sanctifie son vilain en expliquant que l'énergie même de The Void n'est qu'un avatar de Knull, pour densifier l'angle de l'alpha originel du chaos, dieu de la noirceur et des ombres de l'univers. Cet ajout donne un peu plus de corps au personnage, après avoir déjà posé l'allégorie du combat entre la lumière et les ténèbres à l'origine du monde dans la mini-série Silver Surfer Black avec Tradd Moore.
Cela étant, l'usage du
Sentry est manifestement incohérent avec
la série de Jeff Lemire et le micro-événement
Annihilation Scourge jusqu'à preuve du contraire - "mais on s'en fout, haha, regardez comment c'est cool la mif', taah moi même j'ai des sueurs" répondra le brave mais désordonné
C.B. Cebulski. Introduction qui frappe vite et fort,
King in Black #1 déploie assez vite l'enjeu de cette bataille finale, avec ce super-méchant d'apparence invincible et la défaite immédiate de
Venom. L'effet de manche fonctionne, aidé par les dessins d'un
Ryan Stegman en grande forme.
Le numéro King in Black #2 rentre toutefois assez vite dans le moule des récits plus calibrés de ce genre de séries événements : un début de calme où les gentils fomentent leurs plans et ont même le temps de se chicaner, malgré la puissance et l'omniprésence de la menace. Une certaine normalité de ces constructions où, une fois le vilain posé, se pose la question de comment le battre et où tout le monde va agiter les bras très vite en attendant de trouver une solution au problème. Celle-ci paraît devoir passer par Dylan Brock, fils de Eddie avec une capacité naturelle pour vaincre les vilains symbiotiques, qui sape trop vite la promesse d'absence d'espoir avec une sorte de clé magique pour dénouer le conflit. De la même façon, Iron Man qui tente de domestiquer un dragon Klyntar passe aussi pour une sorte de normalisation : les héros de la Terre ont de la ressource, et la promesse de défaite globale s'amenuise un peu.
De la même façon, l'objet des version "
Knull-isées" des héros de
Marvel serait sans doute plus appréciable si elle n'évoquait
le trop récent Venomized de Cullen Bunn et Iban Coello, arc de forceur ultime qui prenait déjà le pari d'apposer aux
Vengeurs et aux
X-Men une parure symbiotique pour combattre les prédateurs naturels de l'espèce dans la précédente continuité de l'espèce. Le gimmick de l'armée sans visage ou de ces héros possédés par une force ennemie, qui leur permet entre autres de ne pas prendre trop de risques sur le champ de bataille et d'être donc hors jeu sans risquer de se faire tuer, a assez peu d'impact et on remarquera que
Donny Cates ne s'en sert presque pas, sans doute conscient des limites de l'exercice.
Dommage, mais c'est le jeu de ce genre d'événements : une fois la mise en scène et l'élément dramatique posé dans la boucle, il est aussi important de se rappeler que tout ça n'empêchera pas les oiseaux de chanter d'ici quelques mois, et que les quelques conséquences durables glanées ici ou là n'empêcheront pas King in Black de n'être qu'un épisode passager dans l'histoire de la Terre Marvel. La possibilité d'enterrer le porteur historique du costume de Venom paraît aussi assez peu probable, et presque désamorcée en fin de numéro. Un bilan déjà plus mitigé que prévu après cette introduction qui tapait assez fort, et qui remet King in Black au niveau d'Absolute Carnage : une perspective de combat joliment illustré et rythmé, mais pas forcément le dernier acte shakespearien d'un run autrement plus convaincant pour ses personnages et l'humanité du voyage d'Eddie, transformé par le passage de Donny Cates et enfin agréable en tant que simple gars paumé dans un monde qui le dépasse largement.
