Disclaimer : cette première critique de Secret Invasion est basée sur les deux premiers épisodes de la série Disney+ (sur un total de six). Elle est garantie sans aucun spoilers.
D'aucun pourra juger la question du titre de cet article trop sévère. Après le triomphe de Marvel Studios il y a trois-quatre ans avec Avengers : Infinity War et Endgame, force est désormais de reconnaître que le MCU, au terme d'une Phase 4 en demi-teinte, et d'un début de Phase 5 lui aussi en dents de scie, ne fédère plus aussi unanimement qu'auparavant. L'envie de la découverte et l'effet de surprise a disparu, les modes de consommation et la médiatisation des projets font qu'on ne fait qu'attendre "le prochain film" ou "la prochaine série" dans un vaste ensemble chapitré, sans trop prêter attention à l'oeuvre qui sort à l'instant t - pour ne pas dire le produit, de façon plus vulgaire. La promesse (le pari ?) du géant américain avait quelque chose d'enivrant d'un pur point de vue de spectateur : et si Marvel Studios réussissait à reproduire le succès du MCU en salles avec Disney+, en obligeant tout le monde à aller regarder chaque série pour que la grande trame de cet univers partagé puisse être comprise, analysée, disséquée, et former un tout cohérent.
Si certaines de ces séries ont en effet pu avoir un poids (plus ou moins limité en fonction de votre capacité à comprendre des lignes de dialogue/résumé dans un film) sur les intrigues de cinéma, comme WandaVision pour Doctor Strange : in the Multiverse of Madness, ou Loki (dans une moindre mesure) pour Ant-Man & The Wasp : Quantumania, les autres séries pour le moment sont restées dans leur petite poche indépendante (à l'instar de Moon Knight ou She-Hulk). Ce n'est pas le cas avec Secret Invasion qui, comme Ms Marvel, se lie au film et aux personnages du premier Captain Marvel. Mais tandis que les héroïnes se retrouveront plus tard dans l'année au cinéma, on retrouve d'abord Nick Fury (Samuel L. Jackson) dans une intrigue paranoïaque où les Skrulls, introduits en 2019 dans le MCU, sont au centre de toutes les attentions. Au sortir, un début de (mini ?) série pas déplaisant à suivre, notamment parce qu'elle a l'air de vouloir garder son sérieux du début à la fin. Mais si vous n'êtes pas ou plus un fan ardu du MCU, il y a de fortes chances que vous passiez à côté sans regrets. Détaillons un peu tout cela, voulez-vous ?
En 2019, Marvel Studios proposait sa propre version des Skrulls dans Captain Marvel en faisant des extra-terrestres métamorphes des réfugiés de guerre venus sur Terre pour échapper à l'envahisseur Kree. Une approche moins belliqueuse de ce que l'on peut voir d'eux dans les comics publiés par la Maison des Idées, et l'on pouvait se demander comment après avoir stipulé que dans le MCU, les Skrulls sont "gentils", on en viendrait à avoir droit à une Secret Invasion. C'est sur cette idée énoncée très simplement dans une exposition aussi claire que didactique que démarre la série : des Skrulls sont infiltrés partout sur Terre, on ne peut se fier à personne, et ils essaient de semer le chaos à force d'attentats et coups politiques pour déstabiliser le semblant de paix mondiale qui existe encore. Talos (Ben Mendelsohn, qui possède toujours ce savoureux petit cheveu sur la langue), le Skrull resté en contact avec Nick Fury, rappelle ce dernier sur Terre. Pour ceux qui l'avaient oublié, Fury était en effet parti faire on ne sait quoi dans l'espace, et a désormais des affaires à régler sur sa planète - la raison de sa disparition étant visiblement l'une des grandes questions à laquelle la série devra répondre.
Même si Secret Invasion manque quelque peu de démonstration de son ambition à l'écran malgré la portée supposément mondiale de son intrigue, elle arrive à utiliser de façon intelligente les personnages que le public connaît déjà pour qu'on ait vraiment l'impression d'assister à un récit en forme de thriller géo-politique, où les Skrulls reprennent pour eux la métaphore du réfugié politique, dans un monde sur lequel, comme l'explique Nick Fury, "l'être humain n'est pas capable de se tolérer lui-même, alors pourquoi ferait-il de la place à une autre espèce ?". Ce constat (facile) étant placé, notre héros au visage de plus en plus abimé par le temps va faire les efforts nécessaires pour contrer les plans de son ennemi extra-terrestre (avec qui il entretient visiblement un certain passif), tandis que l'on suivra en parallèle les actions de ce Skrull belliqueux, Gravik, et de quelques uns de ses alliés - dont Emilia Clarke, qui joue G'iah, l'un des enfants de Talos. Ce casting dans l'ensemble se montre d'ailleurs assez convaincant. On demandera à en voir plus concernant Clarke, son personnage n'étant pas trop mis en avant, mais en l'espace de deux épisodes, Kingsley Ben-Adir campe un antagoniste non seulement convaincant, mais qui dégage aussi à la fois une certaine prestance, jusqu'à être inquiétant par son regard glacial et ses traits figés.
