Bienvenue dans une nouvelle édition du Cahier Critique VF. Cette chronique est à lire en parallèle de nos Critiques Express VO, et comme son nom l'indique, son but est de vous proposer à intervalles réguliers des avis sur des sorties VF plus ou moins récentes. Notre vocation est de montrer l'incroyable diversité des genres dans la bande dessinée américaine, en mettant autant que possible en avant ce qui nous paraître être bon, qu'il s'agisse de super-héros ou de comics indépendant. Nous nous autorisons à aussi à faire figurer dans le Cahier Critique de la bande dessinée de genre venue de France ou d'Europe, dont nous pensons qu'elle pourra certainement plaire à celles et ceux qui parcourent nos colonnes. Bonne lecture !
Au programme de cette nouvelle fournée - tardive, il faut que la mécanique se rode pour que le rendez-vous du Cahier Critique VF trouve vraiment sa régularité -, pas mal de fantasy, quelques touches de super-héros et de la BD qui va lorgner du côté de Batman sont au programme. N'hésitez pas à nous faire part de vos propres lectures récentes !
Sorti en fin d'année dernière, Kroma est la preuve s'il en fallait de tout le talent de son auteur, Lorenzo De Felici, à savoir manier l'art du scénario autant que le dessin. L'italien a déjà pu se faire remarquer au cours des années passées avec son très sympathique travail sur Oblivion Song, en compagnie de Robert Kirkman, et d'ailleurs le travail sur cette série a eu une incidence conséquente sur le projet Kroma. En post-face, l'auteur explique qu'à la base, cette histoire visait le marché franco-belge (ou du moins européen) et n'avait pas trouvé preneur. En travaillant ensuite pour les Etats-Unis, avec le découpage et la narration particulière liée au format des single issues, De Felici a revu sa copie pour donner à Kroma une autre allure. Et tout est réussi.
Bienvenue dans la Ville Pâle, où l'humanité s'est recluse après qu'une divinité des couleurs a envoyé sur Terre d'affreux monstres contre lesquels la seule façon de survivre est de ne plus porter de couleurs. Dans cette cité où tout le monde ne vit plus qu'en niveaux de gris, chaque année, un rituel est donné par l'ordre religieux qui organise toute la société. Un oeuf noir duquel un monstre tout de noir vêtu éclot, et les habitants le pourchassent et le rouent de coup. Le jeune Zet s'aperçoit que la créature n'est en réalité qu'une jeune fille, Kroma, elle-même persuadée d'être un monstre. Leur envie de liberté va les emmener dans un périple on ne peut plus dangereux. Et nous n'irons pas plus loin dans le pitch pour ne rien spoiler puisque dès le second numéro, Lorenzo De Felici prend des paris narratifs très risqués, dont il assume les conséquences sans jamais défaillir.
On note trois aspects en particulier qui font de Kroma une véritable réussite. D'une part, la maîtrise du rythme et des rebondissements. Le dessinateur a tout intégré des mécaniques de narration à l'américaine et dose les surprises de façon redoutable, et surtout sans artifices. Un cliffhanger sur la conclusion d'un chapitre aura un vrai payoff sur l'ouverture du suivant, le statu quo est bouleversé à plusieurs reprises et les personnages ont une destinée qui les fait rapidement sortir des chemins balisés auxquels on pourrait légitimement s'attendre au vu du pitch et des séquences d'introduction. Les quatre numéros ont une pagination importante et l'auteur a donc la place à la fois de faire vivre ce qu'il souhaite à ses héros - surtout son héroïne en l'occurrence - tout en dépeignant un monde qui appelle à l'aventure. Le second point vient avec le titre - Kroma, donc - et l'utilisation des couleurs qui est faite tout au long de la bande dessinée. Il ne s'agit pas que d'un gimmick pour opposer la ville à la nature puisque les couleurs auront une réelle signification dans la trajectoire des protagonistes puisqu'elles dictent réellement le fonctionnement de ce monde. C'est d'une logique redoutable, parfois très malin, et permet même d'avoir une propre réflexion sur l'impact concret que les couleurs peuvent avoir dans notre approche de la bande dessinée, ou tout simplement dans notre quotidien.
