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Venom : Récurrence : un album à deux têtes qui ne trouve pas la symbiose

Venom : Récurrence : un album à deux têtes qui ne trouve pas la symbiose

ReviewPanini
On a aimé• Un développement cosmique intéressant
• Le jeu sur le voyage dans le temps, prometteur
• Si on aime les monologues internes
• Une suite qui n'abandonne pas les idées du run précédent
On a moins aimé• L'accord entre les deux tonalités ne se trouve pas
• Dylan Brock, à définir ?
• Bryan Hitch, pas le meilleur choix de dessinateur
• Sérieux manque d'originalité
Notre note

Une fois la poussière retombée, il a bien fallu envisager l'avenir de Venom à présent que Donny Cates avait fini de raconter son histoire sur le gros baveux. Et quelle histoire. Le scénariste a décidé de marquer la continuité du personnage pour de bon, en empruntant à Jason Aaron une certaine conception du symbiote. Liée à l'origine de l'univers, à une mythologie qui regarde davantage vers le pan cosmique de la Maison des Idées, pour poser une nouvelle topographie, une nouvelle ambition pour la créature. Le nom de Donny Cates va désormais trouver sa place dans la liste des plus grands scénaristes passés par le personnage Venom depuis la création de cet anti-héros - et poser aux éditeurs de chez Marvel la sempiternelle question, comment passer après un si gros morceau ?

L'enseigne pensait probablement tenir la formule gagnante en confiant les clés du véhicule à deux auteurs considérés comme des valeurs sûres du moment. L'un a déjà eu l'occasion de prouver sa valeur sur Immortal Hulk, l'autre grand morceau de bravoure de ces dernières années aux côtés de Venom ou du Thor de Jason Aaron, tandis que l'autre se dessine déjà dans la stratosphère des comics comme une étoile montante à surveiller, dont on sait qu'elle finira par accoucher de chefs d'oeuvres en majors après en avoir déjà livré quelques uns en indé'. Al Ewing et Ram V ont donc pris la suite de Donny Cates, accompagnés par le dessinateur Bryan Hitch - une affiche ambitieuse pour un plan de bataille réfléchi et millimétré, qui vise le long-terme d'entrée de jeu, mais qui ne parvient pas pour le moment à résoudre la problématique initiale. En comparaison du premier volume de Cates et Stegman, l'impression d'une nouvelle phrase, d'un nouveau chapitre tutélaire ne s'y retrouve pas. On a plus l'impression d'un volume de complément qui va devoir bâtir sur les idées posées par la création des personnages de Knull et Dylan, sur un principe d'écriture à quatre mains pas forcément récompensant. 

Venominator


 
Le scénario a effectivement été coupé en deux : Ewing se chargera des épisodes consacrés à Eddie Brock, Ram V à ceux de Dylan Brock. Le premier numéro (un peu plus long que d'habitude) présente cette séparation naturelle comme la conséquence d'un voyage à travers le temps. D'entrée de jeu, une référence est posée - et une autre servira aussi de conclusion à l'un des numéros embarqués à cet album VF - aux deux premiers films Terminator de James Cameron. Le plan des deux scénaristes va effectivement jouer sur la notion de voyage temporel, de ce que sont censés devenir les trois personnages principaux (Eddie, Dylan et le symbiote Venom, désormais considéré comme une identité tout à fait isolée et indépendante), d'un futur qui va chercher à s'auto-justifier de la même façon que John Connor en envoyant son propre père à travers le temps. Cette partie de l'histoire est la plus intéressante.
 
