Après plus de trois ans à avoir mené la barque en solo et sans contres-directives éditoriales, et emmené tout le navire DC Comics dans un ensemble lourdingue de métalleries et de Dark Multiverse, Scott Snyder s'en va enfin et laisse souffler le créatif de l'éditeur à deux lettres. Alors que DC démarrait l'année avec une parenthèse futuriste, qui permettait à la fois à pas mal d'équipes créatives de souffler ou préparer "l'après", c'est justement cet après qui aujourd'hui commence à se dévoiler. Infinite Frontier #0 est de sortie, avec pour but de vous présenter en une soixantaine de pages ce dont sera constitué les prochains mois chez DC Comics - et si possible faire croire qu'un grand plan d'ensemble est au programme, bien que la nouvelle donne dans le Multivers ne soit plus de se rattacher à un univers cohérent comme aux débuts de Rebirth, mais d'élargir toutes les possibilités. Au sortir, on est intrigués, parfois perdus, mais il y a une envie, après deux années particulièrement lourdes (le Year of the Villain, tout ça), de croire à une envie de faire. Et c'est déjà ça.
L'ouverture d'Infinite Frontier #0 est une suite directe de la conclusion de Dark Nights : Death Metal #7 mais point besoin de compréhension du précédent event : Wonder Woman a sauvé le monde, ce faisant quittant la Terre principale, alors que la Quintessence, un groupe de 5 individus chargés d'observer l'ensemble du Multivers, lui propose de se joindre à elle pour veiller aux Multivers et aux infinie possibilités qui (dans le texte comme en dehors) s'annoncent chez DC. Mais Diana a été prévenue de potentiels troubles à venir également, et c'est pourquoi le Spectre va lui proposer d'aller jeter un oeil à ses camarades, pour s'assurer qu'ils et elles vont bien, et peuvent se débrouiller malgré son absence. Le procédé est évident de facilité et ne se cache pas vraiment de son artificialité : ici, en suivant l'actualité quotidiennement, il n'y avait aucun doute sur la nature de "catalogue de previews" de cet Infinite Frontier #0. Aussi ne sera-t-on pas déçu, sinon curieux de voir l'exécution. Une première chose déjà, et un bon point : malgré la multitude d'auteurs et autrices chargés de dépeindre les différentes scènes, le fil rouge tenu par Joshua Williamson (si Tynion IV et Snyder sont aussi crédités, on sait que c'est lui le réel chef d'orchestre) permet des transitions assez douces, et un accord de violons qui donne l'impression d'avoir une seule et même voix tout du long.
Dès lors, les différentes étapes envers chaque héros et héroïne sur Terre s'enchaînent avec des passages obligés vers les classiques (Batman, Flash) et, surtout, vers les nouveaux arrivants (avec Yara Flor, l'introduction de la Teen Titans Academy, l'intégration de Teen Lantern vers le Green Lantern Corps ou encore Jon Kent, nouveau tenant du titre Superman, ainsi que la nouvelle forme que prend la Justice League). Celles et ceux qui ne suivent pas l'actualité se laisseront surprendre à plusieurs reprises : Infinite Frontier #0, comme Rebirth #1 à son époque, propose quelques moments assez radicaux - soit dans ce qu'ils montrent, soit dans certains changements majeurs pour quelques personnages, dont un en particulier permettant de canoniser plus généralement une idée qui avait été implantée au cours des New 52. L'impression qu'il s'en dégage, c'est effectivement que DC Comics veut offrir en 2021 un panel de héros dans son ensemble plus jeune, plus diversifié, plus optimiste également. Si une terrible menace pèse bien sûr dans l'ombre, le mot d'ordre reste celui des possibles et de l'espoir.
