Une semaine de plus se passe, et le DC Future State se poursuit, avec une troisième fournée de titres - dont une anthologie qui amorce ici son second numéro. Comme nous vous l'avons promis, vous retrouverez tout au long du mois de janvier un suivi de chacun des lancements, afin de vous faire une idée de ce qui marche ou ce qui ne marche pas dans Future State, vaste parenthèse futuriste, qui sert de pause à l'éditeur à deux lettres avant d'entamer son grand relaunch (plus ou moins) sous la bannière Infinite Frontier.
Le constat est un peu meilleur que la deuxième semaine de publications qui nous avait beaucoup déçus avec Corentin (qui co-signe cet article), mais un point commence réellement à nous interroger : c'est la non-accessibilité générale de l'event, qui est clairement destiné à un lectorat de longue date, si ce n'est au moins déjà bien familier avec l'univers DC Comics et ses personnages. On n'explique que peu de choses, beaucoup d'histoires se passent de remettre quoi que ce soit en contexte, et pour certains il y a un réel problème de suivi de timeline ; si DC a bien fourni une fresque temporelle pour situer chacune de ces séries, il est bien dommage que ces repères n'aient pas été fournis au sein des single issues. On espère que ce manque flagrant d'accompagnement éditorial ne sera pas trop délétère pour la maison d'édition. Sans plus tarder, faisons le tour des six parutions de cette semaine 3 de publications pour Future State.
Démarrage intéressant pour le Superman du futur. Le nouveau statu quo posé par Philip Kennedy Johnson s'apparente à celui proposé par Mariko Tamaki sur Dark Detective : un monde privé de sa figure tutélaire, laissée pour morte et castrée de ses pouvoirs (l'un perd sa fortune, l'autre ses capacités surnaturelles), en attendant le combat avec la figure dictatoriale locale qui permettra un retour aux affaires. Sauf que le numéro consacré à Superman prend la forme d'un exercice de style plus diffus, avec une représentation endeuillée du monde post-Kal-El, d'éventuels marchands de reliques évoquant le business de l'offrande religieuse aux suivistes tardifs de son message, comme le Jésus des temps modernes que le personnage était amené à devenir une fois disparu.
La perspective de suivre un Clark sans pouvoirs sur une planète lointaine dans des combats de gladiateurs cosmiques à la Flash Gordon ou John Carter est elle-aussi assez séduisante, avec le coup de crayon (majestueux) de Mikel Janin. Exercice de style très introductif, le numéro a l'intérêt de ne pas se limiter au Kryptonien, et de laisser à cette nouvelle situation le temps de s'installer. L'ensemble reste cohérent avec le reste des séries de la mythologie Metropolis, et de laisser l'humanité imaginer différentes trajectoires au personnage, parfois christiques, parfois inspirées par le style Invincible, et de comparer différentes interprétations du héros. Une bonne entrée en matière, qui s'appréciera mieux en tant que telle une fois mise en introduction d'un futur volume relié (Urban Comics, c'est à vous qu'on parle, là).
Du côté de Mister Miracle, levé de sourcil inquiet (voire confondu) devant l'ordonnancement des publications : dans le premier numéro consacré aux titres Superman de Future State, Shilo Norman était piégé sous la cloche de Metropolis avec le reste des habitants, à combattre des robots. DC Comics saute le second numéro de cette petite mini-série (qui attendra Man of Metropolis #2, bizarrement) pour aller directement au troisième. Débrouillez-vous avec ça. Le projet reste toutefois assez agréable, à défaut de susciter un engouement massif : Norman évolue sur une trajectoire narrative fixe, va d'un point A à un point B sans transitions ou variation des points de vue, avec de petites aventures pour rythmer l'ensemble du récit. Inoffensif, ni désagréable ni follement inventif, un authentique tie-in sympatoche qui a surtout l'intérêt de son dessin.
Constat peu ou prou similaire pour les débuts du Midnighter : bazardé dans une suite de bastons pas franchement expliquées ou mises en contexte, le personnage fait son retour après quelques années d'absence dans un titre très violent, agréable à l'oeil mais toujours aussi confus en terme de placement. Manifestement, le héros vient prêter main forte à Superman, et va devoir se frotter à un autre personnage très connu de la regrettée mythologie WildStorm. Plutôt bordélique, le projet a l'avantage de sa violence sans compromis, de quelques idées de mise en scène et de remettre en avant un personnage qui manquait à beaucoup de lecteurs, mais reste paumé dans le grand bordel Future State, où on a souvent l'impression qu'un bout d'histoire a été arraché sans faire gaffe.