D'entrée de jeu, un être d'apparence cosmique baptisé Meridius se présente comme la clé de toute l'énigme, et le premier volume s'arrête au moment où la boucle se refermer pour préciser l'intention générale du scénario. Ewing ne livre en réalité qu'un seul numéro sur les cinq présents dans cet album, et il s'agit malheureusement de la partie de la plus intéressante du tome. Le mystère qui entoure Meridius, la mythologie des King in Black, devenu une sorte de rôle vacant après la mort de Knull, la poursuite des origines mythologiques de la race des symbiotes, et celle-ci qui continue d'être présentée comme une constituante de la matière qui forme l'univers, etc. Pour résumer, le tissu des idées présentées par l'auteur paraît riche, ou du moins, semble avoir été bien réfléchi en amont. Le jeu de correspondances entre le premier et le dernier numéro fonctionne, et l'on comprend vite que la mécanique temporelle (à la Terminator, mais aussi à la Kang le Conquérant dans la mesure où un même voyageur temporel peut apparaître en plusieurs "exemplaires" sur une même époque selon le moment où il est parti) fonctionne, et donne envie de revenir pour la suite.
 

 
Et à part ça ? Le reste de l'album va surtout s'intéresser au personnage de Dylan Brock, en cavale avec deux symbiotes sans pouvoir recourir à l'aide de son père. Le jeune homme est traqué par la Life Foundation, qui entend apparemment lancer une sorte de course à l'armement en militarisant les symbiotes d'une manière ou d'une autre. Quelques accents politiques ou complotistes parachèvent ce tableau très automatique, extrêmement convenu et déjà vu dans la matière des super-héros - on se demande même s'il existe une seule forme de pouvoirs qui n'a pas déjà été envisagé comme une fabrique à super-soldats dans l'univers Marvel. Tous les héros ont été convoités par l'une ou l'autre organisation secrète, soit pour être clonés, soit pour être utilisés dans le cadre d'un programme gouvernemental... La formule est connue, et n'amène pas grand chose de neuf sur la table. Ram V semble chercher à jouer avec les figures d'humanité au sein de son scénario pour donner un peu d'étoffe à son histoire.
 
C'est à cet endroit, dans les monologues internes - nombreux, et souvent très didactiques, très récapitulés - que le scénariste a visiblement décidé de loger l'intérêt de son travail. Pour ce lectorat qui s'intéresse à ce que pensent, ressentent ou vivent les personnages via leur voix interne, alors ce volume de Venom s'annonce visiblement généreux. On entend beaucoup penser, à la fois le héros mais aussi ses acolytes, et parfois même les méchants. Là-encore, difficile de ne pas trouver la mécanique un rien usée, ou peut-être trop ample par rapport à l'intérêt concret de ce travail sur le temps. La relation entre Dylan et Venom occupe de nombreuses planches, avec une bonne place accordée à la dimension humaine de ce fils au père absent, de cette coquille vide symbiotique qui emporte avec lui une partie de la personnalité du père, et à cette relation dysfonctionnelle sur le modèle de la famille brisée. Hélas, le Ram V du marché indépendant n'est pas le Ram V des comics Marvel. Pour être même plus clair, le Ram V de DC Comics semblait avoir trouvé plus vite son tempo sur Swamp Thing ou Aquaman.
 
Les conventions de la Maison des Idées, qui aime son idée de l'univers partagé où l'une ou l'autre tête connue vient de temps en temps toquer à la porte, ne semblent pas se marier avec l'écriture du scénariste. Celui-ci va donc aller vers l'avant, pour dérouler le scénario nécessaire à la boucle temporelle amorcée au départ. On ne prend pas vraiment le temps de rendre Dylan attachant, ou très original dans son portrait de l'adolescent en colère lancé sur les routes et traqué par le gouvernement. Et curieusement, Ram V n'a pas non plus l'air de vouloir s'amuser avec l'idée des symbiotes qui prennent la forme d'animaux de compagnie - un principe pourtant assez génial pour offrir des scènes d'humour ou de complicité, ou simplement pour poser un regard neuf sur la relation de l'humain porteur à sa créature. On note quelques scènes (Sleeper qui se prend pour un chat au point de ronronner), mais l'ensemble reste tout de même assez plat. Et le dessin de Bryan Hitch n'aide pas forcément. 
 

