On ne parle pas assez souvent de l'importance de l'encrage et du métier d'encreur, c'est un fait et nous en sommes également coupable. Aussi, lorsque nous avions appris la présence de Daniel Henriques à l'édition printanière de FACTS au mois d'avril dernier, l'occasion pour rattraper notre erreur était toute trouvée. L'encreur portugais officie depuis plus d'une dizaine d'années dans le monde des comics, ayant travaillé avec des personnes comme Paul Pelletier, le regretté Robson Rocha, et plus récemment avec ni plus ni moins que Frank Miller et Philip Tan pour Ronin II. On le retrouvera également en fin d'année sur No Home Here, un des nombreux titres du Spawn Universe à venir chez Image, pour lequel Henriques officiera d'ailleurs... à l'écriture.
Vous allez donc pouvoir retrouver cette chouette (à notre humble avis) discussion autour de l'encrage avec Daniel Henriques, et nous espérons que vous apprécierez cette mise en avant de cette profession en compagnie d'un artiste très loquace et intéressant. Si vous souhaitez/préférez écouter cette interview directement en anglais, c'est aussi faisable via le podcast First Print - c'est ainsi que nous avons trouvé une solution pour proposer nos nombreux "SuperFriends VO" plus accessibles avec les moyens dont nous disposons aujourd'hui. Si vous appréciez ce travail, ne manquez pas de le faire savoir en partageant ces interviews, quel que soit le format !
Remerciements : Stefan van de Walle, Peter Vermaele et Rémi Lach.
Bonjour Daniel Henriques, j'espère que tout va bien pour vous et que vous passez du bon temps à FACTS.
C'est un plaisir pour moi de vous parler, et d'être sur le salon, je passe un très bon moment, merci.
Je commence toujours par une question très basique avec les personnes que j'interview pour la première fois, est-ce que vous pourriez vous présenter en quelques mots ?
Je m'appelle Daniel Henriques, je travaille dans la bande dessinée principalement comme encreur, et depuis 2011 si je ne me trompe pas. J'ai démarré chez Marvel, ai passé la plupart de mon temps chez DC Comics, et maintenant je travaille principalement pour Frank Miller Presents et Todd McFarlane Productions.
Ha oui, Frank Miller, Todd McFarlane. Des petits noms qui grimpent ! J'espère qu'ils feront de grands comics bientôt !
C'est vrai, moi même je suis complètement abasourdi de travailler avec ces deux légendes.
Vous avez dit être encreur depuis 2011, est-ce que votre souhait de départ était de devenir encreur ? Ou même de travailler dans la bande dessinée de façon plus générale ?
C'est comme ça que j'ai démarré en tout cas ; je n'ai jamais cherché tant que ça à percer dans l'industrie des comics. Je viens du Portugal, on a pas une grosse exposition aux comics là-bas, donc je ne savais même pas comment on aurait pu faire pour rentrer dans ce milieu. Comme tous les enfants, j'ai d'abord commencé par dessiner, puis j'ai découvert que dans la production de comics, il y avait le stade de l'encrage. Et même avant ça, ce qui m'a amené vers la BD, ce sont Dragon Ball d'une part, et Spawn de l'autre. Deux choses très différentes, mais qui m'ont donné envie de faire de l'art. Quand j'ai vu sur Spawn qu'il y avait un dessinateur, un encreur et un coloriste, en tant que fan de l'artiste, j'ai voulu faire de l'encrage au vu de la nature collaborative du travail que ça représente. C'était ce qui me me semblait le mieux d'un point de vue professionnel, et aussi en tant que fan : puisque ça me permettrait de travailler avec mes idoles.
Je n'ai fait que un ou deux travaux, que j'ai mis sur Facebook, et c'est un encreur que j'admirais à l'époque - et que j'admire toujours - qui a vu mon travail, Danny Miki, et il m'a contacté pour me faire faire des essais pour Crimelab Studios. C'est comme ça que je suis entré dans le business, j'ai commencé à travailler chez Marvel, sur Paul Pelletier, Tony Moore, des trucs de Venom et Hulk. Ce fut très bref, mais c'est ainsi que j'ai démarré.
Il y a une forme d'apprentissage pour l'encrage ? C'est quelque chose que l'on fait à l'instinct, ou bien j'imagine qu'il y a des règles à suivre ?
