Forte d'une longévité grandissante en VO chez IDW, la série Tortues Ninja s'offrait il y a maintenant trois ans un nouvel essai sur le territoire français, accompagnant le lancement de la maison d'édition HiComics. Avec quatre tomes déjà publiés auparavant chez Soleil, l'éditeur faisait alors le choix de prendre l'équivalent du 5e album VO pour démarrer sa collection, puis de réunir en un "Tome 0" les quatre premiers ouvrages qui avaient déjà été publiés en VF. Problème : devenu rapidement épuisé, ce tome 0 faisait désormais la joie des spéculateurs de toutes sortes, mettant aussi un frein au cheptel potentiel de lecteurs et lectrices à même de se plonger dans cet univers. A l'occasion de sa réimpression, il est temps de le formuler une nouvelle fois, purement et simplement : il faut lire les Tortues Ninja.
Le souci qu'a en effet pu connaître HiComics par son approche éditoriale, c'est que son premier tome de la série Tortues Ninja, bien qu'il reste une lecture abordable par toutes et tous, ne constitue pas le point d'entrée idéal. L'arc qui met face aux Tortues l'envahisseur Krang aborde d'entrée de jeu l'aspect science-fiction de cet univers - celui qui n'est pas forcément le plus facile à aborder - et la partie graphique n'est pas la plus réussie, face par exemple au monstre Mateus Santoluco qui assure les dessins sur l'album suivant. On aura donc souvent entendu un message qui pourrait paraître absurde pour qui n'est pas habitué aux micmacs de l'édition américaine et française en comics : celui de commencer la série par le tome 2. Aujourd'hui, avec un tome 0 imposant à nouveau disponible, et dont vous pourrez profiter en faisant acte de soutien d'un libraire, sans enrichir un vil spéculateur, c'est une grande porte d'entrée que le lectorat peut à nouveau franchir.
Au début de son run, le scénariste Tom Waltz s'empare en effet de tout ce qui fait l'essence des Tortues Ninja pour le distiller dans des arcs qui permettent de bâtir une origin story alors moderne, et toujours définitive. Dans le présent, l'un des quatre frères est à la recherche des siens : les Tortues ont été séparées et sont sous la houlette de Maître Splinter, alors que l'on découvre au fil des pages d'autres personnages secondaires incontournables (Casey Jones, April O'Neil). Même si vous n'avez jamais lu ou regardé les Tortues Ninja auparavant - ce qui était le cas de votre rédacteur à l'époque de sa première lecture de ce tome -, Waltz sait distiller les éléments fondamentaux pour que, très rapidement, la mythologie Tortues s'explique facilement. Au delà de l'aspect mutagène, l'historique de Splinter, en fait la réincarnation du samouraï Hamato Yoshi, exécuté avec ses quatre fils il y a des siècles par le chef du Clan Foot, Oroku Saki, qui deviendra dans le présent le redoutable Shredder. Quoi qu'on pourrait penser incongrues ces histoires de réincarnations dans des animaux qui ensuite mutent, Waltz réussit à poser une narration fluide, qui permet d'adhérer aux concepts très rapidement.
La lecture, justement, profite de cette fluidité et l'intégrale se lit au final assez rapidement. En l'espace de seize chapitres, surtout, on remarque deux choses. D'une part, la façon dont Waltz distille les différents éléments qui, au fur et à mesure, prennent de plus en plus d'ampleur, pour qu'un fil rouge épais se distingue nettement aux yeux des lecteurs. De l'autre, à quel point, très rapidement, le scénariste va piocher dans ce que l'on pourrait appeler les trois axes principaux de la mythologie Tortues Ninja : la problématique des Mutanimaux (avec le charismatique Hob, et les débiles de service Bebop et Rocksteady), l'aspect science-fiction (avec Krang et les Utroms), et bien sûr la lutte désespérée contre Shredder et le reste du Clan Foot. A partir du moment où ce tome est lu, chacun des éléments qui se retrouvent par la suite vous seront immédiatement familiers - permettant d'aborder sereinement un tome 1 sinon plus difficile d'accès.
En somme, que vous soyez fans de super-héros mainstream ou d'indé, il y a tous les éléments qui vous plairont dans ces comics. Waltz fait évoluer ses personnages et s'amuse à changer régulièrement les statu quo, s'empare de la continuité des itérations précédentes pour proposer une relecture qui se renouvelle sans trahir les travaux de Eastman et Laird, et les thématiques abordées (sur l'entraide, sur la destinée de chacun, sur la différence) font partie de ces approches universelles que l'on se plaît à retrouver. On n'est pas aussi libre que l'approche d'un Kirkman sur Invincible, mais si les univers des Big Two ou de Valiant vous semblent trop touffus, les Tortues Ninja ont aussi ce mérite de proposer un univers qui se tient très bien en une seule série.
Bien sûr, ce tome 0 est imposant et pèse aussi dans le budget mensuel, mais il en vaut le coût. Sur la partie graphique, ce démarrage des Tortues Ninja se place déjà bien dans ce que la licence a permis d'apporter par la suite : Andy Kuhn et Santolouco répondent déjà présents à l'appel, forts d'un savoir faire indéniable dans leur découpage et la mise en scène des Tortues. L'aspect urbain et street level se ressent dans chaque planche, et l'approche entre le dessin de cartoon et un côté plus réaliste est au final idéal pour rendre crédible un univers d'animaux parlants : l'essence d'une pop culture qui s'aborde sérieusement sans qu'elle ne se prenne trop au sérieux. A l'heure où les Tortues Ninja n'ont pas bénéficié de supports plus grand public qui permettrait de fédérer un nouveau lectorat, la série IDW publiée chez HiComics est donc un incontournable des comics de super-héros actuels. Si vous hésitiez encore, on ne pourra qu'une nouvelle fois vous inviter à franchir le pas. Le chemin est ensuite long, mais parsemé de plaisirs de lectures : vous ne le regretterez pas.