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Doggybags One-Shot : Trenchfoot, jolie patate nihiliste

Doggybags One-Shot : Trenchfoot, jolie patate nihiliste

ReviewAnkama
On a aimé• L'Amérique white trash dans toute sa décadence
• Hyper brutal et inventif
• La conclusion au poil
On a moins aimé• Si vous n'aimez pas la violence gratuite
• Difficile de s'attacher à Sid (mais c'est le but)
Notre note

Entre deux numéros de la seconde saison de son modèle anthologique de base, Doggybags continue les expérimentations plus longues dans le format du one-shot (comprendre "récit complet", par une seule équipe créative). Amateurs de l'Amérique white trash décadente, d'ultra-violence, de mélange des genres (mais toujours dans le sombre), Trenchfoot a débarqué récemment au sein des publications du fameux Label 619, pour vous cogner. Sur toutes les planches.

L'iconographie pauvre et rurale des Etats-Unis a longtemps passionné les auteurs de 619, avec une affection particulière pour les rednecks, les bouseux, ici mis en scène par l'auteur Mud. Ce-dernier avait déjà pu aborder cette thématique dans le Doggybags Présente : Beware of Rednecks, pour la poursuivre plus tard sous un autre angle dans l'excellent Tool de Doggybags 16 qui retraçait un fait divers sanglant, en prenant le point de vue des armes à feu (allez lire ça, hop, traînez pas). Trenchfoot propose un retour dans cet atmosphère de ploucs. Dès les premières pages,  toute tentative d'espoir devra d'emblée être laissée à la porte. Dans cette ville, on ne croit plus en rien, et chacun tente de survivre dans l'atmosphère poisseuse des gangs, des combats de chien, des prostituées et des drogues dures. En résumé, du sale, du crasseux, un univers dans lequel on ne s'étonnera pas de rencontrer Sid Widow, authentique connard autodiagnostiqué, qui cherche à se faire de l'argent et se retrouve vite pris dans une avalanche d'évènements plus malheureux les uns que les autres.

Après un premier segment façon Amores Perros d'Iñàrritu, Trenchfoot pose son personnage devant un dilemme connu : que faire lorsque vous mettez la main sur un gros magot dans un concours de circonstances imprévisible (et que, accessoirement, pas mal de monde cherche à vous faire la peau) ? Bien installé dans sa crasse, Trenchfoot manie les rebondissements pour livrer une sorte de course-poursuite dans un analogue urbain de Délivrance. Tous les codes du white trash sont au rendez-vous : logements miteux dans les motels de petite tenue, bars mal famés, la guedro la guedro la guedro et autres règlements de comptes sanglants. Une imagerie de l'Amérique abandonnée, laissée aux flingues et aux bouteilles de whisky frelaté sans espoir de retour. Dans un tel contexte, on aurait pu s'attendre à ce que Mud nous présente un Sid sur lequel on pourrait avoir un minimum d'empathie. Ce n'est pas le cas.


Oui, Sid Widow a besoin de fric, comme tout le monde. Mais le personnage se passe des conventions morales qui occuperaient un héros normalement structuré, ce qui ôte vite tout consentement ou impression de sympathie à son égard. Vulgaire, violent, arriviste, mesquin, la spirale infernale de Trenchfoot captive plus sous son angle le plus absolu : quand cet enfer va-t-il s'arrêter ? Au gré d'une scène, peut-être, l'auteur laisse entrevoir une parcelle d'humanité pour son héros - pour balayer d'un revers de main cette ouverture vers l'espoir une page plus loin. Le déferlement de violence impressionne, joliment mis en scène par Nicolas Ghisalberti, dont c'est le premier album. Il ne s'agit plus de rigoler.

Le trait du dessinateur met en avant les vicissitudes de ses personnages, burinés par cette vie dans l'Amérique des moins que rien. Le visuel ne leur fait pas honneur : moches, vulgaires, les individualités de Trenchfoot restent pourtant très humaines, et si l'idée n'est pas forcément de les prendre en pitié, le lecteur s'interroge sur l'éventuel jugement moral à poser sur ces gueules cassées. Certains ont évidemment un rôle plus "gentil" que d'autres, ouvertement identifiés comme les pires salopards, mais demeurent quelques les nuances de gris (foncé).  Le dessin applique ce décalque, avec des planches chargées, un découpage au couteau, et une abondance de détails au fil des cases, Ghisalberti étant visiblement très à l'aise dans cet univers. Pour ce qui est de la violence graphique, attention aux plus sensibles, Trenchfoot va très loin avec un mélange des genres, qui pousse même jusqu'au slasher par endroits. 

Le sourire narquois omniprésent de Sid aurait de quoi lasser sur la longueur, et si vous n'êtes pas clients de la violence gratuite, Trenchfoot pourrait vous effrayer. Plaisir cathartique indéniable pour les autres, motivé par un discours nihiliste qui ouvre sur une conclusion pas forcément des plus calmes, le bouquin reste cohérent du début à la fin avec cette lecture sombre des mauvais penchants de l'âme humaine. Satisfaisant, l'album se referme avec des joues rougies, et l'envie de suivre Mud et Ghisalberti sur leurs futurs projets.

Pour les amateurs de la formule Doggybags, pas d'inquiétudes : Trenchfoot se place dans le haut du panier. Premier album pour son dessinateur, le récit est une peinture au vitriol de cette Amérique qu'on a laissé crever, saisissant, tant pour ces dessin qui percutent (notamment sur la violence graphique, redoutable) que par ces rebondissements à n'en plus finir, il en ressort une lecture costaud, petite bouffée d'air frais en revers d'une production mainstream plus sage. On remerciera une fois de plus le Label 619 de nous faire découvrir ces équipes créatives de cette façon ! 

- Vous pouvez commander Doggybags One-Shot : Trenchfoot à ce lien

 

Arno Kikoo
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