Disclaimer habituel : la critique suivante vous est garantie sans aucun spoilers
Here we go again. Une nouvelle année de films de super-héros démarre, une nouvelle Phase ouvre ses portes avec la sortie d'Ant-Man & The Wasp : Quantumania, énième épisode de la saga développée depuis désormais quinze ans au cinéma (et à présent, sur Disney+) par Marvel Studios. Troisième film de la série des Ant-Man supervisé par Peyton Reed, il s'agit, outre son statut d'introduction chapitrée, de la 31ème (!) production de l'enseigne pour le grand écran. Beaucoup de choses ont déjà été écrites, et particulièrement dans nos colonnes, sur le statut de cet univers et sa capacité à fédérer un très large public autour de ses personnages, quand depuis plusieurs années revenait encore sur le tapis le désormais célèbre débat autour de la "fatigue des super-héros".
Une position qui comprend ses contre-arguments de routine - quelques moments de bravoure dans la forme, un succès financier constant pour les films de Marvel Studios - comme pour infirmer l'idée que le public se lassait de cette tradition du pèlerinage habituel vers les salles de cinéma. Mais, depuis Avengers : Endgame, il faut bien reconnaître que les choses ont changé. L'appareil de production a vu sa cadence accélérée avec la démultiplication des projets, à la fois au cinéma, et sur la plateforme de streaming du groupe Disney. Le départ en coulisses de Bob Iger, remplacé par Bob Chapek, couplée à la prise de pouvoir de Kevin Feige sur l'ensemble du département Marvel Entertainment, n'ont pas été sans incidences manifestes sur la qualité des productions récentes. Quoi qu'on a pu penser de la "Phase 4" dans son ensemble, force est de constater que celle-ci a eu plus de mal à fédérer que les grands périodes précédentes. Pour les profanes comme pour les connaisseurs, une première pour Marvel Studios, qui avait jusqu'ici réussi à trouver une sorte de compromis d'ensemble.
Une piste de réflexion éventuelle, notée un peu partout, pourrait être trouvée dans le manque criant d'un élément liant pour fédérer l'ensemble des héros de cet univers - un rôle autrefois occupé par Thanos, et la quête des Infinity Stones. Les précédentes phases avaient toutes pour elles la promesse d'une grande réunion autour d'un film choral (Avengers, Age of Ultron, etc), alors que les dernières années ont marché sans fil rouge, dans des propositions décousues d'une toile de fond utile, et des bribes d'intrigues éparses.
En définitive, l'élément de liant principal se sera imposé comme une ouverture vers le "Multivers", mais même cette idée précise se sera contentée de variations isolées. Comme il est difficile d'avoir une ligne de mire, un point futur auquel se raccrocher, notamment via la mise en avant d'un grand vilain à la Thanos, difficile de saisir l'impression de grande série télé' qui avait jusqu'ici fait la force des films Marvel Studios. Puisque, sans la perspective d'un "avenir commun", dans la mesure où la compagnie refuse catégoriquement toute forme d'évolution artistique ou d'exigence créative, ne sont restées que des sorties moyennes, sinon mauvaises. C'est même cette différence entre le résultat et le plan qui avait peu ou prou sauvé les précédents Ant-Man de la catastrophe : jamais incroyables, mais relativement sympathiques, leur positionnement en post-film-Avengers leur permettait d'offrir une "petite" respiration. Supposément, à la hauteur (littérale) du personnage.
Avec Ant-Man & The Wasp : Quantumania, changement de perspective. Scott Lang (Paul Rudd) et Hope Van Dyne (Evangeline Lilly) ont la lourde tâche d'ouvrir la "Phase 5", et de présenter celui qui sera le principal rempart d'adversité dans le nouvel univers Marvel pour les prochaines années à venir : Kang le Conquérant, de retour en grand format après une première apparition anonyme dans la série Loki. On comprend donc que Peyton Reed ne pouvait plus se permettre de rester à échelle humaine, et va donc profiter d'un Quantum Realm encore bien abstrait pour nous faire croire à cette grande aventure dans l'infiniment petit. Hélas, trois fois hélas, et malgré quelques bonnes intentions, le film croule. Non pas sous le poids de ses ambitions, mais par le vide. Par le bas, et la lourdeur de ce qu'il essaye d'imposer. De quoi revoir très fortement cette notion de "fatigue", pour de bon. Parce qu'après celui-ci, après Thor : Love & Thunder l'an dernier, et face aux rouages grippés d'un Marvel Studios incapable de faire un effort, on commence à être, vraiment, fatigué.
