Un autre grand nom de la bande-dessinée nous quitte. Une fois de plus. Dans la foulée de George Pérez, Neal Adams et Tim Sale, le scénariste écossais Alan Grant s'est éteint à l'âge de soixante-treize ans, comme pour ponctuer une année déjà chargée en départs douloureux. L'immense auteur, coupable d'un volume intemporel de la saga Judge Dredd, de la série consacrée au Juge Anderson (les Psi-Files) dans la foulée, créateur des personnages de Victor Szasz, de Ratcatcher et du Ventriloque chez DC Comics, scénariste essentiel de la série Shadow of the Bat, l'homme nous a quittés dans la nuit au terme de plus de quarante-cinq ans de carrière au service de l'art séquentiel. Son épouse, Susan Grant, annonce sa mort sur les réseaux sociaux.
The Graveyard Shift
Alan Grant naît à Bristol en 1949. A la fin de l'adolescence, en 1967, le futur scénariste entre en contact avec le milieu de l'édition en obtenant un emploi dans les murs de la compagnie britannique D.C. Thompson, un groupe de presse basé à Londres. Grant y fait la connaissance de John Wagner, avec qui il se noue d'une solide amitié. Il finira par déménager pour s'installer en Ecosse, et travailler sur différentes revues du groupe IPC, la société où naîtra, quelques années plus tard, la revue 2000 AD fondée par le pessimiste mais talentueux Pat Mills.
Suite à ces premières expériences, entrecoupées de petits boulots sans lendemain,
Alan Grant est contacté par
Wagner pour participer à la production de l'immense magazine britannique. Le duo
Grant/Wagner deviendra vite l'une des signatures emblématiques de la revue, notamment sur
Judge Dredd, où leur
run en commun sera longtemps considéré comme le plus important de la longue carrière du flic futuriste. Les intrigues
The Judge Child,
et surtout le couple Block Mania/Apocalypse War en particulier. Les deux auteurs poseront les bases d'une nouvelle topographie pour
Mega-City One : des histoires plus longues, plus étoffées, un
Dredd devenu en l'espace de quelques années le personnage le plus populaire du magazine, et un terrain de jeu idéal pour pousser au développement d'immenses dessinateurs - à commencer par
Brian Bolland, bien évidemment, mais également
Steve Dillon,
Ian Gibson et
Barry Kitson. En parallèle,
Grant eut également l'opportunité de travailler sur d'autres propriétés du catalogue
2000AD :
Robo-Hunter en particulier, mais également
Stontium Dog et
Future Shocks.
Plus tard, en 1988, le duo finira par se séparer et Wagner, officiant seul sur la série Judge Dredd, laissera Alan Grant s'exprimer sur le personnage du Juge Anderson de la division Psi. En parallèle d'une transition philosophique et politique plus personnelle vers la pensée anarchiste, l'auteur commencera à exporter son travail vers les Etats-Unis : cette même année, il prendra les commandes de Detective Comics, se familiarisant avec la mythologie Batman, autre grande façade de sa carrière de scénariste. Resté en poste pendant quatre ans (par intermittences), il complète ce début de run par une vingtaine de numéros du titre principal Batman, et surtout un énorme run sur Shadow of the Bat, qui s'étendra sur cinq ans et près de quatre-vingt numéros.
Inventeur des personnages d'Anarky et de Jermiah Arkham, le bonhomme planchera aussi sur différentes rencontres entre la chauve-souris et des personnages issus de catalogues concurrents (Batman vs : Judgment in Gotham, 1991, Batman/Daredevil : King of New York, 1999). Passé par le tonitruant Lobo avec Simon Bisley, pour un certain succès critique et un autre run de long terme, on se souviendra aussi de lui pour des oeuvres plus frontalement politiques, à l'image de The Last American chez Epic Comics. Plus récemment, Grant tenta de monter sa propre maison d'édition, Berserker Comics (en compagnie de Bisley), et officiera à des postes de consultants chez 2000AD, continuera à écrire et s'accordera avec son vieux partenaire John Wagner pour reformer leur duo d'origine à l'une ou l'autre occasion.
Figure tutélaire de la révolution britannique, Grant enfantera directement ou indirectement une large génération d'auteurs via son travail sur l'univers Judge Dredd, en plus de léguer à la postérité une large galerie de nouveautés et de grandes histoires consacrées à Batman, Lobo, et d'autres personnages de la maison DC. Passionné de BD acceptant de participer à de petits projets de fanzines, il montera son propre festival dédié aux comics dans sa ville de résidence, participera à des actions de soutien pendant la période du COVID-19 en réalisant un comics avec ses voisins de la petite ville de Moniaive, en Ecosse. Sélectionné aux Eisner Awards pour son travail sur The Last American, Alan Grant était aussi lauréat d'un Inkpot Award.
Ami personnel de l'auteur, Rich Johnson de la rédaction de BleedingCool, note que "Alan Grant s'était essayé à tous les corps de métier de l'industrie de la BD jusqu'à d'autres continents, mais il n'a jamais eu honte de devoir recommencer à zéro, ou de travailler sur les plus petits projets, ceux desquels il ne tirerait aucune gloire personnelle. Même lorsque ses personnages de Batman se répandaient sur les écrans de cinéma et de télévision. Drôle, blagueur, curieux et toujours en recherche d'une nouveauté à expérimenter, il aura laissé une impression énorme sur les comics et les gens avec qui il a travaillé. C'était mon ami, et celui d'énormément de gens, il nous manquera beaucoup. Nos pensées vont à sa famille, à ses proches, et à ses collègues récents."