A côté, on retrouve bon nombre de personnes dont il est assez clair que le jeu n'a jamais posé problème : Samuel L. Jackson n'a pas que de bonnes répliques (et certaines ont une odeur de baroud d'honneur en préparation...), mais on le voit se prendre encore au jeu de son personnage après toutes ces années passées chez Marvel Studios. Un échange particulièrement tendu avec James Rhodes (Don Cheadle) se montre très réussi et donnerait même envie de se souvenir qu'il y aura Armor Wars ensuite. Parmi les autres nouvelles têtes, Olivia Colman est là aussi dans le haut du panier, son personnage de Sonya Falsworth qui profite du magnifique accent britannique de l'actrice - et d'un jeu qui donne un intérêt certain pour la protagoniste dès sa première apparition. Qu'on se le dise, de toute façon, c'est généralement peu le casting chez Marvel Studios (sauf dans le cas de miscast absolu comme avec Oscar Isaac) qui pose problème. Plutôt l'écriture, la réalisation, les ambitions ou les effets spéciaux.
Du côté des effets spéciaux, justement. Secret Invasion, malgré son histoire à base d'aliens, prend largement ses distances avec les comics de base (et quelque part, ici ce sera plus heureux), et sa volonté de faire un thriller terre à terre permet de ne pas offrir de moments de gênance comme Ant-Man 3 a pu nous en donner. De la même façon que certains artistes de BD savent compenser leurs faiblesses avec des artifices de mise en scène, le ton est donné dès lorsque le retour de Nick Fury, qui nous vient donc d'un vaisseau spatial pour rentrer sur Terre, est fait à base de lumière blanche, de hors champ, et de silhouette en contrejour qui rappelle Rencontre du 3e type. On peut aller à l'économie, du moment que c'est bien fait, et ici le fait de rester sur Terre évite toute catastrophe visuelle (si tant est qu'on apprécie le design un poil plastique des Skrulls, qui n'a pas bougé depuis Captain Marvel). Pour le reste, pas de quoi s'affoler : la caméra reste presque tout le temps au sol ou à hauteur d'homme et prend peu de hauteur, si ce n'est pour une scène qui implique une large foule, et qui immédiatement manque de force et d'impact. Il y a un décalage entre ce qui nous est montré et ce qu'on ressent avec une réalisation trop sage, qui passerait presque à côté de ce qu'elle doit véhiculer.
Fort heureusement, ces écueils sont un peu rattrapés par la suite, Secret Invasion assumant son orientation plus "sombre" (toutes proportions gardées) et "mature" (idem). Les quelques affrontements ne sont pas bien beaux - toute comparaison avec Winter Soldier serait mal amenée, on se situe plus dans du Homeland qu'autre chose, même si la façon dont certaines interactions entre politiciens semblent à des kilomètres de la réalité - ce qui est un problème quand on s'attaque à des choses proches du réel, et pas des extra-terrestres métamorphes. On reconnaît au moins la volonté de cohérence de l'univers sur ces passages politiques (avec des intervenants déjà vus dans Black Panther : Wakanda Forever), mais si on commence à trop réfléchir à certains points d'intrigue, les facilités d'écriture transparaissent de façon criante, et bien plus que dans d'autres productions de Marvel Studios. Au moins, vu le premier tiers, il apparaît que Secret Invasion restera fidèle à sa déclaration d'intention. Les personnes qui en ont eu assez du trop plein de blagues et de VFX approximatifs en auront pour leur argent (ou leur temps).
Reste alors l'ambition générale, et le retour à la question de départ dans le titre de cette critique. Si Secret Invasion a quelques qualités pour elle et que ses défauts sont (pour le moment) tout à fait tolérables, et qu'on a envie de se prendre en jeu, le fait que la série arrive avec des mois de retard par rapport à sa diffusion initiale ; dans un MCU qui comme on le disait, ne fait plus l'unanimité, et dont Secret Invasion semble là aussi être une porte de départ pour certains ; difficile de se dire dans ce contexte que Marvel Studios a de grosses ambitions narratives, sinon de conclure des arcs pour quelques personnages. Comprenons-nous sur la note : les fans invétérés du MCU devraient passer du bon temps, tout en étant largués par moments si certains éléments ne sont pas bien restés en tête (à propos de Skrullox ou de S.A.B.E.R.) ; mais le public moins assidu a-t-il réellement une raison de se plonger dans la série ? En termes de thriller politique, d'autres séries font mille fois mieux, tant dans l'écriture que l'intensité, sur la même durée de deux épisodes. En termes d'univers de comics, le côté terre à terre fait que Secret Invasion n'a pas le côté spectaculaire que l'on pourrait rechercher spécifiquement du côté du MCU. Alors, que penser de tout ça ?
Conclusion le cul entre deux chaises, à l'image de ce que propose Secret Invasion pour le moment. Servie par un casting dont on connaît les qualités, et avec une note d'intention qui pour une fois fait plaisir (la prise de ses enjeux au sérieux, l'envie d'être un peu "sombre", l'aspect terre à terre), la série peine à convaincre totalement par quelques fautes d'écriture et une réalisation qui, vraiment, ne semble faire aucun effort pour sortir un tant soit peu de l'ordinaire. Alors on regarde, parce qu'on est fan, parce qu'on aime bien Jackson, Colman ou Clarke. Mais soyons honnêtes : sans ces derniers ou l'envie de voir un potentiel lien avec un prochain blockbuster de Marvel Studios, ces derniers réussiraient-ils vraiment à nous intéresser à leur série, par ses seules qualités scénaristiques et télévisuelles ? La question, ici, n'est pas vite répondue. On s'en reparle d'ici la fin de la diffusion.