Disclaimer : cette critique est basée sur les 4 premiers épisodes (sur un total de neuf) de la série She-Hulk et est garantie sans aucun spoiler.
Après avoir passé une bonne dizaine d'années sans oser mettre d'héroïne en tête d'affiche de ses longs-métrages (jusqu'à Captain Marvel), Marvel Studios montre avec sa Phase 4 une volonté certaine d'enfin mettre sous les projecteurs son catalogue de personnages féminins. Peut-être parce que l'ouverture de la plateforme Disney+ a aussi l'avantage de présenter sur du "long format" (toutes proportions gardées) des personnages moins connus du grand public, plus adapté(e)s au format sériel et surtout moins exposé(e)s aux prises de risques que représentait jadis le score des entrées en salles - un critère qui a certainement dû bloquer pas mal de projets considérés comme risqués, avec des figures moins populaires. L'idée des feuilletons permet aussi, en théorie, de varier les styles et de s'affranchir de la ligne "film d'action léger avec des blagues" que le MCU a adopté de façon très générale, avec (peu ou prou) quelques variations. Des dernières productions, il faut dire que le géant américain a soufflé le chaud et le froid, avec une Phase 4 dont la moitié des projets va du très passable au très bon (Loki, WandaVision et Doctor Strange : in the Multiverse of Madness dans ce que l'on a préféré, ici), quand le reste glisse du très dispensable au catastrophique (Moon Knight et Thor : Love & Thunder, une certaine idée de l'enfer pour les fans de BDs). Concernant She-Hulk, tout pouvait donc arriver.
Historiquement, le personnage a d'abord été inventé sur initiative de Stan Lee en raison du succès de la série TV The Incredible Hulk (avec Bill Bixby et Lou Ferrigno). Le dirigeant de Marvel craignait alors que la production ne tente de créer une version féminine de Hulk (vous voyez, c'était déjà "la mode" il y a quarante ans) et que la Maison des Idées perde les droits de ce futur personnage potentiel. Aussi Jennifer Walters fut inventée. Avocate de profession, la cousine de Bruce Banner devient She-Hulk après avoir été victime d'une tentative d'assassinat orchestrée par un groupe mafieux. A la suite de quoi son cousin lui fait une transfusion de sang maison. Elle obtient donc les pouvoirs de Hulk, mais n'est pas atteinte par les accès de rage de ce-dernier : Walters elle sait contrôler son apparence et ses émotions lorsqu'elle se transforme.
Plus tard, l'héroïne eut droit à plusieurs séries solo', dont un run iconique mené de main de maître par John Byrne, dans lequel l'auteur/artiste se jouait des codes des comics de super-héros, s'autorisant une posture de satire (dans les deux sens du terme - la sensualité obligatoire dans les designs d'héroïnes de comics étant le sujet de nombreux gags) à de nombreuses occasions, se foutant volontiers des directives éditoriales ("il faut plus d'action !" supposément pour une lecture destinée à un public masculin), les contraintes du Comics Code, et une mise en abyme en forme d'auto-critique de sa propre position d'auteur. Des années avant Deadpool, She-Hulk montrait de quoi était capable un comics en forme de comédie, avec un quatrième mur bisé de numéro en numéro (c'est à dire que Walters est consciente d'être un personnage de BD et s'adresse au lecteur, parfois même à son auteur). Par la suite, d'autres auteurs auront eu envie d'appuyer sur le côté avocate (citons Dan Slott ou Charles Soule, ce-dernier étant lui-même juriste de métier), avec une constante dans les passages de relais : les comics She-Hulk en solo ne sont que très rarement dead serious, braqués sur une tonalité légère, dans la continuité du travail de Byrne, considéré comme l'architecte définitif du brouillon posé plus tôt par Stan Lee.
On en arrive donc à Marvel Studios, motivé à la fois par une volonté de mettre en avant plus d'héroïnes, mais qui doit aussi composer avec le fait que ses acteurs du "MCU des débuts" vieillissent, et ne pourront plus assurer leurs rôles indéfiniment, notamment selon la trajectoire de certains personnages. Depuis Infinity War/Endgame, il paraissait évident que Mark Ruffalo ne camperait plus un Hulk aussi sauvage et bourrin qu'à ses débuts, et la série She-Hulk peut donc être prise comme un nouveau passage de flambeau (façon Falcon & Winter Soldier ou Hawkeye) pour une nouvelle génération de protagonistes. Mais la série se démarque aussi par son côté purement "comédie d'avocate", en étant profondément ancrée dans le MCU, et jouant également la carte du quatrième mur. L'un dans l'autre, disons le immédiatement : tout ça fonctionne très bien. Sans être parfaite, la série She-Hulk se regarde avec un plaisir continu, grâce à une écriture qui n'hésite jamais à profiter de son héroïne pour tacler bien des problèmes de nos sociétés modernes (qu'on parle de rapport au travail, par exemple, ou bien de rapport aux fandoms).