Enfin, le titre Black Racer est le plus curieux de la fratrie, inséré dans un numéro raisonnablement agréable sans plus d'explications. Qui que c'est que c'est qui ? Quel rapport avec la choucroute ? Pourquoi, comment et par quel moyen ? Une nouvelle héroïne paraît faire son entrée, en lien nominal avec le personnage de Jack Kirby mais les connexions semblent s'arrêter là. Difficile de se faire un avis pour le moment, mais si l'idée était de générer un coup de coeur pour cette nouvelle venue, il faudra faire un plus gros effort la prochaine fois.
Autre projet paru en double, Immortal Wonder Woman pose une énième fois la question de la gestion éditoriale dans la fratrie des séries Future State. Que s'est-il passé pour Diana depuis Dark Knights : Death Metal #7 ? Sait pas. Que s'est-il passé dans la GodSphere ou dans l'équilibre des puissances terrestres après l'Infinite Frontier ? Sait pas non plus. Jen Bartel illustre une Wonder Woman face à une apocalypse de proportions bibliques : l'humanité s'est apparemment éteinte, le vivant végétal incarné par Swamp Thing semble lui aussi en bout de course, et les New Gods disparaissent à leur tour : la fin des temps pour cette conception du réel, qui appellera la fameuse bataille finale entre bien et mal obligatoire des religions monothéistes habituelles.
Plutôt bien dessiné, le numéro manque là-encore de cohésion avec le reste de l'univers DC : là où Yara Flor mène une croisade plus terre-à-terre dans le présent et où Nubia aura elle-aussi droit à sa propre aventure, Immortal Wonder Woman paraît bien éloigné des enjeux modernes pour partir sur une perspective de fin du monde qui mériterait presque une mini-série à la Dead Earth ou Last Knight on Earth plutôt qu'une paire de numéros assez légers en termes d'explications. Resteront de belles planches et la symbolique d'une Diana devenue le réel dernier rempart aux forces du mal dans la hiérarchie DC.
De son côté, Nubia démarre sa propre aventure, sans aucun lien apparent avec le titre principal, ni avec Yara Flor, au cas où le souci de cohérence de groupe n'était pas encore assez évident. Avec une colo' agréable à l'oeil et l'envie de reconnecter avec l'aspect réaliste des dieux de l'Olympe dans un environnement social quotidien, le titre fait le boulot et semble enfin poser un départ concret pour une série de long-terme, à confirmer pour la suite. Là-encore, pas de quoi sauter au plafond.
John Ridley abandonne (peut-être temporairement) son propos sur la justice sociale pour attaquer plus frontalement la caractérisation de son Batman. Moins absolu que Bruce Wayne, le nouveau porteur du costume se confronte à la problématique de cette police privatisée, en abordant le sujet des milices et de la militarisation des escouades dans les grands centres urbains. Autre sujet, l'éventuelle mise en application de la justice personnelle avec ses zones de gris : Batman doit-il collaborer avec le système en envoyant en prison des parents qui voudraient venger leur fille agressée par un pervers ? Une autre façon de décaler le justicier de Gotham City, généralement très rigide et accroché à une confiance aveugle envers le système des flics et des tribunaux.
Laura Braga prend la main sur les dessins de cette semaine, avec Nick Derington aux découpages. Bilan un rien moins positif sur ce brusque passage de témoin, mais qui reste dans l'ensemble assez joli. On espère seulement que The Next Batman aura un véritable arc scénaristique à défendre derrière cette série de scénettes explicatives et ces micro-débats posés ici ou là - encore que le fait d'avoir un peu d'exposition serait plutôt une qualité, si on compare avec d'autres projets du catalogue Future State.
L'ensemble Batgirls est lui-aussi assez réussi, avec une ambiance de série carcérale où les différentes prises de l'état policier imposé par le Magistrate préparent leur revanche depuis les cellules sous-terraines. Spoiler devient un personnage plus gris, plus sarcastique et autoritaire, en superposition d'une Cassandra Cain colérique et plus bavarde, en attendant une association des héroïnes pour repartir à la conquête de Gotham City. Le dessin d'Aneke permet de dégager un peu de légèreté dans l'exercice généralement assez sombre de la ville dans cette version futuriste, avec des dialogues efficaces et quelques situations bien trouvées.
En revanche, le bout Gotham City Sirens est le plus faible des trois, sans intérêt et mal dosé dans sa tentative de mélange des genres. On ne reconnaît pas le trait d'Ema Lupacchino derrière l'encrage épais de John Kalisz, les personnages paraissent incohérents avec d'autres visions proposées dans d'autres séries, Gotham City n'a jamais paru plus cyberpunk là où d'autres points de jonction de Future State se contentent de quelques drones et de quelques éclairages bleutés pour sous-tendre l'atmosphère futuriste, les dialogues se répondent mal et rien ne frappe ou ne retient l'attention dans ces quelques pages. On passe, mais le reste du numéro est dans l'ensemble réussi.
