En 2018, la sortie du Black Panther de Ryan Coogler donnait le la pour l'orientation des prochaines années au sein de l'univers de Marvel Studios. Attentif aux demandes d'un public friand d'un univers le plus représentatif possible, plus libres de ses mains, mais aussi intéressé par des nouveaux marchés de public à aller conquérir, Kevin Feige veut faire du MCU un endroit éloigné de ses premières années d'activité, où les héros et héroïnes principaux répondent à un même profil tandis que les représentations de diversités se limitaient aux sidekicks. Au-delà de ces questions, le choix d'amener Black Panther sur grand écran paraissait évident, tant le personnage a eu d'importance vis à vis de son contexte de création, et l'implication d'avoir un super-héros noir et africain en tête d'affiche d'une super-production américaine.
Dans la continuité de cette philosophie, peu avaient été surpris de voir Feige annoncer par la suite la mise en route d'un projet de film pour Shang-Chi, super-héros asiatique parmi le peu de représentants de cette catégorie de personnages chez Marvel. Bien sûr, la manoeuvre est certainement d'aller à la conquête du public sino-américain (sinon d'origine asiatique), mais l'intention semble bonne : comme pour le film de Ryan Coogler, on va prendre un casting et un réalisateur concerné par ces questions de représentations, et embaucher des personnes qui auront à coeur de sortir des stéréotypes concernant les représentations culturelles asiatiques. En outre, le projet Shang-Chi a pour but de corriger un twist des débuts du MCU, celui autour de la figure du Mandarin, moquée dans Iron Man 3. En lieu et place d'un vrai baron du crime international, les spectateurs s'étaient retrouvées avec Trevor Slattery (Ben Kingsley) chargé de jouer un pastiche de terroriste pour déstabiliser les Etats-Unis. Avec le court-métrage "All Hail The King", l'affront fait aux fans du personnage était réparé en stipulant que le "vrai Mandarin" n'était pas content d'avoir été imité.
L'un dans l'autre, on peut donc dégager l'ensemble des raisons qui ont motivé Marvel Studios à mettre en route Shang-Chi. Des éléments qui interviennent sur le pur plan narratif, sur une volonté de représentations qui est pro-active depuis quatre bonnes années, mais aussi sur un intérêt de marketing à destination d'une partie du grand public, on imagine pour reproduire un succès à la Crazy Rich Asian, mais avec des super-héros. L'heure est maintenant venue de rendre le verdict sur cette nouvelle entrée de la Phase 4 du MCU, et la première à présenter un nouveau personnage sur grand écran. Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux peut-il encore renouveler le principe de l'origin story en s'appuyant sur son édifice culturel ? Vous comprendrez que si l'on pose la question ici, c'est que la réponse est déjà trouvée.
Si le but de cette critique n'est pas d'aller faire des comparaisons toutes les minutes avec Black Panther, force est de constater que Shang-Chi commence de la même façon. On nous raconte dans un premier temps l'existence des fameux Dix Anneaux depuis des millénaires sur Terre, avec la genèse de Xu Wenwu, guerrier avide de pouvoir et de conquête qui réussit à instaurer son Empire grâce aux dix anneaux dont il est en possession, qui lui confèrent la puissance dont il a besoin. Est expliqué alors que cette soif de conquête va être calmée par une rencontre, de laquelle viendra naître Shang-Chi. Ce dernier, comme sa soeur, est entraîné très tôt à devenir un expert du combat comme son père et... coupure caméra. On se retrouve face à un Shang-Chi plus âgé, qui a un petit boulot de voiturier pour un hôtel à San Francisco, et file une parfaite amitié sans ambiguïté avec Kathy (Awkwafina, qui sourit tout du long). C'est lors d'un voyage en bus que Shang-Chi, qui se fait appeler Shaun pour faire taire son passé, est attaqué par une dizaine d'individus, dont l'un porte une lame en guise demain. Chassez le naturel, les arts martiaux reviennent au galop, et Shang-Chi de devoir confronter son passé, son paternel, au sein d'une intrigue qui part de dimensions familiales et intimes pour virer, inéluctablement, vers le gros affrontement de blockbuster.
