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Peacemaker : une série calibrée, par James Gunn et John Cena

Peacemaker : une série calibrée, par James Gunn et John Cena

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On a aimé• Eagly (et le talent de Gunn pour les mascottes)
• Le challenge de faire apprécier un vilain
• Une modernisation intelligente du personnage
• La musique, comme d'hab'
• Une série par un auteur qui s'amuse
On a moins aimé• A force de mitrailler, certaines vannes manquent la cible
• Un troisième épisode un peu moins percutant
Notre note

Avant-propos : la présente critique se porte sur les premiers épisodes de la série.

Autre avant-propos : c'est sans spoiler, mais faites gaffe quand même

Foutu à la porte de Marvel Studios, le temps que les choses se calment, que la situation se clarifie, James Gunn décidait il y a quelques années d'accepter la main tendue par Warner Bros. pour venir au secours des productions DC Films. L'entité était alors à un croisement, avec l'envie de tourner la page Zack Snyder, et de capitaliser sur le succès inattendu du premier Suicide Squad en essayant de ne pas répéter les mêmes erreurs (un temps, des projets Deadshot ou Gotham City Sirens avaient même été envisagés). Gunn se proposera de lui-même pour reprendre cette équipe de seconds couteaux, avec un énorme ravalement de façade : à la fois une suite, à la fois une réinvention, son projet se baserait sur une nouvelle équipe modelée sur ses propres obsessions. 

A savoir, les losers magnifiques, les solitaires qui n'ont jamais réussi à faire confiance, les traumatisés à la recherche d'une nouvelle famille. Comme Guardians of the Galaxy, l'idée était de faire du James Gunn, bêtement, avec les personnages de la maison d'en face. Le projet est alors lancé, l'équipe rassemblée, et le film prêt à être mis en route. Or, à partir de là, deux choses vont se passer. D'une part, Gunn se lie d'une solide amitié avec John Cena, interprète du Peacemaker, un personnage décrit comme une parodie absurde de Captain America - ou un décalque caricatural de l'U.S. Agent si l'U.S. Agent était un gosse de quinze ans piégé dans le corps d'un culturiste hypertrophié étrangement calé en vannes de zguègues. Les deux loustics vont continuellement interagir pendant le tournage de The Suicide Squad pour étoffer cet anti-héros, responsable du renversement dans le dernier tiers du scénario. D'autre part, la pandémie frappe. Et, avec un temps libre considérable sur les bras, pendant qu'il termine le montage du film depuis le confinement de son domicile, Gunn est un fois encore approché par Warner Bros. pour un second projet.

Le studio cherche à composer un catalogue d'exclusivités pour la jeune plateforme HBO Max et, convaincus par les premières images de The Suicide Squad, propose au cinéaste de lui produire une série télévisée. Celui-ci avait prévu de s'accorder une pause entre la fin du tournage précédent et le début de Guardians 3, mais, bloqué chez lui et avec rien de mieux à faire, il décidera finalement d'accepter et se mettra au travail sur l'écriture et la préproduction du projet Peacemaker, spin-off ou continuation du long-métrage articulé autour de Christopher Smith, toujours interprété par le bon John Cena. Une série de coïncidences fortuites - avec un point de départ étonnant, une armée de Trumpistes énervés qui, en cherchant à évincer le réalisateur, lui auront surtout permis de trouver encore plus de travail - qui permettent aujourd'hui à Warner Bros. de communiquer sur la première série de super-héros en canon de leur univers, comme pour rattraper Marvel Studios et l'empire bâti autour de la plateforme Disney+. Croyez en vos rêves : écrivez des tweets dégueulasses, et peut-être que dans dix ans, on vous proposera du boulot. 

Faire la guerre pour habiter rue de la Paix


 
La série Peacemaker reprend quelques mois après le film The Suicide Squad, synchronisé sur la scène post-générique qui annonçait la survie de Christopher Smith aux événements de Corto Maltese. Convaincu que tout le monde l'a oublié, et sorti de sa convalescence, le personnage prend la fuite pour retourner chez lui. Dans le comté de Charlton (en référence à la maison d'édition où ont été publiées ses premières aventures), vers une petite bourgade du Midwest censée représenter l'Amérique profonde. Le héros est toutefois vite rattrapé par une petite équipe formée par Amanda Waller pour exploiter ses talents de tueur professionnel : Peacemaker, en compagnie des agents Harcourt (Jennifer Holland), Adebayo (Danielle Brooks) et Economos (Steve Agee) ainsi que du meneur de jeu, Clemson Mern (Chukwudi Iwuji), va devoir assassiner un politicien américain, membre supposé du mystérieux Projet Butterflies. Deux des membres de cette équipe sont de retour après The Suicide Squad, punis pour avoir assommé Waller et empêché la mort de la Task Force X lors du combat contre Starro.
 