Ouverture du premier épisode. Jennifer Walters (Tatiana Maslany) s'apprête à aller plaider une nouvelle affaire. Au moment d'aller à l'audience, sa collègue Ginger Gonzaga (Nikki Ramos) lui explique que si les choses ne tournent pas en sa faveur, elle n'aura qu'à profiter de sa forme Hulk pour s'en tirer. Pardon ? Regard caméra, Jennifer s'adresse aux spectateurs et spectatrices, car elle a en effet quelque chose à nous expliquer. C'est ainsi que les origines de la She-Hulk façon MCU nous seront révélées. Lorsqu'elle est allée rendre visite à son cousin Bruce Banner (Mark Ruffalo), les deux loustics se retrouvent pris dans un accident de voiture au cours duquel le sang de Bruce rentre en contact avec une plaie ouverte de Jennifer ("comme Carnage"). Cette transfusion involontaire a une conséquence immédiate : Walters va désormais bénéficier des pouvoirs de Hulk, le côté "rage incontrôlable" en moins. Bien décidé à lui enseigner tout ce qu'il a appris au cours de ses quinze ans en Hulk, Bruce veut garder Jennifer à ses côtés pour la former à devenir, à présent, une super-héroïne. Mais Jennifer se montre bien plus rapide à contrôler ses pouvoirs, et surtout n'a qu'une envie : retrouver son quotidien d'avocate et s'adonner à un métier pour lequel elle a consacré énormément d'efforts. Très rapidement, son statut de She-Hulk sera révélé au grand public, avec des conséquences autant sur sa vie professionnelle que privée.
Partant de ce premier épisode qui permet d'avoir une origin story assez rapide - et efficace - pour comprendre qui est Jennifer Walters et quelles sont ses motivations, la série She-Hulk adopte immédiatement une formule à la limite du procédural, c'est à dire que chaque épisode va l'amener sur une affaire différente, dans un registre de comédie souvent décalée (façon Ally McBeal très certainement - mais votre rédacteur n'a pas regardé cette série, reste que cette référence parlera à tout le monde), qui fait intervenir bon nombre d'autres personnages du MCU. Les bandes-annonces ont déjà montré pas mal de choses, et citer ici Abomination (Tim Roth) ou Wong (Benedict Wong) n'est pas du spoiler. Juste une façon de montrer concrètement comment la série s'ancre dans son univers partagé, les dialogues permettant également de situer très facilement l'action d'un point de vue temporel.
Des créatures gigantesques, parfois loufoques, et la magie se mêlent donc à des histoires de plaintes et autres procès, dans un ensemble rythmé, avec une tonalité humoristique qui fonctionne presque tout le temps. Bien sûr, l'humour est subjectif, mais le fait d'avoir aux manettes Jessica Gao (l'autrice de l'excellent épisode "Pickle Rick" de la série Rick & Morty) est indicateur du registre utilisé dans les épisodes. L'un ou l'autre gags mis à part (notamment une histoire de rots), She-Hulk fonctionne pleinement dans la direction choisie. On pourrait pester, sur ce qui nous a été donné de voir, que le tout n'ai pas de gros "enjeux" mais c'est aussi ce qui fait la force de ces univers et des comics : toute série n'a pas vocation à être le blockbuster ultime aux conséquences dramatiques, et il n'y a pas de raison à ce que cela ne s'applique pas au MCU.