Alors il y a certaines règles qu'il faut suivre quand on démarre, et au début (et encore un peu aujourd'hui) j'essayais de tout avoir en tête. Il faut bien respecter la séparation des différents plans sur l'image, prendre en compte les textures. Ce qu'il faut à mon sens bien se rappeler, c'est qu'on est une sorte d'aide au dessinateur, on intervient sur la deuxième étape du dessin, alors il faut essayer d'améliorer ce qui est présent, sans casser ce qui est déjà apporté par l'artiste. Parfois on oublie ça à cause des deadlines, ou parfois parce que des personnes ont un style d'encrage très prononcé, qui finit par "enterrer" les crayonnés, et je ne pense pas dans ce cas que ce soit très sain. On peut rajouter certaines nuances, mais le principal objectif c'est d'être complémentaire et de mettre en valeur ce qui est en dessous de l'encre. Les textures sont importantes : il faut que le bois ait l'air de bois, que le métal ait l'air de métal, c'est pour ça qu'on est là. L'artiste peut aller très rapidement de page en page, et c'est notre job de définir tous ces éléments.
Pour être tout à fait honnête, aujourd'hui, je fonctionne beaucoup à l'instinct, je ne réfléchis plus trop. Au début je faisais très attention à ce que tous mes traits soient faits d'une certaine façon, mais je n'y pense plus. Je ne compte plus mes lignes. Si un dessinateur fait beaucoup de hachures, je ne vais pas forcément m'efforcer de refaire toutes les lignes qui y sont : je peux en faire bien plus, ou bien moins, en fonction du ressenti du rendu que ça doit avoir spécifiquement pour chaque cas. Et ça vient tout seul, en fait.
Vous travaillez numériquement ou en traditionnel ?
Je fais les deux. Au cours des deux dernières années j'ai plus utilisé les outils numériques, mais au début de ma carrière je ne faisais que du traditionnel.
Parce que pour revenir sur la question des hachures, en numérique vous pouvez essayer plusieurs façons de tracer les lignes, effacer et recommencer. En tradi', vous n'avez qu'un seul essai.
C'est un peu la même chose, en vrai. Parce que même en numérique, je fais rarement ça. Le numérique, en premier lieu, ça me donne de la mobilité. Je peux travailler n'importe où ; là nous sommes à FACTS, mais j'ai fini quelques planches de Spawn à l'hôtel juste avant. C'est un avantage. Quand je fais du traditionnel, j'utilise beaucoup plus le bec de plume, et on ne retrouve pas cette sensation de tremper la plume dans l'encre en numérique. Vous seriez surpris du temps qu'on gagne à ne simplement plus tremper sa plume, ou laisser couler l'encre après. Je n'utilise pas beaucoup de pinceaux en numérique, donc c'est vraiment pour le gain de rapidité que je le fais plutôt que pour vouloir effacer des erreurs.
Est-ce qu'on peut faire de l'encrage si on ne sait pas dessiner ? Est-ce que vous avez pris des leçons de dessin ?
Je n'ai jamais pris de leçons particulières, en dehors des cours qu'on avait à l'école au Portugal. Et ma réponse sera peut-être un peu controversée. Je pense que pour être un bon encreur, il faut savoir dessiner. Quand l'encrage est né il y a plusieurs décennies, les encreurs faisaient ce qu'on appelait les "finishes". Ils avaient des crayonnés qui étaient très évasifs, et ils devaient compléter tout le dessin. Aujourd'hui, les dessinateurs sont très précis, et encore une fois je pense que pas mal d'encreurs vont détester ce que je vais dire, mais il y en a pas mal qui ne font que du simple recopiage [tracing en VO], ce n'est pas vraiment du "finishing" puisque certains crayonnés sont déjà très complets. Il y a donc certains encreurs qui, s'ils se retrouvent avec un crayonné incomplet et ne savent pas dessiner, ne sauront pas comment encrer ce dessin.
Par exemple, je travaille en ce moment avec Philip Tan qui adore le processus de collaboration et qui veut souvent me laisser un espace d'expression. Ronin II est un bon exemple. Philip veut qu'on ait un vrai processus collaboratif, il ne veut pas simplement que je repasse sur ses traits. Frank Miller a fait les numéros #4 et #6 et je me suis retrouvé à faire pour lui non pas de l'encrage, mais des finishes. Frank n'avait donné que des layouts assez vagues sur lesquels Philip travaille ensuite. Il m'a donc donné ce type de layouts directement et j'ai dû m'occuper de tout, des hachures, des textures, tout ça. Et sans savoir comment dessiner, sans connaissance du dessin, cela aurait été impossible à faire.
