"Dans l'Œil du Psy" : une rubrique qui éclaire les personnages de comics par la psychanalyse pour y dévoiler leur inconscient, leurs mécanismes psychiques à l'œuvre qui illustrent comment ces personnages parlent si bien de nous.
Disclaimer : cette chronique a été rédigée en intégralité par Alex Hivence
Psychanalyste dans la vraie vie, il analyse sous son identité secrète la psyché et la personnalité des héros de la culture comics, manga, et geek.
Storm est une X-Woman qui a intégré les X-Men dès leur deuxième genèse internationale, dans le désormais culte Giant Size X-Men #1 de 1975. Aux côtés du russe Colossus, du canadien Wolverine, de l'allemand Diablo, de l'amérindien Thunderbird, du japonais Sunfire, de l'irlandais Hurleur, guidés par le leader originel Cyclope, Storm (Tornade en vf) arrive de son Kenya pour intégrer l'équipe de mutants du Professeur Charles Xavier. Son pouvoir : contrôler les éléments, d'où son nom qui illustre sa capacité à déchaîner tempêtes et orages, à lever des brouillards ou lancer foudre et éclairs. Ce qui apparaît d'emblée fascinant chez Storm est que son pouvoir mutant reflète ce que chacun et chacune d'entre nous peut traverser.
Passer selon notre humeur d'un ciel dégagé à une tornade, en un clin d'œil. Ce changement d'humeur se nomme en psychologie "cyclothymie", une variation de l'humeur qui passe du beau fixe à la dépression passagère. C'est une sorte de météo intime qui bouleverse nos émotions, et trouve sa source dans les épreuves passées et la façon de les traverser. Suivons les pas de Storm pour comprendre ces variations foudroyantes.
Celle que l'on appelle la Chevaucheuse des Vents souffre de claustrophobie. Qu'Ororo Munroe, dont le pouvoir est de maîtriser les vents et par conséquent de s'envoler dans les nuées, soit atteinte de la phobie des espaces clos éclaire le lien particulier qui existe d'emblée entre son psychisme et son pouvoir mutant. Cette claustrophobie remonte ici à un traumatisme brutal. Vivant avec ses parents en Egypte depuis l'âge de 6 mois, le conflit israëlo-palestinien éclate alors que la jeune Ororo a 5 ans et demi. Un avion s'écrase sur leur immeuble et tue ses parents. Enterrée vivante, la jeune Ororo Munroe restera ensevelie sous les décombres plusieurs jours, protégée par le corps de sa mère. Le seul objet qu'elle garde de ses parents est un rubis, qui ornera plus tard sa tenue de X-Woman. Ce traumatisme demeure jusqu'à l'âge adulte de Storm qui se heurtera à cette claustrophobie dans plusieurs aventures auprès des X-Men. Chevaucher les vents et souffrir de la phobie des espaces clos, voilà de fait une apparente contradiction au sein-même de la psyché de Storm. Nous allons voir que ces deux éléments s'éclairent l'un l'autre.
La claustrophobie est la cause, pas l'origine. Si nous creusons davantage cet aspect de la personnalité de Storm, nous pouvons associer à cette claustrophobie résistante un sentiment d'abandon. Le sentiment d'abandon lorsqu'il est ressenti par un enfant lui fait perdre ce que l'on appelle le sentiment de sécurité, un sentiment interne assurant que tout se passera bien. Ce sont les figures parentales qui permettent à l'enfant de ressentir progressivement ce sentiment de sécurité en organisant la vie avec des points de repère et des attitudes rassurantes et sécurisantes envers l'enfant. Celui-ci grandit alors en ressentant qu'il peut avancer dans le monde en toute sécurité.
Pour Storm, nous pouvons avancer que c'est ce que cet avion est venu percuter de plein fouet. Au moment où ce sentiment demeure important, à l'âge de 5 ans où l'enfant se questionne sur la mort, celle de ses parents et de la séparation irréversible qui en découle, cet avion français qui s'abat sur l'immeuble vient anéantir en un brutal éclat ce sentiment de sécurité qui ne sera plus jamais présent. Ce sentiment de sécurité est aussi ce qui permet d'exprimer ses émotions et ses humeurs sans crainte, en sachant que l'autre sera toujours présent, ne disparaîtra pas dans un courant d'air.