Ce qui ne veut pas dire que She-Hulk n'aurait rien à raconter, au contraire. Derrière les tribunaux et les affaires mêlant super-héros, la popularité de cette nouvelle figure publique attire forcément différentes mauvaises intentions. On voit donc en première moitié de saison un petit fil rouge se dessiner, le mystère étant de savoir qui en aura après Jennifer Walters, les capacités du Hulk ayant toujours été d'un intérêt stratégie pour des vilains (ou des organisations militaires). Affaire à suivre de ce côté là. Sur un plan plus thématique, la série aborde frontalement la question de la place des femmes dans le travail, mais aussi toutes les injonctions qui leur sont faites à tout moment de leur vie. L'opposition entre Walters et son cousin dans le premier épisode est assez équivoque, avec cette figure d'un coup paternaliste qui voudrait dire à ce que cette dernière devrait faire de sa vie, contre ses envies premières. De même, on retrouvera dans les collègues de Walters une figure du parfait idiot macho et sûr de lui, certes caricaturale, mais qui à notre sens n'est pas si éloignée de certains comportements de plus en plus visibles (parce que maintenant commentés publiquement) dans les sphères publiques et privées. En conséquence, Jennifer étant constamment obligée de gérer ses émotions (à cause des injonctions, mais aussi en réponse à celles-là), on explique facilement le fait qu'elle réussisse à gérer ses pouvoirs, bien plus rapidement que Bruce.
Se pose aussi la question de l'identité : loin de celle du monstre, Jennifer Walters doit aussi faire face à la popularité de She-Hulk, qui a bien plus d'atouts qu'elle dans l'apparence (sa taille, sa force, ce qu'elle dégage par le côté "super"). Dépeinte comme trentenaire célibataire un peu paumée, notre protagoniste doit jouer avec les méthodes de rencontres modernes (d'où la création d'un profil She-Hulk sur l'application Tinder dans notre monde, afin de jouer sur cet aspect). En miroir à ce que dépeignant déjà Byrne il y a plus de trente ans, Jennifer est en compétition avec sa propre personne, tant dans sa vie intime que dans son quotidien professionnel. Là, la trajectoire suivie est un peu inversée (dans les comics de Byrne, c'est Walters que l'on voulait, ici, c'est She-Hulk qui est demandée en tant qu'avocate). Les personnes concernées en parleront sûrement bien mieux que votre rédacteur, mais le personnage permet de parler de la transidentité avec des mises en situation très simples à comprendre - et l'idée derrière que l'acceptation sera la clé de tout. Bien sûr, il faut être un peu alerte à ces sujets et Marvel Studios a toujours su montrer des limites à ses engagements, mais on répète que c'est aussi par ce genre de séries et le soft power qu'on leur doit que des messages peuvent être diffusés et passer dans les discussions grand public.
Par ailleurs, She-Hulk est aussi très consciente de sa place au sein de l'univers Marvel Studios, et de l'évolution qui est en train de se faire pour le MCU avec cette Phase 4. On retrouve une forme de méta-commentaire (ou de méta-réponse) aux critiques agressives qui fusent depuis de nombreux mois de la part d'une partie toxique du fandom, incapable de supporter l'idée qu'on mette des femmes en avant dans un univers resté majoritairement masculin (et qui techniquement, l'est encore) pendant plus de dix ans. Une séquence d'extraits de micro-trottoirs et de vidéos de réseaux sociaux ou fuse un "je n'ai rien contre les super-héroïnes, mais créez vos propres héros" vient enfoncer le clou : Jessica Gao n'ont pas l'intention d'être complaisants avec le sexisme présent dans les fandoms. Alors on pourrait dire qu'il s'agit de vannes faciles (c'est vrai) qui ne parleront qu'aux personnes déjà convaincues (c'est sûrement le cas), mais ne pas aborder cet aspect méta, ce serait aussi se taire sur des situations que vivent littéralement toutes (ou presque) les actrices impliquées dans des projets pop culture à grande audience. Comme les comics papier, She-Hulk en tant que série se fait témoin de l'époque à laquelle elle a été construite. Et les pseudo-puristes qui clameraient avoir "mal à leur She-Hulk" serait de bien mauvaise foi compte tenu des inspirations respectueuses et manifestes tant des comics de Byrne que de ceux de Slott ou Soule.
Sur un plan plus technique, She-Hulk confirme une fois de plus que Marvel Studios sait y faire avec son casting. Tatiana Maslany ne fait aucune fausse note et nous donne envie de croire à son personnage dès les premières minutes. Toujours enthousiaste dans son jeu, elle sait mettre de la profondeur dans les rares moments dramatiques, laisse fuser les vannes sans qu'on ne sente que ce soit forcé, et la performance capture réalisée pour sa version She-Hulk fonctionne. Certes, on observera ça et là des déplacements un peu gauche qui rappellent que les équipes de VFX n'ont sûrement (de nouveau) pas eu le temps de tout fignoler à temps, mais rien qui ne fasse sortir de la série, à quelques regards un peu perdus près (quand Maslany n'a pas bien cerné où se trouvait le Hulk ou l'Abomination qu'elle était censée regarder). Tim Roth est amusant dans sa version d'Emil Blonsky, Benedict Wong poursuit sa carrière de comic relief assumée depuis ses débuts, et il y a quelques seconds rôles franchement tordants, pour quelques séquences complètement surréalistes. Si vous pensiez en outre que les trailers vous avaient déjà montré tous les caméos, attendez-vous à être quelque peu surpris. Profitons en pour le noter ici : il y a des scènes post-génériques pour chaque épisodes (entre le générique très joliment illustré et les crédits déroulants). Jamais utiles, elles font office de pur "encore" comique, de quoi en redemander pour l'épisode suivant.
