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Kali : furieuse cavalcade dans l'imaginaire du post-monde à la George Miller

Kali : furieuse cavalcade dans l'imaginaire du post-monde à la George Miller

ReviewIndé
On a aimé• Kali
• Un découpage au service de l'efficacité
• Leçon de mise en scène
• Le sous-texte, intelligent
• Un design impeccable et épuré
• Sans compromis
On a moins aimé• Aurait mérité de durer plus longtemps
• Vroum vroum
Notre note

Quand on parle BD, l’exercice critique se retrouve souvent confronté à une difficulté de taille : pour les élites culturelles (ou pour papa/maman), la discipline reste globalement associée au monde de l’enfance ou de l’adolescence. Alors, on va parfois se lancer à la recherche de la crédibilité. En présentant le travail d’académiciens, en allant à la recherche de références littéraires, ou en essayant d’expliquer les sens cachés, les métaphores profondes, qui se trament en coulisses pendant que les deux gugusses musclés se mettent des pains. Sauf que, tout le déséquilibre est là : on aime aussi lire des comics parce que… parce qu’on aime quand deux gugusses musclés se mettent des pains. Finalement. 

Et on aurait tort de se le cacher : l’action, les pouvoirs surnaturels, le divertissement de la mise en scène, tous ces éléments participent directement du plaisir esthétique qui forme l’expérience comics. Alors, comment faire pour avoir l’air d’un intello’ capable de replacer la mécanique allégorique d’un tir de rayon laser, tout en acceptant de trouver ça cool, les tirs de rayons lasers ? Parce que c’est cool, faut l’admettre. Surtout quand ils font piou piou. J’aime bin ça, moi, quand ça fait piou piou.

Lessons From the Wasteland

Pour passer au-dessus du problème, on aurait tendance à pointer du doigt les exemples qui permettent une sorte d’assemblage des deux théories. Prenez par exemple le cas de Daniel Warren Johnson, qui ne sacrifie rien de ses mélodrames très humains (sur le thème du deuil, de la maladie, de la dépression quotidienne) aux mammouths, aux dinosaures, aux oiseaux humanoïdes armés d’un bras robotisé. Ou bien, prenez Kali. Le dernier né de la maison HiComics forme une synthèse agréable de tout ce qui fonctionne dans cette discipline ouverte, un peu comme les séries de Geof Darrow. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, dans la mesure où Daniel Freedman, comme le grand patron des scènes d’action, se retrouve dans la même boucle référentielle : Mad Max, Moebius, et peut-être plus indirectement, les influences de Quentin Tarantino (Sergio Leone et le cinéma d’action de Hong Kong - sauf que Darrow puise directement à la source, et que Freedman reprend l’héritier indirect). 

Voici la promesse de Kali : un grand méli-mélo qui brasse large avec une grande efficacité, une grande épuration, pour proposer une longue scène d’action portée par un personnage mystérieux, une quête de vengeance, entre post-apo’ et western spaghetti, fan fic’ d’un amoureux de George Miller dans un paysage de lignes fines et stylisées façon Métal Hurlant, ou façon Paul Pope. Une petite déflagration en bottes de cuir, sur un moteur vrombissant et dans un monde qui évoque quelques éléments du présent politique… c’est banco. 


Sur le papier, le titre a tout d’une bande démo’, d’un court métrage de festival, voire d’un storyboard dans le plus simple appareil. Kali a été pensé pour l’action, et fonce en permanence vers son objectif. Scénario dirigiste que l’on recompose au fil du récit, dans une perspective féminine et empruntée de quelques éléments mythologiques. 

Au point de rappeler l’excellent Les Lames d’Ashura de Baptiste Pagani, qui partage quelques éléments en commun avec cette cavalcade sauvage dans un post-monde aride et sans compromis. Ou bien même avec… Furiosa, le dernier né de la franchise Mad Max, également articulé sur la même base d’une quête de vengeance, comme un récit homérique où les moteurs gouvernent le déplacement et la furie des protagonistes. 


A ceci près que Kali vise l’efficacité, sans détours, sans construction sommaire. On avance, en permanence, d’un point A vers un point B, en attrapant au vol les quelques données que le scénariste consent à nous donner sur le fonctionnement de cet univers décousu. Et pour faire court… c’est bref, mais l’allégorie tient debout. 

