Bienvenue dans un nouveau numéro de la chronique des "critiques express". A intervalles réguliers, la rédaction vous propose de courtes reviews sur des numéros de comics VO sortis récemment. L'idée est de pouvoir à la fois vous proposer une analyse des sorties attendues du côté des éditeurs mainstream et indé', parler également de runs sur la durée, et essayer de piquer votre curiosité sur quelques titres moins en vue. En somme, tout simplement de mettre en avant le médium comics dans nos colonnes autrement que par le prisme pur de l'article d'actualités.
Au programme de cette semaine, quelques lancements de série - avec des auteurs en indé' qu'on se plaît beaucoup à suivre tels que Ram V et Mark Russell - mais aussi un tour plus prononcé, peut-être, qu'à l'habitude du côté des super-héros. Ce qui est également l'occasion d'écrire un peu de bien de comics Marvel, ce qui vérifie une fois de plus l'adage qu'après avoir fait le tri, il est encore possible de lire du bon mainstream dans la production actuelle. N'hésitez pas à nous faire vos retours sur cette chronique régulière, à la partager, surtout, au vu du travail qu'elle demande, et à nous faire part de vos récentes lectures VO sur les réseaux sociaux !
Dans les comics, on a souvent tendance à se plaindre du principe de continuité. Pour des raisons logiques, d'ailleurs : ce flux permanent d'histoires, qui accumulent et accumulent depuis des dizaines d'années, demande un effort conséquent à celles et ceux qui voudraient prendre le train en marche. Se mettre aux comics de super-héros, c'est comprendre qu'il y a un avant à l'avant. Et encore avant, il y avait un autre avant. Et ainsi de suite jusqu'à Action Comics #1.
C'est même pour pallier au problème de la continuité que Marvel s'était décidé, il y a plus de vingt ans maintenant, de bâtir l'univers Ultimate Comics. Une porte d'entrée géante articulée exclusivement autour des personnages vedettes, qui a pu aider en son temps à mettre le pied à l'étrier de tout un tas d'aspirants fans de comics, dont certain(e)s sont encore là aujourd'hui. Mais, le temps a passé. Et l'univers Ultimate Comics est devenu aussi dense, aussi compliqué et aussi poussiéreux que son parent originel, la Terre-616. Alors, après avoir mis fin à cette ancienne poche de réalité (dans Secret Wars), Jonathan Hickman nous explique maintenant qu'il est temps de tout reprendre à zéro. Sur Terre-1610 ? Non. Sur Terre-6160. Vous avez le droit de rigoler.
Au sortir de ce quatrième numéro d'Ultimate Invasion, on a finalement l'impression que rien n'est vraiment fini, et que rien ne commence non plus. La mini' en quatre, illustrée par Bryan Hitch, fonctionne plutôt comme un pur plaisir... de continuité. Parce qu'elle représente la suite de la vie du Maker, un personnage dans lequel Hickman se retrouve forcément, à partir du moment où celui-ci se voit comme l'architecte de ce monde nouveau. Le coup de crayon de Hitch, le retour de ce personnage fondateur, dernier reste de l'ancien monde, évoquent ce sentiment familier, cette impression de retrouver l'esprit et l'atmosphère particulière de l'univers Ultimate d'autrefois, un environnement où tout peut disparaître à chaque instant, et où la survie des figures centrales n'est jamais garantie. En quatre numéros, Hickman réussit à canalyser cet atmosphère... mais alors, la base d'une nouvelle grande porte d'entrée ? Pas vraiment.
Le Maker a trouvé une réalité "vierge" où il peut enfin poser ses valises. Bon. Il modifie les éléments, s'implique dans la gestion au quotidien, fomente ses curieuses inventions depuis sa citadelle. D'accord. Et le Reed Richards de 616 n'est pas, en théorie, capable de le suivre dans cette nouvelle cour de récréation. Alors oui, Terre-6160 a bien été pensée pour servir de base aux prochaines séries de cette potentielle nouvelle saga, mais dans l'intervalle, Ultimate Invasion reste le produit d'un auteur obsessionnel, qui se contente simplement de poursuivre ce qu'il avait entamé à l'époque de sa prise de fonction sur les Ultimates de la seconde, ou de la troisième génération. Et pas seulement, puisque les habitués de l'écriture Hickman reconnaîtront aussi d'autres éléments communs à sa bibliographie chez Marvel. En somme, si vous étiez venus pour l'origine d'un monde nouveau... oui. En quelque sorte. Mais pas vraiment.