On vous l'a déjà dit, le souci majeur avec Future State se situe au niveau de sa temporalité - et avec le récit Batgirls qui sort cette même semaine, il va falloir continuer de se casser la tête pour bien raccorder tous les points. Ceci étant dit, ce numéro Nightwing est assez agréable à lire. Si le contexte post-apo' désespéré fait lever des sourcils qui ont déjà beaucoup lu ça, la façon dont Dick Grayson réagit à la prise de Gotham par le Magistrate n'est pas inintéressante. Ce dernier veut tout faire pour mettre la main sur l'un des derniers héros masqués en activité ; Andrew Constant maîtrise assez bien son héros et l'interaction qu'il lui donne avec le Next Batman a ceci de savoureux qu'il s'agit d'un tout autre rapport que celui entretenu d'habitude avec son mentor. C'est par ces dialogues que l'on se prend à désirer un team-up entre ces personnages qui aurait une saveur assez particulière.
Du reste, comme pour le numéro consacré à Catwoman, le script qui reste in fine assez simple profite surtout d'avoir une artiste extrêmement douée, Nicola Scott, pour s'occuper de la partie visuelle. Quoique la DA de Gotham City reste toujours très basique dans ce Gotham qui est devenu cyberpunk en moins de dix ans, le trait de la dessinatrice est toujours aussi agréable à suivre, et les fans d'un Dick sexy seront aux anges. Sans forcer sur l'enthousiasme, disons que Nightwing nous donne un léger intérêt, par politesse. C'est déjà ça.
Sûrement le numéro le plus réussi dans la fournée de cette troisième semaine de Future State. Dans une approche au final assez classique de Catwoman malgré le contexte futuriste, Ram V (qui officie déjà depuis quelques numéros sur le titre régulier) nous propose un simple braquage à très grande échelle. Aidée de ses alliés, Selina Kyle veut en effet détourner un convoi, un train dirigé par les forces du Magistrate, rempli de prisonnier plus ou moins importants dans l'univers de Gotham City. Une sorte de Ocean's Twelve mêlée au Transperceneige, vu la configuration dudit train et du déroulé des évènements.
Bien que les dernières pages nous amèneront une fois de plus à ne pas bien saisir la temporalité du récit par rapport à d'autres publications de DC Comics, le scénariste arrive à nous entraîner dans une histoire qui réussit mieux que d'autres à se détacher du reste de la continuité (un comble, vu les plans de DC à cet égard), mais il faut aussi bien reconnaître que le concept est magnifié par les dessins d'un Otto Schmidt qui nous avait par ailleurs manqué. Son approche sur Catwoman est réussie sur le plan graphique, le découpage et la mise en scène apportent la tension nécessaire au registre convoqué. On se plaît à anticiper l'un ou l'autre retournement de situation, Ram V faisant une chouette utilisation d'un vilain associé usuellement à l'univers Batman Beyond. Au final, rien de renversant, mais quand on atteint ce degré de sympathie eut égard du reste, c'est déjà une petite victoire en soi.
O-okay. Donc, on a compris, Tim Sheridan est là pour faire du "dark", quel que soit le contexte. Avec un Teen Titans qui était déjà souffreteux de ce genre de gimmicks qui voudraient qu'un futur chez DC soit forcément sombre, très sombre, au point de pervertir même le plus innocent des héros. Et c'est un peu ce que souhaite faire Sheridan ici en s'attaquant à Billy Batson. Quoique la prise de position sur le double super-héroïque devenue malédiction est un point de vue intéressant, on se rend assez vite compte de la direction dans laquelle l'auteur veut nous emmener... Disons que si vous êtes un minimum attaché à Shazam en termes de caractérisation, vous vous rendrez bien compte que quelque chose cloche.
Sheridan nous emmène d'abord au sein d'une confrontation entre la JLA (avec un roster plutôt atypique) et des prisonniers qui tentent de s'évader de la prison d'Iron Heights. Le combat tourne court et se transforme en enquête criminelle, alors que l'on se rend compte que Shazam n'est pas forcément dans son assiette. Il faut reconnaître un certain style dans la narration, bien aidé par le trait très propre d'Eduardo Pansica, avec des répétitions tant dans les dialogues que dans les découpages des planches qui évoquent un peu le syndrome du "un jour sans fin". De la recherche, une lecture pas désagréable, mais subsiste cette incompréhension du pourquoi vouloir, encore et toujours, pervertir nos héros dès qu'on fait un bond dans le temps.