Ainsi ce traumatisme vient comme bloquer cette possibilité chez l'enfant Ororo Munroe, enfermant ces émotions et ces affects en elle-même. Comme une tempête sous un crâne. Cet avion qui était sensé protéger devient alors synonyme de mort. A l'image du corps mort de sa mère qui la protège tout en lui mettant la mort sous les yeux des jours durant. Le traumatisme surgit ainsi à au moins deux niveaux : la perte brutale parentale, et l'impression littérale que le ciel peut lui tomber sur la tête et tout lui voler. Alors comment reprendre sa destinée en main autrement qu'en devenant à son tour Maîtresse du Ciel, Déesse des Vents ? Et avant cela la petite fille qui a tout perdu sera celle qui dérobe aux autres leurs objets précieux.
La petite voleuse : délinquante émancipation
C'est par la délinquance que la jeune Ororo Munroe va trouver une porte de sortie. Au Caire, elle va se faire enrôler par Achmed El-Gibar et devint une pickpocket de talent, vive et furtive comme un courant d'air. La jeune Ororo trouve ainsi à la fois une protection, après avoir perdu celle de ses parents, et neutralise ainsi le sentiment de perte en reprenant la main, fût-ce dans la poche d'autrui. Ce n'est plus à elle que l'on vole ce qui est précieux mais elle qui vole les objets précieux d'autrui. Cette inversion forme ainsi un mécanisme courant chez l'enfant qui va chercher à devenir actif là où il a subi auparavant. Il optera pour ce deal, passant d'un sentiment d'être passif à celui d'être actif, de "reprendre le contrôle", même si ce choix se fait au prix d'emprunter une voie transgressive.
Mais là encore, la jeune Ororo Munroe va se heurter à une autre forme de vol, celui de l'esprit et du corps. A l'orphelinat elle se trouve confrontée aux idées libidinales et aux regards sexualisés des hommes, et se retrouve là encore sans protection. Dans sa tentative de fuite, Ororo va subir une agression sexuelle, et tuera l'homme en question pour se défendre. Cette rencontre de la sexualité des hommes vient alors percuter cette jeune fille sans protection. Ce deuxième traumatisme s'ajoute au sentiment d'insécurité, accentuant le symptôme de claustrophobie d'autant, expliquant que celui-ci ait perduré jusqu'à l'âge adulte. La phobie des espaces clos recouvrant ainsi un double traumatisme, celui de la perte du sentiment de sécurité, et celui d'une mauvaise rencontre avec la sexualité accentuant ce sentiment d'effraction.
L'absence de sentiment de sécurité amplifie ainsi toute rencontre non anticipée, amenant à devenir hypersensible aux évènements et devoir se protéger à outrance. Ororo Munroe va alors dans sa fuite vers le Kenya, lieu des origines maternelles, rencontrer quelqu'un qui va représenter par son action un sentiment de protection. Elle rencontre le jeune T'Challa, le futur Black Panther, qui va la sauver d'un braconnier. C'est avec ce jeune homme salvateur qu'elle a sa première relation sexuelle, marquant un stade pour la jeune Ororo Munroe. La sexualité consentie pouvait exister ainsi que le sentiment de protection retrouvé. Et qu'elle épouse bien plus tard T'Challa devenu un homme apportera une suite logique à cet évènement. Mais auparavant, Ororo devint Déesse. A son tour celle qui était sans protection retrouve un rôle actif et non plus passif. Elle protége une tribu du Kenya en utilisant ses pouvoirs désormais apparus lors de cette période adolescente de découverte de soi. Cette tribu kenyane lui voue un culte, la considérant comme une Déesse-mère, elle qui avait perdu la sienne, de mère, dans un dernier acte de protection. De victime du sort à déesse des vents, une manière de faire exister à l'extérieur d'elle les changements d'humeur qui la traversent. Extériorisant ses mouvements d'humeur, ceux-ci ne pèsent plus sur sa tête, et deviennent des moyens de protéger les siens. Et si Storm a par la suite souvent fait allusion à la Déesse-mère, dans ses moments de surprise ou de colère, cela rejoint ce sentiment de retrouver dans ce nom et cette croyance une protection maternelle perdue, et de l'incarner dans une Nature omniprésente.
