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Rencontre avec l'immense Jeph Loeb [Paris Fan Festival 2024]

Rencontre avec l'immense Jeph Loeb [Paris Fan Festival 2024]

InterviewMarvel
Pour son édition 2024, le Paris Fan Festival a vu - une fois de plus - grand en faisant venir l'immense scénariste Jeph Loeb, responsable de plusieurs comics considérés comme des chefs-d'oeuvres intemporels, notamment par ses collaborations avec le regretté Tim Sale. Une occasion d'aller à la rencontre de ce grand monsieur était donc à ne pas manquer, et nous avons ramené nos micros entre deux conférences et autres interviews (qui arrivent tout prochainement) pour discuter un petit peu. Afin de parler de ces dernières années, de son amour des comics et de Tim Sale, et de son passif chez Marvel Television
 
A noter d'ailleurs que Loeb s'est bien gardé de nous parler de Batman : The Long Halloween - The Last Halloween, qui a été annoncé par DC Comics quelques semaines plus tard. Un détail à garder en tête en lisant cette interview, que vous pouvez également retrouver à l'audio via First Print. Si vous appréciez ce travail, ne manquez pas de le faire savoir en le partageant partout ou vous pouvez. 
 
Remerciements : Sébastien Martin, Jérémy Briam.
 


AK : C'est un plaisir de discuter avec vous Jeph !

JL : Merci, tout le plaisir est pour moi.
 
AK : Ma première question concerne votre présent sur ce salon. Hier, lors de votre conférence, vous avez dit ne pas avoir fait de convention comics depuis ces quinze dernières années. Qu'est-ce qui vous a pu vous éloigner de ce milieu à l'époque ?

JL : Mes obligations professionnelles (rires). A l'époque, je dirigeais Marvel Television. Donc lors des sorties publiques, on me demandait de faire la promotion des séries télévisées, et pas de ma propre carrière. C'était une bonne expérience : je me déplaçais avec les actrices et les acteurs, on pouvait montrer aux gens où nous en étions, pleins d'enthousiasme. Mais en ce qui concerne l'autre versant de ma carrière, ce que j'appelle le "Jeph des comics" par rapport au "Jeph de la télé'", j'ai dû le mettre de côté pendant un moment.  Et ça me manquait. De pouvoir parler aux lecteurs, aux fans, aux gens dans votre genre. De pouvoir parler de comics, puisque, au fond, c'est tout ce qui importe à mes yeux. 
 
AK : Oui, puisque vous faites partie de cette industrie depuis un long moment.

JL : Oui.
 
AK : Est-ce que vous n'êtes pas surpris de voir autant de gens continuer de s'intéresser aux comics, dans une époque où il existe des tonnes d'autres sources de divertissement ?

JL : Non, pas vraiment. Vous savez, le format existe depuis 1938, donc... C'est une discipline artistique qui reste extraordinaire, qui fait partie de nos vies. Le plus formidable, quand j'ai l'occasion de me rendre dans un endroit comme Paris, c'est de voir la quantité de gens qui se sont passionnés pour la bande-dessinée américaine. J'aimerais croire que les gens aux Etats-Unis pourraient aussi s'intéresser à la BD franco-belge (rires). Mais c'est un autre sujet. Ce qui m'épate, surtout, c'est que ce genre de salon est assez identique à ceux que l'on organise en Amérique. Je vois à peu près les mêmes visages, le même enthousiasme, la même capacité chez les uns et les autres à embrasser cette superbe forme d'art.
 

 
AK : Vous parliez d'un "Jeph des comics". Selon vous, quelle est la force principale du médium BD aujourd'hui, en comparaison de la télévision ou du cinéma ?

JL : Encore une fois, il s'agit simplement d'une façon différente de raconter les histoires. En ce qui me concerne, je me définis comme un conteur. Qu'il s'agisse d'inventer quelque chose à l'oral, ou d'écrire pour la BD, la télévision, le cinéma. De temps à autres, il m'arrive de me dire que je devrais me mettre à écrire des romans - avant de conclure sur le fait que ce serait une très mauvaise idée. En tant que tel, le comics est un médium visuel extrêmement puissant. Et quand vous avez eu les opportunités qui ont été les miennes, de travailler avec des gens aussi talentueux que Tim Sale, Jim Lee, Michael Turner, Carlos Pacheco, Ed McGuinness, Frank Cho, Arthur Adams...  Tous ces gens avec qui l'ai eu l'opportunité de collaborer, et qui ont mon profond respect, on pourrait y passer l'après-midi. Il y en a même que je n'ai pas mentionné - Simon Bianchi si tu m'écoutes, oui, tu fais partie de ce groupe et tu le sais très bien. (rires)
 
OC : Est-ce que vous diriez que c'était un choix de vous lancer dans les comics ? Puisque vous aviez tout de même déjà une carrière à Hollywood.