Le comté de Charlton abrite aussi des souvenirs plus personnels pour Christopher Smith : son père, campé par Robert Patrick, et le Vigilante, un genre de petit-frère d'adoption un peu neuneu, et qui se prend pour un super-héros. Compte de son historique vis-à-vis de l'électorat de Donald Trump, le choix de se concentrer sur Peacemaker en dit peut-être plus long sur l'orientation voulue par James Gunn que l'exposition présentée dans le premier épisode. Déjà, parce que le metteur en scène puise dans différentes interprétations du personnage pour composer cette lecture originale, à commencer par celui de la série Blue Beetle, plus musclé, plus américain. L'esthétique et le champ lexical développé autour de la version campée par John Cena évoque ces Etats-Unis du camp Républicain.
 


Smith représente un héroïsme compatible avec cette mentalité située à droite du spectre politique. Militaire, climatosceptique, réduit au mode de vie des "white trash", ces populations pauvres souvent proche des quartiers mobil-homes, le personnage a été élevé par un père ouvertement raciste, et moins intéressé par la justice que par l'insurrection armée et l'élimination des minorités ou des descendants de l'immigration. Peacemaker a aussi son propre animal de compagnie, Eagly, un aigle de la famille des pygargues à tête blanche qui se trouve justement être l'emblème officiel des Etats-Unis.
 
Cet arsenal de référents, croisés avec une écriture qui s'autorise à voguer vers l'humour raciste ou homophobe - en partant du principe que les personnages en question sont des enfoirés, la série s'autorise à placer ces marqueurs, à partir du moment où le reste de l'environnement assume le malaise provoqué (à la Michael Scott) ou l'aspect ordurier du procédé - Peacemaker pousse plus loin sa parodie de Captain America, avec un John Cena coiffé comme Arnold Schwarzenegger et un père en décalque de mouvements d'extrême-droite du présent, à la Unite the Right ou QAnon. Ce qui n'a rien d'une trahison sur le papier : lors de la migration du personnage de Charlton vers DC Comics, le scénariste Paul Kupperberg avait posé l'idée que Christopher Smith était en fait le fils d'un ancien officier de l'Allemagne Nazie entré clandestinement aux Etats-Unis. Or, parce que trop de temps a passé depuis la Seconde Guerre Mondiale, ou parce que les modalités du nazisme s'expriment différemment dans le présent, Gunn modernise, en allant vers le référent le plus approchant dans l'environnement immédiat.
 

 
La série insère aussi une thématique sur le harcèlement sexuel, quotidien ou routinier, par le prisme du personnage de Harcourt, et un personnage ouvertement lesbien. Et avant de dégainer la panoplie habituelle des "ah ouais donc ils ont politisé mon super-héros commando' élevé par un nazi qui tue pour la paix mondiale", tranquillisez-vous : le gros de la série mise plus sur un festival de gags et un arsenal de scènes d'actions musclées que sur un propos ouvertement déclaré. Gunn a simplement décidé de jouer franc jeu, avec un décalque de Star-Lord plus orienté à droite pour mieux déconstruire sa propre parodie de vengeur patriote. Les deux personnages ont énormément de choses en commun. 
 
Comme le Yondu de Michael Rooker avec le August Smith de Robert Patrick, deux ordures incapables d'élever correctement un enfant - l'enfant en question se trouvant être, dans les deux cas, un grand fan de musique, un grand enfant de trente-cinq ans incapable de tisser des liens solides, un grand obsédé par tout ce qui est "cool" et un idiot gaffeur entouré de gens plus sérieux ou plus compétents. A ceci près que, dans le cas du personnage de Marvel Studios, Gunn devait se cantonner à un spectre moral plus net. Un peu roublard, un peu loser, Star-Lord n'en demeurait pas moins un héros. De son côté, Peacemaker est un authentique meurtrier, obsédé et idiot en pleine prise de conscience. Un compas plus flou, qui permet au réalisateur d'aller vers ce qui l'intéresse : un cinéma (enfin, une série) de genre plus anormal dans lequel le héros apparait au départ comme un abruti fini, puis comme un assassin finalement assez sympatoche. Sans oublier le grand leitmotiv de la carrière de James Gunn : le traumatisme, la solitude, l'adolescent brisé. 

Peacemaker ? What a Joke


Le scénario de ces trois premiers épisodes permet de remettre en perspective les choix du personnage dans le film The Suicide Squad - et de comprendre pourquoi le réalisateur a effectivement décidé de s'intéresser à ce lui. Au-delà de la ressemblance avec Peter Quill, formé dans le même moule, et de son envie d'écrire sur l'Amérique des amateurs de flingues et de symboles patriotes, le cinéaste a manifestement envie de nous faire apprécier une figure qu'il avait tout fait pour rendre détestable dans son premier essai. Un exercice qui passe par une écriture plus humaine, avec quelques belles séquences (notamment pour le personnage de Danielle Brooks, immédiatement attachante), et beaucoup, beaucoup de gags. 