Lors de l'aventure des X-Men où ceux-ci se confrontent aux Morlocks, des mutants à l'apparence disgracieuse vivant dans les tunnels, Storm assure le leadership de l'équipe et se trouve confrontée à Callisto, la leader des Morlocks. Dans un duel sans pouvoirs avec à la clef la question du leadership sur cette communauté, Callisto et Storm s'affrontent. Au terme du duel que remporte Ororo, celle-ci devient la Reine des Morlocks. Elle dont le nom signifie Beauté devient la leader d'une communauté honni pour leur disgrâce physique. Voilà déjà un retournement. Qu'une claustrophobe devienne Reine d'une communauté de mutants vivant dans les tunnels, cela permet de voir dans cet acte, en plus d'une victoire sur autrui, une victoire sur soi-même.
Storm revient sous le sol pour y vaincre la mort dans un duel, renonçant au dernier moment à prendre la vie de son adversaire à sa merci. Cela lui confère dès lors une reconquête symbolique sur elle-même, une deuxième manche face à la mort qui enterre en devenant celle qui vainc la mort et préserve la vie. Et c'est d'ailleurs à cette période que Storm adoptera le look punk de cuir et métal affichant son émancipation en tant que femme, n'ayant plus à occuper une place de femme-enfant ou de déesse. N'étant plus tenue d'être ni enfant ni déesse, Ororo devient une femme ayant vaincu ses peurs. Elle combattra d'ailleurs Cyclope, le leader historique des X-Men, et le vaincra aussi, alors dépourvue de ses pouvoirs, affirmant cette reconquête. Mais Storm dut aussi affronter des pertes. Après les hauts, des bas, les humeurs de Storm varieront au fil de ces heurts.
Les pertes se réaliseront de deux façons : la perte de ses pouvoirs et la perte de son âge adulte. La perte de ses pouvoirs fut accidentellement causée par le mutant Forge. Celui-ci ayant le pouvoir mutant de créer n'importe quel objet technologique, il créa sur demande du gouvernement une arme neutralisant les pouvoirs des mutants. Dans un tir visant sa collègue mutant Rogue, Storm s'interposa pour la protéger et subit cette perte de ses pouvoirs mutants. Plus de chevaucheuse de vents, Ororo fut clouée au sol. Dans cet acte apparaît comme une réminiscence du traumatisme : pour sauver l'autre dont elle doit assurer la protection, elle se sacrifie. Comme sa mère s'est sacrifiée pour la sauver.
Storm prend ici l'autre place, de celle qui meurt symboliquement pour protéger, comme la Déesse-mère qu'elle prie régulièrement. C'est un long et douloureux cheminement qui lui permettra de se relever et d'assumer sa place de femme. Elle amorce alors une relation sentimentale avec celui-là même qui était l'inventeur de l'arme l'ayant dépossédée de ses pouvoirs, Forge. C'est l'alliance de la Nature et de la Technologie, les deux se trouvant un point commun à travers la magie de leurs ancêtres. Ce fut aussi ce qui reliera étrangement Storm et Black Panther, la Nature de l'une, la Technologie de l'autre, et la magie en point commun. Ce schéma demeura inchangé.
