C'était il y a bientôt un an qu'un potentiel immense séisme touchait le milieu de l'édition au niveau mondial. En novembre 2020, suite à un appel d'offres, le groupe allemand Bertelsmann, détenteur du groupe d'édition Penguin Random House, proposait de racheter Simon & Shuster, autre acteur majeur de l'édition américaine, pour l'importante somme de 2,175 milliards de dollars. Un an plus tard, alors que le rachat était validé par les autorités britanniques, c'est l'administration Biden qui se penche sur le sujet, et tente en justice de faire invalider cette fusion.
C'est en effet au début du mois de novembre que le Department of Justice a déposé une plainte antitrust auprès du tribunal du District de Columbia, avec pour but de montrer que le rachat de Simon & Shuster par Penguin Random House serait mauvaise pour l'ensemble du secteur de l'édition aux Etats-Unis. L'argument principal avancé est qu'en faisant partie du même groupe, les deux entités ne se feront plus concurrence notamment auprès des agents littéraires pour les productions des auteurs, ce qui aboutirait à une baisse des montants des achats de leurs livres. En conséquence, les écrivain(e)s gagnant moins, la production de livres ira aussi à la baisse, et les "petits" auteurs et auteurices seront de moins en moins nombreux. Il est affirmé que la fusion PRH/S&S permettrait à l'entité de contrôler plus de deux tiers du marché - une situation de monopole qui fait peur aux autorités, aux auteurs et autrices, ainsi qu'aux libraires.
Et les comics dans tout ça ? On le rappelle, Penguin Random House n'est pas qu'éditeur mais aussi distributeur, et s'est régulièrement rappelé à nous au cours des derniers mois en reprenant des deals de distribution suite à l'abandon progressif des maisons d'édition de Diamond Comics, le distributeur principal qui avait une situation de monopole depuis plus de vingt ans. Simon & Shuster s'occupe également de plusieurs éditeurs de comics (Boom! Studios, Oni Press, Rebellion), alors que PRH gère DC Comics, IDW et Dark Horse, pour le secteur des librairies généralistes. Mais PRH s'est aussi impliqué récemment dans le direct market, qui concerne l'ensemble des comicshops aux Etats-Unis. En somme, si le rachat de Simon & Shuster concerne (et inquiète) en priorité le monde de l'édition de livres, les répercussions sur le fonctionnement de l'industrie de la bande dessinée américaine sont elles aussi à surveiller.
En outre, les phénomènes de concentration des pouvoirs dans les secteurs culturels sont monnaie courante, aux Etats-Unis comme en France (il n'y a qu'à voir la fusion Editis/Hachette par chez nous, une situation très semblable à celle qui est décrite ici). Il faudra attendre de voir si la procédure du Department of Justice aura un effet bénéfique - c'est à dire empêcher ce rachat - ce dont on aura tendance à douter au vu des rachats de la Fox par Disney ou de Warner par AT&T puis Discovery.