Trois aspects ? Mettons quatre, plutôt. Car le message de Lorenzo De Felici au-delà de son aventure de fantasy est percutant et on ne peut plus pertinent vis-à-vis de l'époque qui voit Kroma être publié. On ne va pas vous faire de dissertation ou relier des points : mettons que l'artiste est italien et que le bouquin parle d'isolationnisme, met en scène un culte qui gouverne en inculquant la peur de ce qui existe au-dehors, quitte à user d'une violence extrême. Le discours et l'allégorie son assez évidents, mais il y a tout une dimension plus à échelle humaine qui se dessine également dans les rapports à Kroma à certains de ses antagonistes. Sur les histoires qu'on se raconte, sur l'importance du mensonge, sur le fait de rapporter à l'extérieur les fruits de ses démons intérieurs. En somme, une oeuvre multi-couches qui gagne à être parcourue à plusieurs reprises. Enfin, et il aurait peut-être fallu commencer par là, Kroma est tout simplement splendide. Outre l'utilisation intelligente des couleurs, l'album offre de splendides paysages, des scènes d'actions spectaculaires, des créatures impressionnantes, des passages chocs. On est dans de la pure fantasy qui plaira à n'en pas douter à celles et ceux que CODA, Saison de Sang ou Isola avaient pu charmer.
Le seul défaut de Kroma pourrait être son aspect auto-contenu alors que le récit donne envie d'une suite ou que le monde aurait pu appeler à être encore plus exploré. Le travail de Lorenzo De Felici est néanmoins si satisfaisant sur tous les aspects que râler serait vraiment faire la fine bouche, et il ne reste qu'à espérer qu'après avoir rempilé sur Void Rivals, l'artiste se trouve le temps et l'énergie de créer à nouveau comme il a pu le faire par ici.
Arno Kikoo
- Vous pouvez commander Kroma à ce lien !
Si la lecture de comics au format VF a tendance à diminuer le côté feuilletonnant des séries régulières, du côté de Batman, la série principale s'est montrée de moins en moins digeste. Bruyante, extravagante, avec un Chip Zdarsky qui s'éparpille dans des directions vers lesquelles on ne l'attendait pas. Non pas qu'il ne faille pas vouloir créer la surprise, mais plutôt parce qu'on ne l'attendait vraiment pas là. En parallèle, la lecture autour du Chevalier Noir la plus réjouissante, quand elle ne se retrouve pas en DC Black Label, nous vient de l'actuel run de Ram V sur Detective Comics. L'opéra gothique du scénariste indo-britannique montre que l'auteur, lorsqu'on le laisse faire, est tout autant capable de miracles en mainstream que ce qu'il fait déjà en indé'.
Ce qui fait du bien avec ce second tome de Batman Nocturne, c'est le rythme général de cette intrigue, qui se savoure sur le temps long. Ram V installe ses pions petit à petit, sans précipitation, et c'est de façon méticuleuse que l'on voit le piège se renfermer sur Bruce Wayne ainsi que sur Gotham City. Le clan des Orgham a toujours ses vues sur la ville et entend bien reprendre le contrôle sur l'Asile d'Arkham tout en mettant à sa solde les vilains qui occupent déjà le terrain. On apprécie notamment la façon dont Double-Face tente de garder le contrôle en sombrant lentement dans la folie, et comment le surnaturel s'intègre dans l'ensemble de cette forme de valse où les couples se font et se défont, dans un ballet à l'issue imprévisible. Le scénariste manie de façon habile les retournements de situation et si le rythme assez lent de l'histoire est certainement plus pesant en VO, ici cette impression de calme (et de maîtrise) fait du bien. Seule frustration, évidemment, la lecture se montre comme pour le premier tome assez rapide, et c'est le délais entre chaque tome chez Urban Comics qui entraîne un peu de frustration. Mais pour la bonne cause : car c'est que ce qui est lu est bon.
D'un point de vue graphique également, Batman Nocturne continue de se montrer très convaincant. On ne retrouve Ivan Reis que sur trois des cinq numéros compris dans l'album, et le dessinateur brésilien est comme toujours très en forme - en réalité, il n'a jamais faibli ces dernières années, c'est même l'inverse. Habitué aux intrigues de blockbusters explosifs, on le voit se renouveler en allant du côté du Bat-verse. Le résultat était déjà impressionnant sur le One Bad Day : Ra's Al Ghul avec Tom Taylor, ici on le sent se faire plaisir avec des planches où l'artiste mise tout sur l'ambiance, à grands coups d'aplats de noir. Quand Stefano Rafaele ou Dexter Soy prennent la relève, le résultat n'est pas forcément déplaisant mais c'est l'unité graphique qui en pâtit.
