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Deadpool & Wolverine : l'anti-No Way Home en lettre d'amour aux années 20th Century Fox

Deadpool & Wolverine : l'anti-No Way Home en lettre d'amour aux années 20th Century Fox

ReviewCinéma
On a aimé• Un discours méta' au service de l'intrigue
• Générosité des caméos
• Quelques vraies bonnes vannes
• Une franchise avec une vraie tête pensante
• Les easter eggs pour les fans
On a moins aimé• Toujours pas de réels efforts dans la mise en scène
• Trop de blagues
• Les mêmes coquilles vides en vilains
• Toujours pas pour ceux qui détestent les deux premiers
Notre note

Si on reproche généralement au cinéma des super-héros leur manque d'auteurs, d'autrices, de points de vue, d'artistes capables de s'exprimer dans le moule formaté imposé par les grands studios, la discipline se rattrape tout de même sur un autre versant. Celui des acteurs-personnages. Ces quelques figures connues, comme Robert Downey Jr. ou Samuel L. Jackson, qui ont fini par accomplir une sorte de fusion totale avec leurs avatars de fiction. Peut-être parce qu'ils ont déversé beaucoup de leurs propres personnalités dans leurs personnages, ou peut-être parce que les personnages en question étaient justement capables de leur servir de véhicule. 

Dans cette liste, difficile de ne pas y placer le bon Ryan Reynolds. Malchanceux au moment de signer pour le rôle de Green Lantern, malchanceux au moment de s'engager pour le mémorable Blade : Trinity, et même malchanceux lors de sa première fois sur Deadpool dans Wolverine Origins, l'acteur canadien pouvait alors passer pour l'exemple alpha de l'acteur tombé entre les pattes des calculs de studio. Une belle gueule, visiblement, qui pouvait compter sur une petite base de fans fidèles, visiblement... et des productions catastrophiques où les artistes n'avaient pas vraiment leur mot à dire, visiblement. Un peu comme Chris Evans au moment des deux films Fantastic Four, ou encore Ben Affleck au moment d'adapter le personnage de Daredevil. Et aussi, encore un peu plus tard. Ailleurs. Souvenez-vous. Ce genre de situations ne sont pas rares à Hollywood et ont même tendance à concerner les adaptations de comics en particulier. Forcément : on parle de culture de masse, généralement associées à un public de grands enfants ou d'adolescents, de gugus en collants qui se tapent dessus et de budgets astronomiques nécessaires à la complétion d'effets spéciaux crédibles. Les variables n'aident pas.

Pourtant, Ryan Reynolds a réussi l'impensable : il a pris le système à son propre jeu. Comme James Gunn, celui-ci passe désormais pour une anomalie. Celui que les patrons de groupe citent de tête au moment de positionner leurs pions sur l'échiquier des sorties annuelles. En endossant le personnage de Deadpool pour la seconde fois, dans un premier film en solitaire amorcé par un heureux hasard de circonstances, Reynolds s'est improvisé producteur, mascotte, dialoguiste de fortune dans les scènes improvisées, en misant sur la force fondamentale du cinéma des super-héros : la maigre place qu'on laisse à la figure individuelle, l'acteur, la vedette, qui se réapproprie les canaux de production et transforme une franchise en une publicité géante pour son style, son humour, sa vision du cinéma. Avec désormais trois films à la ceinture, l'anomalie n'a cessé de croître. Non seulement Reynolds a réussi à survivre au bain de sang qu'a pu représenter le rachat de la 20th Century Fox par le groupe Disney... mais en plus, on le laisse faire un autre épisode, avec du sang, avec des gros mots, et avec un Wolverine laissé pour mort dans les nobles circonstances que furent celles du film Logan. Mais qu'est-ce qui s'est passé ? Les blagues de bite auraient donc un tel pouvoir ?

Meta Statique


 
Cette semaine, Deadpool vs Wolverine, réalisé par Shawn Levy, sort enfin dans les salles de cinéma au terme d'une longue, longue campagne de promo'. Marvel Studios n'a pas pu s'empêcher de divulgâcher une partie des surprises au menu de cette copieuse nouvelle aventure du mercenaire à grande gueule, et si vous avez réussi à en esquiver la majorité, bravo, car celles-ci font partie intégrante de l'expérience que représente ce troisième volet. Pour éviter de revenir sur l'ensemble du feuilleton qu'a été cette production hors normes, frappée par une transition de propriétés intellectuelles, une grève, un tournage privé de la liberté d'improviser, une autre grève, et un statut de quasi-sauveur au milieu d'une bonne grosse saison de vaches maigres pour Kevin Feige, rentrons tout de suite dans le dur : non seulement Deadpool vs Wolverine remplit ses promesses, mais le film aurait difficilement pu être meilleur compte tenu des paramètres mis en jeu. Au sortir d'une trilogie sympathique, mais largement critiquable, le constat reste le même : ce n'est toujours pas l'effort maximum que scande son protagoniste, mais l'aboutissement d'une logique de grand enfant qui fait le boulot. Avec peut-être, aussi, un peu plus de cœur cette fois ci.
 
