Lorsque Magnéto est créé en 1963 par Stan Lee et Jack Kirby, il est un vilain de comicbooks en apparences assez simple. Bien que les X-Men soient utilisés rapidement comme une représentation généralisée de la différence de l'autre, et que Magneto est là pour protéger la différence des mutants face à une humanité qui en a peur, voire les déteste, c'est bien des années plus tard que les motivations de l'un des plus grands super-vilains Marvel seront explorées. Auteur illustre sur cet univers, Chris Claremont imagine en effet un passé traumatisant pour Max Eisenhart, en faisant de lui un rescapé de l'Holocauste, qui a provoqué la mort de millions de juifs par le régime nazi au cours de la Seconde Guerre Mondiale, et reste certainement l'un des pires crimes contre l'humanité jamais commis. Bien que ce background puisse facilement expliquer pourquoi Magneto voudrait empêcher qu'une telle horreur puisse se reproduire contre l'espèce mutante, cet aspect de son histoire n'était jamais évoqué de manière frontale. Si le cinéma s'emparera du sujet, brièvement, dans le premier X-Men puis dans X-Men : First Class en 2011, c'est sur le papier que Marvel développera le sujet avec un récit documentaire sur l'enfance de Max Eisenhart, baptisé Magnéto : Le Testament.
Profitant de la réédition dans un très grand format de cette mini-série en cinq numéros, pilotée par Greg Pak et Carmine Di Giandomenico, chez Panini Comics, Magnéto : Le Testament vient rappeler par sa taille l'importance qu'il revêt dans le paysage des publications X-Men, ou tout simplement dans l'ensemble de la production de la bande dessinée américaine mainstream. Un récit qui reste glaçant du début à la fin, et qui paraît hélas toujours plus nécessaire à rappeler, pour comprendre l'importance des comics et plus généralement de l'art séquentiel vis à vis des messages qu'ils peuvent transmettre. Ou encore du lien si particulier des super-héros quels qu'ils soient aux racines de l'antisémitisme.
Si cet article n'a pas pour but de refaire une leçon d'histoire - il y a des spécialistes bien plus qualifiés qui ont déjà écrits quelques ouvrages à ce sujet - rappeler qu'une très grande partie des créateurs de super-héros sont d'origine juives, dont les parents ont fui l'Europe devenue antisémite, et qui ont créé des modèles pour représenter la lutte contre l'oppression envers leur communauté (puis contre toute forme d'oppression), ne sera jamais inutile. Rentrons à présent dans le vif du sujet.
Magnéto : Le Testament est donc là pour nous raconter le devenir de Max Eisenhart, un jeune garçon issu d'une famille juive dans l'Allemagne des années '30, qui va être frappé de plein fouet par la montée de l'antisémitisme sociétal, la puissance des forces du IIIe Reich, et se retrouver dans l'un des camps de concentrations les plus tristement célèbres de l'Histoire, celui d'Auschwitz-Birkenau. Rien ne sera épargné au cours de ces quelques années, avec un décalque particulièrement affreux de ce qu'ont été les fameux camps de concentration. Mais la représentation de la violence se fait dès le départ, bien avant que l'on bascule dans l'horreur pure et dure. De réflexions ou insultes ouvertement assumées en public ; du rejet de la société à tous les étages (dès l'école) même pour des ressortissants juifs qui ont pourtant combattu pour l'Allemagne lors de la précédente guerre. Jusqu'à la dénonciation généralisée qui mènera les populations dans le joug du régime nazi. Comment le silence assourdissant et une propagande d'état mènent à l'inqualifiable, et commet un jeune garçon va devoir affronter cette réalité historique, à peine aidé par des facultés qui ne se laisseront montrer qu'à quelques très rares instants.
Magnéto : Le Testament n'est en effet pas une histoire des X-Men comme on pourrait s'y attendre, et à l'inverse de ce que le film First Class montrera quelques années plus tard, il n'y a pas de moment de bravoure, où un Max déchaîné pourrait mettre fin localement aux exactions de se tortionnaires. Non. Ici, il n'y aura que la cruauté des faits, car le récit de Greg Pak s'inscrit en réalité dans un registre documentaire des plus froids, car écrit avec le concours d'un historien du Centre Simon-Wiesenthal, permettant d'apporter une précision chirurgicale aux faits narrés, et d'accompagner les images de chiffres placés là pour dépeindre la triste réalité telle qu'elle a été. Bien que Max Eisenhart soit destiné à devenir Magnéto, la quasi-absence de manifestation de ses pouvoirs le rend impuissant face à tout ce qui se déroule sous ses yeux, permettant une empathie forte du lectorat avec le personnage. Quelques éléments de sa mythologie restent abordés - comme la présence de Magda, jeune tzigane elle aussi enfermée, qui sera bien plus tard la mère de ses enfants Wanda et Pietro.
En dehors de ceci, Le Testament est donc à prendre pour ce qu'il est : une forme de reconstitution historique en bande dessinée, qui s'appuie sur un personnage fictionnel bien connu du reste du monde pour pouvoir porter ce documentaire en cinq parties. Aux dessins, Carmine Di Giandomenico impressionne, tant sur la reconstitution historique de ce qu'était l'Allemagne d'époque, les ghettos, ou le camp d'Auschwitz - un travail qui est appuyé également par des documents d'archives, que sur la justesse avec laquelle il dessine un ensemble de scènes très difficiles. Dans le cadre d'un tel contexte historique, et sous l'appui d'une grosse maison d'édition plus connue pour son aspect divertissement, Di Giandomenico ne verse pas dans le voyeurisme macabre, mais ne cache pas non plus ce qu'il se passe. En résulte bon nombre de passages encore difficiles à lire ou regarder dans la violence qu'ils sous-entendent, mais qui participent à l'essentialité de cette histoire. Notons en outre que le très grand format de Panini Comics fait là clairement honneur à la prestation, et permet d'appliquer le terme de "grand récit" au sens propre comme au sens figuré.
A l'heure où certains trouvent amusant de se moquer des indignations face à la présence de symbole antisémites dans les pages de comics récents, la réédition très grand format de Magnéto : Le Testament survient comme une forme de rappel essentielle. L'histoire des X-Men en comics a toujours été liée à la lutte contre les oppressions de toutes formes, et ce récit documentaire occupe une place particulière. Un monument de bande dessinée américaine qui, sans égaler le Maus d'Art Spiegelman à côté duquel on pourrait le rapprocher, montre toute l'importance du médium BD utilisé à des fins de devoir de mémoire. Un récit appelé à compter encore et toujours, et qui impressionne d'autant plus quand on voit la tournure plus ou moins apolitique derrière laquelle le Marvel moderne tente de se dissimuler. A lire et faire découvrir, tout simplement.