Un appel à l'action, aussi, quand on voit ce que Wonder Woman est également appelée à devenir, mais il n'y a pas que cela de rassurant. Forcément, cet avis concernera surtout les lecteurs réguliers du DC Comics moderne, exprimons le ainsi : après des années à vouloir toujours repousser les limites et à imaginer "toujours plus gros" dans les pattes de Snyder, Infinite Frontier se recentre sur ses propositions. Malgré cette affirmation d'ouverture du Multivers, et cette expansion de personnages pour certains encore inconnus, on ressent une envie de se recadrer, de remettre aussi quelques limites pour montrer que l'univers DC Comics n'ira pas vers n'importe quoi. On tente de nouvelles situations, mais à côté des quelques nouveaux personnages, on joue avec ce qu'on a plutôt que de créer des items factices ou inconséquents. La meilleure illustration de ceci se retrouve dans l'ultime planche, comme une forme de vrai retour aux sources, de ce qu'est vraiment l'alpha et omega de DC - dommage que ladite dernière planche a été confiée à John Romita Jr.
Le bonhomme n'est en effet pas très en forme et Infinite Frontier #0 souffre un peu de sa discontinuité graphique, ainsi que du volume de pages que chaque artiste a. C'est à dire qu'on laisse beaucoup les dessinateurs au trait, disons, limite (John Timms sur l'intrigue principale, c'est vraiment pas fameux, mais Jamal Igle, Todd Nauck ou Howard Porter ont déjà fait bien mieux dans leur carrière), s'étaler sur un nombre importants de planches alors que les plus rares (Alex Maleev, David Marquez, Joëlle Jones) sont aussi ceux qui offrent un travail le plus agréable à regarder. Sachant que certains des artistes doivent revenir sur les titres réguliers qui sortent prochainement, il y a de quoi se montrer méfiant sur le rendu artistique. Bien que ce ne soit pas le but, on le sait, si un nouveau venu arrive avec Infinite Frontier #0 en mains et qu'on lui dit "voilà ce que sera visuellement ton DC des prochains mois", il y a de quoi y réfléchir à deux fois avant de faire un pas en avant.
Malgré ce constat dommageable, on a envie d'être porté par l'espoir de Wonder Woman en conclusion de lecture. Il n'y a pas de hype incroyable, mais pas non plus de prétention dans les pages qui s'affichent. On y ressentira plutôt le désir d'un éditeur de se recentrer sur ses personnages et ouvrir quelques nouvelles portes pour chacun d'eux, plutôt que de vriller à partir dans un grandiloquent qui, en général, reste généralement inconséquent. Les quelques pistes mystérieuses qui n'auront pas de suite immédiate sont assez intrigantes pour qu'on patiente jusque Infinite Frontier #1 à l'été arrivant, et l'on sait vers quels titres se tourner en priorité. On appréciera aussi qu'à de multiples reprises, quelques liens à Future State se fassent, de façon à rassurer une fois pour toute sur le fait que DC n'a pas fait un "Futures End" bis lors des deux derniers mois de cette année. Les autres apprécieront peut-être moins le petit pique fait à Doomsday Clock en revanche. C'est peut être le contexte de lecture qui vaudra aussi ce sentiment de calme : on souhaite surtout que DC tienne sur la durée. En l'état, Infinite Frontier montre que le créatif a des envies, à voir ce qu'en fera l'édito.
On restera mesuré à la lecture d'Infinite Frontier #0, qui ne va pas plus loin que ce qu'on attendait de lui : un catalogue de previews, une forme de proposition globale avec plusieurs idées (certaines très intéressantes) pour vous orienter vers quelques publications à venir - listées en toute fin de numéro. Mais après trois grosses années de métalleries, l'impression de recentrage sur des orientations moins grandiloquentes, plus axées sur les personnages que sur l'expansion - ce malgré les promesses multiversiennes affichées - font qu'à défaut d'être convaincu, on a envie de l'être. Et c'est déjà beaucoup. Ne reste qu'à convaincre DC d'arrêter de donner du travail à Romita Jr., allez.
- Vous pouvez commander Infinite Frontier #0 à ce lien (à venir)