En cette fin de mois de janvier 2021, l'évènement DC Future State marque sa quatrième semaine de publications, et avec elle, la première moitié de son déroulé est achevée. Comme nous le faisons depuis le départ, cette chronique est là une fois de plus pour vous proposer le suivi au cas par cas d'un event qui vraiment du mal à convaincre dans l'ensemble.
Le constate au sortir de cette nouvelle fournée sera heureusement plus positif que lors des deux précédentes semaines. Si l'on a désormais compris que l'accessibilité ne sera pas le maître mot de Future State, il y a ici de quoi s'émerveiller, de quoi se divertir et quelques angles dans les histoires vraiment intéressants. On se doute que le second mois de Future State restera similaire avec les secondes parties et conclusions de chaque histoire, mais cela restera encore à vérifier. En attendant, vous voilà déjà parés pour naviguer entre les eaux de toutes les sorties de DC Comics de ce début d'année !
Second numéro agréable de Mariko Tamaki et Dan Mora pour la série Dark Detective. Plus bavarde que le premier numéro, cette continuation du segment consacré à Bruce Wayne en dit un peu plus sur l’état de la ville aux mains du Magistrate, quitte à abjurer la possibilité d’un ultra-méchant à la tête de l’organisation passé le Peacekeeper-01 (à voir). Le héros est en fuite, coupé de ses moyens, de son habituel bunker secret, et doit opérer dans la clandestinité. Cet aspect de fugitif donne un peu de corps à la nouvelle mythologie Gotham, déjà présentée comme coupée de ses habitudes dans les autres projets : un Batman officiel encore assez peu légitime du point de vue des autres justiciers, une ville sans Wayne Entreprises pour donner le tempo entrepreneurial, et des enjeux un peu mieux définis. La fresque temporelle commence à se constituer pour Bruce entre Batman/Superman, Catwoman et Dark Detective, en comprenant à peu près comment va se baser l’aventure du personnage dans le temps.
Tamaki fonctionne dans l’économie de moyens avec cette aventure plus minimaliste, qui évoque toujours un cyberpunk ouvertement coloré et une Gotham systématiquement bloquée en mode nuit. En retrouvant une parure plus humaine pour le Chevalier Noir, Dark Detective évite les pièges de trop plein de vulgarité ou d’assommantes explications sur le pourquoi du nouveau statu quo, en opérant sur un plan plus compréhensible et en s’évitant les myriades de liens entre personnages X ou Y susceptibles d’assommer le lecteur à coups de réinterprétations assombries. Vivement la série Detective Comics de cette même équipe.
Constat différent, mais tout de même enthousiaste pour le Red Hood de Joshua Williamson - le scénariste suit les traces de Matthew Rosenberg en proposant une bonne surprise, calée dans un recoin obscur de Gotham City. En l’occurrence, l’intrigue s’intéresse au Red Hood passé dans le camp des méchants, et de son amourette dysfonctionnelle avec Rose Wilson. Jason semble encore hésiter à flinguer des types pour le compte du Magistrate, à l’inverse de sa partenaire. Le décalage artistique fait beaucoup pour cet embryon de numéro, avec le trait de BD jeunesse de Giannis Milonogiannis.
On ne va pas se mentir, au vu de l'équipe créative sur le titre, on s'attendait à mieux. Gene Luen Yang (responsable, entre autres, des très bons New Super-Man ou Superman Ecrase le Klan) nous emmène très tôt dans le Future State, alors que Clark Kent est encore sur Terre et que Bruce Wayne est toujours officiellement le Batman en activité. Un team-up qui amène cette fois l'Homme d'Acier dans la ville de son collègue super-héros, pour enquêter sur de mystérieux implants délivrés par une "False Face Society", qui permet de modifier sa tête pour avoir l'apparence d'un animal. Une idée pas inintéressante dans le contexte où le Magistrate essaie de ficher tout le monde avec la surveillance vidéo, mais les implants ont de malheureux effets secondaires.
Passée l'idée un peu curieuse (mais sensée) qui amène le duo à faire équipe, Yang ne réussit pas vraiment à créer quelque chose d'original. Certes, on s'amuse de voir Superman mettre à mal sans le vouloir toutes les envies de discrétion du Chevalier Noir, mais le rythme et les enjeux ne sont pas vraiment présents. De plus, le dessin de Ben Oliver se montre là curieusement très statique, avec un jeu de couleurs terne, trop sombres, bien loin de la performance du dessinateur sur son Multiversity : The Just. L'un dans l'autre, on a l'impression que le duo ne s'est pas senti inspiré par le cadre Future State. Quelque part, difficile de le leur reprocher.
