Alors que le public a fait comprendre au long de 2022 et 2023 qu'il ne trouvait plus grand intérêt à aller voir des mauvais films de super-héros calqués sur des schémas narratifs éculés et des visuels de moins en moins attrayant, Sony Pictures joue gros en 2024. Avec pas moins de trois films de son infernal spiderless-verse, le studio insiste à vouloir faire croire que ses films sur les super-vilains ou personnages proches de Spider-Man pourraient aboutir à un quelconque univers digne d'intérêt. Las, après deux Venom qui ont rencontré de façon toujours aussi curieuse un invraisemblable succès, et un Morbius qui montrait que Sony n'en avait plus rien à foutre du contenu de leurs productions, arrive Madame Web. Au programme, un film daté, mal écrit, sans jeu, et qui hurle à l'agonie son envie de vouloir se rapprocher de Spider-Man sans jamais pouvoir le toucher, quitte à aligner les clins d'oeil visuels et les rapprochements plus ou moins repoussants, comme si le studio détenait les droits d'un pastiche de Spidey.
Pourquoi insister dans cette proposition ? Pourquoi maintenir une écriture aussi nulle, qui pousse même Dakota Johnson à parler de Madame Web comme "le film parfait qu'aurait généré une IA pour votre petit ami" - c'est dire la gueule du petit ami en question, mais chacun ses goûts. Pourquoi continuer de sacrifier des actrices et acteurs autrement formidables pour les jeter dans un fossé infernal de vide et de gênance ? Avec Madame Web, Sony Pictures démarre 2024 avec le premier de ses trois films du spiderless-verse. Alors que leur machine est à l'agonie depuis le début, elle semble malgré tout ne jamais vouloir s'arrêter.
Dans les comics, le personnage de Madame Web dépeint par Cassandra Webb est montré généralement comme une vieille dame aveugle, en fauteuil roulant - et capable de voir les fils de la Toile de la vie et du destin. Les perspectives de mettre en héroïne une dame âgée et peu mobile dans un comic book movie étant proches du néant, Sony Pictures confie à Dakota Johnson le rôle d'une Cassandra dans la trentaine, ambulancière des urgences à New York, dont le quotidien est bouleversé après un accident. Elle a désormais des visions du futur, et avant qu'elle ne puisse comprendre ce qui lui arrive, là voila embrigadée à sauver trois adolescentes poursuivie par un homme mystérieux, et visiblement doté de super-pouvoirs, qui souhaite tuer ces jeunes femmes pour d'obscures raisons. La pseudo course-poursuite va permettre à Cassandra de mieux découvrir ses origines et de faire face à son destin, entre autres péripéties banales et quelques clins d'oeil à Spider-Man, puisque c'est la seule chose sur laquelle le film peut bancalement se reposer.
Techniquement, la formulation curieuse de Dakota Johnson sur l'IA permet d'aborder d'emblée le principal défaut de Madame Web - et qu'on a déjà retrouvé dans toutes les productions Sony Pictures en live action depuis le premier Venom : son écriture abyssale et téléphonée. Tout est vu, revu, déjà fait et surtout mieux fait. Le film abuse de la fameuse formule des fusils de Tchekov, un procédé qui vise à montrer une scène ou placer un dialogue et le ressortir plus tard, et le procédé est d'autant plus sur-utilisé avec les pouvoirs de Webb, qui lui permettent de lire le futur. Autrement dit, dès l'accident qui réveille ses pouvoirs, il devient déjà facile de discerner les contours de l'intrigue, qui de toute façon ne peut pas aller très loin tant l'ensemble de la production manque d'ambition. Cassandra Webb n'a jamais l'air d'être à l'aise en tant que personnage dans l'environnement du film, ses interactions sonnent toutes fausses avec ses autres partenaires de jeu, quels qu'ils soient - mention spéciale au pauvre Adam Scott forcé de jouer l'incarnation la plus triste de Ben Parker qu'on a jamais vu. Les rares tentatives de vannes ne fonctionnent jamais, Cassandra est obligée de résumer ses propres actions et le déroulé du film pour tenter de justifier la suite des évènements : il ne s'agit pas de suivre des personnages, mais des robots.