L'intrigue elle-même développe ce que les fans bien informés savent déjà : l'univers Fox a été globalement anéanti suite au rachat opéré par Disney. Dans la diégèse concrète de ces personnages de fiction, cela signifie que toute une continuité s'apprête à être anéantie. Et ça tombe bien, puisque c'est Kevin Feige lui-même qui a inventé les outils nécessaires à cette grande transformation. Chez Marvel Studios, il existe aussi de fidèles soldats chargés de faire respecter la cohérence des récits : on les appelle les Agents de la Time Variance Authority. Alors, la fiction va répondre au réel en imaginant qu'une faction particulièrement vindicative au sein de ce groupe prend sur elle d'anéantir tout ce qui a été fait pendant les années Fox. Deadpool n'est pas concerné (évidemment : lui, Kevin Feige en veut bien) mais ses amis vont disparaître si son univers se fait éliminer. Alors, dans un sursaut d'héroïsme, le mercenaire décide d'aller chercher un Wolverine du multivers pour faire face au problème. 
 
C'est un peu mieux expliqué dans le film, mais, en gros, l'argument général du scénario repose sur le fait que l'univers Fox n'a plus aucun intérêt depuis la mort de Logan dans le film Logan. Dans la mesure où le personnage représente la vedette principale de l'ex franchise X-Men (au point d'avoir transitionné entre la période Singer et la période Vaughn), Deadpool se dit qu'il suffit d'un nouveau Wolverine pour relancer métaphoriquement l'intérêt des fans. Les choses se compliquent quand le mercenaire et son nouveau copain griffu se retrouvent propulsés dans la benne à ordure de la TVA, la zone où ces soldats du temps mettent tous les "déchets" du multivers pour s'en débarrasser proprement. Et dans la mesure où cette zone sert de point de chute à toutes les créations qui ont été annihilées par la TVA à travers le multivers, celle-ci va servir de point de rencontre à toute une batterie de personnages... étonnants. Le festival des caméos peut alors démarrer dans cette grande farandole façon No Way Home. On ne change pas une équipe qui rapporte des centaines de millions.
 

 
Du point de vue de l'écriture, difficile de ne pas trouver Deadpool & Wolverine généreux a minima. Et à tous les points de vue : les blagues graveleuses fusent par centaines, parfois avec un débit tel que certaines se perdent dans la nuée. Ryan Reynolds mitraille les sketchs à base de zigouigouis et les commentaires méta' avec une folle énergie, et même si tout n'est pas bon (on va même dire qu'une bonne partie des vannes tombent à l'eau tant le personnage semble incapable de formuler une phrase sans tomber dans le comique), quelques vraies envolées arrachent un sourire, voire un éclat de rire franc lorsque le dialogue touche juste. 
 
Au hasard, les commentaires sur l'état actuel de Marvel Studios fonctionnent mieux que l'éternelle rengaine du PG-13, et de nombreuses références à la vraie vie des comédiennes et comédiens qui forment le casting tapent aussi avec intelligence sur l'aspect libérateur de cette rafale sonnante contre le quatrième mur. De ce point de vue, on peut même se demander si certaines personnes qui ne suivent pas avec intensité l'actualité des super-héros ne risquent pas de perdre une pépite en vol, puisque l'écriture vise plus à régaler les fans que le grand public, pour changer.
 
Rapidement, la pantomime commence à dessiner les contours d'un discours, d'un propos. Au final, on s'en rend compte au milieu du film, et c'en est probablement l'élément le plus intéressant : Deadpool & Wolverine n'a pas simplement misé sur le retour de Hugh Jackman par caprice ou pour jouer sur la nostalgie du grand public. Au contraire, le griffu est surtout pris en exemple comme le héros qui a réussi. Là où tant d'autres (comme Reynolds au moment de Green Lantern ou Wolverine Origins) se sont effondrés dans l'abime de la série B inintéressante, dans l'adaptation faiblarde qui devient un sujet de gag sur les réseaux sociaux, Logan a eu droit à un parcours quasi impeccable, et est traité par tous les autres personnages du script comme un héros noble et valeureux. Il est celui qui s'est attiré la sympathie du public, celui qui a marqué l'histoire du cinéma, celui que l'on cite en exemple au moment de nommer les bons films à recommander au sein du répertoire. Il est le parfait exemple de la franchise qui fonctionne, celui qui n'a aucune chance de se faire radier par la TVA
 