C'est quelque chose d'assez connu de façon générale : aborder la Légion des Super-Héros ce n'est pas une mince affaire. Alors quand on se situe dans un futur où certains membres sont accusés d'avoir trahis la Légion, que d'autres en ont reformé une nouvelle, que chacun se cherche des poux et que les innombrables personnages se superposent à la verve d'un Bendis sans limites, autant vous dire que ce numéro Future State est un calvaire et un casse-tête à la fois. Les grandes lignes évoquent une trame somme toute classique dans toute BD de groupe super-héroïque ; la question du traître, celle du membre à sauver, tout ça se superpose avec quelques clins d'oeil appuyés à d'anciens récits de la Légion, pour donner au final une histoire difficilement compréhensible - et pour les nouveaux venus, c'est un vrai cauchemar.
D'habitude, on apprécie beaucoup par ici le dessin de Riley Rossmo et ses découpages qui sortent de l'ordinaire, mais le bougre a tellement de choses à dessiner que là, la multiplication des cases ne sert pas à la fluidité ou à la compréhension du récit. Ce qui ajoute à une confusion générale dont on se serait bien passé - reste que l'utilisation de Bouncing Boy dans un cadre "Star Warsien" est excellente - mais ne suffit pas à vous recommander cette lecture, loin de là.
C'est parfois là où on les attend les moins que les meilleures surprises se cachent. Le Future State d'Aquaman de Brandon Thomas est sûrement la proposition la plus entraînante, en ce qui concerne la future jeunesse de l'univers DC Comics. Bien qu'elle ne soit pas si présente que ça dans ce numéro, Andy Curry en adolescente/ jeune adulte est immédiatement attachante (elle rayonnait déjà dans Justice League) et eut égard à un évènement un poil forcé, on a envie de la retrouver, de suite, dans des aventures en solo (et sans forcer, il y a un potentiel de Jon Kent dans ce personnage). Surtout avec la proposition de Thomas, qui est de présenter une mer qui servirait de portails pour naviguer - littéralement - entre des mondes.
En résulte une invitation au voyage et un mélange savoureux de science-fiction (façon Les mondes d'Aldebaran) et de fantasy marine (avec une vibe Lanfeust) très convaincant. Du reste, cet Aqualad (Jackson Hyde) fonctionne très bien par sa caractérisation future, la montée en tension et la façon dont Thomas distille les éléments de compréhension du récit est justement dosée - et graphiquement, c'est simplement somptueux. On se rend compte de la prise de niveau de Daniel Sampere ces dernières années sur ses planches intérieures, et la mise en couleurs d'Adriano Lucas est à tomber, avec une restitution sans pareil des environnements aquatiques. Lisez ceci, on vous dit.
Alors, quand on lisait les noms de Mark Russell et Steve Pugh sur cette mini-série (qui est la seule à être en trois numéros, le 3e étant publié en mars), le duo responsable de cette brillante relance passée des Pierrafeu et du tout autant excellent Billionaire Island chez Ahoy Comics, on savait à quoi s'attendre. Et ça ne loupe pas : en se plaçant dans un lointain (pas si lointain) futur, Russell tire à balles réelles sur le capitalisme et l'exploitation des masses par les plus riches avec, une fois de plus, la figure de Lex Luthor qui se prête forcément à l'exercice. Et Mark Russell excelle encore avec une charge au vitriol assez drôle, et pas si manichéenne que ça.
L'assemble des Planètes Unies doit en effet trancher sur une aide financière par la planète Lexor, sur laquelle Lex a mis la main (en se cassant de la Terre pour pas que Superman vienne l'embêter, parce que non mais) et qui pillait les ressources des autres planètes avec des robots construits par une population, elle, heureuse d'avoir un travail. Problème, l'Homme d'Acier a détruit les robots, et tous les habitants se retrouvent sans emploi, dans une misère noire. C'est donc aux Planètes Unies de les aider, mais comment faire sachant que Lex va certainement tirer toute l'aide à lui ? Une discussion complexe dans un futur plein de bizarreries et plus coloré que la majorité des autres titres Future State, avec un Pugh toujours en forme qui dessine un Lex franchement malaisant dans cette volonté d'avoir toujours l'air jeune malgré son âge avancé. C'est une réussite - mais pas une surprise, l'équipe nous a déjà habitués à bien travailler.