Batman Nocturne reste pour le moment la lecture que l'on préfère dans le pan des séries "Batman" sensu stricto, et c'est peut-être ce type d'intrigue conspirationniste qu'on aurait aimé voir par Chip Zdarsky. Fort heureusement, Ram V est là pour donner envie de replonger dans Gotham City à intervalles réguliers, bien aidé par la ribambelle d'artistes qui viennent l'épauler. Seule ombre au tableau : l'album est sorti à l'automne dernier, et il faudra encore patienter jusqu'au 15 mars pour avoir la suite. Courage à tous les impatients qui n'ont pas l'option de la VO pour eux.
Arno Kikoo
- Vous pouvez commander Batman Nocturne Tome 2 à ce lien !
Démarré en 2006, le projet Mythos initié par Marvel avait pour vocation, à l'époque, de proposer aux personnes découvrant les films de super-héros de plus en plus nombreux des numéros en forme de porte d'entrée. L'idée pour le scénariste Paul Jenkins est de reprendre certaines des histoires les plus connues de super-héros iconiques et de les re-présenter avec une narration plus moderne que celle d'antan. Jenkins est accompagné de Paolo Rivera sur cette entreprise, qui ne durera que six numéros au lieu des huit prévus initialement. L'ensemble de ces one-shots se voit réédité au format Must Have chez Panini Comics et force est de constater que l'ensemble est toujours aussi agréable à lire qu'à l'époque.
Le projet en tant que tel trouve plus de pertinence sous la forme des single issues, dans l'idée où Marvel aurait pu adopter un modèle unique en gardant ces numéros à disposition permanente des shops, façon "point d'entrée" intemporel menant ensuite accès à toutes autre formes de lectures. Paul Jenkins réalise un joli travail de modernisation, en termes de narration, de récits publiés pour certains plusieurs décennies auparavant et qui sont forcément plus difficiles à aborder aujourd'hui si on n'est pas un amateur ou une amatrice de comics old school. Parfois, la raison tient même dans l'espace relativement court que les auteurs avaient pris pour dépeindre une origin story, Jenkins prenant tout un numéro pour mieux élaborer certains éléments de caractérisation. Dans le cas de Spider-Man, qui est au final peut-être le numéro le moins intéressant tant ses origines ont été narrées de toutes les façons, l'exercice apparaît assez sommaire, mais la lecture se montre bien plus intéressante par la suite.
On retiendra surtout le numéro sur Hulk, qui va très loin dans la psyché de Bruce Banner et montre la fragilité de l'homme en proie à ses colères et sa rage intérieure, qui finira par exploser (littéralement) par après. La façon dont le récit de Captain America est lui aussi retouché pour être plus en accord avec le début du 21e siècle (plutôt que les années 1960 à l'époque de sa sortie des glaces par Stan Lee et Jack Kirby) ancre ce héros dans notre ère et permet de mieux comprendre tout ce qui fait la saveur d'un Steve Rogers, même près de quinze ans après la sortie initiale de ces numéros. Du point de vue artistique, les pages peintes de Paolo Rivera sont tout simplement sublimes, et d'aucun pourront y trouver un air d'Alex Ross, en plus dynamique, avec des personnages qui sont moins figés, et une séquencialité mieux travaillée. Les héros de la Maison des Idées ne sont pas statiques et leurs actions comme leurs humeurs transparaissent sous les pinceaux, et la technique employée participe également à donner une forme d'intemporalité à ces numéros.
Mythos mérite donc dans sa proposition ce statut d'incontournable et aurait vraiment mérité d'être mis en avant si la ligne Must-Have avait réussi à tenir sa grille tarifaire. Lors des premiers albums, un tel ouvrage aurait été proposé pour 15€, un tarif qui aurait concilié à la fois curieux et les amateurs connaissant la qualité des dessins de Rivera. A 19€ actuellement, il y a fort à parier que ce seront plutôt la seconde catégorie de lecteurs qui ira s'y intéresser.
Arno Kikoo
- Vous pouvez commander Mythos à ce lien !
Dans le suivi d’un long travail de recherche pour rééditer sur le marché français l’oeuvre du dessinateur Richard Corben, les éditions Delirium ont fini par remonter le courant jusqu’au point d’origine. Jusqu’à Den, donc, adaptation ou poursuite du court-métrage Neverwhere au format comics. Il s’agit cette fois de l’un des plus anciens projets de l’artiste vedette, et d’une sorte de bible pour comprendre son univers à part. Ce qui signifie forcément que celles et ceux qui n’ont jamais réussi à accrocher aux lubies ou au coup de crayon assez particulier de Corben devraient encore une fois avoir du mal, dans la mesure où Den représente une sorte d’alpha et d’oméga dans la bibliographie de ce créateur à la mage. Un chaînon manquant dans une bibliographie unique en son genre, tant pour l’approche du scénario que du dessin. Cette fois, les hommages sont clairs, et le propos, plutôt accrocheur, tient sur une promesse toute bête : une plongée dans l’esprit de Richard Corben, qui exorcise ses passions personnelles (et son rapport à ses auteurs préférés) et ses pulsions sexuelles inassouvies. En somme, un produit unique en son genre.