All-Black All-Grey


 
Là-encore, l'idée n'était pas dénuée de bon sens : dessinateur vedette, associé à une démographie de lecteurs qui aime ses thrillers et ses histoires sérieuses les deux pieds ancrés au sol, Hitch pouvait passer pour un choix naturel au vu des priorités de ce premier tome. Malheureusement, puisque le cosmique se trouve être l'élément le plus intéressant de l'affaire, on se retrouve rapidement coincé contre des décors sans grande fantaisie, des pièces vides, des ordinateurs, des murs uniformes, des escaliers et des ruelles, où tout se répète et où rien n'accroche l'oeil. Quelques cases sentent la paresse, ou la difficulté de tenir le rythme (ce qui ne serait pas nouveau dans le cas de cet artiste), avec quelques défauts à l'encrage d'Andrew Currie. Les quelques nouveautés présentes dans cet album ne sont pas non plus si marquantes, à l'exception de Meridius, qui lorgne ouvertement vers la compréhension du cosmique à la Jack Kirby en empruntant les formes et la statures des créations du colosse. Les autres ? On ne les retiendra pas.
 
Et là se trouve le problème dans la mesure où, sans tomber dans le piège du comparatif systématique, Ryan Stegman passait de son côté pour le seul choix valable pour accompagner le scénario de Donny Cates aux premières heures de leur volume commun. Un artiste talentueux, virtuose dans la représentation du gluant associé à la créature, doué dans le muscle indissociable de ce personnage de cet anti-héros évoquant une certaine école de dessin. Et puis, Stegman avait conçu seul l'architecture du nouveau pan cosmique associé à Venom. A coups de dragons, d'ailes de chauve-souris, de dieu maléfique en noir et en rouge, dans une représentation de l'espace autant inspirée par le comics de super-héros que par l'esthétique du death métal, sans tomber dans le vulgaire ou la faute de goût. Dans le cas de Bryan Hitch, non  seulement cette version des faits semble avoir été abandonnée pour de bon (on trouve assez peu de rouge, au hasard) mais la rencontre avec un cosmique plus traditionnel paraît tout de suite très emprunté. Moins sincère, ou moins original, moins atypique. En somme, moins marquant.
 
Mais alors, puisqu'il faut justement éviter le piège de la comparaison, est-ce que ce premier volume de Venom s'en sort une fois sorti de l'ombre de son prédécesseur ? Hé bien, oui et non. A l'échelle des comics Marvel, il s'agit surtout d'une lecture correcte, qui a le mérite de promettre une saga de long terme, de pousser pour une évolution continue de la compréhension classique des symbiotes, et un jeu sur le voyage temporel qui promet d'être ludique, surprenant et intéressant. En revanche, difficile d'avoir un coup de coeur pour cette première aventure de Dylan Brock sans son créateur originel, entre d'autres mains, ou pour ce dessin qui refuse de décoller avant les dernières pages de chaque numéro, pour nourrir les cliffhangers de fin. L'album n'a rien d'un indispensable, et le dialogue des priorités entre Ram V et Al Ewing ne fonctionne pas correctement. Les gros amateurs du personnage y trouveront toutefois leur compte, dans la mesure où on reste collés au groupe de héros, dans l'intériorité de leurs sentiments, et où le challenge de prendre la suite de Knull a été relevé et semble tenir ses promesses.
 

 
Nouvelle équipe, premier tome, nouvelle direction. Que retenir de cette première aventure de Venom à présent que le personnage a été rendu à un statut de héros normal, après avoir été pendant un temps au coeur du planisphère Marvel ? Simplement que, de la même façon que pour Carnage, Ram V n'a peut-être pas encore trouvé sa voix au sein de la Maison des Idées. Lent à se mettre en place, pas très original ni très agréable à l'oeil, ce premier volume tient debout grâce à Al Ewing et sa compréhension naturelle des fictions sur le voyage temporel, des twists, et du cosmique bien ficelé. La promesse est là et s'annonce tout de même assez séduisante sur le long terme, mais un autre artiste aurait probablement donné une forme très différente à cette histoire bicéphale, à la fois très près du sol, du bitume et d'une structure de techno-thriller très classique, et à la fois très élevée, très science-fiction, très mythique et très théâtrale. A réserver aux très gros fans (pour le moment).

- Vous pouvez commander Venom Tome 1 à ce lien. Le Tome 2 sortira le 1er février 2023.
Corentin
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