Présent parmi les invités de la Heroes Comic-Con 2023 qui s'est tenue fin septembre à Bruxelles, le dessinateur André Lima Araujo, à qui l'on doit quelques superbes travaux en creator owned tel que Generation Gone, Une Soif Légitime de Vengeance et Phenomena - dont on a appris entretemps la venue en VF -, a accepté de se prêter au jeu de l'interview avec nous. Nous abordons donc comme nous en avons l'habitude plusieurs aspects propre à la création et au dessin de comics indépendants, dans une entrevue qui, on l'espère, vous donnera envie de découvrir son travail si ce n'est pas encore fait.
Pour celles et ceux que ça intéresse, la version audio de cette interview est également disponible au format podcast, via le média First Print. Un épisode à réserver aux anglophones, évidemment ; sinon, le reste est à dérouler ci-dessous !
Remerciements : Rémi Lach, David Macho Gomez et Antoine Boudet.
C’est un plaisir de t'avoir avec nous, André Araujo. Je commence toujours avec une question assez générale : peux-tu te présenter rapidement et nous raconter la manière dont tu as rejoint l’industrie du comic-book ? Etais-tu lecteur à la base ?
Oui, j’en ai toujours lu et j’en ai même toujours dessiné quand j’étais enfant. D’aussi loin que je me souviens, c’est-à-dire avant même que je sache lire, ma mère me lisait les bulles de vieilles bandes dessinées Disney comme Donald Duck. Je lisais absolument tout quand j’étais enfant : Lucky Luke, Astérix, tout ce que faisait Mœbius, Blueberry, beaucoup de Marvel Comics également. J’ai toujours été à fond dans la bande dessinée. J’ai ensuite découvert les mangas : Ghost in the Shell, Akira, toutes ces œuvres. J’étais adolescent, ça m’a complètement époustouflé et ça a tout changé pour moi. Parce que je suis né au Portugal, un petit pays, en 1985 et que les réseaux sociaux n’existaient pas vraiment quand j’étais au collège, il n’y avait pas de chemin tout tracé pour devenir un artiste de bande dessinée, ce que je voulais faire...
Tu n'as pas pu prendre de cours d'arts appliqués ?
Je suis architecte. J’ai passé mon diplôme et j’ai travaillé 4 ans en tant qu’architecte. Mais, quand j’ai fini mes études, Twitter était en pleine effervescence et j’ai pu rencontrer un certain nombre d’éditeurs et d’artistes grâce à ça. Ce qui me semblait assez lointain était tout d’un coup très proche. Heureusement pour moi, quand j’ai eu mon diplôme d’architecture, C.B. Cebulski était en visite au Portugal pour la Comic-Con locale. Je l’ai rencontré, je lui ai montré mon travail et il l’a assez apprécié pour me donner son adresse. Mon taf était assez merdique à l’époque (rires) mais assez intéressant pour qu’il me donne son mail. Dans les grandes lignes, c’est comme ça que ça s’est passé. J’ai quand même bossé pendant 4 ans en tant qu’architecte mais à cette époque je voulais devenir dessinateur de comic-book plus que tout.
J’ai donc continué à dessiner des petites choses, à créer des histoires, à envoyer des essais à Marvel, aussi pour pouvoir évoluer en tant qu’artiste. Je savais que j’étais suffisamment bon parce que dans le cadre de mes études on apprend à être très autocritique de son travail. Ça m’a beaucoup aidé à devenir un dessinateur compétent plus rapidement que si je n’avais pas cette capacité d’autocritique. J’ai ensuite pu commencer ma carrière d’artiste de bande dessinée chez Marvel. Si je devais faire une courte introduction de moi-même : j’ai travaillé pour Marvel quelques années où j’ai dessiné à peu près tous les super-héros auxquels vous pouvez penser, mais mon envie a toujours été de faire des créations originales. Quand j’étais chez eux, j’ai pris quelques jours de congé pour écrire et dessiner un livre qui s’appelle Man Plus, puis j’ai créé Generation Gone avec Ales Kot et, enfin, j’ai fini par ne travailler que sur mes propres créations, avec Brian Michael Bendis sur Phenomena et Rick Remender sur A Righteous Thirst for Vengeance.
