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Comics en France en 2022 : un marché à double vitesse, inquiétant pour les indé'

Comics en France en 2022 : un marché à double vitesse, inquiétant pour les indé'

NewsIndé

Comme chaque année, l'organisation du Festival International de la Bande Dessinée (FIBD) d'Angoulême profitait de la présence du marché des droits en marge des festivités publiques pour tenir une présentation, en collaboration avec le panéliste GfK. Le sujet reste toujours le même : dresser le bilan de santé du marché de la bande dessinée en France, et constater les dernières évolutions survenues au cours de l'an passé - ici, 2022. Le secteur comics, s'il n'est clairement pas au coeur de toutes les attentions, a quand même droit à son suivi personnalisé, pour ce faire une idée de l'état de ce marché très particulier.

4%, encore et toujours

De façon générale, Gfk et le FIBD nous expliquent que le marché global de la bande dessinée se porte bien. Après une croissance démentielle dans le courant de 2021, l'année 2022 a marqué un ralentissement - voire même un léger essoufflement,  qu'on expliquera en partie par l'absence de sortie d'un Astérix. En somme, si le nombre d'albums vendus a reculé de 3% avec 85 M d'unités écoulées, le chiffre d'affaire généré au total est de 921 M, soit une petite croissance de 2% par rapport à 2021. Le nombre d'albums vendus est légèrement inférieur à celui de 2021 (-2,8 M exemplaires) mais reste supérieur au niveau pré-pandémique (+36 M exemplaires comparé à 2019) : preuve en est que la lecture de bande dessinée a pris un essor on ne peut plus important. On considère aujourd'hui qu'un tiers des livres achetés est une bande dessinée (BD, comics ou manga) et que le nombre d'acheteurs de BD a augmenté de 630 000 personnes au cours de 2022. Après ces données générales, regardons maintenant ce qu'il en est des comics.


L'un des premiers points abordés concernant le secteur concerne l'augmentation des prix qui a eu lieu tout au long de l'année - la dernière hausse en date ayant été actée en ce début 2023. S'il est estimé que le prix d'une BD hors manga a augmenté de 5% en moyenne sur l'année, on voit que, secteur par secteur, l'évolution n'est pas la même en fonction des catégories. De fait, les comics indépendants ("hors super-héros") restent les albums les plus touchés par la crise des matières premières et l'augmentation générale des coûts, répercutés sur les tarifs, avec des albums qui auront pris en moyenne +8%

De quoi se faire du souci pour cette partie du secteur, dans la mesure où l'indé' a depuis plusieurs années, hors cas exceptionnel, eu un certain mal à trouver preneur. Avec l'inflation généralisée et les problématiques liées au coût de la vie, associées au manque de curiosité ou d'éducation aux comics hors super-héros, il est facile de comprendre en quoi l'indé' peut être considéré comme une catégorie menacée, ou pourquoi certaines maisons d'édition ont naturellement ralenti la cadence dans leur proposition (même si cette augmentation moyenne du prix n'est évidemment pas le seul facteur). A ce titre, on vous conseille d'écouter le podcast First Print réalisé en compagnie de Sullivan Rouaud d'HiComics pour avoir quelques données supplémentaires.

D'aucuns seront en revanche surpris de voir que les "comics de super-héros" ont un prix moyen qui a baissé de 1% - là où, pourtant, Panini Comics ou Urban Comics n'ont pas diminué leurs tarifs. Bien au contraire. Vous l'avez donc deviné, la raison de cette baisse quantifiée est assez simple : le calcul se base sur la poursuite, et même la multiplication, des offres à petit prix, ainsi que le lancement de la collection Urban Nomad, qui tirent la moyenne vers le bas. On verra, bien entendu, que ces collections à bas coût, qu'elles soient ponctuelles ou destinées au long terme, ont un impact certain sur les pratiques d'achat du lectorat et s'inscrivent maintenant complètement dans le paysage du marché comics en France.

 


Bien que l'on soit habitué parfois à ne garder en tête que les annonces qui semblent les plus catastrophiques, ou qui ont mauvaise allure, le milieu des comics n'est pas non plus complètement en berne. S'il ne représente toujours que 4% du marché de la bande dessinée au total, l'évolution sur un temps plus long permet de constater qu'en dix ans, il a presque doublé en termes de nombres d'albums vendus. Bien entendu, les données sont toujours à nuancer. D'une part, l'éditeur classe parfois dans d'autres segments de marché des productions pourtant bien américaines, qui vont se retrouver en "BD de genre" ou même "BD jeunesse" (chez Rue de Sèvres par exemple), et vont donc se retrouver absentes de la catégorie "comics" chez le panéliste GfK. On peut donc largement estimer que le secteur dans sa totalité est un poil sous-estimé. Ce qui n'en reste pas moins un constat quelque peu mitigé pour l'ensemble des titres bien identifiés chez des éditeurs "comics" purs et durs, avec une présence qui a toujours du mal à s'imposer par rapport à la croissance des autres secteurs - notamment, évidemment, celui du manga.