Vous avez parlé du tracing, et j'ai l'impression que beaucoup de lecteurs assimilent parfois le travail de l'encreur au fait de simplement suivre les lignes du dessinateur. Mais c'est donc bien plus que ça.
Oui, je suis en total désaccord avec cette idée. Il existe certains encreurs qui travaillent ainsi, et je ne pointe personne du doigt, mais pour la majorité d'un travail d'encrage, il s'agit vraiment d'amélioration, et il faut savoir dessiner pour pouvoir travailler sur ce que l'artiste t'a donné.
Si un artiste a des crayonnés très lâches et que l'encreur doit tout dessiner, est-ce qu'au final l'encreur ne devient pas le vrai dessinateur, et ce dernier ne serait qu'un layout artist ?
Tout dépend de la complexité de ce qui nous est donné. Parfois le dessin est si vague que l'encreur va finalement être crédité comme dessinateur, puisque l'essence de son travail aura été de matérialiser des traits très lâches. Tout varie en fonction de qu'il faut compléter. Avec Frank Miller, toutes les structures étaient là, donc ça n'allait pas jusqu'au point d'être le dessinateur. J'ai dessiné pas mal de choses, oui, mais c'était pour améliorer ce qui était là, avec des ombres, des textures, des éléments d'arrière-plan, et parfois des costumes qui étaient basés sur l'ancienne série alors que Philip en avait fait de nouveaux. Mais ce que Frank ou Philip m'ont donné n'était pas assez vague pour que je finisse crédité comme dessinateur. Mais la situation peut se présenter, il y a même des dessinateurs qui donnent des layouts à d'autres dessinateurs pour que ça aille plus vite [ndlr : on sait que Geoffo l'a fait pour l'album Miles Morales : Ondes de Choc].
Pensez-vous que le travail de l'encreur est assez reconnu dans le milieu ?
Hélas, l'encrage en tant qu'art est en train de disparaître, pour être honnête. Aujourd'hui, de plus en plus de dessinateurs font leur propre encrage, pour de bonnes et de mauvaises raisons. La bonne raison, c'est que le dessinateur veut garder le contrôle de son identité graphique, en somme. Même le meilleur encreur du monde ne pourra pas forcément retranscrire à 100% ce que l'artiste a en tête La mauvaise raison, c'est que les tarifs sont à la baisse, les ventes sont vacillantes, et donc on voit des artistes qui veulent aussi encrer pour toucher cette part du travail. Malheureusement c'est pour ça qu'on a moins d'encreur.
Vous avez constaté vous mêmes cette baisse des tarifs ?
Oh oui, et encore une fois je fais ce travail depuis plus d'une décennie, et j'ai vu de gros changements. Alors je n'imagine même pas ce que ça doit être pour mes amis comme Danny Miki, Jonathan Glapion, qui m'ont aidé à me professionnaliser. Je n'imagine pas la différence qu'ils ont pu voir, eux, vu que déjà avec une dizaine d'années, je fais ce constat. J'ai senti même que récemment il y a eu cette envie de baisser encore les tarifs, mais à certains endroits. Par exemple avec Todd et Frank, ça va, mais tout dépend de l'entreprise pour laquelle vous travaillez.
Oui, je crois que tout le monde comprend de qui vous voulez parler, mais sans nommer qui que ce soit, est-ce que vous pourriez nous donner un exemple de la façon dont a évolué le prix d'une page encrée ?
Les taux varient beaucoup donc je ne serai pas enclin à donner une sorte de jauge, car de Boom! à Marvel en passant par DC, ça peut varier. Mais il y a un an on m'a proposé de travailler sur un comicbook des Big Two, et le tarif qu'ils me proposaient à la page était inférieur à celui que j'ai eu pour mon tout premier travail en 2011. On m'a donc proposé plus quand j'étais un newbie que maintenant après plus de dix ans de carrière dans l'industrie.
C'est choquant.
Comme je l'ai dit, ce n'est pas partout, il y a des entreprises qui paient bien.