Quand tu étais chez Marvel, tu dis que tu as dessiné tout ce qu’il était possible de dessiner. As-tu eu la liberté de choisir les projets sur lesquels tu allais travailler ou tu pensais juste « ok, je dois dessiner, je dois dessiner, je dois dessiner » pour te faire ton propre nom par la suite ?
Un peu des deux. Je prenais le travail qui se présentait parce que je souhaitais me faire un nom, comme vous avez dit, pour m’imposer quelque peu, parce que j’ai commencé directement chez Marvel mais personne ne me connaissait avant. La plupart des artistes ont fait une création originale, ils ont une petite communauté de lecteurs, les gens les connaissent. Je n’avais rien de tout ça. J’ai dû trouver du travail, c’était ma priorité numéro un au tout début, mais l’une des choses que j’ai demandées dès le départ était « donnez-moi une série mensuelle » parce que je savais que j’étais assez rapide pour le faire. C’est pour cela que quelques mois après, peut-être quatre, ils m’ont donné Avengers AI, que j’ai dessiné pendant à peu près un an et onze numéros. Ensuite, j’ai directement demandé Spider-Man, qui est mon super-héros préféré, et j’ai pu le dessiner. Ils ne m’ont jamais donné la série principale, qui est celle que je voulais, mais ils m’ont donné des spin-offs comme la série Spidey, puis Spider-verse. Parfois, ils me proposaient plusieurs trucs et je devais choisir. Mais le choix était évidemment limité dans ce qu’ils m’offraient par rapport à ce qui était disponible à l’époque, donc ce n’est pas comme si j’avais eu une très grande liberté.
Tu ne dirais pas que travailler à la demande te plait donc. C’était surtout une étape par laquelle tu devais passer pour arriver à tes fins.
Oui, c’est comme ça que je l’ai vue, mais je l’ai prise très au sérieux. Je dessinais du mieux que je pouvais, mais mon but a toujours été de faire la transition sur des créations originales. Je ne dis pas que je ne dessinerais plus jamais de super-héros, mais j’ai du mal à comprendre que tu puisses vouloir être créateur de bandes dessinées sans ressentir le besoin de créer tes propres histoires. Pour moi, la motivation principale de tout artiste devrait être de créer ses personnages, de raconter leurs histoires. En tout cas, ça a toujours été mon objectif principal. Travailler pour Marvel était très sympa, les gens y étaient très gentils, je me suis toujours senti très à l’aise avec des éditeurs très accommodants. J’ai travaillé avec d’excellents scénaristes, coloristes, lettreurs, des équipes formidables… mais je travaillais sur des personnages qui ne m’appartenaient pas, des créations d’autres personnes qui laissent peu de place pour pleinement s’exprimer. À partir du moment où tu peux imaginer ton propre monde, tes propres personnages, ta propre histoire, où tu peux décider du moment où un personnage va mourir, par exemple… Bon, pas tellement sur Phenomena, parce que ce n’est pas ce genre de bouquin, mais sur Righteous Thirst, qui est un livre violent, sa nature demandait que les actions entraînent des conséquences donc le personnage doit mourir. Quand nous avons pris cette décision, c’était très difficile. Nous en avons discuté longuement Rick : où, quand et pourquoi il doit mourir. Ce genre de travaux est très enrichissant en tant que créateur parce que tu ressens vraiment le poids de l’histoire et, soudain, un personnage que tu as imaginé et sur lequel tu as travaillé si longtemps n’est plus. Chaque décision, chaque étape, porte un poids complètement différent. Tu dois travailler sur ta capacité à garder le contrôle de toutes les étapes de création d’un comic-book sans pouvoir se reposer sur le design de quelqu’un d’autre. C’est juste toi et toi-même. Il y a forcément plus de pression, mais en même temps, c’est ce que j’aime.