Passée une introduction sommaire qui pose les bases de l'existence d'un Quantum Realm jusqu'alors insoupçonné (ou plutôt, jeté à la poubelle lors de la préparation du dernier film), Ant-Man & The Wasp : Quantumania présente son topo très rapidement. Quelques années ont passé depuis le retour des Avengers et le sauvetage de la galaxie dans Endgame. Scott Lang, le célèbre Ant-Man, mène désormais une petite vie tranquille. Avec bien peu de menaces présentes à travers le monde, Scott a même le temps d'écrire un livre et de faire des tournées de dédicaces. Et surtout rattraper le temps perdu avec sa fille, qui a dû passer cinq années sans lui lorsqu'il était prisonnier du Quantum Realm.
Cassie Lang (désormais interprétée à l'écran par l'actrice Kathryn Newton) a mis au point en secret un appareil qui permettrait à la famille Lang/Pym/Van Dyne d'explorer ce royaume à distance, avec l'aide du premier Ant-Man (Michael Douglas, revenu pour le cacheton). Problème : lorsque Cassie explique le fonctionnement de son invention, Janet Van Dyne (Michelle Pfeiffer, qui semble de son côté bien investie dans son rôle) s'inquiète de la possibilité que la machine envoie un signal vers le Quantum Realm pendant l'opération de cartographie dudit territoire. Une inquiétude qui se matérialise (forcément), puisque tout le monde se retrouve emporté dans l'infiniment petit, dans une nouvelle strate de cette dimension mystérieuse - qui se présente désormais comme une déclinaison à l'écran du Microverse. Là, les héros séparés tentent de se retrouver tout en allant à la rencontre/découverte des autres habitants de cet univers, tandis que se profile peu à peu la menace d'un "Conquérant", que Janet aurait déjà rencontré par le passé, lors de son long séjour sur place, et qui aurait visiblement forte envie de la retrouver. Avec de mauvaises intentions, bien évidemment. C'est le méchant après tout.
Partant de là, Ant-Man & The Wasp Quantumania n'aura pas grand chose à vous raconter de plus. En optant pour une direction d'ensemble désormais éloignée des deux premiers films (plus ancrés dans le réel, la comédie familiale et moins vers le blockbuster à gros budget), le troisième volet Ant-Man s'essaie à l'aventure/science-fiction avec une référence qui viendra immédiatement aux yeux de tout le monde : Star Wars. Peyton Reed ne va pas se gêner pour puiser avec allégresse et enthousiasme dans l'autre grande franchise signature du groupe Disney, quitte amorcer les pires comparaisons.
Tout le piège : quand on se donne des références trop imposantes, mieux vaut être sûr de son armement. En l'occurrence, un avantage au tir groupé - la plupart des éléments du film posent problème. Déjà, l'écriture : puisque Ant-Man & the Wasp : Quantumania ne cherche jamais réellement à se départir de son modèle, on va se permettre de tout repomper. Des équivalences très appuyées à l'Empereur ou à Vador, un décalque de la lutte de peuples bizarroïdes et supposément mignons, liés pour lutter contre l'Empire, tandis que même certains environnements emblématiques de la saga vont être directement copiés/collés. A commencer par une Cantina au sein du Royaume Quantique (une Cantina dans le sens : la Cantina). Le film ne profite même pas des particularités de l'univers Marvel ou des potentialités liées au personnage de Kang pour dériver du modèle narratif éculé que vous connaissez bien, que vous avez déjà vu, et que vous avez même vu mieux fait à de nombreuses occasions. Le spectateur novice pourra peut-être y trouver son compte, mais on doute - très sérieusement - que les habitués de Marvel Studios arriveront à ne pas voir les ficelles grossières du marionnettiste maladroit qui tient lieu de scénariste à toute l'aventure, tant cette facilité à assumer la redondance est de moins en moins tolérable compte tenu du nombre de films empilés. Les retours critiques, souvent les mêmes, qui sont fait à chaque fois, glissent sur le modèle d'une compagnie qui s'en fout, ouvertement.