Ultimate Invasion est surtout le nouveau chapitre d'une longue saga entamée longtemps avant Hickman - qui portait autrefois le nom de 1610, et que l'on devra désormais nommer 6160. La logique est exactement la même : suivre tous les mois les aventures d'une petite Terre-2 dont le destin n'est pas lié à ce qui se passe sur la Terre-Prime, avec un personnage fédérateur au coeur de toute l'équation. Est-ce que l'auteur a déjà prévu le retour du Maker ? Est-ce que les éléments introduits dans cette mini' en quatre ont vocation à durer ? Difficile à dire. Reste que, personne n'écrit sur le temps long comme ce vieux briscard de l'industrie. Quel plaisir, de retrouver cette version corrompue de Reed Richards, un vilain "de notre génération", que le lectorat des années 2000 a pu voir grandir, muter, jusqu'à devenir l'un des super-méchants les plus intéressants et les plus fouillés du multivers Marvel. Quel plaisir de retrouver cette atmosphère, ce dessin de Hitch, comme si Secret Wars n'avait jamais eu lieu. Quelque part, on regrette que le projet soit aussi court, puisqu'à défaut d'être le réel point d'ancrage d'un grand recommencement, Ultimate Invasion est d'abord et avant tout un authentique objet de continuité, ludique, récompensant, et fascinant à suivre dans la survivance d'un scénariste qui poursuit ses propres projets contre les vents contraires de l'éditorial. Vivement la suite. Et le renouveau.
- Vous pouvez commander Ultimate Invasion #4 à ce lien !
Nouveau départ pour The Flash, dont la série tout récemment lancée s'inscrit dans la grande vague "Dawn of DC" de l'année 2023. Si Spurrier reprendre les commandes des aventures de Wally West et doit composer avec l'ensemble des éléments amenés par Jeremy Adams sur la précédente série - notamment l'arrivée d'un troisième rejeton dans la famille West. La vie de famille du super-héros est très chargée, et se retrouve perturbée dès le départ par une sorte de force ou présence étrange dans la Speed Force, qui fait que cette dernière ne fonctionne plus aussi bien qu'elle le devrait. Sur sa situation de départ, Spurrier arrive à instiller une forme d'angoisse et d'étrangeté grandissante, pour un numéro d'ouverture à pagination étendue.
Ce qui confère un avantage certain pour pouvoir bien se mettre dans le bain. L'écriture du scénariste est dense tant dans les dialogues que dans ce qui est présenté sur chaque planche en termes d'action, et le découpage de Mike Deodato Jr., devenu une sorte de signature sur les dernières années, surprendra certainement quelques lecteurs au départ. Le côté assez froid et chirurgical du placement des cases, toujours en structures ordonnées, permet néanmoins d'avoir de bonnes idées sur le pur plan narratif - à l'instar de splash pages qui n'en sont finalement pas, ou des séquences plus classiques sur lesquelles un personnage fait une action en plusieurs temps sur un décor qui, lui, reste fixe. L'aspect photo-réaliste du dessin de l'artiste inscrit d'emblée la série dans cette tonalité "mature", où l'on traite les super-pouvoirs sous un aspect scientifique (la présence de Michael Holt, alias Mr. Terrific, aide pas mal), et où la Speed Force devient source d'inquiétude. Le cliffhanger apparaît comme obligatoire pour l'ouverture d'une série de super-héros, mais a quelque chose de satisfaisant compte tenu de la pagination de cette introduction.
Un démarrage de série qui a plusieurs forces pour lui, tant sur la tonalité très sérieuse, presque sombre à vrai dire, que sur la personnalité graphique apportée par le dessin de Mike Deodato Jr. La dernière planche, qui témoigne d'une certaine inventivité de design par le dessinateur brésilien, laisse entrevoir au moins un premier arc haletant. Si le but d'un premier numéro pour une série de super-héros est d'aller à son comicshop pour s'y abonner, The Flash #1 remplit parfaitement son office. Attention à ne pas trébucher aux prochains numéros.
- Vous pouvez commander The Flash #1 à ce lien !