J’imagine que c’est plus gratifiant également.
Ah oui, évidemment, comme je disais, les sentiments sont sans comparaison quand tu décides de l’histoire, que tu vois que les conséquences payent, que tu as des retours des lecteurs. Par exemple, les gens devenaient fous avec Righteous Thirst à cause des cliffhangers que l’on mettait à la fin de chaque numéro. C’est un sentiment formidable en tant que créateur parce qu’on faisait ça intentionnellement, pour faire monter la tension. Quand tu comprends que ça marche et que tu as les retours du lectorat, c’est super gratifiant.
A Righteous Thirst for Vengeance est ta création la plus cinématographique. J’imagine que c’était conscient de faire ces grandes cases rappelant le cinéma coréen.
Oui, Rick et moi adorons le cinéma. On en parlait tout le temps. L’idée d’un point de vue très cinématographique, c’est dans mon sang en tant que narrateur. C’est la façon dont je conçois la bande dessinée : je me demande toujours « si je place le cadre ici, il va prendre ceci, cela et cela ». Je dessine toujours le background, les décors, ce qu’il y autour du personnage, j’imagine le positionnement dans l’espace des personnages par rapport aux autres choses et j’essaye de le montrer aux lecteurs pour qu’il puisse comprendre, pas seulement à quoi ressemblent les personnages et leurs postures, mais aussi à quoi ressemble la pièce autour d’eux, sa taille, si c’est une rue : est-elle occupée ou non ? En gros : Donner une bonne idée de ce qui se passe dans cette BD et je pense que c’est une manière assez cinégénique de voir les choses. C’est vraiment l’école européenne, je pense. La méthode américaine est bien différente au plus profond de ses traditions. Notre manière européenne de faire est plus naturelle je dirais, avec cette idée de poser la caméra et de voir ce qu’elle voit. On peut voir ça chez Moebius, chez Hermann, un de mes préférés et une de mes références. Donc, ça a toujours été là. Et vu que Rick et moi adorons le cinéma, nous discutions références cinématographiques toute la sainte journée pour certains plans, certaines scènes aussi. Pour savoir comment nous allions résoudre une scène, on discutait « dans ce film, ils ont fait comme-ci, dans celui-là, ils ont fait comme ça » mais aussi dans d’autres livres. Mais oui, la dimension cinématographique me tient particulièrement à cœur.
As-tu eu de quelconques contraintes sur le niveau de violence de Righteous Thirst ? Parce que, comme tu l’as dit, c’est vraiment vraiment sanglant…
De toute évidence, je n'avais aucune contrainte (rires) c’est incroyablement violent. Mais ce n’est pas violent juste pour être violent. Nous avons essayé de montrer un monde violent. Pour cela, il y a des zones où nous nous devions d’aller pour montrer que, même si une personne normale n’en fera jamais l’expérience, ce genre de choses existe et qu’elles sont importantes à traiter dans ce bouquin afin de donner le sentiment de gravité dont l’histoire a besoin et ainsi comprendre le niveau de danger. Si vous n’avez jamais lu la BD, c’est l’histoire d’un homme qui tombe sur un tueur à gages et qui va le poursuivre afin de comprendre pourquoi il tue la personne qu’elle essaye d’assassiner, mais aussi essayer de l’arrêter. Il va être complètement dépassé. Il commence à se sentir totalement submergé par les circonstances parce que ce n’est pas un tueur expérimenté et il va se battre contre des gens vraiment très dangereux.
Nous avons mis un point d’honneur à bien montrer que nos actions ont des conséquences, autrement l’histoire n’aurait pas le même poids. Si vous vous retrouvez dans ce genre d’univers, il va y avoir des conséquences qui risquent d’être douloureuses et affreuses. Il y a une énorme violence à assumer et à payer pour ce qu'il essaye de faire, ce qui est pourtant la bonne chose à faire. On se devait de le montrer. Nous n’avions aucune limite. Nous avons discuté de ce que nous allions faire. Quand Rick m’a dit « est-ce que tu es d’accord pour dessiner ça ? » je lui ai dit oui et je lui ai expliqué ce que j’allais dessiner afin qu’il soit le plus à l’aise possible. Quelques pages ont été douloureuses à dessiner, notamment une scène de torture impressionnante dans l’épisode 8 mais curieusement ce n'était pas la chose la plus difficile à dessiner.
