Symptomatique d'un temps qu'on espère aujourd'hui révolu, au cours duquel Warner Bros. multipliait les ingérences désastreuses contre les réalisateurs de l'univers DC Comics, le premier film Suicide Squad de David Ayer a connu un sort difficile. Son succès commercial avéré (750 M$) n'a pas suffi à faire taire un déluge de critiques négatives, tant du côté public que critique, contre un projet qui ne tenait pas ses promesses - en particulier celle proposant de mettre en avant une équipe de super-vilains. Outre ses travers, un montage compliqué (laissé à une boîte de production de trailers plutôt qu'à Ayer) et ses beauferies répétées, Suicide Squad mettait surtout Warner Bros. en difficulté quant à l'envie de poursuivre l'exploration de cette franchise sur grand écran.
Arrivait alors un curieux alignement de planètes. L'un des réalisateurs fétiches de la concurrence, James Gunn, responsable des succès populaires que sont les deux Guardians of the Galaxy, était mis à la porte de chez Disney. Les réactions ne se feront pas attendre chez Warner Bros., qui contacte rapidement le cinéaste et lui propose, plus ou moins, une carte blanche sur les personnages qui l'intéressent. Venu d'un cinéma de genre gore et foutraque (Troma), avec un amour de longue date pour les personnages marginaux (bien avant les Gardiens, Super était une petite leçon sur cet aspect) et l'humour emprunt de violence, Gunn se penche avec une certaine logique sur la Suicide Squad. Problème résolu : si l'on ne sait pas quoi faire de la franchise après les retours calamiteux de la première tentative de David Ayer, on tentera une approche "à l'ancienne", qui était en fait la norme avant que les univers partagés deviennent à ce point essentiels pour les studios. Faire un film, tout simplement.
Laisser la liberté à un réalisateur de donner son point de vue sur, ici, la Task Force X ? Faire fi du passé, quitte à réutiliser quand même quelques acteurs ou actrices qui avaient su convaincre le public ? Mettre de côté ce qui avait vraiment déplu ? Reprendre certains éléments du premier volet mais y aller vraiment à fond ? Et mieux : écrire des personnages à la fois horribles, mais quand même intéressants ? C'est en somme ce que The Suicide Squad fait, et même plus. En sortie de séance, le pari est gagné : James Gunn fera revenir sur leur avis tous les détracteurs du précédent volet et les nouveaux arrivants sont partis pour une aventure particulièrement détonnante, dans la veine de ce qu'on attendait du cinéaste sur cet univers. Confortant, et non sans surprise, The Suicide Squad est la preuve qu'une seconde chance peut-être profitable.
La question que beaucoup de gens se seront posée au fur et à mesure de l'avancée du projet est sa place dans l'univers DC Films (que quelques irréductibles Gaulois veulent encore appeler le "DCEU") et son statut vis-à-vis du Suicide Squad de David Ayer. Il est vrai que les déclarations à base de "il n'y a aucune référence au premier volet", "ce n'est pas une suite", tout en reconnaissant "qu'il y a des personnages de retour" avaient peut-être de quoi se triturer quelques méninges. Il n'en est rien en réalité : The Suicide Squad est à prendre tel quel. James Gunn se fiche pas mal des autres films DC Comics, le précédent opus n'est jamais évoqué (ce qui reste plutôt fair play en tant que tel), et ne gêne aucunement la compréhension générale du scénarioo. Toute la prouesse tient dans l'ouverture, qui réussit en un quart d'heure à vous mettre dans le bain, sans training montage à rallonge, sans surexposition, sans Eminem, et sans Spirit in the Sky (folie, dites-vous). Le principe de la Task Force X est présenté, les membres de la nouvelle mission dépêchée par Amanda Waller (formidable Viola Davis) partent de suite à l'action, et James Gunn se montre clair sur ce à quoi il faudra s'attendre pendant le reste du film.