Venom, Namor et Black Cat
Dans l'avalanche de titres compagnons déployés par Marvel pour accompagner King in Black, quelques numéros particuliers sortent du lot. Le cas de Venom, qui poursuivait sa parution après King in Black #1, présentait un exemple assez intéressant de commercialisation du vide : Venom #31 ne raconte rien, ne développe rien et n'a aucune utilité dans le grand plan de King in Black, se contentant de suivre la chute d'Eddie Brock du haut de ses trente-sept étages, avec une vingtaine de pages devant couvrir l'équivalent d'une minute de temps dans la continuité Marvel. Un filler bête et méchant comparable aux fameuses cinq minutes de Freezer sur Namek, commercialisé à 4 dollars et qui permettra tout de même à la série Venom de poursuivre son lent chemin vers le numéro #200 en parution Legacy, histoire d'ajouter un peu d'aplomb à l'événementiel général.
Marvel eut toutefois la politesse de ne pas embarquer la série Amazing Spider-Man dans l'équation King in Black, peut-être pour laisser Nick Spencer respirer après AMS #850, AMS #50 et l'arc Last Remains, qui permit à l'éditeur de sortir douze numéros en l'espace de trois mois (soit un par semaine, le bonhomme avait bien mérité un congé pour les fêtes). Le titre King in Black : Namor de Kurt Busiek, Ben Dewey et Jonas Scharf présente de son côté une alternative intéressante : pour le moment, le lien entre l'événement de Donny Cates et ce projet inédit reste à définir, semblant partir sur une sorte de connexion entre les symbiotes et une armée de grands anciens à la H.P. Lovecraft qui aurait affronté Atlantis il y a des générations de cela. La série permet surtout à Busiek d'explorer le passé de Namor et la civilisation atlante locale, pour une petite saga sous-marine pas désagréable à défaut de mériter son placement dans le grand plan King in Black. Pour les fans du personnage, une bonne nouvelle. Pour les complétistes des gros événements, une authentique pièce rapportée. A vous de vous positionner.
Enfin, le cas de Black Cat est une autre facette de ce genre de propositions particulières : si Venom représente le filler creux et Namor l'heureuse coïncidence, le premier numéro de la nouvelle série consacrée à la chapardeuse est vraisemblablement à ranger dans la famille des coups de pouces éditoriaux. Quoi que Felicia Hardy soit effectivement liée à la mythologie arachnéenne de New York, la dernière aventure de l'héroïne s'intéressant davantage à son quotidien de cambrioleuse dans une série légère, portée sur les dialogues comiques de Jed MacKay et sur l'envers du décor des personnages plus sérieux de Marvel. Une série sympatoche, et qui ne dérangeait personne, dans son coin.
Achevée au bout de douze numéros en août dernier,
la parution de Black Cat reprend avec un nouveau titre pour
King in Black. Mêmes dialogues, même narration décalée, mais contexte de fin du monde et d'apocalypse - un curieux décalage de tonalités où
MacKay tente de garder le contrôle sur la mentalité de son héroïne, largement dépassée par les événements. Ce lancement de série hasardeux semble vouloir profiter de l'événement de
Donny Cates pour redonner un peu d'énergie aux ventes de
Black Cat, en profitant de la turbine promotionnelle de
King in Black, sans s'interroger de la viabilité du procédé. Avec ses acolytes braqueurs,
Hardy va tenter de réaliser un braquage dans ce paysage d'invasion alien pour libérer
Doctor Strange. Pas sûr que la sauce prenne, mais la perspective de retrouver l'
Anti-Venom (un élément de la continuité symbiotique dont
Cates semble se foutre avec énergie) reste intrigante, faute de mieux.
Et le reste ?