L'autre perte fut la perte de son âge adulte. L'enfance n'a jamais été très loin chez Ororo. Ainsi pouvait-elle se promener nue dans ses premiers moments auprès des X-Men, par impudeur infantile, laquelle avait quelque effet sur ses camarades. Femme-enfant, Ororo se présentait comme la Nature l'avait faite, en son simple appareil. Dans un combat avec une mutante du nom de Nanny, celle-ci ramena Storm à l'âge d'enfant, avant l'apparition de ses pouvoirs mutants, donc avant la puberté, afin de mieux la manipuler. Elle parvint à s'enfuir et redevint, étonnamment, pickpocket ! Tombant sur le voleur mutant de renom, Gambit qui la prit sous son aile. Si elle retrouva plus tard son âge adulte en étant faite prisonnière de scientifiques sur l'île Génosha, repaire d'esclavagistes mutants, il n'en demeure pas moins que Storm traverse des états très différents, de l'enfance à l'âge adulte, de déesse à mutante, de mutante à femme, de femme à enfant, d'enfant à leader. Sa trajectoire est zébrée comme la foudre à laquelle elle commande, percutée par le tonnerre de ses traumatismes, de vie ou de mort, sexuel, de sentiment d'abandon, de perte. Voici un parcours aux états changeant, le changement étant le pouvoir-même de Storm sur les éléments.
La cyclothymie correspond à une marque de sensibilité, laquelle peut faire traverser des épisodes dépressifs comme orageux. Cette sensibilité aux mouvements internes est ce dont nous parle Storm. Ces traumatismes et ces peurs qui demeurent enfouies en chacun et qui génèrent des variations d'humeurs comme autant de brumes dépressives ou de foudre agressives au-dessus de nos têtes. Si l'on conçoit la dépression comme une auto-agression et la colère comme une hétéro-agression, alors les deux prennent leur source au même endroit, ce sont juste leurs manifestations interne et externe qui varient, comme le brouillard ou les éclairs. Une affaire de courants et de masse d'air.
Storm montre ainsi comment son pouvoir parle de ces changements d'humeur qui peuvent nous traverser. Lors de ses mouvements d'humeur, la météo autour d'elle varie, y compris lorsqu'elle avait prétendument perdu ses pouvoirs. Tenter de la contenir produit des ouragans électriques. Ainsi lorsque le Dr Doom l'enferma dans une gangue d'ambre pour l'emprisonner, le résultat fut de trouver à l'issue une Storm irradiant de pouvoir en furie digne du Phenix Noir. Contrairement à ce dernier, elle sut maîtriser ce pouvoir en y renonçant pour protéger autrui. Toujours la protection des autres comme moyen de contenir son pouvoir considérable et aux effets dévastateurs. Alors qu'en est-il de cette cyclothymie telle que nous la montre Ororo ?
Le pouvoir de Storm forme l'exact opposé de son traumatisme. Là où l'angoisse d'être enterrée vivante la tenaille, son pouvoir la hisse vers les cieux, là où elle subit le sort du ciel lui tombant sur la tête et anéantissant son monde, elle devient maîtresse des vents, là où plus rien ne la protège, elle devient l'incarnation d'une déesse mère. La cyclothymie n'est pas la bipolarité, laquelle se traduit par des épisodes longs de variations d'humeur. Elle n'est pas une maladie en soi. La cyclothymie est une sensibilité poétique qui relie le sujet au vivant qui l'entoure, engendrant des alternances d'humeurs variables et passagères, y compris dans la même journée, comme autant de mouvements de vie, face aux tyrans mortifères, ou aux personnalités plus rigides. Ce n'est pas pour rien qu'elle fut la rivale de Cyclope, parce qu'elle représente une autre forme d'autorité, plus souple et mouvante que ce dernier, moins focalisée et plus à même de passer d'un courant à l'autre. Storm a traversé des épreuves traumatiques, et elle est ainsi la réponse faite aux traumatismes et aux peurs, les transformer en pouvoirs mutants en trouvant dans un remaniement psychique leur exact opposé. C'est transformer un risque de dépression enfermant en tornade libératrice. Storm est cette héroïne qui balaie la mort par une tempétueuse pulsion de vie, nous apportant une leçon divine sur un plateau.