On a donc droit à l'éternel McGuffin à aller chercher, aux répliques placées en début de film pour qu'elles soient restituées à des moments "clé" un peu plus tard dans l'intrigue, à des retournements de situation hyper-prévisibles (ce qui est plutôt gênant - généralement, on attend d'un retournement de situation qu'il... retourne la situation ?), et à un profond sentiment d'ennui tout au long de ces deux heures de film. Une durée qui passe au double sur le plan du ressenti. Même dans ce que l'un ou l'autre pourraient considérer comme les qualités du modèle Marvel Studios, les blagues, l'esprit léger, la bonhommie des interprètes (avec l'assurance d'un Paul Rudd en théorie à l'aise dans son rôle depuis le temps, et naturellement sympathique en général), ces éléments que l'enseigne devrait maîtriser ne suffisent pas à faire passer quoi que ce soit.
Les vannes insérées par Jeff Loveness (qu'on a rarement vu aussi peu inspiré) ne tombent jamais juste. On ne cherche même pas à être parodique, ou à embrasser une sorte d'hommage : donc tout est affreusement premier degré. Paradoxalement, si le premier film Ant-Man pouvait s'appuyer sur des référents bon enfant dans le style de Chéri J'ai Rétréci les Gosses pour s'autoriser une posture de petite production inoffensive, Quantumania ne vise pas à la légèreté. A l'inverse d'un Thor : Love & Thunder, d'ailleurs, que d'aucuns ont pu apprécier sur cette promesse d'un casting en roue libre et d'un réalisateur éternuant de la poudre blanche avec un air de savant fou depuis sa salle de montage, ici, tout est tristement trop sérieux pour que l'on s'amuse, trop plat pour constituer un enjeu.
La palme de la déception revient malheureusement à celui sur lequel le public fondait de bons espoirs. Jonathan Majors, particulièrement attendu pour son interprétation de Kang le Conquérant après une prestation inquiétante dans la série Loki, va se cogner au mur d'une direction d'acteur inexistante et à un problème de cohérence avec celui qui incarne, depuis les comics de Jack Kirby, une menace normalement crédible. Dans Quantumania, le personnage souffre de deux problèmes majeurs (sans jeu de mot) : d'une part, l'acteur ne sait pas vers quelle tonalité s'orienter, avec des expressions faciales qui semblent parfois sorties au hasard, ou des problèmes de timing avec des répliques qui prennent trop leur temps à se placer. D'autre part, Peyton Reed ne sait pas comment faire de ce personnage une icône à part entière. Ce qui fait que, dans son objectif principal, installer Kang comme la prochaine grosse menace de l'univers Marvel, le metteur en scène échoue lamentablement. Le méchant n'impose pas de réelle présence, au niveau de l'interprétation ou dans les angles choisis. Ses crises de colère aléatoires (qui le placent en amalgame de l'Empereur et de Kylo Ren réunis) ne permettent pas de s'attacher à lui - alors que le script peine à faire comprendre ses motivations. En outre, il n'y a rien qui nous fasse craindre ce nouvel ennemi, Peyton Reed et Jeff Loveness ne réussissant pas le simple exercice du "show, don't tell". Autrement dit, vous entendrez beaucoup de personnages, voire Kang lui même, vous dire à quel point il est fort et dangereux, mais personne ne vous donnera l'occasion de l'apprécier réellement.