Le comics évoque bien la même thèse d’un monde uniforme, sans aspérité, dictatorial, gouverné par un esprit unique et une conscience collective qui n’accepte pas les aspérités, la liberté ou la lutte contre celles et ceux qui tiennent le pouvoir central. De cette façon, et de par son décor désertique forcément connecté de près aux enjeux du présent sur le réchauffement climatique, avec sa troupe de valkyries affranchies et une héroïne qui incarne la déesse de la destruction et de la transformation, Kali brasse large. 

Comme un coup de colère, peut-être pas aussi réfléchi et structuré que les allégories bien identifiables des héros et des méchants de Mad Max : Fury Road, mais on se fait vite une idée de l’alignement global de ce qui nous est présenté dans l’album. On parle des artistes censurés, qui s’organisent en collectif pour tenter de renverser la dictature, les adversaires sont généralement caucasiens, affublés d’uniformes et d’appareils qui évoquent le design nazi… une panoplie de petits détails, de petites idées susceptibles de faire croire à une surface plus épaisse. A plus qu’un simple comics d’action pensé pour l’action, sans plus de texture.

Et c’est justement là que se trouve le point d’équilibre : cette épaisseur laissée sous la surface ne vient pas déranger l’accroche globale. Pourquoi va-t-on lire et découvrir Kali ? Parce que la couverture présente une guerrière, visiblement énervée, dans une contre-plongée de western. Parce que les premières planches démontrent une maestria folle dans la représentation des chorégraphies en espace clos puis en espace ouvert, un génie dans l’enchainement des coups, des mouvements, un positionne agile de la caméra, des choix dans les angles, du sens de lecture. 

Le titre se laisse découvrir comme un film d’action filmé de main de maître, et qui laisse au dessinateur (Robert Sammelin) la place de s’exprimer. Le scénario et le graphisme cohabitent comme un tout cohérent : un coup de gueule dans les thèmes à peine effleurés, et un coup de poing dans la maestria de cette longue série de torgnoles et de balles perdues. On parlait de Moebius pour la finesse du trait, mais on pourrait évoquer la période Blueberry pour la précision des lignes de fuite et des angles de vue. Des astuces dans les zooms et dans le découpage pour rendre l’ensemble parfaitement dénué de gras : dans Kali, rien n’est inutile, toute la progression est mise au service d’une efficacité qui cadre parfaitement avec le propos même de l’album. Une seule longue séquence, d’un seul tenant.


Moralement ambigu dans un monde où le bien et le mal se sont effacés au profit d’une lutte individuelle, celle de la dernière force de frappe libertaire face à l’uniformisation fasciste, Kali renvoie à Otomo, à Above Snakes, à Apocalypse Now, à Snowpiercer ou à Faster Pussycat Kill Kill par endroits. Entre autres références au cinéma de série B, bien digérées dans un tout agréable et puissant, dont on ressort à la fois libre et frustré, tant cet univers prometteur aurait pu amorcer une saga de plus longue haleine… tout en étant justement pertinent de par sa brièveté, presque poétique, comme une oeuvre totale qui se découvre d’une traite. 

Armé de superbes couleurs, là-encore au service du découpage de l’action pour distinguer les humains d’un décor terne et vide de nature ou d’éléments de civilisation, une expérience de lecture qui rappelle les grandes heures de Métal Hurlant et que l’on pourrait se prêter à étudier sous des angles métaphoriques plus précis, plus étudiés. Mais encore une fois, a-t-on vraiment besoin de ça quand la torgnole est déjà si belle ?

Franche réussite pour Kali, un album qui (à la façon d’Âme Augmentée chez 404) trouve parfaitement sa place dans la collection qui l’accueille sur le marché français. Peut-être plus proche de Shanghai Red que de Bitter Root, le titre partage avec Invisible Kingdom ou We Only Find Them When They’re Dead cette même urgence, cette poursuite d’individus isolés face à un système en déliquescence, qui cherche la réflexion et l’intelligence à travers le prisme du genre. Sauf que cette version du théorème s’autorise un regard plus dépouillé, une intrigue constellée de symboles qui reste en submersion, n’apparaissait qu’à travers les pics de quelques icebergs occasionnels, et que l’on devine sans l’étudier de fond en comble. Au final, le résultat n’en est que plus agréable, puisque scénario et dessin marchent main dans la main pour amorcer ce même constat furieux, cette même main tendue vers un faisceau de références bien appliquées, comme si Kali venait doubler Furiosa au détour du virage pour offrir une leçon de simplicité et d’équilibre par l’économie des mots et la puissance des images brutes. Et aussi, les motos font vroum vroum. Et on aime bin, ça. Quand elles font vroum vroum.

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Corentin
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