Mais vous avez une explication pour cette chute des tarifs ?
Je pense que ça tient à un ensemble très corporatif. Chez les Big Two, on ne s'occupe que des personnages, des marques. Et je ne veux pas me plaindre, j'ai passé du bon temps chez Marvel et DC. Mais on a vu qu'à chaque fois qu'une grosse compagnie rachetait Marvel ou DC, il y avait des restructurations, des éditeurs virés, des artistes et encreurs qui ne faisaient qu'être échangés dans cette industrie. Je ne sais pas comment tout ça fonctionne, mais ces entreprises ont des comptes à rendre aux actionnaires, et ça a un impact sur l'industrie.
Combien d'artistes différents pouvez-vous encrer en même temps ?
Oh, ça dépend plus du nombre de pages que du nombre d'artistes, car si j'avais une page différente pour un artiste, je pourrais faire vingt artistes différents. En général, les encreurs comme les artistes font un numéro par mois, donc environ vingt et quelques pages, et dans la majorité de ma carrière, j'ai toujours voulu ne faire qu'un seul titre à la fois. J'ai eu la chance d'atterrir à chaque fois sur des collaborations de long terme. J'ai travaillé avec Bryan Hitch pendant plusieurs années, puis Robson Rocha pendant plusieurs années, puis Philip Tan. Il y a eu d'autres artistes ici et là, mais ce sont les principaux que je viens de nommer. Et je suis content car c'est ce genre de collaborations que je visais quand je suis entré dans cette industrie.
Vous pensez qu'il y a une forme d'évolution de votre encrage entre votre premier numéro avec un artiste et le dernier, par exemple avec Robson Rocha ?
Oh oui, à 100%. J'adorais Robson, et malheureusement ce dernier nous a quittés, et ma collaboration avec lui était spectaculaire. Au-delà du seul travail, on se parlait ! Il me disait ce qu'il aimait, ce qu'il aimait moins, ce n'était pas des disputes, mais de simples conversations, et quand on fait ça d'un numéro à un autre, ça donne une évolution de ce travail. Puis on s'habitue à l'autre. Et c'est la seule façon d'avoir une vraie équipe comme Jim Lee et Scott Williams, ou Greg Capullo et Jonathan Glapion qui ont travaillé ensemble super longtemps sur Batman et ont continué après, jusqu'à maintenant - comme Jonathan bosse tout seul.
On sait que dans l'histoire des comics, il y a eu des relations artiste/encreur qui n'ont pas fonctionné, pour vous le but c'est vraiment d'obtenir la meilleure page possible.
Tout à fait. A un certain degré, et même si on y retrouve une forme artistique propre, l'encrage c'est du soutien. Le but est de faire en sorte que deux artistes mis ensemble rendent la meilleure page possible. On crée une sorte de troisième artiste sur le dessin final. Par exemple, Jim Lee qui s'encre lui-même ne ressemble pas à Lee encré par Scott Williams. Ce n'est pas meilleur ou moins bien, c'est juste différent et je pense que Jim Lee apprécie ça vu leur passif ensemble. Si d'autres encreurs travaillent sur un dessin de Jim Lee, ça donnera encore quelque chose de différent.
A chaque fois que vous changez d'artiste, j'imagine que vous repartez à zéro sur la façon dont vous allez approcher son style ?
Oui, j'essaie de penser différemment à chaque fois. Il serait sûrement difficile d'encrer différents artistes de la même façon et d'obtenir de bons résultats. Quand on est encreur, il faut savoir être versatile et s'adapter à l'artiste. Si on a un style d'encrage très prononcé, vous risquez d'effacer ce que le dessinateur vous a donné. Parfois on a des artistes qui ont un trait similaire et on peut donc avoir une approche semblable pour leur encrage. Mais la plupart des dessinateurs ont des styles différents. Par exemple, je travaille aussi avec Viktor Bogdanovic, qui fait du dessin en numérique.
Son dessin ressemble à celui de Capullo, je trouve.
Oui, il a été très influencé par Greg, mais il a son propre angle, pour certaines textures numériques et d'autres choses. Si j'approchais son travail comme je l'ai fait avec Robson Rocha, ça ne fonctionnerait tout simplement pas. Il faut le faire différemment, sinon on perd la personnalité de l'artiste.