Le plus dur : c’était l’enfant qui est en danger. On est assez sensible là-dessus, la violence envers des enfants n’est pas particulièrement intéressante à regarder et je pensais qu'il fallait éviter ce genre de choses. Mais, finalement, c'est vraiment de cela qu'il est question dans ce récit. Cela étant, l’enfant n’est pas violenté, mais il est en danger et tu le ressens car il est totalement sans défense. C’était le plus dur à dessiner : l’enfant, seul, poursuivit, ce genre de trucs.
Comment rentre-tu en contact avec les scénaristes de tes créations originales ? D’Ales Kot à Rick Remender en passant par Brian Michael Bendis…
La plupart de ces contacts viennent de Twitter, que l’on appelle maintenant X…
Twitter a été très utile finalement.
Ah oui, pour moi, Twitter a joué un rôle crucial dans ma carrière. Par exemple, Rick Remender et moi sommes en contact depuis plusieurs années et nous avions l'intention de faire quelque chose ensemble. Je crois que c’était autour de 2015-2016 qu’il m’a suivi sur Twitter, je le suivais déjà en tant que professionnel, et je me rappelle lui avoir envoyé un message pour lui dire « hé, j’aime vraiment votre travail » parce que, lorsque des gens que j’adore me suivent comme des scénaristes dont j’apprécie le travail, je vais toujours les contacter par DM, ce que tu peux faire uniquement si vous vous suivez mutuellement. Je lui ai donc envoyé un message pour lui montrer quelques planches de mes propres créations. J’ai fait beaucoup d’histoires que je n’ai jamais publiées car j’essayais de les concrétiser. Je lui ai montré ces planches et on a commencé à parler de faire quelque chose ensemble parce qu’il a aimé ce qu’il a vu. Ce fut le coup d’envoi de ce qu’allait devenir A Righteous Thirst for Vengeance. On devait le faire vers 2018-2019, mais il a dû faire Deadly Class, l’adaptation TV et la version BD en même temps, donc il ne pouvait pas se lancer dans un nouveau projet.
C’est pourquoi j’ai fait Phenomena. Dans ce cas-là, Brian m’a contacté sur Twitter également parce qu’il voulait que je fasse un segment de Millenium, qui était ce qui allait lancer sa nouvelle série Legion of Super-Heroes. Chaque segment était réalisé par un gros nom, et je ne suis pas sûr de pourquoi il m’a choisi pour en dessiner un parce que je n’avais jamais travaillé pour DC à ce stade. Ça s’est donc aussi passé sur Twitter. Pour Ales Kot, c’était sur Tumblr je crois. J'ai ce besoin de faire beaucoup de réseautage via les réseaux sociaux parce que je vis au Portugal et que c’est très compliqué et très cher de me rendre aux USA. Je suis allé à la New York Comic Con ma première année en tant que dessinateur professionnel, où j'y ai rencontré des gens et pris des contacts qui me sont encore utiles aujourd'hui. J’y suis retourné deux fois en 2014 et 2015, j’y ai rencontré d’autres gens mais, finalement, la plupart des contacts proviennent de ma capacité à les joindre en ligne.
Parlons un peu de Phenomena. Tu m'as dit que ce sera publié en France, même si on ne peut pas encore dire par qui, mais qu’importe [rajout : c'est donc chez Urban Blast] : c’est un récit pour lequel tu as dû créer un tout nouveau monde. En comparaison avec Righteous Thirst ou Generation Gone où on est sur Terre, là c’est un endroit totalement nouveau. Comment as-tu travaillé là-dessus avec Brian Michael Bendis ?