Gunn déploie son talent pour l'écriture absurde dès le premier dialogue, avec un physicien du M.I.T. inexplicablement reconvertis en concierge d'hôpital amateur de plantes vertes. Les vannes vont ensuite s'enchaîner à un rythme soutenu, dans une série où l'ensemble des vedettes, à l'exception notable de Harcourt, opère dans les normes du registre comique : de grands enfants, incapables de rester sérieux sur un échange de plus de deux répliques. Le gros des gags passe moins par les visuels que par les dialogues, dans une série qui prend au sérieux la mise en scène et accorde peu d'espace à l'humour slapstick, sauf dans le cas de quelques fulgurances. A l'image du générique, parodie de comédie musicale ou d'opéra rock au néon où les vedettes se prêtent à un génial exercice de second degré métafictionnel (le genre de génériques qu'on n'a pas envie de zapper, mais pas forcément pour les mêmes raisons que Succession, Game of Thrones ou Mad Men).
 

 
Le piège de cette écriture, qui tire en rafales, est aussi de ne pas laisser de place à des respirations plus sérieuses (comme The Suicide Squad avec le camp des méchants au Corto Maltese). Gunn est aussi très à l'aise dans l'effet de durée : le scénario insiste parfois lourdement sur un même gag, ce qui a pour effet d'amplifier l'effet ou de piéger le spectateur dans un même rire, mais aura aussi le défaut de faire durer une séquence qui paraîtra longue ou pesante si vous n'adhérez pas à la blague en question (les milieux interlopes parlent d'effet "Phare à On"). 

Gunn profite d'avoir les coudées franches dans le confort d'une classification pour adultes, loin des limites posées par le registre normatif de Marvel Studios. Comme un gosse loin de la surveillance de ses parents dans une confiserie, le cinéaste s'éclate dans ce monde où tout peut se casser, où tout est parodique et où tout peut aller plus loin. Les personnages peuvent jurer, les blagues se cantonnent souvent à un vol en rase-mottes en-dessous de la ceinture, et cette critique du racisme normal ou de l'éducation particulière du Peacemaker permet aussi à Gunn d'aller vers des gags plus crasseux, tant que restent bien activés les appels de phare "à ne pas reproduire en société".
 
La série respire la liberté de ton, par un fan de genre à l'humour gras qui peut enfin s'amuser à tout faire exploser et à pousser plus loin son obsession des grands adulescents. Ce qui peut avoir le défaut de sa qualité de pur produit personnel : des productions plus aseptisées séduisent en ratissant large, là où cette série demande d'adhérer au délire général. Les combats sont généralement assez violents, avec des affrontements sanglants au couteau ou des meurtres parfois secs, un héros qui encaisse dur et ne semble jamais invincible ou franchement surhumain. Sans tomber dans le piège de la comparaison, Peacemaker prouve que le modèle était possible, sans sacrifier l'humour, l'écriture ou la qualité générale, de divertir avec un personnage aussi drôle que ses collègues de la maison d'en face, mais où l'auteur à la tête du projet ne paraît pas avoir été écrasé par le système des producteurs. Et où les critères visuels, sonores, l'ambition et les valeurs de plans surpassent là-encore le simple produit de commande formaté : à un niveau plus restreint, Peacemaker est à la hauteur du cinéma de James Gunn, avec des moyens relativement réduits qui évoquent ces débuts, plus économes, dans de plus petites productions. 

Peace-Shake-That-Money-Maker !


 
L'exemple le plus évident de cette proximité est à trouver dans le choix des ambiances sonores. Peter Quill avait son baladeur cassette, Christopher Smith a sa platine vinyles. Connu pour faire des films dans l'espoir de faire des playlists, James Gunn ne déroge pas à ses habitudes avec une bande-son originale relativement discrète (de Clint Mansell) contre des musiques piochées dans sa propre discophilie, sur une tonalité plus rock, moins pop que dans le cas des Gardiens de la Galaxie, pour coller aux atmosphères de cette Amérique profonde. L'esthétique musicale anime et habille la série, les personnages et la rythmique des scènes, comme un autre leitmotiv de réalisateur incapable de ne pas faire danser son personnage principal sur le moindre projet.
 