Au sortir de la projection de Shang-Chi & La Légende des Dix Anneaux se pose nécessairement cette question : que dire sur une origin story de Marvel Studios qui n'aurait pas déjà été dit ? Que fait Shang-Chi de mieux ou de moins bien qu'un autre des vingt et quelques films n'aurait pas déjà posé ? La question semble d'autant plus injuste qu'elle pouvait s'appliquer à d'autres "premiers films" ces dernières années, sans que pèse sur eux des questions liés à des objectifs sociétaux ou de représentation. En somme, Shang-Chi va en ligne droite sur un chemin certes balisé, mais qui essaie de se montrer constamment généreux tout en proposant une ambiance que Marvel Studios n'avait encore que peu exploré. Exit les milliardaires, les scientifiques et autres espions/super-soldats. Shang-Chi se pose dans une certaine tradition des films d'art martiaux (avec un angle américain, évidemment) et nous propose de suivre des combattants, qui n'ont pas forcément grand chose à faire des plus grandes affaires du monde. Wenvu veut retrouver ses enfants avec un but a priori assez noble ; Shang-Chi ne s'improvise pas super-héros, mais sait quand lutter pour les siens ou ce qu'il croit être juste. Destin Daniel Cretton essaie d'abord de représenter l'univers de ce personnage avant de l'immerger un peu plus dans le reste du MCU.
Votre rédacteur n'étant pas le plus grand spécialiste des représentations chinoises, il sera mal avisé de faire trop de commentaires sur cet aspect. Chose amusante d'ailleurs, mis à part une séquence qui se déroule et a été réellement tournée à Macao, le tournage de Shang-Chi n'a pas effleuré les contrées chinoises (l'expérience Mulan avait peut-être joué). Mais l'on ne pourra qu'apprécier les efforts faits sur les costumes, certains décors (sûrement en CGI) et quelques ambiances à propos pour avoir un paysage qui, s'il ne renouvelle pas la donne, a le mérite un peu de varier ce qu'on a pu voir dans le MCU. Quelques jungles de bambous, les gratte-ciels de Macao ou un village antique secret sont là pour apporter une touche asiatique dans cet univers resté très occidental jusqu'à présent. On saura malgré tout garder du recul dans ce que les fonds verts ne permettent pas de retranscrire, et l'absence de décors naturels est, comme souvent, à déplorer.
Beaucoup iront voir Shang-Chi pour l'aspect arts martiaux et combats à main nues, sans utiliser trop de fioritures - si ce n'est ces dix anneaux qui confèrent malgré tout quelques grosses capacités à effets pyrotechniques. Bien que le montage jouent beaucoup d'options de facilité sur les combats (avec une caméra qui s'éloigne lorsqu'on aurait besoin de visibilité, ou par des cuts très nombreux pour une même action), il faut reconnaître qu'un soin particulier a été pris pour lesdits combats. Si Simu Liu a droit à trois doublures cascades, ces dernières savent faire quelques mouvements impressionnants, la caméra de Cretton reste dynamique à défaut d'être lisible, et il y a des chorégraphies qui misent sur la durée. Bien entendu, on ne demanderait jamais à Marvel Studios de donner dans du Tsui Hark, ou du The Raid. Néanmoins, quelques scènes essaient de rendre hommage à ce qui est (on suppose, pour Cretton) les mentors du cinéma d'action asiatique, tandis qu'on retrouve ça et là quelques petites idées sympathiques (comme un plan en scrolling horizontal). Sans exigence particulière, le rendu reste satisfaisant.
