Le saviez-vous ? Si on devait rédiger une critique qui traite le film Morbius avec la même considération que celle de Sony Pictures envers son public, il nous suffirait de placer une phrase avec un vocabulaire qui flirte avec le registre scatologique, et se passer de toute argumentation. Le studio américain, bien décidé à poursuivre son entreprise de Sony's Spider-Man Universe auto-proclamé - comprendre, un univers centré sur les vilains de Spider-Man qui, trois films plus tard, et de ce que nous disent les futurs projets en développement, ne comporte toujours aucune trace de l'Homme Araignée - livre avec Morbius ce qui n'est plus vraiment du je-m'en-foutisme, mais un véritable foutage de gueule. C'est bien simple : personne, à aucun niveau que ce soit, ne semble s'être soucié de proposer un film qui puisse à la limite tenir de lui-même, ou sur des simples considérations scénaristiques ou de soin de l'image. Morbius n'en a rien à foutre de vous : il veut juste que vous veniez en salles perdre votre temps et votre argent sur une promesse fallacieuse. On sait d'avance l'impact qu'aura ce genre de critique, mais plus que jamais, il est temps que le grand n'importe quoi de ce studio cesse.
Sur le papier pourtant, on reconnaît une fois de plus la capacité de Sony à attirer les noms prometteurs. Daniel Espinosa, à la réalisation, s'était fait remarquer avec l'excellent Life. Jared Leto, malgré ses nombreux écueils du côté des adaptations de comics, a aussi dans son CV quelques très belles performances. Matt Smith est également reconnu pour son travail et a techniquement "la gueule de l'emploi" pour être un vilain, tandis qu'Adria Arjona a déjà eu quelques prestations intéressantes (True Detective, Good Omens) et une carrière encore à tracer. Mais c'est peut-être ce qui fait la magie des projets du Sony's Spider-Man Universe : réunir une tripotée de personnes talentueuses et les briser dans un moule fangeux dont il ne peut rien ressortir de bon. Quelque part, la façon dont chaque film semble être plus raté que le précédent a quelque chose qui forcerait le respect - si ce n'était pas le symptôme d'un système hollywoodien malade, cynique qui a décidé de sucer le fric d'un public plus ou moins averti, peu importent les moyens.
On ne va pas en faire des caisses puisque le propos est a priori assez clair depuis le premier paragraphe. Sur le plan scénaristique, Morbius s'enfonce dans un classique minimaliste - c'est à dire que vous ne serez à aucun moment surpris par la tournure des évènements, si ce n'est pour lever les yeux aux ciels face à une écriture de personnages faméliques, qui prennent des décisions ou ont des motivations qui se contredisent dans la minute, et une intrigue dont au final on ne sait plus vraiment ce qu'elle cherche à nous raconter. Michael Morbius, à l'image de sa contrepartie comics, est atteint d'une maladie rare du sang qui l'handicape et ne lui laisse que peu d'espoir d'avoir une longue vie. Condamné dès le plus jeune âge (ce qui nous est montré par des flashbacks), il décide de prendre la science à bras le corps, jusqu'à gagner un Prix Nobel pour ses recherches, qui aboutissent à la création d'un sang artificiel très utilisé en médecine. Profitant des finances de son ami d'enfance Milo (Matt Smith), il sort du carcan scientifique pour développer un sérum à partir de chauve-souris sud-américaines... qui le transformera donc en vampire.
De là, les thématiques habituelles sur la condition du monstre par rapport à l'humain se mettent en place, l'intrigue permettant également, sans trop en dire, d'utiliser la même logique du vilain qui est doté exactement des mêmes pouvoirs que le héros. Mais Morbius est un film qui veut faire de son personnage un héros, sans même trop forcer sur le côté "anti" - un peu comme Venom au final, puisqu'il n'y a pas de vrai super-héros à placer dans cet univers. Ainsi, le questionnement moral, malgré les répliques tourmentées de Jared Leto ne prend jamais : le Living Vampire est clairement du côté du "bien" face à son adversaire et on ne s'inquiète jamais de le voir basculer du mauvais côté. Conséquence : malgré un rythme rapide (et curieusement, parfois trop, qui fait perdre le fil des évènements ou de la narration), on s'ennuie très franchement de ce que Morbius ne veut pas raconter ; de ce qui aurait pu rendre intéressant le projet. Mais Espinosa et ses équipes doivent faire un produit standard, tiré vers le bas, dont même les fans des films cringe des années 2000 ne voudront pas.
