Pendant que David Zaslav s'amuse à détruire Warner Bros. de l'intérieur, avec la joie et l'enthousiasme d'un enfant qui piétine le château de sable de ses copains, l'équipe du film Batgirl s'autorise une projection privée. En début de mois, les têtes pensantes du groupe Discovery, dans le cadre des directions données en aval de la fusion, prenaient la décision d'annuler la sortie de ce long-métrage. A la fois en salles, mais aussi sur la plateforme HBO Max, première destination du film avant que ne soit évoquée la possibilité d'une exploitation traditionnelle, plus tôt cette année.
Une annulation qui fait (toujours) débat
Cette décision quasi-historique passait pour le premier domino d'une série de curiosités dans l'actualité du groupe Warner Bros. Discovery, un énorme gâchis de temps et d'argent assorti d'un manque de respect envers les équipes. On apprit, plus tard, que l'un des deux réalisateurs était en train de célébrer son mariage au Maroc lorsqu'il reçut la nouvelle de cette décision, qui ne lui avait pas été communiquée en amont par la production. Bilall Fallah et Adil El Arbi n'auraient pas non plus eu le droit de conserver une copie du film. En tendant d'accéder aux éléments de travail mis à leur disposition par la Warner, les deux metteurs en scène réaliseront trop tard que le projet avait (déjà ) été mis sous clef, seulement accessible par quelques uns des pontes de la plateforme HBO Max.
Bonne nouvelle pour l'équipe : selon le Hollywood Reporter, quelques individus triés sur le volet vont avoir droit à une projection privée (surnommée "projection funéraire") dans les locaux des studios Warner dès ce weekend. La liste des participants n'a évidemment pas été communiquée, mais on espère que Fallah et El Arbi auront la possibilité de se rendre sur place. Il s'agira de la seconde projection de Batgirl après la seule et unique séance test organisée en présence d'un public de non-professionnels, et de la dernière fois que le projet verra la lumière du jour avant d'être enfermé quelque part dans les coffres forts des studios. THR avance l'idée selon laquelle quelques uns des employés auraient peut-être eu la présence d'esprit de garder une version de travail sur un ordinateur personnel, mais cette piste ne repose malheureusement sur rien de concret.
Le site évoque au passage une possibilité plus alarmante : le motif principal de l'annulation de
Batgirl repose apparemment sur un double problème, qui pourrait conduire à la destruction de toute copie physique ou numérique des scènes mises en boîte et du premier montage. D'abord, la direction du groupe
Discovery serait opposée à l'idée de films à forte valeur ajoutée sur la plateforme
HBO Max, en considérant le retour sur investissement trop incertain et les coûts publicitaires trop élevés. Ensuite,
Batgirl aurait surtout été annulé
pour actionner un mécanisme de déduction fiscale : une aide d'état qui vise à compenser les pertes sèches d'un studio qui n'aurait pas su rentabiliser efficacement une production X ou Y. Le
Hollywood Reporter explique que cette aide survient généralement au bout de la chaîne d'exploitation, après les étapes traditionnelles de sortie en salles, de négociations d'exploitation à l'international, des droits télévisés et de la sortie en VOD ou SVOD.
Un processus extrêmement long, et qui rend le calcul de cette aide d'état plutôt complexe à effectuer - attendu qu'un film sorti en DVD ou encore disponible sur une plateforme de vidéo-à -la-demande continue à générer de petites sommes occasionnelles. Le coup de pouce serait donc généralement versé en plusieurs fois, avec un premier pourcentage, puis sur l'espace de plusieurs années en fonction du comportement économique de la production en question à chaque étape. En l'occurrence, Warner Bros. aurait donc préféré annuler Batgirl pour pouvoir profiter de l'aide d'état dans son intégralité et en une seule fois - prouvant ainsi que le film ne leur a rien rapporté, de quoi générer une compensation plus importante encore.
Or, pour prouver au percepteur que le film ne sera jamais exploité, ni en salles, ni en DVD, ni en SVOD dans un avenir incertain (ce qui conviendrait donc à morceler le bonus fiscal, qui devrait être recalculé par rapport à ce que Warner Bros. gagnerait dans le cas d'une exploitation tardive d'ici cinq, dix ou vingt ans), les commanditaires pourraient donc préférer détruire toute copie du long-métrage. Une façon définitive de valider la promesse que Batgirl ne générera jamais le moindre centime, et mérite donc d'être compensé financièrement par les pouvoirs publics. Vous avouerez que c'est futé. "Et nihiliste" oui, et nihiliste aussi, effectivement.
Reste à espérer qu'un employé récalcitrant parviendra donc à faire fuiter le projet sur les plateformes pirates. Situation qui serait (malheureusement) préférable à la destruction actée d'un objet de cinéma auquel plus personne ne serait en mesure d'accéder, et qui sacrifierait le travail de plusieurs dizaines de personnes contre une tentative d'extorsion des mécanismes d'amortissement inventés - au départ - pour participer à éponger les pertes sur des projets plus risqués. Et pas pour aider de mauvais gestionnaires à se remplir les poches sans le moindre effort.
Le Hollywood Reporter mentionne au passage le cas du film Scooby-Do (Scoob! Holiday Haunt), un autre projet enterré par David Zaslav en échange d'une aide de l'état, et qui a lui-aussi eu droit à sa propre projection funéraire la semaine dernière dans les locaux des studios Warner Bros..