En conséquence, on ne ressent jamais les enjeux auxquels Ant-Man & The Wasp : Quantumania essaie de nous faire croire. Le scénario passe par un tas d'écueils et de chemins déjà très balisés, sans jamais que l'envie de surprendre ne pointe, sans que jamais une réelle sensation de danger ne se fasse ressentir. On pourrait alors se réfugier dans le visuel, et apprécier un monde "nouveau", peuplé de dizaines d'êtres et créatures bizarres. Las, là aussi, parce que Star Wars est déjà passé par là, et d'autres mondes de SF ou fantasy fort peuplés, qui ont bien mieux réussi l'exercice. Ne sachant pas s'il faut aller dans une direction qui singerait le vivant de l'infiniment petit (avec des bactéries ou des amibes géantes) ou aller dans un imaginaire complètement festif, le film Ant-Man fait le choix du pauvre avec des créatures en CGI ultra génériques, des assemblages de textures franchement laids et des maquillages/costumes là aussi très peu inspirés - ou peut-être qu'il s'agissait de faire du recyclage dans les entrepôts de Lucasfilms, allez savoir. Les fonds verts sont de plus en plus visibles, les décors du Quantum Realm n'ont pas de réelle profondeur et semblent avoir été tirés d'une galerie "images de galaxie" de Getty Images, avec des visuels fades et pauvres en couleurs. Quantumania a même le mérite de proposer l'un des effets comptant certainement parmi les plus laids vus chez Marvel Studios avec le rendu de son M.O.D.O.K., dont l'apparition provoquera - on parie - de nombreux rires gênés. De quoi poser encore une fois, et sérieusement, la façon dont les artistes de VFX doivent travailler chez Marvel Studios, tant chaque nouveau film a l'air encore plus bâclé et moche que le précédent.
Peut-être que certains trouveront leur compte dans la dynamique installée entre Cassie Lang et son père, importante pour les deux personnages, bien qu'elle ne fasse pas évoluer grand monde. Peut-être que certains noteront Michelle Pfeiffer qui est rayonnante et impliquée, bien au-delà de Michael Douglas (qui s'en fout d'être là) ou Jonathan Majors (qui cabotine gentiment, jusqu'à une performance qui laisse pantois de gêne sur la toute fin), alors qu'Evangeline Lilly semble aussi effacée que son partenaire. Peut-être que certains se diront qu'une scène essaie de voir un peu plus grand que la moyenne (sans jeu de mots) en termes de visuels (alors qu'ici on trouve que même sur les visuels, personne n'a l'air de s'amuser). Mais en faisant le compte, Ant-Man & The Wasp : Quantumania donne plutôt un lourd sentiment d'ennui et de voir un film qui ne compte pas vraiment. Ni pour ses héros (jamais un statu quo n'aura été aussi "quo"), ni pour l'univers Marvel de façon plus générale. Car évidemment, Kang sera de retour - il y a un film qui s'appelle Avengers : The Kang Dynasty, faut suivre un peu - et si Peyton Reed avait un autre but avec ce long métrage que de simplement dire "regardez, y a Kang, c'est un méchant, il est méchant, roh lala, il a l'air balèze", excusez-nous de ne pas l'avoir vu. Et pour la façon dont c'est raconté, on a encore beaucoup de mal à être convaincu.
Il commence à y avoir un sérieux problème chez Marvel Studios. Quoiqu'on a pu être client de la fameuse "formule Marvel" jusqu'il y a encore quelques années, le MCU peine de plus en plus à fédérer, tant sur les intrigues de ses personnages que sur sa "saga du Multivers" qui n'a toujours rien d'exaltant à nous montrer. Ant-Man & The Wasp : Quantumania se vautre dans l'hommage (ou le plagiat ?) qu'il veut faire à l'aventure/SF façon Star Wars en décalquant personnages, lieux et éléments narratifs ad nauseam sur son modèle, et en n'ayant rien d'autre à faire que de présenter un super-vilain affreusement mal joué, et qui ne donne pas franchement envie d'être revu. Trop premier degré pour être fun avec du recul, pas bien beau, et surtout réussissant certains exploits de laideur et d'ennui, le troisième volet des aventures d'Ant-Man laisse perplexe. On commence à se demander si Feige ne commence pas à se brûler les ailes à vouloir trop chapeauter le MCU, si Marvel Studios n'a pas souffert de la gestion de Chapek et qu'on doit encore en subir les scories cette année. Ou si tout simplement le modèle narratif imaginé par l'entreprise trouve désormais ses limites, et qu'en l'absence de réelle implication créative, le public comme les critiques vont désormais ne plus laisser passer la relative paresse qu'elle tolérait il y a encore quelques années.