Parce que Morbius est laid. Terriblement laid. On s'était déjà étalé sur la bouillie numérique des Venom et sur la texture désastreuse des symbiotes qui ne ressemblaient pas à grand chose, mais qui avaient le mérite d'être fidèles sur certains aspects à la dimension comics des personnages. Quelque part, la gueule de vampire de Jared Leto ressemble en effet à ce qu'on a pu retrouver dans les pages des comics Marvel. Mais ceci se fait au détriment de tout plaisir visuel : les visages modifiés par CGI sont affreux à voir, les rictus, cris ou sourires dentés frisant à de nombreuses reprises le ridicule - une scène de danse devant un miroir étant sûrement l'un des moments les plus gênants de l'année, déjà, vus au cinéma. Quant aux scènes d'action, outre des ralentis sortis d'une autre ère (et qui permettent une certaine économie de moyens sur la lisibilité et le sens du détail), la matérialisation des pouvoirs n'offre rien qui soit spectaculairement attrayant. Tout au plus, une forme de court plan-séquence qui plonge dans une station de métro nous rappelle qu'Espinosa sait tenir une caméra. Mais on ne peut pas faire de miracles quand le projet de base est vicié jusqu'à la moelle.
Le reste du casting suit par ailleurs des rôles très convenus, même si on reconnaîtra que Marvel et Sony Pictures sont allés faire leurs recherches. On retrouve donc Martine Bancroft (Adria Arjona) en love interest fonctionnel dont la nature même de la relation avec Morbius n'est jamais indiquée avant qu'une scène de baiser complètement gratuite (et qui ne se justifie jamais) ; mais aussi Emil Nikols (Jared Harris) qui n'est plus l'assistant et première victime de Michael Morbius comme dans les comics, mais le directeur de l'hôpital pour enfants dans lequel il résidait ; ou encore l'inspecteur Simon Stroud (Tyrese Gibson, dont l'âme a visiblement disparue au cours du tournage), dont le travail est souvent lié aux affaires surnaturelles. Mais peu importe que ces personnages soient techniquement là, réinterprétés pour les besoins du film : il n'ont pas de personnalité propre, et ne servent qu'à placer des sous-intrigues sans enjeux réels, avec même des porte-ouvertes sur la fin qui sont des copies exactes de ce qui a déjà été fait dans Venom : Let There Be Carnage. Il va falloir leur dire que ça se voit, quand il n'y a plus d'inspiration.
Pour celles et ceux qui se satisferaient de voir un "film Marvel", la promesse là aussi n'est pas tenue, parce que Morbius essaie de vous faire croire à univers partagé mais n'a rien à proposer pour le faire vivre réellement - comme une forme d'antithèse par rapport aux productions de Marvel Studios où l'on voit toujours différents personnages faire des allers et retours entre différents films. Le film est passablement avare, et les références se limiteront à des coupures de journaux et deux références verbales à Venom (dont une qui, par rapport à un trailer, perd sa vanne et n'a du coup plus aucun sens) - beaucoup d'éléments de la promotion ayant au final complètement disparu, et c'est sans compter sur une scène post générique ramenée à la truelle dont on ose imaginer le cynisme qu'il a fallu pour la placer à la dernière minute (parce que : c'est très clairement le cas, et on reviendra dessus dans un prochain papier, parce qu'il faut en parler).
On pourrait alors se consoler en se disant qu'au moins on peut avoir droit à un nouveau film de vampires, et que les amateurs de genre grand public auront quelque chose à se mettre sous les dents (pun intended). Même ici, Morbius se confond de médiocrité ; on repasse sur les CGI de ces vampires particulièrement insipides, pour remettre les points sur les i : Sony Pictures veut vendre un film de vampires en vantant le "côté sombre" de son personnage qui serait "différent" des autres héros Marvel (c'est pas nous qui le disons, c'est Leto dans les featurettes), tout en s'efforçant à faire disparaître toute trace de sang - alors que techniquement, on voit à un moment quelqu'un censé être égorgé après s'être fait lacérer les yeux. Non pas qu'on demande des effluves comme dans un Blade II de Del Toro, mais on espère quand même que vous comprendrez que faire un film de vampires sans mettre de sang (c'est à dire, même quand Morbius s'éventre une poche de sang récupérée à l'hôpital), les quelques traces étant remplacées par une forme de goo noire, histoire de faire illusion, a quelque chose de complètement absurde. Un aspect qui accentue encore plus l'ennui puisque décidément, Morbius ne vous donnera rien pour vous amuser.