JL : C'était un don. Je ne m'attendais pas vraiment à ce que ça me tombe dessus. J'avais bien écrit un comics lorsque j'ai eu treize ans, parce que... et bien, déjà, j'en avais envie. (rires) Mais je ne pensais pas en faire quoi que ce soit, c'était juste une expérience. Et il a fallu attendre littéralement vingt ans, lorsque j'étais au travail sur le film The Flash chez Warner Bros. (à l'époque où ils avaient lancé le Batman de Tim Burton). Ce projet n'a jamais décollé, et au final, la présidente de DC Comics, Jenette Kahn, m'a approché. Elle m'a dit exactement "si tu n'écris pas de film chez nous, est-ce que ça t'intéressait de signer un comics ?".
 
Et c'était du jamais vu à l'époque. Les gens qui écrivaient des comics, à cette période, étaient exclusivement auteurs de comics. On ne trouvait pas de transfuges d'autres disciplines. Et je pense que c'est sans doute pour ça que les pontes de DC Comics se demandaient qui j'étais, d'où je venais, ce que je pouvais être venu chercher là-bas. Moi je voulais écrire Batman et Superman, mais eux étaient réticents. "Commence plutôt par écrire les Challengers of the Unknown". (rires)
 

 
Et encore une fois, le vrai don du ciel, ça a été de rencontrer Tim Sale sur place. Je n'aurais jamais connu Tim autrement. Je ne sais pas si lui aurait même été intéressé par l'idée de dessiner des super-héros. C'était juste une coïncidence : il était de passage à la SDCC pour trouver du travail, et moi j'étais à la SDCC à la recherche d'un dessinateur. Lorsqu'on s'est associés, tout le monde nous a claqué la porte au nez. Et quand je vous dis tout le monde, je me souviens précisément : à l'époque, on trouvait l'artist alley à un autre endroit que la zone réservée aux stands des éditeurs. La San Diego Comic Con était très différente de ce qu'elle est devenue aujourd'hui - grosso modo, ça se passait dans le sous-sol d'un hôtel, c'était une convention toute petite. Alors, j'étais en train de visiter cette artist alley, et je vois ces deux gars assis l'un à côté de l'autre. Ils étaient très talentueux, et j'ai engagé la conversation. Et je leur dis que j'ai un genre de plan d'ensemble pour une série Challengers of the Unknown. Ils m'ont regardé tous les deux et ont éclaté de rire, en m'expliquant qu'ils allaient travailler sur les X-Men ! 
 
A ce moment là, John Byrne dessinait les X-Men, donc je leur ai répondu "vous rigolez". C'était vraiment deux gamins, entre dix-neuf et vingt ans... et finalement, ces deux gars s'appelaient Jim Lee et Whilce Portacio. (rires) Je leur ai dit "ouais ouais, bon, si vous êtes sûrs de vous...". Et à partir de là, ces deux petits gars sont devenus "le" Jim Lee et "le" Whilce Portacio. C'était aussi à cette même convention que j'ai fait la rencontre de Rob Liefeld pour la toute première fois. Lui ne devait avoir que dix-sept ou dix-huit ans. Il timballait ses planches de Hawk & Dove sous le bras, à la recherche d'un travail. Il me regarde et me sort "je vais allez travailler sur le pôle des X-Men" ! 
 
Alors, voilà. Faire la rencontre de Tim a été un vrai don du ciel pour les Challengers.
 
OC : Avec Tim Sale, vous aussi créé ce qu'on appelle en France la série des "Colors", avec Spider-Man Bleu, Hulk Gris, Daredevil Jaune, etc. Pour beaucoup de lecteurs, ces albums sont encore considérés comme des classiques pertinents et définitifs dans le présent, on se plaît à les retrouver et ils sont souvent listés comme des titres fondateurs pour comprendre l'essence de ces personnages. Comment avez-vous développé ce projet, et délimité ce qui allait servir de thèmes communs à ces différents titres ?