Jusqu'ici, les autres points de jonction au tronc commun King in Black restent tous assez largement dispensables. Al Ewing s'amuse avec son Immortal Hulk en imaginant que toute l'invasion se tiendrait pendant les fêtes de Noël - ce qui n'est le cas dans aucune des séries de l'événement, à l'exception de Iron Man/Doom où les deux personnages tabassent St-Nicolas. Un renvoi ludique à d'autres moments de l'histoire de l'homme vert et à cette mise en scène de la neige et de la nuit sombre dans le quotidien d'une New York assiégée, généralement emblématique des séries Spider-Man - tout en silence, le numéro est agréable à l'oeil et assez poétique, sans s'embarrasser de chercher sa place dans King in Black au global. Ewing comprend bien l'intérêt de ces numéros-respiration imposés par l'éditeur, et en profite pour livrer un peu de douceur. Probablement le tie-in le mieux fichu du crossover pour le moment, et paradoxalement, celui qui n'essaye pas de se lier au reste de la toile.
Plus proche de Black Cat, The Union #1 ramène les héros britanniques sur le devant de la scène pour un début de série immédiatement connecté à King in Black, artificiellement ou non. Spider-Woman #7 suit une logique de basse besogne, pour l'habituel surplace de ces personnages qui se promenaient dans l'arrière-plan, un constat qui devra s'appliquer à une majorité de tie-ins une fois l'ensemble passé. La rencontre entre Doom et Iron Man se présente plus comme un trip halluciné, impossible à placer sur le plan temporel mais bel et bien présent dans l'invasion des symbiotes. Aventure ludique pour Chris Cantwell qui retrouve les deux personnages qu'il écrit en ce moment pendant un combat contre un Père Noël en version Knull, hautement débile et un peu rigolo - on ne choisit pas toujours ce qu'on trouve sous le sapin.
Enfin, Symbiote Spider-Man ose le surtitre King in Black le temps d'une mini-série, en dépit de son éternel décalage temporel (habituée à suivre le Peter Parker post costume noir de la précédente continuité). Une première salve de Klyntars serviles viennent annoncer la présence future d'un certain dieu, un curieux paradoxe temporel compte tenu de l'état du mythe symbiotique dans la saga du personnage à ce moment là, mais le titre avait déjà eu droit à son tie-in Absolute Carnage presque aussi jemenfoutiste il y a deux ans. L'arc fait intervenir Kang avec un plan bizarre pour piquer les pouvoirs du Watcher, ce qui ouvre au moins la perspective de cette mini-série au-delà du simple objet facile de dérivation.
Dans l'ensemble, King in Black n'est donc pas encore le firmament tonitruant que la Maison des Idées avait essayé de nous vendre. Sur ces premiers numéros, l'événement embrasse à pleine bouche la politique éditoriale agressive qui a fait la réputation des productions Marvel de ces dernières années : un arc scénaristique embarqué dans une série avec ses propres ambitions, parachuté au rang de crossover hivernal dont on peine à deviner les éventuelles conséquences. Un même modèle est appliqué, après Empyre et War of the Realms, qui vise à suivre différents points de vue d'un grand conflit, accompagner l'un ou l'autre personnage sur le planisphère devant une menace commune, beaucoup d'arbres abattus pour pas grand chose et des dollars qui changent de pogne pendant que de meilleures séries prennent la poussière dans les étalages moins en vue.
Du côté de l'intrigue, après un bon démarrage, le scénariste paraît déjà revoir ses ambitions à la baisse et construire l'arc comme une brusque accélération dans la série Venom, qui avait justement gagné à prendre son temps et à ne bastonner qu'à son rythme, en sous-texte d'une aventure humaine autrement plus touchante. Pas forcément aussi bon pour le combat des chefs, Cates livre une copie honnête, mais qui rappelle déjà un peu trop Absolute Carnage dans cette impression de lutte totalitaire contre des symbiotes qui n'attendent que la fameuse botte secrète qu'on nous avait caché jusqu'ici pour être enfin battus. Reste à espérer une remise en forme rapide, et à conseiller aux éventuels lecteurs naïfs de passer entre les gouttes (noire) du foutage de gueule éditorial, qui étouffe comme chaque fois une histoire qu'on aimerait apprécier sur un plan individuel sans l'éventail de bonus jetables sur le reste de l'univers.