Une nouvelle réunion de Ram V et Felipe Andrade, le duo derrière le formidable Toutes les Morts de Laila Starr, à nouveau chez Boom! Studios, ne pouvait qu'être excitante et s'aborder avec un certain nombre d'attentes. Surtout au vu du pitch, assez peu commun : Rubin Baksh, un Rhakshasa (soit un démon de la mythologie indienne) qui a pris l'apparence humaine d'un monsieur imposant pour se fondre parmi nous, souhaite devenir le nouveau Anthony Bourdain (un chef cuisinier mondialement connu, décédé en 2018, et qui était par ailleurs auteur de comics) en faisant découvrir toute la finesse de la cuisine indienne et en racontant l'histoire des personnes qui se cachent derrière. Il engage à ces fins un réalisateur au bout de sa vie, Mo, qui finit par accepter de devenir le réalisateur du documentaire que le démon projette de faire.
Rare Flavours captive d'entrée de jeu ; on pourrait se dire au départ que Ram V joue une forme de facilité en reprenant une nouvelle fois un contexte géograpique qu'on lui connaît bien, mais le récit s'éloigne très rapidement d'un Grafity's Wall très terre à terre, ou du côté plus ésotérique de Laila Starr. L'auteur parvient à nous faire comprendre rapidement la nature inhumaine de Rubin et sa quête culinaire prend des aspects inquiétants au fil des pages, si bien que de comicbook culinaire, on arrive dans une forme de thriller teinté de fantastique qui pose une question, simple et évidente : que va-t-il se passer ensuite ? Felipe Andrade reste un artiste toujours aussi talentueux. A titre purement subjectif, on trouve le dessin moins "séduisant" que celui de Laila Starr ; il y a un côté plus rugueux avec la façon dont les couleurs viennent emplir des personnages et décors pour lesquels les ombres sont hachurées, avec des traces de crayonnés qui restent encore visibles par endroit. Une fois le regard habitué, la prise de conscience de se retrouver une nouvelle fois devant un comicbook à la personnalité unique permet d'emblée de dire que Rare Flavours, même si toutes les promesses de départ ne sont pas tenus, va se montrer unique en son genre.
Le registre de la bande dessinée culinaire est assez particulier et n'attirera peut-être pas tout le monde, mais Ram V et Felipe Andrade proposent autour de leur "guide de recettes indiennes" une histoire très accrocheuse ; les personnalités opposées des deux protagonistes principaux et la dimension fantastique, presque horrifique par endroits, amènent à un mélange des genres et des tons qui ne peut qu'envoûter. Aucun doute ici sur le fait de revenir pour le second numéro (et les trois d'après).
- Vous pouvez commander Rare Flavours #1 à ce lien !
Deuxième numéro, deuxième étonnement. Al Ewing est visiblement parti sur l'idée d'une ouverture en forme de pure installation : pour l'heure, on ne sait pas exactement où on va, et on se contente d'apprécier le voyage. Avec ces deux premiers singles, le scénariste vedette prouve aux derniers réfractaires l'efficacité de son écriture, décidément versatile. Ce Thor ne ressemble pas vraiment à celui de Jason Aaron, ni à celui de Donny Cates. Il serait plutôt... ailleurs. Dans un flottement temporel, qui reconnecte avec les bulles de pensée, ces personnages qui ont l'air d'avoir un vécu commun mais qui agissent comme si celui-ci était au final assez peu important - en somme, avec cette écriture qui retrouve la candeur et l'aspect très naïf des comics de l'âge d'argent.
Ewing nous réexplique comment fonctionnent les pouvoirs de Thor et du All-Father, les adversaires lancent de grandes phrases à coup de "haha, il en faudra plus pour me vaincre", et immédiatement après la fin d'un combat, on a le sentiment d'une résolution trop rapide, trop brusque. Est-ce qu'Al Ewing essaye de faire du Jack Kirby ? Oui, à partir du moment où vous aurez même droit à des effets "Kirby Krackle". Les indices sont là, en grosses lettres. En parallèle, l'auteur brasse (beaucoup) dans l'écriture des grands textes qui compilent les mythes nordiques. Avec une narration lyrique, presque poétique, et ces dialogues qui aiment trouver les tournures et les formes susceptibles d'évoquer le conte, les récits de folklore. Tout ça est très bien fait, très intéressant, et surtout assez saisissant dans l'équilibre général. A partir du moment où Immortal Thor laisse systématiquement planer l'ombre d'un doute... d'un mystère, d'une menace, comme si quelque chose sonnait faux ou désaccordé dans cette jolie mélodie.