C’était une méthode assez intéressante. La plupart de ce genre de collaboration commence avec le scénariste qui vient te voir en te disant « j’ai une grande idée, je pense que tu seras parfait pour ça » puis il te l’explique et tu as juste à dire oui ou non. Dans ce cas-là, nous voulions travailler ensemble mais nous ne savions pas sur quoi. Nous avons fait cette histoire sur Millenium, nous avons vraiment apprécié, et nous avions envie de faire quelque chose d’autre. Et il m’a demandé : « tu veux travailler pour DC ? Batman ? Superman ? » Je lui ai répondu non, que je ne voulais rien de tout ça car je faisais déjà du super-héros depuis un moment. Je préférais faire quelque chose d’original. Nous avons donc commencé à réfléchir à ce qu’on allait faire avant que Brian ne voie tous mes travaux originaux non publiés. Il m’a dit « oh ! tu as une si grande imagination, on peut peut-être utiliser tout ça ensemble ! » du coup je lui ai demandé « qu’est-ce que tu veux dire par là ? » et il m’a répondu « faisons quelque chose de complètement nouveau ! » avant de m’envoyer une phrase d'accroche et quelques lignes.
Il a essayé de m’expliquer ce qu’il voulait, mais nous ne trouvions pas de terrain d’entente, donc je lui ai rétorqué « écoute, laisse-moi juste créer quelques personnages et quelques lieux à partir de tes phrases », un peu comme des concepts art pour un film ou pour un script, ce dernier n’existant pas encore à ce moment-là. J’ai donc commencé par dessiner quelques personnages, quelques paysages. J’ai dû faire une quarantaine de dessins préparatoires pour une histoire qui n’existait toujours pas. Ma seule préoccupation était de respecter l’accroche qu’il avait écrite, afin que tout puisse s’agréger autour de quelque chose et que, visuellement, tout était cohérent ensemble. Ce qui donne quelque chose de post-apocalyptique et science-fiction mais avec parfois une touche de fantasy. Cette association d’éléments donne un sentiment d’aventure très fantaisiste, sans être très violent. Nous nous sommes soudainement retrouvés à écrire des choses à partir des dessins que j’ai réalisé. Nous avons eu le sentiment de faire quelque chose pour tous les âges et je me suis senti particulièrement inspiré par les RPG japonais comme Final Fantasy, Dragon Quest…
…Nier Automata peut-être… ?
Non, pas à ce moment-là, en réalité, mais beaucoup de références japonaises que Brian n’avait pas et que j’avais. Ce qui est amusant, c'est qu'il a apporté toutes sortes d’influences, comme Star Wars ou Indiana Jones, que j'adore également, mais ensuite je suis arrivé avec de nombreux artworks inspirés de jeux vidéo ainsi qu’avec l’idée des personnages et cette sensation d’un monde qui est presque comme dans un RPG dans lequel tu peux t’amuser mais aussi participer à des combats. Nous avons fusionné nos influences, qu’elles viennent des années 70, des années 80… avec les miennes, qui viennent des années 90 car je suis un peu plus jeune.
Donc, ce que nous avons fait, c’est que j’ai fait tous les designs sans qu’il me dise grand-chose. Par la suite, il a écrit une histoire et un synopsis sans que je lui dise grande chose. Puis cette chose est revenue vers moi pour que je commence la mise en page… C’est comme un match de ping-pong entre lui et moi, où nous avons une liberté créative totale, à part si l’un d’entre nous n’est pas à l’aise avec un élément, comme moi qui pourrais dire « je ne veux pas dessiner ça ». Par exemple, il va me demander de dessiner un personnage avec un chien, puis je trouve que pour la scène c’est peut-être un peu trop, du coup j’enlève le chien et je garde le personnage. Des petits ajustements comme ça. C’est un aller-retour totalement libre artistiquement entre nous deux, où nous créons par-dessus ce que l’autre a imaginé.
Cela semble être un processus de travail assez chronophage. Combien de temps as-tu travaillé sur Phenomena ?
