On a l'habitude de se concentrer dans nos colonnes sur les oeuvres publiés outre-Atlantique qui nous parviennent par la suite en VF chez nos maisons d'édition favorites. Mais il arrive aussi que des ouvrages qui voient le jour dans l'hexagone ont tout à voir avec notre ligne éditoriale, les auteurs, autrices et artistes se cachant derrière ayant tout autant baigné dans les influences qui façonnent la bande dessinée d'aujourd'hui. Sorti chez Dargaud, tout en étant le premier album de l'artiste Sylvain Repos, Yojimbot s'inscrit à merveille dans notre volonté d'ouverture de ligne éditoriale, et c'est pourquoi on vous expliquera aujourd'hui tout le bien dont on en a pensé.
D'ici deux bons siècles, l'humanité aura subi une "troisième crise". Retranchée sous terre car la surface n'est plus accueillante, la Terre est laissée aux bons soins de dame nature qui reprend peu à peu ses bras. Au Japon, dans les vestiges d'un ancien parc d'attraction, errent néanmoins des robots autonomes. Ces derniers font leur ronde, avec une routine héritée de leurs anciennes fonctions, à supposer qu'ils devaient amuser le public en faisant des reproductions de combats de samouraïs. On s'intéresse à un premier de ces robots samouraïs, un Yojimbot (contraction du mot yojimbo qui signifie "garde du corps" et bot qui signifie "robot" en anglais), qui parcourt le parc d'attraction comme ses semblables. Arrivent alors dans le parc le jeune Hiro et son père, en fuite, poursuivis par l'instance totalitaire en place, car ce dernier en sait visiblement trop sur quelque chose qui aurait dû être secret. Se retrouvant rapidement orphelin, le jeune Hiro est recueilli par le Yojimbot, et les deux vont parcourir le parc à la recherche d'un refuge. Rejoints tour à tour par d'autres robots qui prennent également cette mission de garde du corps au sérieux, Hiro sera également traqué par un fou furieux inquiétant, maître d'une armée de drones redoutables.
Dans Yojinbo de Kurosawa, un samouraï se jouait des rixes entre deux bandes rivales pour protéger les habitants d'un village effrayés par leurs exactions. Si Sylvain Repos n'en reprend peut être que le titre en clin d'oeil, l'aura du cinéaste plane sur toute l'oeuvre, mais pas seulement. Yojimbot est un condensé de références qui croisent de multiples aspects d'une culture brassée, réinventée et digérée, pour en créer un univers aux contours uniques, majestueux. Dès les premières planches, le dessin s'imprime sur la rétine, le résultat immédiat. Dans le japon post-apocalyptique de l'ouvrage, les ruines d'un parc d'attraction se mêlent parfaitement à une nature touffue, comme une version plus terrestre d'un Laputa, dans lequel les robots ici ne sont pas des géants, mais de redoutables samouraïs. Au fil des pages, Repos fait vivre son univers avec le regard d'Hiro : on part à l'aventure, sans être trop craintif. La perspective de survie du jeune garçon s'allie à l'ivresse de la découverte que l'on a à cet âge.
Aussi, s'émerveille-t-on. De l'environnement sculpté par l'artiste, des designs des robots mais aussi des antagonistes, qu'il s'agisse des nuées de drones à celui de leur pilotes, forme maudite d'un Robotnik croisé au Pingouin. A chaque coin de case, les référents s'accumulent : par ici, un bout de Futurama ; de l'autre, un Usagi Yojimbo (évidemment) : mais tout se fait naturellement, car il sera normal de retrouver ces éléments comme témoins d'une époque qui nous est moderne, alors qu'elle est disparue pour nos protagonistes. D'une créativité enivrante, Yojimbot est là pour poser les pieds dans les plats : il est fort, très fort, et impressionne pour son premier album.
Parce qu'il n'y a pas que dans l'établissement d'un univers multi-référencé que Yojimbot se démarque, mais également dans sa mise en scène. Avec un style qui emprunte là aussi les références, de l'animation ou du jeu vidéo, Sylvain Repos soigne son action minutieusement. Le découpage acéré fait vibrer le lecteur au son des lames qui s'entrechoquent. Les cases sont là pour accentuer les moments les plus importants, les plans s'alternent pour immerger le lecteur, qui se transforme en témoin, littéralement, d'un spectacle vivant. Sur les lignes, l'utilisation des onomatopées, il y a un savoir faire qui détonne, et Yojimbot ira séduire sans aucune difficulté les amateurs de combats épiques, mécaniques et décortiqués.
En tant que première oeuvre, on pourra évidemment faire quelques reproches au titre, qui souffre plus du côté de son scénario. En soi, le destin d'Hiro intéresse et Sylvain Repos sait faire en sorte qu'on s'attache à lui, ainsi qu'aux robots qui l'accompagnent. Mais les raisons qui motivent sa recherche, laissées volontairement floues pour la suite, laissent malgré tout percevoir un manque d'ensemble ; un petit quelque chose qui hisserait Yojimbot à plus grand que la seule bonne santé d'Hiro. C'est que le monde dans lequel ces personnages évoluent fascine, mais que Repos ne nous donne pas tellement à manger de ce côté là. Aussi, avec une action prédominante - et majestueuse, rappelons-le -, le tome se parcourt rapidement. Si l'on reste sur sa faim, c'est aussi qu'on en redemande : un constat qu'il est alors facile d'orienter d'un point de vue positif.
Coup de coeur immédiat pour Yojimbot, une production bien française mais qui transpire les inspirations multi-culturelles, et dont on ne pouvait pas ne vous parler ici. Amateurs d'Usagi Yojimbo, de Tortues Ninja, des Myiazaki, d'animation ou de Kurosawa, ce premier tome est un véritable maelstrom d'influences correctement digérées pour bâtir un univers entraînant, qui conquiert immédiatement. Beau, rythmé, avec une maîtrise de Sylvain Repos incroyable sur l'action, Yojimbot est là pour asseoir d'entrée de jeu un artiste/auteur dont on espère une ascension proportionnelle au plaisir de lecture qu'on a ressenti. Qu'importe si l'histoire convainc moins : la première pierre est posée, on veut la seconde tout de suite.