En l'occurrence, la corde qui ne vibre pas comme les autres se trouve être (évidemment) le personnage de Loki. Officiellement catégorisé(e) comme non-binaire dans le texte d'Al Ewing, qui reprend ce qu'il avait déjà pu faire du dieu de la malice dans Defenders Beyond (une superbe petite série), Loki est le ou la seule à ne pas opérer sur le même registre de langage. Sa présence, son design, s'additionnent au jeu de couleurs proposé par Matt Wilson, avec des petites nappes de rose, de bleus, de vert, des touches très européennes et qui gonflent cette impression d'un genre de retour au rétro', ou à une palette qui chercher la simplicité du conte.
Posée sur les dessins de Martin Coccolo, qui pousse sur l'expressivité générale (un Thor volumineux aux joues rondes qui fronce les sourcils quand il n'est pas content, un(e) Loki plus chétif(ve) taillé(e) comme un(e) enfant), cette patte chromatique se heurte aux anciens dieux d'Utgard, qui évoquent de leur côté une mythologie noire, oubliée, ténébreuses, chaotique. Résultat, la série désarçonne et fascine déjà, comme si le scénario et les dessins s'étaient mis d'accord pour proposer quelque chose d'unique, hors du temps et énigmatique, qui prendrait à l'envers les acquis de ces dernières années.
Un choix forcément intéressant, dans la mesure où il aurait été difficile de refaire du Thor comme on a pu en voir récemment sans risquer de lasser. Al Ewing avait visiblement déjà toute les idées en tête au moment d'accepter ce poste au sein de la Maison des Idées. La continuité est encore là (Thor est bien le Roi d'Asgard et le All-Father), mais on sent dans cette entrée en matière de deux numéros que quelque chose de plus grand qu'une simple suite se trame à l'horizon. Difficile de ne pas chanter les louanges d'Ewing, qui reprend le qualificatif d'Immortal après son passage sur Hulk comme une note d'intention : non pas pour indiquer que le style ou le genre seront similaires à ce qu'il a déjà fait, mais pour signifier son implication et son envie de bouger les pièces dans le coffre à jouet. En parallèle du Captain America de Joe Michael Straczynski et Jesus Saiz, l'une des séries qui donne envie de lire du Marvel sur cette fin d'année.
- Vous pouvez commander Immortal Thor #2 à ce lien !
Avec l'initiative éditoriale du "Dawn of DC", le lectorat a eu droit à pas mal de lancements en l'espace de quelques mois. Certains étaient réussis (Wonder Woman, The Flash), d'autres moins (The Penguin) et d'autres encore se situent quelque part entre l'exercice d'introduction et l'envie de se positionner quelque part sur un planisphère extrêmement connecté (Batman & Robin). La série Power Girl se situe dans cette dernière case. Le titre n'est pas un vrai début de série, à partir du moment où une grosse partie de l'intrigue repose sur Lazarus Planet, ni une vraie présentation du personnage de Kara pour les jeunes générations. DC Comics a opté pour une pure proposition de titre à la périphérie d'autres sagas plus importantes. En insérant Power Girl entre Steelworks, Superman, et Lazarus Planet.
Résultat : si vous n'avez pas déjà une vague connaissance de l'histoire de cette héroïne, passez votre chemin. Un encart de texte se charge de résumer tout le parcours de cette Kryptonienne, qui a trouvé refuge sur Terre-Prime après sa vie sur Terre-2, qui a un nouveau costume, qui a un chat et qui a une meilleure pote télépathe. Power Girl s'est dégottée une identité civile, avec un nouveau prénom, et une activité dans le caritatif. Une nouvelle menace apparaît, et un lien avec son origine géographie dans le multivers sert d'amorce à cette nouvelle aventure. Mais, c'est à peu près tout.
Les dialogues ne sont pas forcément marquants, l'humour est étonnamment assez peu présent, compte tenu des habitudes de ce personnage, et on n'a pas encore l'impression d'évoluer dans un vrai renouveau pour Power Girl. Comme si la série avait été lancée au hasard, pour alimenter une petite base de fans, mais que le personnage n'était pas capable de tenir seule sur ses appuis. Ce qui est dommage, dans la mesure où Power Girl était parvenue à trouver un rôle en tant qu'héroïne indépendante chez Amanda Conner (il y a fort fort longtemps), dans un projet où ses maladresses, sa candeur et son historique particulier de pin-up des super-héros avaient su en faire une donnée intéressante, rafraichissante, dans le paysage des Kryptoniens plus sérieux, plus grandiloquents, ou plus plats. Leah Williams a visiblement compris certaines de ces données, dans la mesure où l'héroïne reste une malchanceuse née, mais le scénario ne décolle pas encore. On a même l'impression d'une sorte de régression par rapport à ce qui avait été proposé lors de ces dix dernières années.