 

Autre donnée présentée au cours du panel : un nombre d'exemplaires vendus qui est resté stable sur l'année 2022 (donc : pas de croissance, mais pas de décroissance non plus), avec un chiffre d'affaire qui reste lui en augmentation. Pas trop de surprise dans ce constat : avec l'augmentation des tarifs généralisée (et celui même des collections "petit prix" de Panini Comics, qui est passé de 5,99€ à 6,99€ en 2022, ces dernières se vendant toujours extrêmement bien), il apparaît relativement normal de voir le chiffre en progression. Mais vous verrez que cette croissance au global est à nuancer, non seulement en fonction des secteurs de comics, mais aussi des éditions.


Cette diapositive est certainement la plus essentielle - et pour certains éditeurs, celle qui fera le plus mal - sur l'état de santé des comics en France. Les fameuses opérations petit prix ont en effet pris l'ascendant, avec part de 38% du nombre d'exemplaires totaux de comics vendus - soit une partie du secteur qui est en croissance de 11% par rapport à l'année précédente. Panini Comics ayant proposé trois opérations (au printemps et en octobre pour Marvel, et une Star Wars), et avec la parution des albums Urban Nomad qui eux aussi ont des tarifs susceptibles d'appartenir à cette catégorie, on comprend aisément les chiffres. Ce qu'il faut regarder, c'est la contrepartie : le secteur des comics "hors opération petit prix" est lui en baisse de 6%. Il serait là très intéressant de pouvoir faire une distinction supplémentaire sur la baisse "comics super-héros" et comics "hors super-héros", afin de voir l'impact des opérations petit prix (qui concernent majoritairement des comics de super-héros encore en 2022 - ce qui change avec certains titres proposés en Urban Nomad) sur le reste du marché. Des données que nous avons sur les meilleures ventes de 2022 (qui seront exposées dans un article ultérieur), la chose n'est réellement pas surprenante : toutes les collections à petit prix se sont hissées dans les meilleures ventes sur l'année. L'un dans l'autre, il apparaît donc que la réduction du tarif sur les comics soit l'une des options à considérer pour maintenir l'attractivité des livres, mais ce la méthode n'a rien d'une chose aisée pour les structures indépendantes, avec les coûts impliqués dans la fabrication de chaque ouvrage, un tirage forcément moins conséquent, et un lectorat qu'il est plus difficile d'aller chercher. Comme un sentiment de serpent qui se mord la queue, n'est-ce pas ? 


Il apparaît pourtant que le lectorat n'a pas tout le temps cette difficulté à mettre la main au porte-monnaie, compte tenu du succès des éditions collector, des intégrales ou des coffrets (si la part a diminué quelque peu en 2022, elle reste en progression par trois comparé à il y a dix ans). Pour les deux derniers, on peut comprendre l'attrait du format intégrale ou du coffret, souvent plus intéressant d'un point de vue du rapport quantité/prix - quant aux collector, on inscrira plutôt ça dans la tradition des lecteurs et lectrices des comics à avoir droit à des couvertures variantes et spéciales, habitude marketing très présente aux Etats-Unis et que des éditeurs français peuvent reprendre. Par ailleurs, cette manie n'est pas exclusive à nos éditeurs de comics, puisque le manga a aussi développé tout un pan de collector sur ses séries les plus en vue (One Piece, My Hero Academia, etc). 

On en arrive donc à une conclusion assez similaire à celle de l'an passé : si le milieu des comics en France reste un marché de niche (4% estimés), il n'en garde pas moins une légère croissance en termes de chiffre d'affaires, pour un volume d'albums vendus resté lui constant. La part plus importante des offres et collection à petit prix, au détriment de la vente d'albums plus onéreux, et touchés par l'augmentation des tarifs (particulièrement dans l'indépendant), fait partie des explications les plus plausibles pour expliquer le "marché à double vitesse" que l'on observe. Il y a fort à parier que les collections en question se maintiennent (voire se multiplient en ce qui concerne Panini Comics) tandis que les autres maisons d'édition (notamment celles qui ne peuvent pas faire de prix d'entrée sur une série indé') vont devoir trouver des parades pour proposer leurs albums. La question du souple est évidemment sur la table, celle d'attendre et compiler des numéros pour proposer des séries en tomes plus épais et moins nombreux (quitte à ce qu'ils soient un peu plus cher), ou jouer sur les effets de fabrication pour améliorer l'allure du livre-objet. Comme chaque année, en tant que lecteur-consommateur, il vous appartiendra de pouvoir faire évoluer les dynamiques de ce marché, et d'apporter votre soutien à tel ou type d'objet culturel. Nous estimons que les comics indépendants ont clairement bien plus besoin d'être découverts que ceux plus mainstream, et vous avez au moins à l'heure d'aujourd'hui un certain nombre de données présentes publiquement pour vous faire vos propres avis. 

Source : Panel GfK / FIBD

Le Fauve © Lewis Trondheim / 9e art ; Erik Mclean publié via Unsplash

Arno Kikoo
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