Souvent à la traîne sur le secteur de l'animation comparé à la concurrence directe qu'est DC Comics, Marvel se cantonnait ces dernières années à des productions calibrées pour un jeune public. Tandis qu'un Spider-Man : Into the Spider-verse remettait les pendules à l'heure sur tout le potentiel de l'animation, tant d'un point de vue visuel que narratif, la branche Marvel Studios profite de l'ouverture des portes de son Multivers pour se lancer sur le terrain. Un effort qui participe à l'envie pour l'entité de Kevin Feige de rester seul maître à bord, tandis que Hulu peine à sortir les rares séries de son projet Offenders à être restées en vie (matez M.O.D.O.K., d'ailleurs, c'est très bien, on vous en reparle bientôt).
La première série d'animation de Marvel Studios s'intitule What If...? et va reprendre à la lettre le concept de ces comics nés en 1977. La légende veut que Roy Thomas, à force d'entendre un certain Stan Lee répéter sans cesse des "what if ?", imagine cette bande dessinée dans laquelle, pour chaque épisode, l'équipe créative imaginera des histoires qui prennent racine dans les grands récits que le lectorat connaît bien, avant de s'en détourner radicalement. Et si Spider-Man avait rejoint les Fantastic Four ? Et si le Hulk avait l'intelligence de Bruce Banner ? Et si C.B. Cebulski avait une politique éditoriale respectueuse de son lectorat ? Au fil des décennies, des dizaines et des dizaines d'histoires seront venues se greffer sur le canon de Marvel, pour imaginer tout le possible et l'inimaginable dans un Multivers où l'imagination n'impose aucune limites, sous l'oeil observateur du Watcher, Uatu.
What If...? en série d'animation reprend donc le même principe, appliqué à l'univers cinématographique développé par Marvel Studios au terme des treize dernières années. Le grand public a pu se familiariser avec un grand ensemble de personnages, sur plus de vingt films ; ici, Uatu a la voix de Jeffrey Wright, et compte sur vos connaissances du MCU pour revisiter, épisode après épisode, ces films qui vous sont au départ familiers, avant d'aller dans des situations inédites. Nous avons pu regarder ici les trois épisodes de la première saison (sur un total de neuf). L'occasion de vous dévoiler notre premier verdict, sur un démarrage qui peine à convaincre au départ, tout en laissant entrevoir quelques jolies possibilités par après.
Cette critique est garantie sans spoilers
Chacun des épisodes commence de la même façon. Uatu rappelle que le temps, l'espace et la réalité ne sont pas des dimensions linéaires, et que de chaque décision prise à un instant peu découler un nouvel univers, une nouvelle réalité parallèle, dont certaines seront les sujets des épisodes. Ne cherchez pas pour le moment de rappel à une quelconque production évoquant le Multivers précédemment (notamment Loki) : on demande au spectateur d'adhérer à un concept a priori de plus en plus présent dans les sphères grand public, et de se laisser porter par chacune des intrigues.
Le premier épisode est le plus didactique dans sa façon de procéder, et s'intéresse au premier film Captain America de Joe Johnston. Dans cette réalité, un évènement fondamental va faire basculer le cours des choses : lorsqu'il est demandé à Peggy Carter d'aller en cabine lors de l'injection du sérum de super soldat à Steve Rogers (vérifiez, à 33:40 dans le film en question), cette dernière va préférer rester aux côtés de ce dernier. Les évènements qui en découlent ont déjà été donnés par les différentes bande-annonce. Par un concours de circonstance, Carter écope du costume en question, devient Captain Carter avec un uniforme aux couleurs de la Grande-Bretagne. Par après l'épisode déroule sa trame en suivant plus ou moins ce que Captain America avait proposé il y a dix ans, en amenant quelques nouveautés, et avec un rythme assez soutenu puisque l'ensemble ne dure qu'une demi-heure.
Cette entrée en matière se montre relativement convaincante. Sur le papier, le principe du What If...? est respecté à la lettre. On se laisse porter par les quelques surprises avec le regard amusé de l'expert qui joue au jeu des sept différences. Le soucis capital est que ce pilote ne va pas plus loin, et alors que le second épisode se lance et que la même introduction sur le concept du Multivers est une nouvelle fois narrée par Uatu (qui profite d'une joli voix grave de Jeffrey Wright), on devient alors inquiet. Va-t-on avoir droit à neuf épisodes tous construits sur ce même modèle ? N'y a-t-il pas de fil rouge, d'une intrigue de long terme, quelque chose en rapport avec le Multivers qui s'y cacherait ? Des interrogations d'autant plus légitimes quand on a pu voir certains matériels de promotion. La série pêche déjà par une direction artistique qui reste la même du début à la fin, et il apparaît alors encore plus dommageable que les ambitions scénaristiques n'aillent réellement pas plus loin que l'hommage aux films avec variations.
