Ah, le collège ! On a tous des souvenirs impérissables de cette ingrate période de nos vies marquée par le sébum, les appareils dentaires et l'entrée angoissante dans le monde de l'adolescence. Des souvenirs impérissables certes, mais pas toujours pour les bonnes raisons : le collège, c'est aussi pour certains une époque de souffrances quotidiennes aux mains des bullies, tyrans des cours de récré pour qui pourrir la vie des marginaux est un sport olympique.
Blague à part, le bizutage est un délit puni par la loi qui, chaque année, entraîne de véritables tragédies dans les cours de récréation. Le thème n'est donc pas facile à aborder. Entre l'omerta généralisée qui emmure les victimes dans le silence, et les bourreaux qui ne sont punis en général qu'une fois le drame survenu, on a souvent du mal à parler du sujet avec les jeunes concernés. Débarquent alors Skottie Young (fantabuleux auteur qu'il FAUT découvrir au plus vite) et son Bully Wars. Plongée dans un pamphlet cartoonesque et diablement réussi contre le bullying - ou harcèlement scolaire, tout simplement.
Vous avez dit victime ?
Spencer est un gros nerd. Bien archétypal comme il faut, il est myope comme une taupe, gaulé comme une allumette et beaucoup trop intelligent pour son propre bien. Il va surtout bientôt réaliser son entrée au lycée, et pas n'importe lequel : le lycée de Rottenville High, réputé pour avoir le plus haut taux de bullies de toute la région. Et pour ne rien arranger, il va y faire sa rentrée accompagné de Rufus, sa brute attitrée depuis le collège, bien déterminé à toujours lui pourrir la vie au lycée.
Seulement une fois l'année démarrée, Rufus se rend vite compte qu'il n'est plus le plus gros requin dans la mare, et que le vivier Rottenville High regorge de tyrans bien plus grands, gros et boutonneux que lui. Et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire : voilà Rufus qui rejoint le camp des opprimés, aux côtés de Spencer et sa clique. Pour regagner sa réputation, il n'a d'autre choix que de faire alliance avec les autres victimes, et gagner les bully wars pour redevenir le plus grand des tyrans !
Le ton de la série est clairement humoristique et tout public (l'album est d'ailleurs publié dans la collection
Urban Kids d'Urban Comics). On retrouve les facéties habituelles de
Skottie Young dans ses dialogues, qui aime substituer les "vrais" gros mots avec des homonymes tout proches (fils de flûte et autres cabrioles linguistiques). On retrouvait déjà cette tendance dans l'autre chef d'œuvre de l'auteur :
I Hate Fairyland, sorte de Alice au pays des merveilles à la sauce Happy Tree Friends. Sur le fond, on reste donc dans du
Skottie Young pur jus : une intrigue potache avec plusieurs niveaux de lectures, portée par des échanges de répliques bien rythmés gorgés de jeux de mots et d'allusions à double-sens.
Au niveau graphique, c'est cette fois Aaron Conley qui prend le crayon, mais on reste là encore dans l'univers si typique de Skottie Young, sorte d'hommage aux cartoons enfantins ultras colorés. La ressemblance entre leur deux traits est à s'y méprendre, et de fait, l'esthétique colle à merveille avec l'ambiance installée par le scénariste. Si on cherche à être pointilleux à outrance, on pourra peut-être reprocher à Conley un (léger) manque de clarté sur certaines planches, un peu "brouillonnes" par rapport à celles de Young.
C'est drôle, mais...
On a affaire à une série humoristique certes, mais l'humour n'est pas gratuit, et il est surtout là pour adoucir un propos à haute teneur morale. Les exactions des brutes sont présentées avec humour (tire-slip, mettre la tête de sa victime dans les toilette et tirer la chasse, l'enfermer dans son casier etc) et les auteurs puisent dans la très large galerie des brimades typiques de bullies américains (le genre qu'on croise dans toutes les sitcoms adolescentes sans trop réaliser à quel point elles peuvent être dévastatrices). Mais la violence réelle de ces actes n'est pas éludée ni atténuée, de même que leurs conséquences sur les victimes. Et c'est là tout le propos de Young qui choisit justement de transformer un ancien bully en victime.
Il montre ainsi (sans trop de subtilité, on vous l'accorde) qu'être méchant c'est pas bien, et qu'on trouve toujours plus gros et plus vilain que soit. Autrement dit : on est jamais à l'abri de subir ce qu'on a fait subir aux autres. Et en décidant de placer leur personnage dans une spirale de surenchère qui atteint des sommets absurdes (Rufus doit prouver qu'il est encore plus cruel et malfaisant que ses rivaux), les auteurs plaident en réalité pour l'exact inverse : l'apaisement plutôt que l'escalade. Car au final, les tyrans sont des énormes débiles moches et pas finauds pour deux sous, et c'est d'eux dont on rit tout au long de l'album plutôt que des humiliations qu'ils infligent à tout va.
Nouveauté très sympathique qui n'est néanmoins pas au niveau d'I Hate Fairyland, on lit Bully Wars surtout pour rester un peu plus longtemps dans l'univers de Skottie Young, et auprès d'un dessinateur dont le trait imite à merveille celui du maître. Le message transmis est essentiel, trop peu abordé dans la bande dessinée "enfant", même s'il manque pas mal de subtilité (il n'en devient que plus évident, ce qui n'est pas pour desservir le propos). Globalement, on recommande tout de même très chaudement cette lecture, qui reste une belle bulle d'originalité et de fraîcheur colorée dans un monde de grosses brutes.