JL : J'espère que vous n'avez pas fait exprès de mettre Captain America White de côté exprès. (rires)
 
OC : C'est parce qu'il est sorti longtemps après les autres !

JL : Et encore une fois, ce retard était surtout dû à mes obligations professionnelles à la télévision. C'était difficile de marier les deux fonctions. Et moi aussi je les appelle les "Color Books". Ces histoires là, on voulait les raconter avec Tim, mais pas forcément pour déterminer l'essence même des personnages. Simplement, je pense que nous étions deux romantiques. Et en particulier quand on a commencé le travail avec Daredevil Yellow : lui comme moi avons réellement été choqués par la mort du personnage de Karen Page (ndlr : la petite-amie de Daredevil dans le comics Born Again de Frank Miller et David Mazzucchelli). L'idée selon laquelle ce personnage, qui était là depuis le début, et qui avait une importance cruciale pour comprendre le fonctionnement de Matt Murdock... On a ressenti le besoin de rappeler aux gens qui elle était.
 
En ce qui concerne Gwen, la réflexion était encore plus évidente. Parce que même si je comprends et que j'entends tout à fait le destin tragique de ce personnage, il existait tout de même une génération entière de lecteurs qui ne savait même pas que Gwen avait existé ! Elle était en train de tomber dans l'oubli. Pour nous, c'était la bonne opportunité. Et dans le cas de Betty Ross, Betty Banner, elle était revenue à la vie après avoir été tuée. Ce qui n'était pas le cas de Gwen et de Karen. La décision de les éliminer avait été prise, je pense, pour pouvoir inventer de nouvelles intrigues amoureuses aux héros concernés. Pour voir où ça pourrait les emmener. Mais nous, nous voulions expliquer en quoi ces personnages avaient été importantes pour les hommes qu'elles ont fréquenté, avant qu'ils ne deviennent des super-héros. Elles étaient aussi des héroïnes légitimes. Et j'imagine que ça vient aussi du fait que je ne suis pas capable d'imaginer un monde dans lequel Superman ne partagerait pas sa vie avec Lois Lane.
 
Et donc, je n'étais pas en mesure de comprendre comment il était possible d'imaginer que Gwen ou Karen finiraient par tomber dans l'oubli. C'est vraiment ça qui a servi de point de départ. Ce n'était pas tellement pour définir l'essence des super-héros. L'objectif était de rappeler aux lecteurs qui étaient ces femmes, l'importance qu'elles ont eu.
 

 
OC : Vous diriez que c'était aussi le cas avec Jason Todd dans Batman Silence ? Prendre un personnage assassiné, globalement oublié, et le remettre en avant d'une certaine façon ?

JL : Non, ça c'était une astuce. (rires) Je n'avais pas vraiment la moindre affection envers Jason. Souvent, on me pose la question : quel est mon Robin préféré ? Et je réponds toujours la même chose. De mon point de vue, seul Dick compte. J'apprécie le fait que d'autres gamins soient rentrés dans l'équation ensuite, et je sais qu'il existe beaucoup de fans de Damian, de Tim, de Jason, mais en ce qui me concerne : Robin c'est Dick Grayson. Et j'ai vraiment du mal à comprendre que... à mon sens, il y a un seul Batman, un seul Robin. C'est comme ça que je vois les choses.
 
Mais vous savez, je suis un fan avant tout. Donc je peux me permettre d'avoir cette opinion. Alors, pour répondre à votre question, non, on s'est simplement dit que ce serait amusant de laisser croire aux gens pendant l'espace d'un instant que Jason Todd allait faire son grand retour. Vraiment, c'était une astuce. Une astuce dans une astuce, parce que Jason n'avait pas prévu de revenir à ce moment là. Même si je dois bien admettre que voir Jim Lee dessiner Jason dans son costume de Hush, j'ai trouvé ça plutôt cool. J'ai regardé ses dessins et je me suis dit "oui, c'est à ça qu'il devrait ressembler". Et si ça avait été son look définitif, j'aurais trouvé ça super.
 
OC : Certains disent que cette histoire a eu une influence sur le retour de Jason Todd qui finira par avoir lieu. Que les planches de Jim Lee ont permis au personnage de redevenir cool, ce qui aurait poussé DC Comics a prendre cette décision.