Je suis assez rapide pour faire des designs. On a fait un mois de pure création, à faire des dessins, des scripts, des notes… On a commencé à travailler en 2019. Il m’a fallu une année pour dessiner le premier livre. Ensuite, j’ai fait Righteous Thirst pendant un an et demi. Puis, depuis un an, je suis de retour sur Phenomena. J’ai déjà dessiné le deuxième livre, et là je dessine le troisième. Pour gagner du temps, nous allons entrer dans une autre phase de Phenomena. Avant que Brian n’écrive la suite, il veut voir ce que je vais faire dans le livre trois. Mais au lieu de lui montrer des designs, je vais lui montrer directement dans une case. Je mélange parfois les étapes pour gagner du temps. Beaucoup de choses sont même imaginées au dernier moment, parce que c’est lié au propos de l’histoire et du bouquin, cette liberté totale d’imagination.
Tu as parlé de tes influences japonaises, que l’on peut voir dans les dessins puisque c’est en noir et blanc, avec les trames pour les zones de gris… C’était une décision créative dès le début ?
Yeah. À vrai dire, c’est Brian qui l’a suggéré. J’ai toujours voulu faire une BD en noir et blanc. J’ai essayé avec Man Plus, mais l’éditeur ne voulait pas. Brian l’a suggéré parce que mes travaux non publiés qu’il a vus étaient en noir et blanc et qu’il trouvait ça si cool, si viscéral, qu’il me l’a proposé. J’ai pensé que c’était le moment parfait pour utiliser quelques-uns des tons qu’ils utilisent en bandes dessinées japonaises. C’est ce qu’on a fait et ça a été très bien reçu par la maison d’édition Abrams et notre éditeur Charlie Kochman. Ils étaient très enthousiastes. C’était donc une décision créative que l’on a eu à prendre et que nous adorons.
C'est toi qui décide du rythme des pages ? Parce qu’il y a beaucoup d’alternance entre des grandes cases impressionnantes et des séquences d’actions qui peuvent parfois être découpées en vingt cases.
C’est moi et Brian, ensemble. Parfois, il veut me donner de l’espace pour faire de grandes doubles pages parce que l’histoire le demande et que c’est un vaste nouveau monde, contrairement à Righteous Thirst, qui est un livre contemporain. Je crois qu’il n’y a qu’une seule double page de toute la série. Phenomena mérite ce genre de pages. Il écrit d’une manière particulière, et je m’adapte. Il écrit case par case en général, mais pour les scènes d’action, il écrit que sur 4 ou 5 pages ils se battent, et je trouve le rythme moi-même. Les choses qu’il écrit, qui sont divisées en cases, j’ai pris l’habitude de les ajuster parce que lorsque je dessine c’est différent que lorsqu’il écrit. J’ai besoin de m’occuper du rythme, donc parfois je fais plus de cases, parfois moins, tout dépend du déroulement de la scène. Je décide par rapport à la scène en elle-même, à ce que je pense que la scène a besoin en matière de rythme, puis je lui montre sur une page pour voir s’il y a des changements à faire. En général, il n’y a que de micro changements à faire, donc ça va.
Que peut-on attendre du deuxième livre qui devrait sortir tout bientôt… ?
Oui, je ne sais pas, ça devrait sortir dans quelques mois. Le second livre est celui où nous creusons l’histoire et les liens entre les trois personnages principaux : Boldon, Spike et Matilde. Nous avons gardé le même type d'aventure que l'on peut lire dans le premier livre. C'est focalisé sur un seul endroit, qui est Londres, une nouvelle version évidemment puisque c’est notre monde mais vous devriez reconnaître la ville anglaise. L’histoire va vraiment vers quelque chose de très british, donc nous avons changé légèrement le ton. Ce livre est vraiment concentré sur Matilde et il met en place le troisième qui devrait lever le voile sur ce qu’est vraiment le Phenomena.
Merci beaucoup André !
Merci à toi !