Il faut savoir se montrer patient, du côté de Glénat Comics. L'éditeur a drastiquement réduit son volume de publications depuis deux ans - et la crise sanitaire n'a rien arrangé. La ligne comics de la maison d'édition, bien qu'elle a perdu en visibilité à cause de cette productivité amoindrie, ne manque pas d'accueillir de bons ouvrages. Plus tôt dans l'année, on s'émerveillait de la maxi-série CODA. En ce printemps, c'est le second tome de la sympathique - et surtout très belle - série The Old Guard que l'on peut découvrir en VF, maintenant que l'adaptation Netflix a permis de faire découvrir le premier tome à une lectorat de profanes. La lecture de ce second volume, s'il en était besoin, viendra rappeler à grands coups de frappes rétiniennes à quel point l'adaptation est visuellement fade, quand on a en face, sur le papier, une patte artistique si forte. Retour en force ? C'est très bien dit.
S'il est de coutume dans nos colonnes d'aborder les oeuvres que l'on chronique par le travail de l'auteur, reconnaissons d'emblée à The Old Guard que ce comics ne serait pas aussi puissant s'il n'était pas porté par un artiste aussi talentueux que Leandro Fernandez. Descendant spirituel d'un Eduardo Risso ou Mike Mignola (voire de John Paul Leon à certains égards), l'artiste a une maîtrise sans pareil des aplats de noir, de l'utilisation des ombres pour proposer des planches en relief splendides. La force de cette technique tient dans sa capacité à mettre en avant les éléments sur lesquels Fernandez fixe le regard, à orienter le lecteur sans en avoir l'air. Tout est une question d'espace dans la casee, et le dessinateur exploite parfaitement la méthode, ancienne, popularisée par le grand Mignola. Avec un style qui lui est propre, malgré ces affiliations artistiques évidentes, Leandro Fernandez est aussi un grand généreux. Dans le détail apporté à ses personnages, dans la précision de son découpage, dans le soin apporté aux décors. The Old Guard : Retour en Force peut en fait se lire sans qu'on prenne en compte l'histoire, juste pour admirer le travail de son dessinateur.
Ce dernier profite d'ailleurs des couleurs de Daniel Miwa. La coloriste fonctionne principalement par aplats, sans trop de dégradés, dans des teintes qui varient d'un bordeaux assez chaud jusqu'aux teintes bleutées et froides qui serviront pour les scènes nocturnes. Ces couleurs qui impriment la rétine apportent comme une marque de fabrique, une empreinte visuelle qui donne à The Old Guard toute son identité. On reconnaît immédiatement l'oeuvre dès les premières planches, et si le souvenir du premier tome chez Glénat pouvait paraître diffus (vu la sortie désormais lointaine), il revient immédiatement au démarrage du premier chapitre. Les couleurs accompagnent donc à merveille Fernandez, qui n'a par ailleurs pas son pareil pour délivrer également de multiples scènes d'action, détonantes, sans faux semblants, tirant parti du concept de The Old Guad : celui de mettre en scènes des immortels devenus mercenaires.
A la fin du second tome, Andy avait vu l'un des membres de sa troupe les trahir (Brooker) et partait avec ce qui lui restait des siens, dont la jeune Nile, techniquement encore "en formation". Dans Retour en Force, Greg Rucka continue dans le pur polar militarisé, mais se concentre beaucoup plus sur les interactions de ses héroïnes (et de quelques héros ; mais le scénariste est connu entre autres pour son affect sur les personnages féminins). Alors que The Old Guard premier du nom parlait de la lassitude entraînée par l'immortalité, Retour en Force est là pour dépeindre les rapports entre personnes, et la façon dont les relations peuvent perdurer ou se déchirer à cause du temps. Par exemple, une Nile encore novice dans son approche de l'immortalité commence par avoir une relation avec un agent fédéral qui, pourtant, ne leur veut pas que du bien. A côté, Andy voit une figure importante de son passé, qu'elle croyait disparue, revenir dans sa vie avec force et fracas. Celles et ceux qui ont vu le film ne seront d'ailleurs pas surpris, puisque cet élément avait été glissé dans la production Netflix : Greg Rucka travaillant sur les plans et des comics et de leur adaptation, il a pu anticiper dans la seconde ce qu'il avait dû créer pour le premier support après le succès initial de la mini-série originelle.
Les sentiments sont-ils immortels ? Ou plutôt, comment faire durer des relations humaines sur des siècles, quand nous ne sommes à priori pas fait pour dépasser les quelques décennies d'existence ? Greg Rucka distille ses interrogations sur nos rapports entre personnes, avec une intrigue qui reste au premier plan très musclée. Il est question de vengeance, beaucoup, mais l'auteur profite également de ce nouvel espace pour explorer le passé de son héroïne principale, au travers des millénaires, amenant également au premier plan une question cruciale sur ce qu'Andy a pu commettre au cours de sa longue existence. Une façon pour apporter quelques nuances dans la caractérisation d'un personnage que l'on croyait droit jusque là. The Old Guard : Retour en Force est clairement un récit de transition vers un troisième volume de plus grande ampleur. Rucka en a parfaitement conscience et exploite l'espace qu'il a pour profiter au mieux de ce que ce volet d'entre deux peut lui permettre de faire. On développe les personnages avec un fil conducteur assez simple, et les nombreux passages dans le passé, permettent à Ferandez de s'amuser et proposée quelques doubles planches dans des contextes historiques différents une fois de plus superbes. Des pérégrinations de tribus asiatiques aux naufrages de grands vaisseaux pirates, The Old Guard : Retour en Force fait voyager.
Au final, le seul reproche que l'on pourra faire à Rucka ne dépend que de votre affect à The Old Guard et la place que vous lui apportez, à la fois dans sa bibliographie, et de façon plus générale dans la production indé' en termes de comics. Polar musclé et fort de sa marque visuelle, le récit ne cherche pas à révolutionner quoi que ce soit, mais se pose comme une lecture qui explore son pitch de base (assez simple, finalement), avec ce qu'il faut de surprises, d'action et de dynamisme pour qu'on ne s'ennuie pas d'une page à l'autre. Encore une fois, le discours de cette critique serait sûrement différent si Leandrez n'était pas là, ou pas à ce niveau.
Malgré le succès revendiqué par son adaptation sur Netflix, The Old Guard semble être encore assez discret auprès du lectorat comics en France - ou plus généralement dans les discussions BD. The Old Guard : Retour en Force permet de nous repencher sur l'une des très bonnes productions actuelles d'Image Comics. Brut d'action, intéressant dans ses développements thématiques et épatant de beauté, ce second tome est à ne pas manquer pour celles et ceux qui s'étaient déjà embarqués dans l'aventure ; et en réalité, le titre est même assez abordable pour être commencé par ce tome. Les sorties Glénat Comics ont beau être très réduites, leur qualité est indéniable : si ce n'est un macaron "Netflix" incrusté sur la couverture, un petit bijou qu'on ne pourra que vous recommander.
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