JL : Ca n'a jamais été notre intention ! (rires) Et quand ils m'ont dit qu'ils allaient le faire revenir, je leur ai dit "ah bon, vous êtes sûrs ?". De mon point de vue, il est parfois important d'accepter que la mort d'un personnage puisse être un élément définitif. Et ça ne me dérange pas si quelqu'un avait envie de raconter une histoire avec Jason qui se situerait dans le passé, pour explorer cette relation, comprendre l'importance de Death in the Family pour Batman et pour l'histoire des comics. Oui, je pense que ce serait une bonne idée. Mais bon, dans l'immédiat, je n'écris pas de comics avec ce personnage, donc je n'ai pas à m'en préoccuper.
 
OC : Vous avez vécu (et participé) à une transition. Comme vous le disiez, avec Jim Lee, Rob Liefeld, les éditions Image Comics. Une évolution dans le statut des auteurs de BDs aux Etats-Unis, dans la façon dont ces produits ont migré vers Hollywood. Comment avez-vous vécu cette période de grand changement pour l'industrie, et quel est votre regard sur les comics dans la modernité ?

JL : Je pense que c'est assez proche de ce qui s'est passé pour le cinéma. Ce qui se passe dans ce genre de cas, c'est que ça commence par les pionniers, les gens qui essuient les plâtres... et vous savez, ce que je trouve encore plus incroyable, c'est que des personnages comme Captain America, Batman, Superman, Wonder Woman, qui ont été créés en 1938 ou en 1940, sont encore en activité aujourd'hui. Et ils sont même plus populaires dans le présent qu'ils ne l'étaient à l'époque. Grâce aux films, aux séries télévisées, aux jeux vidéo. Les comics, au départ, ne se destinaient qu'aux enfants. C'étaient de petites revues qu'on achetait dix centimes, qu'on trimballait dans sa poche, et qu'on balançait à la poubelle après les avoir lu. Ce n'était pas des objets de collection sous blister - rendez-vous compte, quelqu'un vient tout juste de lâcher six millions de dollars pour un Action Comics #1 ! Pour un truc qui coûtait dix centimes.
 
Mais je pense que ce qui a vraiment évolué, c'est que les gens ont commencé à respecter les comics en tant que forme d'art. La vraie percée, ça a été l'arrivée de Stan Lee et Jack Kirby en 1961, à la fondation des éditions Marvel. Ca a été un véritable point de bascule : tout à coup, les personnages étaient réels, avaient de véritables sentiments, de véritables problèmes. Ensuite, ça a encore évolué lorsque la façon d'écrire les histoires a bifurqué de manière radicale. Ce changement a été majeur dans la communauté artistique, avec des gens comme Neal Adams ou Jim Steranko. Ces artistes sont arrivés et ont posé la question du format : pourquoi dessiner encore et toujours des pages de six cases, pourquoi ne pas essayer de casser la structure. Et puis, Kirby s'est mis à expérimenter aussi, avec ses double-pages. Les gens devenaient fous ! Qu'est-ce qui était en train de se passer ?
 
Des individus de ce groupe ont aussi proposé de nouvelles choses. Il y a eu Frank Miller, un auteur et un dessinateur, qui proposait des idées auxquelles personne n'avait jamais pensé, pour défricher des zones inédites. Et puis, Alan Moore est arrivé, en écrivant des histoires qui exigeaient un degré de maturité artistique que les gens n'avaient pas l'habitude de voir dans les comics. En gros, le médium n'a fait qu'évoluer en ce sens depuis le départ, et je pense que ça va continuer. Surtout à l'aune des nouvelles influences : regardez l'importance énorme du manga aujourd'hui, sur tous les marchés de la bande-dessinée. Je pense que ça influence déjà la façon dont on pense, dont on dessine BD américaine, dans l'idée d'adopter cette vision inédite de la discipline en elle-même.
 

 
OC : Mais vous même avez participé à préserver la popularité des super-héros en les ouvrant à un plus large public. Avec Smallville, avec le rôle conséquent que vous avez adopté chez Marvel Television. Ma question risque donc d'être un peu stupide : comment est-ce qu'on s'y prend pour faire en sorte qu'un personnage reste fidèle à ses racines comics au moment d'une adaptation, tout en réussissant à le rendre accessible au grand public ?