Est-ce qu'il y a donc une façon rationnelle d'approcher un artiste ? Comment savez-vous que votre encrage va bien correspondre au trait du dessinateur ?
C'est une bonne question, car je pense que j'y vais surtout à l'instinct. Même en numérique, je n'utilise pas beaucoup d'outils. En traditionnel, je prends surtout des stylos et une plume, mais pas de pinceaux. C'est souvent le même matériel que j'utilise pour différents artistes. Mais j'adapte la façon dont j'utilise ces outils, si le style est plus doux, plus anguleux, si le trait est plus épais, en fonction des structures ou des hachures. Parfois des dessinateurs aiment avoir des textures détaillées et je vais accentuer ça, tandis que d'autres préfères qu'elles soient plus simples. Je pense donc que c'est plus une question de trouver les nuances qu'il y a chez chaque artiste plutôt que d'outils à changer. Bien sûr, certains outils sont plus adaptés que d'autres pour certains traits ou effets visuels. C'est bien et nécessaire de le savoir, mais en ce qui me concerne ce n'est pas ça qui me fera changer d'outils.
Est-ce que ça vous est déjà arrivé de dire à un dessinateur "ce n'est pas comme ça que j'aurais fait ce dessin" ? Est-ce que l'encreur peut avoir ce rôle ?
Oh non, ce serait la voie la plus facile pour se faire virer *rires*. Et pour les gens qui veulent se lancer dans ce métier : il ne faut pas simplement faire plaisir à l'éditeur, mais aussi au dessinateur avec qui vous travaillez. Il faut que tout le monde soit content. Et un commentaire ou un "conseil" pourrait être perçu comme une forme de clash, car chacun a son égo. Ce pourrait être très mal perçu de venir voir l'artiste et lui dire "cette jambe est horrible" ou "je vais plutôt dessiner cette main comme ça", mais ça dépend de votre relation avec l'artiste. Par exemple, je peux me permettre de signifier à Philip Tan si je vois quelque chose de bizarre. Mais il n'a pas ce genre de problèmes, et je n'ai jamais eu à travailler avec des artistes qui en avaient.
Vous passez à l'écriture aussi prochainement, avec l'un des spin-offs de Spawn qui est en préparation. On a cru comprendre que vous étiez un peu fan de Spawn...
J'ai toujours voulu travailler sur Spawn, et j'ai pu aider un peu sur ce personnage, il y a de nombreuses années - je ne me rappelle plus du numéro. J'ai toujours voulu écrire. On s'entend très bien avec Jonathan Glapion que je mentionnais avant : ça fait des années qu'on s'appelle tous les jours 3-4h, je lui parle plus qu'à ma femme *rires*
Ce qui doit la rendre jalouse !
Oui. Jonathan a des envies de dessiner depuis longtemps, et moi des envies d'écrire. Alors on s'est dit qu'il fallait tenter le coup. Et ce juste en brainstormant ensemble, sans approcher qui que ce soit. Puis un jour, nous étions à New York, en train de déjeuner avec Thomas Healy, l'éditeur de Spawn, et on a commencé à évoquer des idées. C'est Thomas qui nous a dit de balancer des propositions, puisqu'il aime le travail de Jonathan, et on lui a fait un petit pitch. J'ai écrit un script, Jonathan a fait quelques dessins - car si on co-crée tout, je m'occupe de l'écriture, et Jonathan fait le dessin, l'encrage et les couleurs. On a ensuite eu un rendez-vous avec Todd McFarlane pour disséquer le projet et voir s'il était assez bon. Et on a eu l'approbation. Donc ça s'appellera No Home Here, ça sortira en octobre. En gros, c'est Todd qui laisse sa chance à deux encreurs qui ont travaillé avec lui pendant pas mal d'années.
