Gros dossier à l'horizon. En parallèle d'annonces plus "normales" pour le début d'année prochaine, les éditions Panini Comics s'attaquent à la maxi-série L'Escadron Suprême de Mark Gruenwald, Bob Hall et Paul Ryan, monument de l'histoire des super-héros paru en 1985 chez Marvel, et souvent considéré comme l'une des anticipations de Watchmen ou du mouvement des justiciers politisés. Il n'est pas impossible que l'emploi de cette équipe dans le Heroes Reborn de Jason Aaron a eu un rôle à jouer dans l'édition française de ce volume, à moins qu'il ne s'agisse d'une heureuse coïncidence.
Le travail de Gruenwald sur l'Escadron Suprême a aussi été présenté plus tardivement comme le grand-père d'arcs cultes tels que Civil War ou Kingdom Come, en plus de se situer à la croisée des deux principales maisons d'éditions aux Etats-Unis. Comment ? Vous allez comprendre.
Injustice League
Les personnages du Squadron Supreme sont le résultat d'une sorte de critique méta-textuelle de Marvel sur la Justice League : en 1969, Roy Thomas et Sal Buscema inventent une équipe de vilains pour la série Avengers, baptisée Squadron Sinister, dont les membres étaient essentiellement basés sur les héros de DC Comics, Hyperion (Superman), Nighthawk (Batman), Doctor Spectrum (Green Lantern) et le Whizzer (Flash). Le principe était à l'époque très évident, dans le cadre d'une rivalité ouverte entre deux éditeurs alors en pleine bourre - suggérer l'idée que les Vengeurs étaient supérieurs à la Justice League en présentant des équivalents de l'équipe concurrente sous l'angle d'un pastiche maléfique.
Plus tard, Roy Thomas s'amusera à développer le concept : les personnages du Squadron Sinister auraient en fait été calqués par leur créateur sur d'authentiques super-héros venus d'une réalité voisine, la Terre-712. En 1971, les Vengeurs finiront par entrer en contact avec cette version "originale", baptisée le Squadron Supreme. Là-encore, ces héros reprendront l'apparence et les noms donnés au Squadron Sinister, mais fonctionneront davantage comme un hommage à la Justice League que comme une parodie servant à tacler la concurrence.
Une fois l'idée placée dans le canon de la continuité, on retrouvera le Squadron Supreme à intervalles réguliers dans les séries de l'univers Marvel. L'équipe des Defenders se battra à leurs côtés pour libérer la Terre-712 des entités Over-Mind et Null the Living Darkness. Les justiciers parviendront à triompher de ces puissants adversaires, mais leur planète sera laissée dans un piètre état proche de l'apocalypse.
C'est à ce moment là qu'intervient le scénariste Mark Gruenwald, qui s'empare de la Justice League de Marvel pour une maxi-série en douze numéros entamée en 1985. Les membres du Squadron Supreme vont prendre sur eux de chasser les gouvernements humains pour assumer le contrôle de la Terre et tenter de bâtir une utopie régie par leurs principes de vérité et de justice, afin d'éviter que la planète ne s'effondre pour de bon. S'ensuit une longue série d'affrontements, de trahisons et de péripéties entrée dans l'histoire comme l'une des premières incursions de réflexions politiques et d'affrontements entre héros sur la base d'un débat au sujet de la gouvernance mondiale de l'histoire des comics mainstream. Beaucoup estiment que Gruenwald a ainsi ouvert la voie à Alan Moore et à ses Watchmen - même si le projet du barbu avait été réfléchi avant le premier numéro de la maxi-série Squadron Supreme, et que cette idée de l'utopie des surhommes apparaissait déjà dans son volume sur Marvelman. A l'échelle de Marvel, cette maxi-série reste l'un des pivots fondateurs de la grande transition des idées opérée en 1985, et largement considérée comme un indispensable, sous le radar.
Relativement sous-estimée ou méconnue vis-à-vis d'autres grandes bande-dessinées des années 1980, l'Escadron Suprême sera édité en France en compagnie du roman graphique Death of a Universe (1989), qui sert de suite au travail de Gruenwald et Paul Ryan sur ces personnages, ainsi que du numéro Captain America #314 (1986) où le scénariste avait aussi inséré une histoire de Darkhawk illustrée par l'artiste Paul Neary. Un ensemble assez complet de 448 pages pour l'ensemble des histoires de cet auteur important sur le Squadron Supreme, annoncé pour 34 euros à l'horizon de janvier 2022.