JL : A mon sens, je ne pense pas qu'il faille chercher à le rendre accessible. La raison pour laquelle ces personnages existent encore dans le présent, c'est justement parce qu'ils sont restés fidèles à ce qu'ils étaient. Lorsqu'on tente de compromettre cette formule... enfin, j'imagine qu'il est évidemment possible de trouver un moyen d'accompagner un personnage pour faire en sorte qu'il fonctionne sous un angle auquel personne ne s'attendait. Embaucher Robert Downey Jr. pour le rôle d'Iron Man, par exemple, ça a été une petite révolution. Subitement, Tony Stark est devenu quelqu'un d'autre. Jusqu'ici, c'était un héros plutôt plat dans les comics. Ce que Jon Favreau et Robert Downey Jr. ont entrepris a permis de le redécouvrir sous un angle tout à fait inédit.
 
Mais : ça reste la même histoire. C'est encore ce même principe d'un homme égoïste, sans cœur, et qui va même littéralement devoir perdre son "coeur" pour devenir un véritable héros. Et c'est ça, le socle fondateur. On ne peut pas le contourner, et ce truc là n'existe que parce que les comics existent. En revanche, lorsque je vois des personnages que l'on fait évoluer sans la moindre raison valable, je trouve ça vraiment frustrant. Mais encore une fois, ce n'est pas de moi dont il s'agit. J'ai le choix : je peux décider de ne pas regarder la série, de ne pas aller voir le film, de ne pas lire les comics. 
 
Pour moi, pour ce qui concerne mes goûts en particulier, c'est tout bête : j'ai tendance à préférer les versions classiques. Et c'est peut-être simplement parce que je suis trop vieux aujourd'hui pour être en mesure de comprendre ce qui aurait pu me plaire si j'avais encore trente ans. Je n'en sais rien, je ne peux pas remonter le temps ! Je n'ai pas la possibilité de savoir ce que j'aurais écrit si j'avais commencé ma carrière aujourd'hui, en me basant sur les goûts d'aujourd'hui. Moi, j'ai lu mes premiers comics à dix ou onze ans, quand les scénaristes s'appelaient Stan Lee et Steve Englehart. Si j'avais découvert les comics de Brian Bendis, Tom King ou Mark Millar au même âge, je ne sais vraiment pas comment cela aurait influencé mon style en tant que créateur. Peut-être que ma façon d'aborder tout le médium aurait été différente. Peut-être que j'aurais passé moins de temps à revenir aux classiques pour comprendre et réorganiser ce que j'estime devoir en retenir.
 
De la même façon, je considère Miles Morales comme un accomplissement vraiment remarquable. De voir comment Brian Bendis a réussi à s'emparer d'un élément aussi parfait, aussi essentiel que Peter Parker, pour réussir à créer une toute nouvelle version de cette histoire... et que je trouve même aussi excitante qu'inédite, c'est quelque chose qui m'impressionne énormément. Je ne pense pas que j'en aurais été capable ! A la rigueur, j'ai bien proposé quelque chose de vaguement similaire avec le Red Hulk. Sauf que je sais qui est le Red Hulk : simplement ma version "némésis" du Hulk, de comment moi je décide de m'emparer du Hulk. Et ce n'est pas la même chose.
 
Brian a mérité de porter cette médaille de réinventeur, et je trouve ça plutôt génial.
 
AK : Est-ce que vous avez un avis sur la nouvelle série Daredevil : Born Again qui se prépare en ce moment ? Parce qu'on a globalement l'impression qu'ils comptent revenir vers ce que vous aviez proposé à l'époque de l'accord avec Netflix.

JL : Je... Mh. Bon, voilà ce que peux vous dire : lorsque je travaillais chez Marvel Television, les équipes, et en particulier les scénaristes, le casting, les techniciens, tout le personnel était composé de gens extrêmement talentueux. Je suis très heureux de ce qu'on a pu proposer, ça a demandé de gros efforts de la part de toutes les personnes concernées. Surtout qu'on a pu faire tout ça "à l'extérieur" de Marvel Studios, en quelque sorte. Et je peux vous dire que personne ne respecte plus le travail de Kevin Feige que moi. Quand je regarde les films qu'il a produit, je les trouve extraordinaire dans leur capacité à transcender le matériau originel. La trilogie Guardians of the Galaxy, par exemple, représente un superbe trio de longs-métrages. Et avoir cette compréhension des disciplines artistiques et de tout ce que ça comprend, être capable de comprendre comment transitionner ces éléments vers le cinéma... comme pour Robert Downey Jr., c'est incroyable ! J'adore les films Avengers. Le premier en particulier. 
 
