Une page se tourne dans les murs de la Maison des Idées. Quelques années après le départ contraint et forcé de Dan DiDio dans les bureaux d'en face, une autre figure tutélaire des cols blancs de l'éditorial abandonne le navire. Joe Quesada, ancien éditeur en chef et directeur créatif de Marvel (Marvel Entertainment depuis peu) annonce son départ sous la forme d'une missive adressée aux équipes de la compagnie, et au lectorat. Le bonhomme met ainsi un terme à vingt-quatre années de carrière pour le compte de la Maison des Idées, dont une vingtaine aux deux postes les plus importants de l'organigramme local.
Passages de Flambeaux
Dessinateur vedette, Quesada entamera sa carrière aux crayons au début de la décennie 1990 chez DC Comics avant de bifurquer vers Valiant. Plus intéressé par un poste de gestionnaire, l'artiste prendra les commandes d'un poste à responsabilité chez Marvel peu de temps après la banqueroute de 1998 pour monter le respectable label Marvel Knights. Projet à l'avant-garde d'initiatives comparables survenues entre temps (à l'image du DC Black Label), celui-ci visait à confier à des artistes de talent les clés de personnages dépouillés des contraintes de la classification "tout publics", parmi lesquels Kevin Smith, Garth Ennis ou David Mack. Plus tard, en compagnie de Bill Jemas, Quesada sera également l'un des architectes de l'univers Ultimate, une énorme mise à plat de la continuité pensée pour accueillir un nouveau lectorat. Là-encore, certaines des personnalités conviées à créer cette déclinaison jeune de l'univers Marvel deviendront rapidement des vedettes de l'industrie, à l'instar de Brian Bendis sur Spider-Man ou de Mark Millar sur les Ultimates.
Nommé éditeur-en-chef en 2000, Quesada mènera le front sur une décennie d'expansion en bon capitaine d'industrie, enchaînant les événements importants (House of M, Civil War, Secret Invasion) en compagnie de ses poulains. Son goût pour les projets séparés de la continuité et capables de correspondre à un lectorat plus adulte accouchera également du label MAX, dont le Punisher de Garth Ennis sera l'un des fiers représentants, en marge de quelques mini-séries remarquées. Le règne du bonhomme ne sera évidemment pas dénué des failles de coutume pour cette catégorie de postes à responsabilités. On en retiendra toutefois le souvenir d'une période faste pour l'empire Marvel, à la fois pour la liberté des auteurs et pour l'expansion du catalogue après la débâcle des années quatre-vingt dix et le défi tortueux de positionner la Maison des Idées sur les nouvelles modalités du XXIème siècle.
En 2011,
Joe Quesada finira toutefois
par se faire remplacer par Axel Alonso au poste d'éditeur-en-chef pour occuper un rôle de
chief creative officer. Rattrapé par l'organigramme de la nouvelle structure dirigeante, il dut ensuite céder cette couronne de lauriers à
Kevin Feige en octobre 2019, en échange d'un intitulé professionnel plus compliqué à situer dans la chaîne de commande :
vice-président exécutif et directeur créatif de Marvel Entertainment. A croire que les bureaux ne sont pas assez spacieux pour autant de patrons à la fois.
Âgé de soixante ans tout pile, Quesada explique chercher de nouveaux terrains à défricher au terme de sa longue carrière au service de l'industrie de la bande-dessinée. A commencer par l'écriture et la mise en scène d'un projet de court-métrage dont il promet des nouvelles d'ici les mois à venir. Difficile de ne pas se demander si le bonhomme ne compte pas suivre les pas de son vieux copain Bill Jemas (ou de son vieil adversaire Dan DiDio) pour monter sa propre structure d'édition dans les prochaines années, au vu de son carnet d'adresse et de sa facilité à dialoguer avec les différentes catégories des industries culturelles. A voir, en comptant les géants qui restent.