Il en va de même pour les trois actrices ramenées dans ce carcan infernal, et déguisées en archétypes usés jusqu'à l'os. Sydney Sweeney (Julia Cornwall) est l'adolescente un peu renfermée qui manque de confiance en elle ; Celeste O'Connor (Mattie Franklin) joue l'ado' rebelle et cool qui fait du skate (oui, parce qu'on est en 2003 et que donc c'est COOL de faire du SKATE) ; tandis qu'Isabela Merced (Anya Corazon) est obligée de se taper le rôle de l'intello' si fortes en maths et en sciences que c'est écrit sur son t-shirt. Les trois jeunes héroïnes en devenir n'ont pas d'interaction crédible, se passent des phrases-valises pour essayer de faire progresser un semblant d'intrigue, et le public devra faire semblant de croire que les évènements présentés dans le film ont suffi pour que le trio développe une réelle amitié et se lient aussi à Cassandra, quitte à vouloir passer le reste de leurs vies avec elle. Tout est factice : les jeunes femmes n'agissent que parce qu'un script en pilote automatique leur dit de le faire, ce qui laisse place à plusieurs séquences particulièrement gênantes (comme une danse forcée sur le morceau Toxic de Britney Spears alors que Dieu sait à quel point c'est un hit de qualité. With the taste of your lips ? I'm on a ride. Et ouais. Criminel, on vous dit).
Mais la palme du pire revient à Tahar Rahim qui joue un Ezekiel Sims qui n'a peu, sinon aucun rapport avec le personnage imaginé par J.M. Straczynski et John Romita Jr. Si ce n'est pour quelques facultés arachnéennes (se déplacer sur les murs, sauter haut et injecter du poison par contact), on ne connaît en fait pas les motivations de Sims du début à la fin et ce qu'il fait, et pourquoi il le fait. Néanmoins, vous verrez Rahim répéter tout le long du film la raison pour laquelle il souhaite tuer les trois adolescentes, tout en expliquant/commentant ses actions du moment comme s'il débarquait d'une page de comics des années soixante où le récitatif et les paroles des personnages formaient un tout commun. Un procédé usant qui n'est pas aidé par le côté très creux du personnage, qui comble du bonheur, est assisté d'un énième archétype : la sidekick spécialisée en technologie, capable de tout faire depuis un portable ou un PC. Les fans de Felicity Smoak apprécieront. Les gens qui pensent que le monde a évolué depuis les années quatre-vingt dix, moins.
En conséquence, puisque tout le monde joue mal, puisque rien n'est bien, l'ennui devient de plus en plus présent au fil du déroulé, devant une longue séquence de moments télescopés sur un rail prévisible, et qui atteste qu'il faut à tout prix virer Matt Sazama, l'un des scénaristes en charge du projet, du milieu du cinéma. Le type a commis coup sur coup Dracula Untold, Le dernier chasseur de sorcières, Gods of Egypt, Power Rangers, Morbius et maintenant Madame Web. A quel moment, avec un si grand nombre de casseroles, le bonhomme n'a-t'il toujours pas été foutu à la porte ? Mais vraiment. On parle de plusieurs bides au box office et de projets généralement conspués par la critique. Félicitations à la Screen Actors Guild d'avoir lutté si dur, mais même le meilleur syndicat du monde ne devrait pas être capable de contourner la faute professionnelle à ce stade.
Bref : au-delà des dialogues indigents, le film de SJ Clarkson se montre extrêmement peu généreux dans sa mise en scène et dans l'action, qui en général peuvent aider à sauver un film de super-héros de son scénario. Ici ? N'espérez rien sorte de l'ordinaire : on fait crisser les pneus d'une voiture et d'une ambulance, on a droit à un hangar de feu d'artifices (capables de péter des murs de brique, soit) en guise de bouquet final, au terme d'un affrontement illisible et d'une manifestation de pouvoirs ridicules. Il n'y a tout simplement rien à sauver sur le plan visuel, et ce n'est pas faute d'avoir cherché.
Reste alors l'éléphant dans la pièce : Dumbo. Oui, non, pardon : Spider-Man. L'araignée brille mécaniquement par son absence, au sein d'un projet qui hurle littéralement l'envie de foutre un Spidey au premier plan. Indice évident avec le proto-costume que porte Ezekiel, certainement pensé pour tromper le grand public qui pensera aller retrouver un Spider-Man dans Madame Web. Manque de bol : vu le peu de scènes d'action, et le fait qu'Ezekiel n'a de toute façon pas droit à de scènes de voltige, le costume est juste placé là... pour être là. Ou pour la publicité mensongère, ce qui ne serait pas une première pour Sony Pictures (rappelez vous, Morbius, le Bugle, le tag "Murderer" sur le mur, etc).