Pourtant, la scénariste s'était montrée capable de mieux, lors de son passage sur Barbarella/Dejah Thoris par exemple, ou sur Amazing Mary Jane plus récemment. Sur Power Girl, soit l'inspiration n'est pas là, soit Williams ne trouve pas la place de respirer dans ce format de série à la commande. Les planches d'Eduardo Pansica ou les couleurs de Romulo Fajardo Jr. ne font qu'aggraver le constat : agréables par endroit, très convenues par d'autres, celles-ci ne mettent pas spécialement en avant le nouveau costume, et opèrent dans cette zone de ni oui ni non des comics mainstream traditionnelles. En somme, rien de désagréable, rien de foufou, rien de passionnant. Un petit coup manqué, pour l'heure, pour un personnage qui mérite mieux - et que l'on aurait bien vue devenir l'équivalent local de la série She-Hulk de Rainbow Rowell chez DC, en ramenant Power Girl à quelque chose de plus civil, de plus soap, ou de plus comique. Ce ne sera hélas pas pour cette fois, a priori.
- Vous pouvez commander Power Girl #1 à ce lien !
Pour votre rédacteur en chef préféré, un nouveau Mark Russell est toujours un petit évènement : enfin la sortie d'un nouveau comicbook dont on pourra chanter les louanges tout en s'assurant que presque personne ne l'aura lu ! Ceci dit, l'affirmation est un peu de mauvaise foi : la précédente production de l'auteur américain chez AWA, Not All Robots, a réussi à trouver un public assez modeste en France (via Delcourt), ce qui donne quelques espoirs de retrouver Rumpus Room plus tard par chez nous. La satire sociétale est toujours au rendez-vous, cette fois-ci en allant piocher dans les codes de l'horreur et du huis-clos.
Rumpus Room a tout d'un spin-off de Billionaire Island, puisqu'on y retrouve un concept extrêmement similaire à ce qui nous avait été présenté dans la première série avec la "cage à hamsters" (si vous avez lu, vous sachez). Un milliardaire odieux, Bob Schrunk, s'amuse à enfermer des gens dans une chambre au sous-sol de sa grande maison, et se sert de ses prisonniers pour confectionner une crème pour la peau ; et quand on écrit "se sert", il ne s'agit pas d'une image, mais bien de quelque chose de littéral, d'ingrédients. Difficile d'aller chercher l'humour dans ce postulat extrêmement lugubre, alimenté par une imagerie glauque tout au long de ce premier numéro, entre l'apparence de la "rumpus room", ou encore des sbires costumés (littéralement, là aussi) de Schrunk. L'attitude du milliardaire est glaçante, ses commentaires renvoient - évidemment - à des personnalités publiques actuelles bien connues, et l'humour noir de Russell n'a peut-être que rarement été aussi glaçant. L'auteur s'attaque ici au phénomène de résignation de masse tel qu'on l'observe dans nos sociétés, appliqué à une toute petite échelle, ou même devant la perspective d'être réduit en bouillie pour servir d'ingrédient à une crème cosmétique, personne ne semble se dire qu'il est possible de s'en sortir. Sur le plan graphique, rien à redire : Ramon Rosanas est excellent et précis dans son dessin, le découpage est aéré et fait qu'on lit ce premier chapitre assez rapidement, et du côté des personnages, chacun a sa personnalité et se montre immédiatement identifiable.
Il faut admettre qu'il y a un léger sentiment de "déjà-lu" au sortir du premier chapitre de Rumpus Room, même si Mark Russell se montre beaucoup moins drôle qu'à l'habitude. Ou du moins, c'est que les évènements présentés sont si noirs qu'il est difficile d'esquisser un sourire, même si certains échanges ont cette tonalité absurde que l'on connaît si bien au scénariste. A voir si une touche d'espoir doit arriver au fil des numéros, pour ne pas finir une lecture complètement déprimé et horrifié de l'état du monde tel que présenté, par la métaphore, dans cette bande-dessinée. Les fans purs et durs seront au rendez-vous parce que Mark Russell reste un bon auteur quoiqu'il en soit, même s'il a pu se montrer plus original par le passé.