Heureusement, les choses s'améliorent par la suite. Sans en dire plus, le second épisode est dédié à un Star-Lord qui n'est autre que T'Challa, tandis que le troisième revient de façon plus générale sur l'initiative Avengers (et vous comprendrez donc mieux les choix faits sur les épisodes de Marvel Studios Les Légendes qui ont précédé la sortie de What If...?). Plus on progresse, et plus les récits réussissent à se détacher du modèle filmique de base. L'introduction du second épisode se rapporte encore assez frontalement au premier Gardiens de la Galaxie, mais le troisième s'affranchit de tel ou tel film pour raconter son histoire, sans prendre par la main son spectateur, en lui faisant confiance à lui et ses souvenirs. En outre, les intrigues ne se contentent pas de suivre les films à qui ils rendent hommage en apportant juste quelques différences, mais s'aventurent vers des contrées réellement inédites. Le fan service est présent, à profusion (le second épisode est génial de ce point de vue là), et l'on sent au sortir du troisième épisode qu'il y a un potentiel de plus grande envergure qui pourrait se dégager.
C'est tout le problème de What If...? dans la mesure où ce premier tiers ne permet pas, au contraire des précédentes moutures live action de Disney+, de préfigurer de ce que la série veut réellement raconter. Une pointe de mystère semble se dessiner, mais les trois épisodes ne sont pas non plus explicites sur la volonté de la production de faire autre chose qu'un simple What If...? papier décalqué en animation. Ceci dit, on pinaillerait peut-être de voir une adaptation retranscrire littéralement ce qui a été fait en bande dessinée, mais c'est que Marvel Studios a aussi laissé entrevoir des promesses, et que par ici, on estime que le premier studio du monde a presque un devoir de chercher à se surpasser et à ne pas se reposer sur ses lauriers.
D'un point de vue technique, on souffle le chaud et le froid avec What If...? ; la direction artistique, qui semble utiliser des modèles 3D animés dans les décors, se montre plutôt efficace dans les scènes d'action, un peu moins pour les passages plus calmes. On se retrouve à de nombreuses reprises avec des segments qui rappellent la toute puissance de l'animation par rapport au live action, avec certains passages qui seraient beaucoup trop coûteux à faire ou qui auraient un décalage trop important avec le supposé réalisme du MCU pour être crédibles. Marvel Studios empreinte donc une bonne direction avec ce premier essai, quoi qu'on reste toujours sur notre faim et notre envie de voir appliqués différents styles pour chaque épisode. Sur le trio de départ, l'ensemble se montre correct, sans être renversant, pour d'autres sujets (par exemple les Marvel Zombies), on se dit que des styles différents sauraient se montrer efficaces. Reste l'idée amusante d'incruster Uatu dans les paysages, histoire de rappeler la présence (bienveillante ?) du Watcher dans toutes les situations.
Du reste, What If...? a réussi à ramener la plupart des actrices et acteurs qui figurent dans les productions live action de Marvel Studios. Si on enlève quelques absents regrettables (Chris Evans, Robert Downey Jr., Scarlett Johansson, Brie Larson), parfois compréhensibles au vu du temps de parole, le fait est que les habitué(e)s reconnaîtront assez rapidement les voix de leurs personnages préférés. Bien entendu, on sera pris d'émotion à retrouver Chadwick Boseman pour ce qui a été l'un de ses derniers travaux de son vivant ; l'accent de Hayley Atwell plaît, l'attitude de Samuel L. Jackson est toujours aussi plaisante, et quelque part, les comédiens et comédiennes récupérés font très bien la part du boulot. On n'est jamais sorti des interprétations, et l'animation sait tirer profit de son potentiel (notez que nous n'avons pas testé la VF au moment de regarder les screeners qui nous étaient proposés).
Faut-il être content en définitive de ce premier tiers de What If...? On vous avouera que si seul le pilote nous avait été proposé, le verdict aurait certainement été plus sévère. Agréable à regarder, la série d'animation reste dans une moyenne acceptable sans jamais atteindre des sommets du genre. Le pilote ne prend aucun risque à faire plus que son concept, et la répétition des intro' à chaque début fait craindre d'une anthologie très simple, sans plus d'ambitions au final que de s'amuser très gentiment, sans trop d'ambitions autre que celles de se porter un (joli) auto-hommage. Mais les pistes narratives empruntées, notamment sur le troisième épisode, laisse espérer qu'il y a quelque chose de plus. On comprendra que Marvel Studios voudrait garder la surprise si, comme on le suppose, une équipe de Gardiens du Multivers devait se former avec What If...?, mais il serait injuste de juger la série sur la base d'attentes à peine rationnelles. On restera donc plutôt satisfaits, tout en étant en appétence de bien plus.
Après s'être imposé en maître sur la gestion de l'univers partagé, Marvel Studios entame une nouvelle aventure dans l'animation avec What If...?, première production de la sorte pour l'entité multi-milliardaire. Reprenant fidèlement le concept des comics, appliqués aux films du MCU, la série amuse poliment, sans réussir pour le moment à convaincre de réelles ambitions au delà de cet amusement gentillet. On espère évidemment se tromper et qu'un plus grand fil rouge se dessinera - au cas contraire, le divertissement proposé restera somme toute honnête, en profitant de la plupart des voix d'un casting avec lequel on s'est habitué à vivre au fil des dernières années. Faut-il vraiment en demander plus à Marvel Studios ?