A présent que nous avons atteint la période des grandes vacances, moment de l'année propice aux bilans du premier semestre, le constat s'impose : l'usage de l'intelligence artificielle dans l'industrie des comics reste (pour l'heure) un phénomène isolé. Quelques affaires, oui, quelques scandales, effectivement, mais le secteur semble encore résister à cette éventuelle pente glissante.
Et si le réflexe naturel des technophiles convertis aurait tendance à répondre que cette difficulté repose surtout sur un simple état des mentalités actuelles ("la technologie n'est pas encore dans toutes les têtes, mais d'ici deux ans..."), on pourrait tout de même se dire que le monde des comics était plus directement concerné par la gangrène des artistes robots. Plus que le cinéma ou la musique, par exemple. Après tout, au départ, le premier boum de l'IA générative est tout de même passé par la création d'images via des outils accessibles au grand public. D'abord via l'expérience de Mini Dall-E, puis via Midjourney.
L'industrie fait front
En définitive, les quelques exemples de scandales cités plus haut ont permis aux éditeurs de prendre la température du marché. Et de ce point de vue, si on se fie aux réactions du public sur les réseaux sociaux, il est facile de se dire que le lectorat reste farouchement hostile à l'idée de consommer de la BD générée par intelligence artificielle. L'écriture, le dessin, le découpage, la séquencialité, la mise en couleurs, tous ces savoir-faire qui incitent justement la curiosité, l'envie et la passion chez les fans, n'ont pas vocation à être remplacés par l'IA dans l'horizon immédiat. En ce qui concerne les premières réactions des têtes pensantes de l'éditorial américain,
Jim Lee a déjà pris position à titre personnel (en poussant pour une signalétique claire), tandis que
DC Comics, en tant qu'entité privée,
a aussi pris soin de refuser des couvertures visiblement réalisées par le biais de l'intelligence artificielle.
Mais, si ces efforts sont louables, on aurait tout de même envie d'entendre une position plus officielle, mieux articulée. Par la voie d'un communiqué de presse, d'une mention précise dans les contrats proposés aux artistes salariés, d'une politique d'entreprise claire, nette et couchée sur papier. Et de ce point de vue, Dark Horse montre l'exemple. Sur les réseaux sociaux, l'enseigne au cheval noir a décidé de prendre la parole, et détailler son point de vue sur la question de l'IA générative et de son utilisation dans la production de comics.
"Dark Horse Comics a été fondée dans l'idée de fournir un environnement de travail idéal pour les créateurs professionnels, et se concentre jusqu'à aujourd'hui sur le soutien des artistes indépendants. Par conséquent, Dark Horse ne soutient pas l'idée d'utiliser l'IA générative dans les travaux que nous publions. Les contrats que nous proposons comportent une clause qui précisent que les créateurs ne doivent pas rendre un travail qui utilise des dessins générés par la voie informatique de l'intelligence artificielle. La compagnie s'est engagée à soutenir les créateurs professionnels humains au sein de l'industrie."
Une prise de parole qui a le mérite d'être claire. A voir si d'autres enseignes suivront l'exemple donné par Mike Richardson, en particulier dans les plus hautes strates du milieu. Ceci étant dit, le problème reste le même : à présent que la boîte de pandore a été ouverte, il est difficile d'imaginer un monde dans lequel même les créateurs qui accepteraient de jouer le jeu ne finiront pas par utiliser l'intelligence artificielle sous une forme ou sous une autre. Pas forcément pour le dessin, mais pour trouver des idées de design, de costumes, faire des recherches éventuelles, ou en soumettant des situations aux chatbots génératifs pour se sortir d'une panne d'inspiration dans l'écriture d'un scénario. Ces variables là seront difficiles à retracer à mesure que la technologie finira par devenir plus complexe, de la même façon que les créations de dessins algorithmiques, qui n'ont cessé de progresser en l'espace de quelques années (au point de pouvoir tromper l'œil humain dans de très nombreux cas).
Ceci étant, le fait de renseigner cette donnée sur contrat présente un avantage certain : si le dessinateur se fait pincer, il risque sa place au sein de la compagnie et un éventuel procès. Alors, est-ce que cette mention incitera les créateurs à se passer des outils de l'IA générative... ou à mieux couvrir leurs traces d'ici les années à venir ?