Les limitations techniques sur certains plans de She-Hulk mis à part, la série se montre agréable à regarder, sans faire preuve d'ingéniosité sur le plan de la réalisation. C'est qu'en réalité, ce n'est pas vraiment là que la production a sa carte à jouer. En conséquence, celles et ceux venus pour de la grosse action seront sûrement déçus, bien qu'il y ait malgré tout quelques bagarres placées ça et là. Elles font partie de l'amusement général, puisqu'on vous disait depuis le début que la série est avant tout une comédie d'avocate dans un univers de super-héros. Quant au quatrième mur, She-Hulk rend hommage à l'écriture de Byrne, Walters s'exprimant régulièrement à son public, pour commenter l'action, ou anticiper les réactions du public ("comme Fleabag ?" oui, peut-être, votre rédacteur n'a pas regardé non plus). Ces ruptures sont correctement réparties sur ce qui nous a été donné de regarder, sans verser dans un trop plein lourdaud à la Deadpool (les comics étant parfois indigestes à cause de ça) ; la première fois que ça arrive, l'effet est d'ailleurs assez bien joué pour qu'on se pose la question de savoir si l'héroïne a bien conscience d'être un personnage de fiction. A voir comment cet aspect pourrait être utilisé plus tard dans une série ou un film choral, la perspective est intéressante en tout cas.
En définitive, du moins de notre point de vue, il n'y a que peu de choses à reprocher à She-Hulk, du moment que vous adhérez à la formule proposée par Disney+. Disons que certains épisodes sont malgré tout assez courts (compte tenu du format 9 épisodes, ce qu'on avait aussi reproché à WandaVision). Force est de constater que le studio a plus de facilités à s'adapter au matériel de base existant qui est dans le registre qu'il aime à utiliser. Le casting est bon, l'humour est la plupart du temps réussi, la série parle sans détours (et sans trop de subtilité, certes) de féminisme, d'identité, de mansplaining, d'injonctions sociétales, de fandoms toxiques, d'héroïsme et de tracas que pas mal de trentenaires peuvent connaître (ou ont connu), et l'ensemble se montre assez conscient d'être une série légère pour ne pas faire une fausse promesse de son contenu (à l'inverse de Moon Knight, on ne t'oublie pas). Il apparaît logique que le destin des Hulks et Abominations suivent la voie qu'ils suivent tant pour des raisons scénaristiques qu'extra-diégétiques, et si vous avez aimé les comics de Byrne/Slott, vous y trouverez certainement votre compte. Si l'approche purement "comédie" est encore assez "nouvelle" pour le MCU, reste que l'orientation n'a pas dû être un gros challenge à poser. On attendra de voir ce que Marvel Studios fera quand She-Hulk sera confrontée à une vraie menace - qui sait, peut-être dans la seconde moitié de saison ?
Feu vert critique pour She-Hulk sur sa première moitié de saison. Servie par un casting attachant, des thématiques qui font mouche et un humour qui joue entre le comique de situation et l'absurde, la nouvelle série de Marvel Studios convainc et se place facilement (pour nous) dans notre top aux côtés de WandaVision (l'épisode Malcolm, notamment) et Loki. Il faudra accepter qu'à l'instar de certains comics, la série n'a pas d'enjeux dramatiques et se laisse porter par ses personnages pour se poser en miroir des questions qui traverse actuellement dans les discours publics, qu'il s'agisse de sphères professionnelles ou de celles du divertissement. Oui, il y aurait mieux à faire d'un point de vue visuel, et la tonalité ne plaira pas à celles et ceux qui sont venus pour la bagarre (mais : il fallait lire les comics de Byrne, pas World War She-Hulk de Jason Aaron dans ce cas). Par ici, on pressent surtout qu'au final, la série sera trop courte vu le plaisir qu'on a eu à la regarder.