Du côté de la mise en scène, la série est là-encore un cran au-dessus du formalisme plat de la majeure partie des productions de super-héros modernes, pour voguer vers d'autres référents (dans les tragicomédies, si le cran Barry reste difficile à surpasser, le style gravite dans les mêmes des valeurs de productions qu'une bonne série Netflix, à la Sex Education, gavées de filtres de couleurs pour nourrir la chaleur des ambiances cloisonnées et l'esprit pop d'un projet hors du temps). Gunn s'amuse à utiliser Eagly comme une énième mascotte à la Groot ou King Shark, à la fois pour nourrir son personnage en le rendant forcément plus humain par son amour des bestioles, et à la fois comme le marqueur d'un absurde constant dans chaque scène où il apparaît. L'aigle vient par exemple casser la surprise de la fin du premier épisode, où introduire une surcouche de débilité dans la fameuse scène où Vigilante et Peacemaker s'amusent à flinguer des bouteilles vides en forêt. La série utilise quelques ralentis ici ou là, et manque encore d'une scène d'action marquante dans le style de l'infiltration du camp des rebelles de The Suicide Squad ou de l'évasion de Harley Quinn, attendu que ces trois premiers épisodes sont plus là pour poser les choses.
 

 
Le seul combat réellement intéressant tranche littéralement avec l'esprit des séries d'action marquées super-héros - loin de la panoplie habituelle de coups de pieds sautés et de grands mouvements de jambe par des héros dont on suppose qu'ils connaissent le kung-fu. Cette première bagarre en appartement est immédiatement plus violente, plus viscérale et aussi plus sale, par le choix de faire se bagarrer le héros à poil (comprendre: sans son équipement - ou bien comprendre : à poil, parce qu'il est presque à poil), entre les croisements des forces du cinéaste, le genre de séquences qui fige un style. La direction d'acteur en général fonctionne, personne ne fait tâche et tout le monde semble bien s'entendre, bien réagir, bien se placer par rapport au tempo des dialogues. 
 
Mention spéciale à Danielle Brooks, aussi agréable que lors de sa découverte sur Orange in the New Black. Un peu moins convainquant, Steve Agee peine à sortir de l'archétype du nerd gênant de ce genre de productions très à l'aise dans ces stéréotypes. Iwuji a un peu moins de temps d'écran, même si son personnage, plutôt intéressant, assume de se démarquer d'Amanda Waller et participe plus activement à la dynamique de groupe en suivant ses hommes sur le terrain. Cena joue à fond la carte de la sincérité, jamais intérieur ou en retrait, pour composer son enfant qui joue au super-héros, incapable d'opérer sans son costume comme un gosse qui prendrait un jeu trop au sérieux, incapable d'assumer ses failles, et incapable de se comporter comme un adulte malgré le poids de ses décisions. Comme si la mort de Rick Flag avait révélé quelque chose à cet ancien "vilain" - que tout ça n'était pas qu'une soirée déguisée et que le côté cool des meurtres ou de l'arsenal de gros flingues causait de réelles victimes derrière ce jeu de soldat en plastique. Le comédien est très convaincant, parfaitement à l'aise avec l'écriture et ce que le metteur en scène attend de lui - en s'amusant manifestement de cette auto-parodie constante vis-à-vis de ses anciens rôles de gros durs à Hollywood.
 

 
A noter que les trois premiers épisodes sortis cette semaine ont tous été réalisés par James Gunn, ce qui ne sera pas le cas des deux prochains, filmés par Jody Hill et Rosemary Rodriguez, à voir pour une éventuelle rupture de rythme. 
 
Avec une bonne entrée en matière, aux couleurs d'un cinéaste qui commence à avoir l'habitude d'opérer dans le paysage des héros costumés, Peacemaker remplit toutes ses promesses. Drôle, rythmée, divertissante, le produit d'une réflexion aboutie sur ce que le public attend généralement de ce genre de projets sans tomber dans le piège du "format" ou de l'épuration stylistique. Mieux, James Gunn, dans cette narration de série télévisée qui permet d'aller plus lentement, prend le temps de présenter et de connaître son personnage à coups de petites scénettes comiques, une faille à la fois. Manque encore une séquence d'action mémorable, ou davantage de réponses sur l'intrigue de fond, mais à l'échelle de ce qu'a pu proposer la concurrence, Peacemaker a plus à voir avec Loki qu'avec The Falcon & the Winter Soldier : un projet où on sent la main d'un capitaine, avec de l'exigence dans les visuels, une équipe qui s'entend bien et des marqueurs moraux volontairement flous pour apprécier les qualités essentielles du cinéma de genre - s'amuser avec du sale. Le réalisateur signe une sorte de lettre d'amour curieuse à ceux qui avaient tenté de le censurer avant-hier, au camp républicain qui s'opposaient à ce qu'un auteur de Marvel donne dans l'engagement politique, en poussant les curseurs plus loin. Une suite logique à The Suicide Squad, en plus économe.
Corentin
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