A contre-courant d'un marché des crypto-jetons en berne, les pontes de Warner Bros. démontrent une fois encore leur flair de champions en investissant le créneau des NFTs associés aux oeuvres de cinéma. Il ne s'agit pas exactement d'une première pour l'industrie du cinéma, partie très tôt vers cette nouvelle ruée vers l'or, avec des offres Web3 lancées par les groupes Disney, Paramount, Netflix, etc. La différence se joue surtout du côté du timing : entre le dernier trimestre de 2022 et le premier trimestre de 2023, les experts du marché des jetons non fongibles ont observé une perte de valeur globale sur ce secteur particulier.
La rédaction de Newsarama publiait encore récemment un état des lieux de cette énième folie spéculative en rapide déclin - pour résumer, la quantité d'escroqueries, la faillite de géants du secteur et la crise de confiance autour des cryptos, ont fragilisé les transactions, écœuré les clients potentiels, et alerté le regard de la presse généraliste pour finir d'effrayer le grand public déjà pas forcément réceptif aux fonctionnement des technologies Web3. On estime aujourd'hui que le gros des NFTs édités depuis deux ans ont vu leur valeur diminuée par dix. Cette décroissance n'a visiblement pas empêché Warner Bros. de lancer son propre plan de conquête tardif, en partenariat avec la société Eluvio : en octobre dernier, le studio présentait une offre campée dans le marché des cryptos autour du film Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson, en deux versions pour 11.000 jetons mis en vente.
Crypto Kryptonien
Le studio présente ce programme (accessible via le site
web3.wb.com) comme une alternative à la distribution traditionnelle. Pour résumer, 10.000 NFTs débloquent un accès au film en version 4K, pour la somme de 30 dollars, soit l'équivalent du prix moyen pour une édition physique. Ensuite, 999 NFTs dédiés aux collectionneurs du secteur empilent à la possession d'une copie dématérialisée du long-métrage différents contenus censés justifier un achat plus coûteux - des bonus, des illustrations, etc. Le tarif de cette deuxième "gamme" est de son côté fixé à 100 dollars. Dans la foulée du
Seigneur des Anneaux,
Warner Bros. renouvelle l'opération, sur la même base et avec les mêmes outils, pour le film
Superman : The Movie de
Richard Donner. L'ouverture des achats est prévue pour le 9 juin 2023.
On va se passer de la traduction des communiqués de presse à coups d'éléments de langage hautement disruptifs ("ownership", "marketplace", "assets", "blockchain", et surtout "experience" qui revient quatre fois en deux paragraphes - et a même été accolé au nom de ce "produit" dématérialisé, Superman : The Web3 Movie Experience, officiellement) pour détailler les arguments principaux du projet. Warner Bros. explique que le film sera livré avec "un menu interactif basé sur les localisations" du long-métrage, dans les deux versions, des "bonus spéciaux" sans plus de détails - et qui ont apparemment déjà été fournis dans les différentes éditions vidéo, dvd et blu-ray - et des photographies des coulisses du tournage.
La spécificité de la version premium à cent dollars repose sur l'ajout de trois dessins originaux (vendus séparément) réalisés par Bill Sienkiewicz, Ivan Reis et Ben Oliver, qui reprendront l'iconographie du Superman de Christopher Reeve. L'achat débloque les trois versions du long-métrage : le montage cinéma, le montage director's cut, et le montage étendu pour la télévision.
Pour dresser un bilan rapide de cette nouvelle entrée d'un grand studio de cinéma sur le marché du jeton non fongible, il est assez facile de voir comment Warner Bros. tente de capitaliser sur la technologie Web3 pour créer un palliatif aux ventes de DVDs. Menu de navigation, version longue, illustrations, images d'archives, ces éléments évoquent naturellement l'offre classique des éditions vidéo d'autrefois. Or, le marché du DVD, un temps essentiel à l'économie des studios, a été mis en échec au tournant de la dernière décennie par l'entrée sur le marché des géants de la vidéo à la demande (Netflix, Prime Video, etc).
Le recul des ventes de disques a créé un énorme déséquilibre dans l'économie du cinéma américain, et la frénésie autour des plateformes est aujourd'hui confrontée à une problématique sérieuse dans l'équilibre des rentrées et dépenses. Pour faire simple, Hollywood a dû renoncer à une manne importante en misant sur le tout dématérialisé, engendré une concurrence féroce qui aura nécessité de grosses mises de fonds, et se retrouve désormais bloqué dans une impasse - les entrées en salle ne suffisent plus, fragilisées par la baisse de fréquentation au sortir de la pandémie de COVID-19, le streaming coûte cher et rapporte peu, et le grand public a déserté les rayons DVDs des grandes enseignes. Warner Bros. est manifestement à la recherche de solutions... quitte à fouiller les fonds de tiroir.
Puisque, quoi que l'on pense de la technologie NFT, de sa pelletée d'arnaques signalées, de sa facture énergétique (de ce point de vue,
Eluvio, partenaire de
Warner Bros. sur l'offre
Web3, fait partie des bons élèves) ou même de son principe fondamental de vente sur le vide, les faits sont là. Le marché des jetons non fongible est en net déclin, les réseaux sociaux ont tendance à réagir avec agressivité aux nouvelles annonces de partenariats officiels entre grandes marques et fournisseurs Web3, etc. Les équipes de
Warner Bros. ont surtout l'air d'arriver après la bataille, ou d'envoyer un signal de détresse postérieur à un rachat coûteux par le groupe
Discovery (et dont les retombées ont été, déjà, largement médiatisées...). Reste à voir si le studio persiste, et si l'offre prend pour les irréductibles du secteur, encore accrochés à leurs singes à casquettes et leurs originaux de
Frank Miller insérés dans des cubes 3D.
A noter au passage : la pentalogie Superman de Christopher Reeve (les quatre films et la version Richard Donner de Superman 2) a été rééditée en blu-ray steelbook 4K Ultra HD aux Etats-Unis, avec une quantité pas désagréable de bonus sur disques et d'objets physiques le mois dernier... pour 149,99 dollars.