En 2018, le géant chinois DMG rachetait totalement Valiant Entertainment, plus intéressé par la perspective d'amener ce vaste catalogue de personnages (qui constitue le 3e plus grand univers partagé dans les comics) sur les écrans que par l'envie de poursuivre la réussite éditoriale qui caractérisait l'éditeur depuis son reboot de 2012. Après avoir brigué Eisner sur Eisner, les deux dernières années auront été charnières pour Valiant - et par extension pour Bliss Editions, qui en est l'éditeur sous nos latitudes. La crise amenée par la pandémie de coronavirus en 2020 a aussi amené la maison à réduire drastiquement son volume de publications. Dès lors, la VF a, ces derniers mois, alternés entre quelques jolies propositions (Life and Death of Toyo Harada, Killers, Livewire) et franches déceptions (The Forgotten Queen, Roku ou le Bloodshot de Tim Seeley). Fort heureusement, ce Fallen World fraîchement publié en France fait partie de la première catégorie, et plus qu'une jolie proposition, disons le clairement : c'est l'une des meilleures sorties Valiant de ces deux dernières années.
Avec bientôt dix ans d'existence, l'univers de Valiant a su se densifier et s'approfondir, ce qui fait que le dogme au démarrage de Bliss Editions, qui vantait un univers très facile d'accès, est un peu moins vrai aujourd'hui. Mais il existe une petite subtilité qui fait la différence : en parallèle de la continuité principale, il y a une seconde timeline futuriste, qui prend part dans l'an 4001puis 4002. Développé avec le titre Rai et War Mother, ce pan s'aborde, lui, toujours aussi facilement, et même si vous n'avez pas lu les précédents titres, Fallen World est réellement une très bonne porte d'entrée à cet univers. Preuve étant, votre rédacteur n'avait toujours pas pris le temps de compléter son run de Rai avant d'entamer cette lecture.
En l'an 4002 donc, après les évènements de Rai, le Néo-Japon est retombé sur une Terre qui avait été laissée à l'abandon. Là, Rai va découvrir que la redoutable intelligence artificielle "Père", qui régissait le Néo-Japon de façon dictatoriale, n'est toujours pas morte. Pire, elle profite d'une rencontre fortuite avec un autre personnage bien connu des fans de Valiant pour s'accaparer toujours plus de puissance. Très rapidement, Rai va devoir trouver toute une équipée d'alliés pour défaire son antagoniste suprême. L'occasion pour le scénariste Dan Abnett de faire parcourir ce monde futuriste à ses héros, et de mêler univers cyberpunk multi-robotisés à d'autres influences qui lorgnent largement plus du côté de la fantasy.
C'est d'ailleurs très certainement l'une des forces de ce Fallen World : la façon dont Abnett construit le monde futuriste de Valiant en toute harmonie, avec une multiplication des concepts et des idées à tous les chapitres, sans que cela ne nuise à la narration. Rien n'est trop chargé, et on se plaît à découvrir tour à tour une forme de secte ecclésiastique persuadée de la supériorité de "Père", des peuplades hybrides éléphantesques redoutables, ou encore une héroïne dont la présence, là aussi, ira récompenser le lectorat fidèle de cet univers. Mais qu'on se rassure si ce n'est pas le cas, Abnett se montre assez didactique et sans surexposition pour que vous compreniez rapidement qui est qui, et ce qu'il a pu se passer avant d'en arriver là. L'intrigue est donc rondement menée, avec un sous-texte sur le rapport à la vérité, aux discours totalitaires et aux façons de s'opposer aux oppression qui en font forcément une lecture assez ancrée dans son contexte de publication. C'est à dire que la science-fiction s'est toujours faite porteuse de messages sociétaux, et Dan Abnett est un auteur qui a déjà su montrer toutes ses compétences dans le registre. Une fois de plus, l'aventure est grande, et le voyage est un régal pour les yeux, sans que le divertissement n'efface le propos.
Sur le visuel, justement, Adam Pollina livre une performance absolument charmante (qui vaut à cette oeuvre son statut de "petite dinguerie"). Le dessinateur ne rechigne à aucun moment au travail pour livrer des planches qui se montrent généreuses sans être trop chargées, sans jamais perdre en lisibilité. Le trait se mêle avec une totale adéquation au monde que construit Abnett, le duo se répondant visiblement en parfaite harmonie. D'environnement désertiques à la Mad Max en passant par des forêts luxuriantes à la faune et flore imaginatives, en passant par des robots géants à la croisée de La Guerre des Mondes et de gros bactériophages, avec une forteresse volante façon Laputa : on est impressionné à la fois par la quantité, la qualité dans le dessin, et le fait que tout ça ne soit jamais trop lourd. Peut-être, seulement, que les capacités de Père, liées à son nouveau statut, auraient mérité encore plus d'inventivité, mais qu'on se le dise : Fallen World est un vrai régal pour les yeux.
Son écueil majeur viendra en réalité d'un constat qui frustre plus généralement votre rédacteur vis à vis de Valiant : la décision de l'éditeur outre Atlantique de ne plus faire d'ongoing et de contenter de faire avancer ses pions qu'à coups de mini-série. C'est à dire qu'au sortir de Fallen World, il y a une vraie progression pour chacun des personnages et pour l'univers futuriste Valiant de façon plus générale, mais le tout s'est au final lu assez rapidement. Il y avait pourtant largement matière à avoir des développements supplémentaires, tant dans le récit que le world building. Fort heureusement, Dan Abnett poursuit son aventure dans une nouvelle série Rai, en compagnie de Juan José Ryp (présent ici dans le prologue) ; Fallen World en constitue donc un prologue on ne peut plus enthousiasmant, et ne reste qu'à attendre que Bliss amène la suite.
Une franche réussite, voilà tout. En l'espace de cinq numéros à peine, Dan Abnett propose l'un des meilleurs récits du Valiant de ces dernières années. Accessible parce que se situant dans la lignée futuriste de la maison d'édition, le récit mêle action, réflexions sociétales et world building dantesque, associé à la performance impeccable d'Adam Pollina. Une excellente mini-série (sous forme de récit complet en VF) qui rappelle ce que Valiant a de si fort et de si séduisant.