Den suit l’histoire d’un jeune homme qui se retrouve propulsé dans un monde magique, dont la topographie et la concrétude tiennent de l’onirisme pur. “David Ellis Norman” est un héros comme les autres, très humain, très normal. Sans le vouloir, celui-ci va ouvrir un portail vers un autre univers. Et dans cet univers, il n’est plus “David Ellis Norman”. Il est Den, ou “DEN”, un grand garçon musclé, chauve, sans la moindre pilosité, et pourvu d’un énorme zguègue. Cette nouvelle réalité dans laquelle le héros va évoluer s’appelle “Neverwhere”, et condense tout un faisceau d’influences piochées dans les lectures de Corben lui-même : le cycle de Barsoom d’Edgar Rice Burroughs notamment (à savoir, la saga John Carter of Mars), les nouvelles de Robert E. Howard (Conan le Barbare) et Howard Phillips Lovecraft (on a un Cthulhu), et quelques référents plus généralistes. Le cinéma de Ray Harryhausen, les illustrations de Frank Frazetta, un médiéval fantastique parfois plus conventionnel qui sonne par endroits comme un Hobbit dénudé.
A travers ce monde que Corben compose comme une rêverie hallucinée, dans laquelle il déverse toutes ses passions personnelles, Den évolue comme un guerrier puissant… et un peu paumé. Souvent ahuri, incapable de justifier clairement sa position de héros ou sa place en tant que figure centrale face à l’intrigue (décousue) en distribuant les pains et enchaînant les conquêtes sexuelles. La définition même du “power fantasy”, quand un auteur se projette dans une figure de fiction au sein du monde qu’il reconstruit de tête, et où il devient lui-même le matériau fondamental de l’édifice. En somme, si Den comprend peut-être un peu trop de paires de seins au regard des standards modernes, c’est peut-être simplement parce que… Corben aime les paires de seins. Et dans la mesure où son héros et cette aventure sont une projection de sa propre psyché, celui-ci ne s’interdit rien, quitte à laisser une partie du public de côté. Une oeuvre caprice, mais aussi un exercice assez foisonnant dans l’étude presque consciente de sa propre capacité de créateur à bâtir tout un monde autour de son propre esprit. En un sens, Den peut même se regarder comme une sorte de tronc commun susceptible de résumer une bonne partie de la bibliographie de l’artiste, et où chaque oeuvre postérieure sera “une variation de Den” avec d’autres ingrédients, ou un autre dosage. Murky World peut se laisser apprécier comme une sorte de “Old Man Den” par un Corben plus âgé, mais toujours perdu dans le même monde, le même rêve. De la même façon que Bloodstar lui avait déjà permis de poser un pied dans l’univers de son idole Robert E. Howard, mais cette fois, avec un degré d’équilibre entre la part de l’écrivain et la part du dessinateur. On peut aussi penser à Monde Mutant ou à The Bodyssey.
Par-delà cet aspect d’oeuvre fondamentale, Den est aussi une féroce leçon de dessin. Et pas une leçon consensuelle, au demeurant. Les planches de cet album ne ressemblent à rien de connu : un aspect photoréaliste dans l’emploi des couleurs, qui rendent un effet de relief sur les chairs et les textures, juxtaposé à des structures corporelles plus caricaturales, plus cartoon. Un bestiaire surréaliste, dans des environnements qui poussent parfois au psychédélique. Le monde de Neverwhere a une gueule unique en son genre, dans sa collection d’emprunts digérés dans un moule à la fois cohérent et hallucinogène. Tout passe par l’atmosphère qui se dégage de ces scènes, dans les éclairages, l’emploi des décors, les mouvements des corps et ce qu’il peut avoir de comique dès lors que la gravité s’invite comme un effet d’animation sur toutes les proportions des anatomies à l’écran. Certaines pages sont silencieuses, presque cauchemardesques, d’autres sont chargées en action, riches et vivantes. La générosité des planches invite le lectorat à participer à ce voyage étonnant, où chaque nouvelle colline dissimule un autre environnement, une autre zone du cerveau de Corben à explorer, dans ce périple épique qui paraît ne jamais devoir prendre fin.