Ne comptez en revanche pas, si le comparatif Black Panther devait encore être fait, à retrouver un quelconque message sur la Chine ou la culture asiatique. Une vanne sur le racisme anti-asiatiques arrive au début du film comme un cheveu sur la soupe, et pour le reste, le film de Cretton ne parlera jamais des relations entre les Etats-Unis et son immigration venue de Chine et autres contrées. Très pudique, le long métrage se concentre sur ses personnages - de quoi satisfaire la partie du public qui ne refuse de voir autre chose que "des histoires", alors qu'il y avait certainement quelque chose à faire avec Shang-Chi, Wenwu (qui dans les comics dérive du stéréotype Fu Manchu) ou la place de la Chine dans les affaires du monde, que ce soit par le prisme fictionnel des l'organisation des Dix Anneaux, dont on peine au final à comprendre l'envergure. Une curiosité, pour ce groupuscule présenté au départ comme l'équivalent local d'Al Qaida dans le premier Iron Man, et qui semblait vouloir convoquer, au moins à l'époque, un authentique propos sur la façon dont les Etats-Unis armaient le Moyen-Orient. Treize ans et quelques milliards de dollars plus tard, le régime chinois impose des protocoles très stricts aux studios américains, quitte à refuser l'entrée de certains projets qui dérogeraient aux codes de la propagande officielle. Marvel Studios et Disney n'ont certainement pas envie de gêner les plans de conquête d'une nation qui représente surtout, à leurs yeux, un simple parc de consommateurs fidèles.
Au moins, les wagons avec le "faux Mandarin" d'Iron Man 3 sont raccrochés, même s'il parait évident que les fans du personnage ne seront sûrement toujours pas satisfaits. On reste en effet tout du long très proche des personnages, l'idée étant que le conflit familial n'aille pas vraiment plus loin. Là-encore, une forme d'ironie anormalement glaciale - ce personnage inventé pour correspondre aux stéréotypes racistes des Etats-Unis du XXème siècle se sera transformé pour entrer dans un moule plus acceptable, mais finira tout de même par irriter les nationalistes chinois qui refusent de voir un citoyen de la nation interpréter un portrait de super-méchant, même dépouillé de ses attributs originaux.
Dans l'ensemble, on ne pourra pas dire que Marvel Studios n'a pas rempli comme il faut son cahier de charges avec Shang-Chi & La Légende des Dix Anneaux. On le sous-entendait plus en amont, et sans trop en dire, un versant fantastique et folklorique est utilisé dans le film - avec un rendu en termes d'images numériques plus ou moins réussies, et certains plans qui accuseront très certainement le coup d'ici six mois lorsqu'on pourra retrouver le film chez soi. Les acteurs et actrices sont corrects : Simu Liu n'est pas extraordinaire d'interprétation mais on croît à ses motivations ; Awkwafina a un capital sympathique indéniable, quand bien même la moitié de ses vannes tombe à l'eau ; Michelle Yeoh ou Meng'er Zhang donnent ce qu'elles peuvent sans jamais avoir la place de briller, et on est même surpris d'avoir Florian Munteanu (Razor Fist) avec une interprétation beaucoup moins beauf que ce que son personnage laisse supposer. En somme, chacun a l'air d'être content de faire le film, mais il manque une envie supplémentaire pour être complètement convaincu de la proposition - ou avoir l'impression que Marvel Studios eux même y croient.
En somme, que dire de plus qui n'ait pas déjà été dit ? Shang-Chi ne change que peu de choses au modèle d'origin story chez Marvel Studios. Le film a pour lui son personnage et l'emballage culturel qu'il apporte, et qui permet d'explorer de nouvelles contrées dans un MCU avec lequel on devient de plus en plus familier. Mais Daniel Destin Cretton n'apporte pas assez en termes de réalisation, le film a une histoire simple mais qui peine à aller au-delà de ses enjeux, les combats sont sympathiques mais n'également jamais ce qu'on peut trouver du côté du cinéma asiatique, et visuellement, malgré quelques jolis plans, le déluge d'effets spéciaux finira toujours pas porter tort à des images numériques qui vieillissent très rapidement.
Si vous êtes allé sans rechigner voir un Marvel Studios au cours des dix dernières années, il n'y a pas de raison que Shang-Chi ne vous intéresse pas. Plus généreux qu'un Black Widow, mais souffrant d'avoir déjà eu on ne sait plus combien de films d'origines avant lui, Shang-Chi a un univers, des bastons et un casting à l'ensemble sympathique. Mais l'histoire volontairement intimiste laisse transparaître la faiblesse de ses enjeux ou d'un quelconque message, tandis que l'intégration au reste du MCU se fait au final assez timide. De quoi passer un bon moment pour les fans de Marvel Studios, mais pour l'heure le début de la Phase 4 de l'entité cinématographique fait encore petits bras.