La Suicide Squad est dans ce film envoyée sur l'île de Corto Maltese afin d'aller détruire un mystérieux "Projet Starfish" après que la famille régente, qui avait été installée par les Etats-Unis, a été victime d'un coup d'état. Si The Suicide Squad ne souhaite pas forcément se prendre trop au sérieux, beaucoup verront dans la trame de cette mission (et ses quelques rebondissements) une volonté très honnête de référencer le volume de John Ostrander, encore à ce jour la meilleure itération de la Suicide Squad des comics. L'auteur est d'ailleurs présent au début du film, dans le rôle d'un chirurgien qui injecte les fameuses nano-bombes dans le cou des enrôlés. Il s'agit ici clairement d'une mission où Waller ne veut pas que le gouvernement américain se salisse les mains, et propose donc d'envoyer les pires ordures qui existent à la place des troupes officielles. Le caractère impitoyable du personnage rend Viola Davis bien plus impressionnante dans ce rôle, qui lui colle complètement à la peau, et vous fera même douter par moments du bienfondé de ses décisions.
L'introduction passée, The Suicide Squad nous emmène aux côtés des protagonistes principaux, qui sont l'une des plus grandes forces du projet. Idris Elba paraît d'abord calqué sur le Deadshot de Will Smith : un tueur d'élite avec une relation conflictuelle avec sa fille que l'on force à partir en mission. Rappelons au passage que Smith aurait pu reprendre son rôle avant que ne se pose un conflit d'emploi du temps, d'où cette proximité sans doute pas tout à fait accidentelle. Si ce n'est que là où Deadshot aidait sa gamine à résoudre des problèmes de maths, Bloodsport et son ado' communiquent à base de vociférations injurieuses, un poil moins cadrées dans un décor de famille parfaite. Ce qui nous mène à un point crucial : s'ils ne sont pas tous des tueurs en série sans âme, les personnages de The Suicide Squad sont de vrais tordus, et pour certains, de vrais vilains. Bloodsport est impitoyable, Peacemaker (John Cena, absolument génial) transpire d'implacabilité dans sa mission d'amener la paix sur terre coûte que coûte, et incarne une forme du héros viriliste hérité du cinéma d'action des années 80 absolument délicieuse.
Le reste du casting n'est pas en reste : Ratcatcher 2 (Daniela Melchior) est attachante, et Polka-Dot Man (David Dastmalchian) a droit aux meilleures vannes du film. C'est dire que même Rick Flag devient agréable, avec le regard désabusé de Joel Kinnaman à qui on laisse explorer le côté loser de son personnage, loin des amourettes ridicules du premier volet. James Gunn montre aussi, une fois de plus, tout son attachement aux marginaux, en livrant des morceaux de bravoure inventifs, parfois cruels, souvent drôles, à celles et ceux auxquels on s'attend le moins. Bien sûr, d'autres ont droit à des séquences d'un ridicule assumé, mais l'essentiel est là : The Suicide Squad fait en sorte que l'on s'attache à tous ses personnages. On aime à les découvrir (avec un montage souvent bienvenu pour les quelques séquences de flashbacks), ce ne sont pas de simples faire-valoir, chacun a de réelles motivation, et son moment pour briller.
Cet équilibre se retrouve également dans le rythme. Mis à part un léger creux au niveau du second tiers, The Suicide Squad divertit du début à la fin. Quoique les trailers mis en ligne ont pu gâcher une surprise de taille, l'intrigue s'amuse à ne pas se reposer sur une trame automatique, où seul "le boss de fin" serait un enjeu. La Task Force X est partie pour une mission hautement périlleuse, les coups fourrés et les incompréhensions sont légion entre Harley et consorts : les surprises sont donc elles aussi nombreuses. L'enchaînement est constamment ponctué d'humour, qui mise énormément sur l'absurde et les dialogues, avec quelques vrais fou rires en perspective. Cette franche rigolade, on la retrouve aussi visuellement dans le gore. Le Rated R est largement assumé : cette Suicide Squad tue sans hésiter, et pas que des "faceless armies" ; néanmoins, la façon dont tout est amené permet de se détacher de certaines scènes en réalité horribles. La distanciation se fait par l'exagération de cette violence, résolument cartoon, qui rend le tout regardable et drôle.