Vous n'avez pas besoin d'avoir lu Spawn pour lire cette histoire, mais elle prend ses origines dans Spawn. Je travaille à l'heure où on enregistre sur Spawn #358, et notre histoire prend racine... dans Spawn #5. C'est un numéro où il y a un infâme tueur en série, Billy Kincaid, et on voit une petite fille, Sherlee Johnson, qui n'apparaît je crois que dans deux cases, et qui se fait brutalement assassiner. Ce sera elle le personnage principal de notre histoire. Le récit démarre avec Sherlee qui est coincé dans une sorte de boucle temporelle et qui est forcée de revivre son meurtre encore et encore. C'est un peu lourd, on va dire, au départ. Mon idée c'est que Spawn a beau être un anti-héros, il fait des choses héroïques. Et je me suis demandé, et si elle n'était pas morte ? Si Sherlee était toujours vivante, à l'agonie, mais toujours vivante ? Et qu'elle avait vu Spawn casser la gueule à Billy Kincaid, et ensuite se barrer en la laissant mourir ? Quelles sont les conséquences quand le héros ne fait pas ce qu'on attend de lui ? Puis on fait intervenir un autre personnage qui va casser la boucle temporelle, et je ne peux pas trop en dire de plus. Jonathan livre un travail superbe. On est tous les deux assez nerveux : c'est son premier travail en artiste complet, c'est la première fois que j'écris et qu'on co-crée quelque chose tous les deux.
Quand j'avais lu le pitch de No Home Here, je me suis dit que c'était vraiment sombre, même pour du Spawn. Et ça m'a attiré, de façon bizarre, parce que je suis à fond dans l'horreur, mais je me suis vraiment demandé pourquoi le point de départ de votre comicbook c'est une fillette assassinée, c'est vraiment rude. Vous n'avez pas peur que ce soit trop sombre ?
Non, parce que comme dit on démarre de façon très sombre - et on aime tous les deux l'horreur, mais ça ne s'arrête pas là. Si vous suivez Todd vous avez peut-être vu une image du nouveau look de Sherlee, avec un maquillage de clown. On se demande forcément pourquoi elle a cette nouvelle apparence. Mais le titre me rappelle un peu ce que Spawn était au début, mais ce ne sera pas sombre au point de rendre dépressif, on va dire. Mais oui, on va dire qu'il y a de l'horreur dedans.
J'aimerais savoir pour terminer si votre travail d'encreur, même si vous vous occupiez de la partie visuelle des comics, vous a aussi permis d'apprendre à écrire, en analysant le rythme et le découpage par exemple ?
Ha oui, tout à fait, ça m'a complètement aidé. En tant qu'encreur, j'ai toujours été assez bavard et j'ai toujours demandé à avoir les scripts. Ce qui n'est pas commun pour les encreurs, puisque ce sont plutôt les artistes qui ont à travailler avec. Quand je travaillais avec Robson Rocha sur Aquaman, Kelly Sue DeConick était assez sympa pour me passer ses scripts. Tout ceci m'a permis d'apprendre l'écriture, et aussi de voir comment un artiste comme Robson allait interpréter un script. Aujourd'hui avec Frank et Philip, je vois que c'est différent. La façon dont Frank raconte une histoire, c'est vraiment unique. Et même si je n'étais jamais impliqué sur l'écriture ou le découpage, les layouts, j'ai essayé d'absorber un maximum d'informations. Même avec Todd McFarlane, sans travailler directement avec lui, juste à entendre son ouverture et la façon dont il demande aux artistes ce qu'ils veulent dessiner, ça nous a donné envie avec Jonathan de faire quelque chose. On peut se parler et on peut s'appuyer sur nos forces respectives. Et le concernant, l'encrage l'a aidé à devenir un artiste. Et même si je ne m'occupais pas de storytelling, j'y prêtais une forte attention, du côté du script, mais aussi du travail de l'artiste.
Donc la prochaine étape, c'est d'être aussi artiste complet ?
Alors, pas pour le moment. Je fais des couvertures de temps en temps pour Todd, pour Gunslinger Spawn. Comme j'ai écrit de petites histoires, je serais ravi de pouvoir m'occuper de les illustrer - sûrement juste en crayonnés et encrage, je n'ai pas de compétences en couleurs. Mais je ne me mettrais aucune pression pour les apporter à un éditeur, ce serait sûrement plutôt pour les mettre en ligne sur mon site, comme en cadeaux à mes fans. Mais c'est le plus loin auquel je peux penser pour le moment. Je ne serais pas capable de faire une série régulière ; quand je vois ce que Jonathan fait en ce moment, c'est vraiment un monstre de la nature. Honnêtement, je ne pourrais pas faire ça.
Très bien, on jettera un oeil attentif à No Home Here cet automne, merci de votre temps !
Avec mon plus grand plaisir !