En revanche, leur travail reste très différent de ce que nous avons développé chez Marvel Television. Et c'était une condition obligatoire : quel aurait été l'intérêt de sortir l'équivalent des films en format miniature pour la télévision ? Ca n'aurait aucun sens, en ce qui me concerne. C'est aussi pour ça que notre version de l'univers était plus sombre plus pessimiste. Je préférais regarder du côté du cinéma de Martin Scorsese, de William Friedkin. Voilà les références dont on parlait beaucoup au moment de préparer ces séries. On s'installait avec les scénaristes avec cette consigne précise : pensez d'abord aux films qui ont été tournés à New York au début des années soixante-dix. Et c'était ça, l'objectif. Pas d'imiter ou de chercher à reproduire ce qui était produit chez Marvel Studios pour le grand écran.
 
AK : Très bien. J'avais une dernière question : vous êtes désormais libéré de vos obligations professionnelles, vous revoilà en convention pour parler de comics avec les fans... avez-vous prévu d'écrire de nouvelles BDs d'ici les prochaines années ?

JL (qui n'a évidemment pas prévu de parler de Batman : The Long Halloween - The Last Halloween trois semaines avant l'annonce officielle - faut comprendre, le gars est un pro) : Il ne faut jamais dire jamais ! 
 
Et ce que j'aurais envie de répondre à cette question, c'est surtout que : ça dépend du partenaire avec qui je vais raconter cette éventuelle nouvelle histoire. Une partie de moi a toujours envie de raconter... le meilleur comics Aquaman de l'histoire des comics. Même si, pour commencer, ce n'est jamais comme ça que je me formule les choses. L'énorme succès que j'ai eu la chance de connaître au cours de ma carrière, je ne suis pas en mesure de l'expliquer. Ce que je sais, c'est que j'adore ces personnages et que j'aime avoir la possibilité d'écrire les meilleures histoires possibles, à mon échelle. 
 
Savoir que les gens apprécient mon travail, c'est extraordinaire, oui. Mais je garde en tête l'idée que j'ai surtout eu la chance de travailler avec les meilleurs artistes disponibles à chaque fois. C'est un choix personnel : travailler avec Tim Sale a été la seule et une fois où j'ai pris un risque au cours de ma carrière. Parce que personne ne le connaissait encore, et personne ne me connaissait moi non plus. Ensuite seulement, il est devenu le grand Tim Sale. Et moi, j'ai eu la chance de travailler avec lui. Par contre, quand j'ai collaboré avec Jim Lee, c'était déjà une vedette ! Je savais très bien avec qui je m'engageais. Et c'était pareil pour Arthur Adams. Donc... pour moi, lorsqu'un éditeur me propose d'écrire une histoire, comme sur les X-Men par exemple, ma première réaction est toujours la même : je leur dis que l'important, ce n'est pas de savoir si j'ai envie ou non. L'important, c'est de voir qui va être disponible pour dessiner le projet. Et donc... est-ce qu'il existe encore des artistes sur le marché avec qui je rêve de travailler ? Absolument.
 
Un nom que je cite fréquemment, et que je serais prêt à poursuivre sans relâche, c'est Jim Cheung. De mon point de vue, son travail attend encore le bon projet pour fasciner le public au même niveau que le coup de crayon de Jim Lee. Je le trouve extraordinaire. Donc si lui est disponible, et qu'il a envie de travailler avec moi... Vous savez, Allan Heinberg est l'un de mes bons amis, et le résultat de leur collaboration sur les Young Avengers me procure un grand plaisir. Je trouve ses planches sur le titre extraordinaire.
 
On m'a aussi envoyé une copie de Catwoman : Lonely City récemment. Or, je ne connaissais pas vraiment le travail de Cliff Chiang ! On m'en avait parlé, j'étais sûrement tombé dessus, mais quand j'ai découvert ce comics... je pense n'avoir jamais vu des planches pareilles de toute ma vie ! Alors il a fallu que je lui écrive immédiatement, simplement pour lui dire que j'étais fan, que je n'avais jamais vu un tel alliage de scénario, de dessins, d'encrages, et de couleurs.
 
Donc pour vous répondre, oui, je sais qu'il reste beaucoup d'artistes avec qui j'aimerais encore collaborer d'ici les années à venir. Il faut juste que je trouve le temps et la bonne histoire.
 
AK : Merci beaucoup Jeph ! Ce fut un plaisir !

JL : Merci, désolé d'avoir débordé sur le temps. C'était très agréable !
Corentin
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