Parce qu'à la limite, on pouvait encore comprendre qu'une partie du public aille voir un Venom en se contentant d'un aspect débile régressif, pour voir des gros monstres moches se taper dessus, et kiffer ça entre potes en ayant pris quelques pintes avant. Mais on doute réellement que Morbius amusera qui que ce soit, quel que soit le taux d'alcoolémie en entrant en salles. Même le hate watch n'en vaut pas la peine, et pour être tout à fait franc, on ne prend ici absolument aucun plaisir à rédiger ces lignes, en ayant même hésité tout simplement à pondre une critique - car c'est donner déjà trop d'efforts et d'attention pour un film qui n'en mérite aucune. Rythme chaotique, écriture à la ramasse, caractérisation cliché, foutage de gueule sur la promesse : nous ne sommes pas face à un produit lambda et inoffensif mais bien à une forme de quintessence de ce que Hollywood peut faire de pire dans le registre adaptation de comics, tant d'un point de vue artistique (parce que c'est moche, confus et inintéressant) que dans la place du projet dans ce fameux Spiderless-verse qui en devient franchement détestable à mesure que l'on se rende compte de la façon dont Sony Pictures se moque de son public. Qui pourtant, lui, semble en redemander. A n'y plus rien comprendre, d'autant plus quand on parle du studio qui, dans la branche animation juste à côté, a fait la merveille Spider-Man : into the Spider-verse.
On entend d'avance certaines réactions évidentes à ce genre de papier, alors permettez moi d'utiliser la première personne : non, je ne prends aucun plaisir à jouer le "sniper", et j'aurais aimé que Morbius soit autre chose que ce qu'il est. Non, je ne touche rien de personne pour coucher ces lignes, et non, cette critique n'aura sûrement aucun impact sur le score du studio au box-office (parce que leur marketing pernicieux peut réussir, une fois de plus), pas plus que celles que j'ai rédigées pour les deux Venom n'en ont eu. Mais il serait aussi temps qu'en tant que public il y ait une forme de responsabilisation : à quoi servirait une défiance envers ce genre de critique (puisque je n'ai rien à gagner à part des commentaires négatifs qui tourneront très vite à l'attaque personnelle) ? Pourquoi vouloir absolument "se faire son propre avis" alors que tout billet acheté, même par curiosité morbide, n'est du point de vue du studio qu'une forme de validation de leur procédé et de l'argent gagné - ce qui n'est que leur but. A quel moment peut-on espérer des productions correctes de Sony Pictures si le maigre rôle qu'on peut encore avoir à jouer est dévoyé sur l'autel de la médiocratie ? Honnêtement, la façon de faire du studio ne lasse plus : elle est désespérante, et il faut vraiment espérer que Kraven ou Madame Web ne soient pas fait avec les mêmes motivations.
On ne comprend plus ce que Sony Pictures veut faire de son univers de personnages liés à Spider-Man sans qu'une seule trace de Spider-Man ne soit présente. Outre qu'une fois de plus, le côté "vilain" de Morbius soit complètement jeté aux oubliettes, le film de Daniel Espinosa n'a rien à offrir. Le rythme et l'intrigue vont vite et ne s'embarrassent pas des incohérences, l'écriture est aux fraises, la réalisation croule sous une direction artistique douteuse au mieux, sinon bien laide, et le tout est emballé dans un processus de marketing dont on se rend compte au fil du film tout le cynisme. Même pour rigoler, même "pour se faire son propre avis", il n'y a vraiment rien qui puisse justifier de valider la démarche du studio d'une quelconque façon que ce soit. Bien que l'on sache qu'un tel papier apportera forcément de l'attention, on espère vraiment que si vous allez au bout de ces lignes, on aura réussi à vous convaincre d'aller soutenir toute autre forme de cinéma cette semaine. Morbius se moque de vous, et il n'y a absolument rien qui vous oblige à l'accepter.