Là-encore, si ce coup de crayon ne correspond pas aux standards modernes (ou aux attentes d’un public élevé par une bande-dessinée plus standardisée), il convient de se mettre à la place du public qui avait, à l’époque, découvert ces premiers numéros. Pour réaliser l’incroyable découverte qu’a pu représenter Den face au classicisme des comics “en deux dimensions”, sur des aplats de couleurs unies, et dans la perspective plus académique des séries mainstream face à la révolution Métal Hurlant. Un gros morceau d’histoire, et enfin mis à jour grâce au travail du coloriste José Villarrubia, qui réalise la remasterisation de l’album à la commande des éditions Delirium.
Et s’il resterait sans doute des choses à dire, terminons là-dessus : si beaucoup de choses ont été dites sur le marché des comics en France ces quelques dernières années, on peut tout de même s’estimer heureux de vivre dans un présent où des équipes de passionnés, comme chez Delirium ou Komics Initiative, s’arrachent les cheveux pour produire les meilleurs albums possibles avec trop peu de moyens, et aucune garantie du retour sur investissement. Déjà avec Murky World, mais surtout avec Bloodstar, Delirium s’était distinguée en proposant un travail soigné - si soigné d’ailleurs que celui-ci représente une exclusivité française à l’heure actuelle - pour permettre à l’oeuvre de Corben de rester accessible aux lecteurs contemporains. Aussi, ne manquait encore que cette dernière pierre angulaire pour asseoir cette recherche longue de plusieurs années passées à honorer un géant oublié de l’industrie des comics, le commencement même de tout, l’origine du parcours : Den. Le colosse au gros zizi. Comme quoi. Il est parfois agréable de vivre dans le présent.
Corentin
- Vous pouvez commander DEN à ce lien !
Terminons cette nouvelle fournée du Cahier Critique avec une bande dessinée 100% franco-belge, mais qui mérite à notre sens tout votre intérêt - et trouve toute sa place dans notre ligne éditoriale. On vous avait présenté Gueule de Cuir il y a quelques mois puisque l'éditeur en parlait comme un "Batman à l'époque mousquetaires", et force est de constater qu'il pourrait tout à fait s'agir d'un Elseworld commandé par DC afin de replacer le Chevalier Noir au XVIIe siècle dans la capitale. Mais le projet de Pierre Pevel est plus original en ce sens qu'il est visiblement la première pierre d'une saga qui ne demande qu'à être développée. Dans ce passé mi-historique mi-fantastique, différentes factions occultes se sont formées autour d'un Zodiaque du Diable dont l'équilibre est menacé par certains membres qui souhaitent s'accaparer tout le pouvoir de leurs confrères.
Dans ce contexte, un duelliste professionnel, Jean-Phillipe Baptiste Gagnière, est envoyé dans une curieuse mission qui doit l'amener à protéger un homme masqué qui surgira devant lieu au milieu de la nuit. Jean-Phi a beau accomplir sa mission, il est tué par celui qu'il est sauvé et se voit être le nouveau porteur du masque de Gueule de Cuir, qui lui confère des aptitudes lui permettant de toiser Paris de haut et de se déplacer sans problèmes sur ses toits. Il part alors à la recherche du roi des tombes, autre membre d'une des triades du Zodiaque dont les projets obscurs passent par l'enlèvement et l'assassinat d'enfants. De quoi permettre à Stéphane Créty la mise en scène d'affrontements à l'épée assez spectaculaires - et assez violents - qui font de ce premier tome une bonne entrée en la matière. La série est prévue apparemment en trois tomes, et ce premier album se montre donc une introduction convaincante, qui se lit somme toutes assez rapidement compte tenu d'un rythme porté sur l'action. Les amateurs de franco-belge ne seront pas désarçonnés mais pour les personnes qui ont plus l'habitude des épais albums américains. Ceci dit, les grandes cases de l'artiste et sa mise en scène très cinématographique donnent envie de relire l'album, et on imagine que le titre pourrait aussi plaire aux fans d'Assassins Creed Unity.
En somme, une bonne découverte du côté de Drakoo, qui vient d'ailleurs à nous rappeler que les super-héros américains ont tout emprunté aux figures littéraires du vieux continent. En soi, Gueule de Cuir n'est que l'illustration d'une forme de retour aux sources de la tradition super-héroïque, avec un angle plutôt à la mode en ce moment qui donne une lecture plaisante. Quoique courte. On espère donc que la suite sera rapidement mise en branle chez l'éditeur (ou l'a déjà été).
Arno Kikoo
- Vous pouvez commander Gueule de Cuir à ce lien !