Deux bémols à noter : d'une part, Margot Robbie qui écope d'une Harley Quinn orpheline de tout développement de personnage par rapport aux précédents opus. En soi, rien de dommageable, et on apprécie que Gunn ne fait pas la même fixation sur les fesses de Harley qu'Ayer en son temps. Mais on sent que Robbie est moins à l'aise que dans le Birds of Prey qu'elle produisait, au point de comprendre également qu'elle ne souhaite pas forcément reprendre le personnage de suite. Certaines de ses envolées volontairement loufoques tombent parfois à côté. D'autre part, on retrouve une utilisation de musiques plus ou moins connues façon "mixtape" qui, si elle est bien plus subtile et agréable que la compil' du premier Suicide Squad, fera forcément redite avec cet opus, mais aussi avec les films Guardians of the Galaxy.
C'est en fait la seule limite de The Suicide Squad : sa comparaison aux précédents films du réalisateur, puisque les similarités de ton, d'écriture, sont évidentes - si ce n'est qu'ici, Warner permet de renouer avec un cinéma d'action à l'écriture et la violence décomplexée. Cette décomplexion se fait aussi dans le rendu des personnages : Gunn et ses équipes n'ont jamais honte des racines comics de leurs héros. Il y a des costumes kitsch mais qui vont très bien avec leurs personnages. Mais King Shark n'est pas moqué, Polka-Dot Man peut être pris au sérieux, Peacemaker porte son casque en forme de cuvette de chiottes sans sourciller, et Bloodsport n'hésite pas à mettre son casque plus de deux minutes. Idem pour le "boss de fin" : il y a encore quelques années, on aurait pas forcément pensé pouvoir voir ce genre de démesure et ce type d'ennemi très Silver Age sur grand écran.
Il faut reconnaître que The Suicide Squad pourra également souffrir de quelques redites structurelles avec le film d'Ayer (la comparaison étant évidemment difficile à éviter). On mentionnait une querelle familiale avant, mais d'autres passages rappellent ce qui avait été fait cinq ans plus tôt. Le constat sera heureusement à chaque fois le même : James Gunn transforme ce qui était au mieux passable pour proposer des scènes infiniment plus riches, mieux filmées, et auxquelles on a envie de croire. Encore une fois, car les (anti) héros rivalisent de charisme - c'est pour cela qu'on vous rappellera qu'il vaut mieux ne pas trop vous attacher. Car là aussi, s'il est évident qu'il y a quelques "Slipknot" tout à fait dispensables identifiables facilement, Gunn saura aussi prendre vos paris à contre courant. Reste à noter une utilisation des décors habile pour les transitions de cadres ou d'époque, qui évoque ce que la bande dessinée est aussi capable de faire, et ajoute une touche "comics" à la narration. Des ajouts qui ne font pas tout, mais que les fans de comics ne pourront qu'apprécier.
Au sortir du film, on est : contents. Certes, The Suicide Squad ne peut prétendre à révolutionner le registre - sur la seule question du Rated R, les Deadpool sont passés par là. Le sentiment qui domine est tout simplement que ce film aurait dû être celui proposé il y a cinq ans. Fidèle aux intrications politiques posées dans la série d'Ostrander, à l'amour des marginaux de Gunn et au cinéma potache des débuts de sa carrière, The Suicide Squad prend simplement ce que chacun peut faire de mieux pour un résultat qui pourrait être encore perfectible (c'est à dire, si Gunn avait pu se réinventer encore), mais sur lequel il n'y a pas à tergiverser : le film remplit son contrat. Vous êtes là pour voire une bande de salopards tirer dans le tas, s'envoyer des vannes à la cadence d'une mitraillette, pour des séquences absurdes et gores, des personnages bien écrits, et un certain amour du comics : alors vous êtes à bon port.
On ne saurait dire exactement quelles étaient les intentions de Warner Bros au moment d'engager James Gunn. Au terme de deux heures du film, le constat est sans appel : le studio a simplement eu le nez creux. The Suicide Squad est tout ce que le premier film aurait dû être : sous couvert d'une géopolitique frontale, le film présente un ensemble de personnages aussi attachants que détraqués, avec une mise en scène dynamique, une action débridée, et l'impression générale d'un réalisateur qui aime ces personnages, cet univers, cette gouaille comics dans lequel il insuffle toute sa personnalité. Plus qu'un simple "Gardiens Rated-R" (la comparaison n'a d'ailleurs rien de malhonnête), The Suicide Squad est la proposition du "blockbuster d'auteur" que l'on aimerait retrouver plus souvent chez Warner Bros. ou Marvel Studios (haha), si ce n'est à chaque fois. Continuez comme ça.