Le rapport aux araignées est lui aussi prépondérant, puisque l'ouverture du film nous présente la mère de Cassandra en train de rechercher une espèce dans la jungle du Pérou. Là, on se dit forcément que le studio veut se rapprocher de l'idée des totems d'araignée (mais sans vouloir y aller à fond). Et alors, l'imagerie utilisée pour convoquer le motif de la toile d'araignée (des vitres cassées, au moins à trois reprises, notamment) devient omniprésente. Et puis, il y a le fait que l'autre élément de scénario principal du film présente un Ben Parker dont la vie va changer du tout au tout lorsque sa belle-soeur Mary (Emma Roberts, elle aussi à contre-emploi total) tombe enceinte, et s'apprête à accoucher. Tiens tiens tiens. Mais dis donc. Qui c'est 'ti qu'on essaye de suggérer avec ces deux personnages, un mec qui s'appelle "Ben", qui s'apprête à devenir "Oncle". Mh, vraiment, ça m'évoque un truc mais alors pas moyen de foutre le doigt dessus.
Tout au long du film, on va ensuite parler de l'épouse de Ben, on va évoquer le nom du bébé, sans jamais utiliser les mots "Peter" ou "May", parce que faire les mariolles pour tenter de grapiller un peu de l'argent des fans de Spider-Man, d'accord, mas les contrats sont têtus. Les droits de ces personnages pour le cinéma sont coincés chez Marvel Studios, et dans la mesure où Sony est incapable de croire en ses propres personnages, au potentiel des figures de second plan de la mythologie arachnéenne, le moindre film ne sert qu'à nourrir cet appel du pied pathétique, systématique et embarrassant. L'aveu d'un échec cuisant de la part d'une boîte qui n'a qu'une seule idée en tête : se greffer au MCU coûte que coûte. Rajoutons une variation du fameux credo des pouvoirs et des responsabilités et vous aurez donc ce Madame Web, un pastiche de film qui n'a pour lui qu'un raccord (chimérique) à un personnage que tout le monde connaît pour seul argument de vente, et qui gâche tous ses personnages et son propos dans cette vaine fuite en avant.
Le personnage de Madame Web n'est pourtant pas inintéressant en tant que tel, ses jeunes acolytes pourraient aussi jouer le jeu en tant que super-héroïnes dans leur bon droit, mais le film ne se donne même pas les moyens de son manque d'ambition. Les apparitions en costume se limitent - évidemment - à des visions du futur, sans que rien ne soit montré au présent. Autrement dit, le film de SJ Clarkson ne constitue qu'une promesse potentielle d'un hypothétique "Spider-Women" qui n'arrivera sûrement jamais. Le studio en est très certainement conscient, dans la mesure où le projet va plutôt miser sa conclusion sur un timide "ce qui est bien avec l'avenir c'est qu'il reste à écrire" qui ne sera pas suivi, contrairement à la norme en vigueur, d'une scène post-générique. Un avenir en forme de fond noir pour un film qui, par ailleurs, ne renvoie jamais à Venom ou à Morbius (alors que les pouvoirs de Cassandra auraient pu s'y prêter).
Au sortir d'Aquaman & le Royaume Perdu, nous avions commencé à rédiger une critique intitulée "Aqua bon ?" pour mettre des mots sur le sentiment de vide qui nous arrive à chaque fois que ces films sans âme et sans créativité débarquent sur nos écrans. Une critique qui d'ailleurs n'a finalement pas vu le jour, expression concrète de cette lassitude qui empare même les médias les plus amoureux de comics. Les reproches ont pourtant été faits à maint reprises, mais les studios ne semblent pas comprendre autrement que par un échec cuisant au box-office qu'il faut arrêter de penser les films de super-héros comme un modèle balisé reposant sur des mécaniques d'écritures qui étaient déjà datées il y a vingt ans. Mal écrit, péniblement interprété, avare sur l'action, se raccrochant perpétuellement à un Spider-Man qu'il ne peut jamais nommer ou montrer, Madame Web incarne une forme de tristesse désolante de ce qu'est le projet d'univers pas vraiment partagé de Sony Pictures. Un immense gâchis de talents et de personnes au service de producteurs complètement hors-sol, qui misent sur un public crédule et qui, on l'espère, ne se fera pas prendre cette fois. Certes moins insultant de laideur qu'un Morbius, Madame Web reste confondant de médiocrité. On doute que même la team "bon divertissement" puisse encore trouver du plaisir à se taper ce genre de film aujourd'hui.