En face, les victimes de la police du temps passent plutôt pour des erreurs, ou des anachronismes. Le genre que les studios, ou l'univers Marvel Studios en général, aimeraient réinventer pour faire mieux, mieux rentable, mieux moderne, mieux actuel, comme pour gommer l'expérience passée. En somme "les héros qui comptent" par rapport à ceux qui "ne comptent pas". Et alors, chose étonnante, le commentaire méta' devient une arme pour parler de la franchise Deadpool en tant que ce qu'elle est devenue : une franchise. Menée par une figure incontrôlable et par un loser notoire, dans le réel ou la fiction. Un acteur et un héros qui auraient pu l'un et l'autre s'écraser après Wolverine : Origins.
 
On nous parle d'un univers qui a été détruit, de personnages qui n'ont jamais eu droit à une véritable victoire, de la cruauté et de la facilité avec laquelle certains (en costume cravate...) décident de massacrer tout un imaginaire qui sera resté en place pendant vingt ans... en somme, on nous parle de ce film, de ces films, de l'historique de cette première lecture des super-héros qui précède le grand règne de Marvel Studios. Si le point de départ est déjà en soi une parabole sur ce qui est arrivé à Deadpool après le rachat de la Fox, le reste du film n'oublie pas non plus celles et ceux qui sont tombés au combat. Au bout d'un certain temps, le propos s'oriente vers cet angle de "la revanche des ratés" pour déconstruire la notion même de "ratage" au cinéma. Puisque au fond, si MacFadyen incarne l'oblitération de l'univers Fox commandée par Marvel Studios, alors... les vilains seraient plutôt le studio, et dans cette perspective, les actrices et les acteurs frappés du sceau du "nanard" seraient les victimes des décisions de producteurs. On a tous connu ça au fil des dix dernières années chez Marvel Studios comme chez DC Films, sans que les interprètes soient nécessairement les premiers à blâmer. 
 

 
L'objectif, alors ? Leur offrir une chance de rédemption, et ne pas oublier que derrière chaque bide au box office, il a existé des gens, actrices et acteurs en l'occurrence, mais plus généralement, un personnel créatif qui a... tenté le coup. Ryan Reynolds est probablement sensible à ce discours en tant qu'ancien accident de parcours récidiviste, sauvé in extremis avec un succès surprise, né d'une mise en chantier surprise. Lui-même n'aurait pas pu espérer un tel destin quand la fameuse vidéo du test footage de Deadpool a mis le feu aux poudres. Et justement : en face de cette idée, qui cherche à rendre hommage à ce qu'a été l'univers Fox, on va enfin mettre Deadpool face à son propre succès. La TVA va le chercher pour le ramener chez Marvel Studios. Il commence même à se prendre pour le "Marvel Jésus". Il découvre qu'il a aussi enfanté son propre phénomène, et qu'il est une franchise de plus, une franchise légitime, populaire, avec ses propres déclinaisons. Mieux encore : on voit dans cet aspect du film à quel point le comédien garde une emprise certaine sur Deadpool, à quel point lui et son avatar ne font plus qu'un, dans une petite série de petits détails qu'il serait compliqué d'évoquer sans écorner les surprises à l'horizon.
 
Cette partie du script reste plus intéressante que l'intrigue proprement dite. Concrètement, Deadpool & Wolverine est une comédie entre copains. Un duo improbable de gens qui ne s'apprécient pas, qui vont se taper dessus pendant l'essentiel du film avant de réaliser qu'ils ont des tas de choses en commun et s'associer pour affronter la menace du moment. Ce qui fonctionne toutefois : on le sait, on le sent, Hugh Jackman et Ryan Reynolds sont de vrais frérots. Pour avoir travaillé l'un et l'autre avec le réalisateur Shawn Levy par le passé, l'hostilité, qui évolue vite en complicité, est immédiatement palpable entre les deux acteurs. D'une part, Jackman profite de pouvoir enfin exprimer la colère du griffu en utilisant tout le langage disponible (il dit des gros mots !), et d'autre part, l'acteur comme le personnage paraissent comprendre le poids qu'a pu représenter la sortie de Logan au cinéma. Firmament pour le héros, grand film qui lui aura permis de dire adieu à son double préféré pour le comédien, celui-ci est constamment cité comme un point de référence qui nous permet de comprendre et d'apprécier ce "nouveau" Wolverine. Encore une fois, parce que Logan représente le genre d'œuvre auxquelles on aspire au sein d'une franchise de ce genre : un bon moment de cinéma, qui passe forcément pour inaccessible aux yeux des "ratés" de Deadpool. Mais aussi pour ce Wolverine, justement. Lui n'a pas eu le parcours de la franchise Fox. Il découvre, au présent, l'existence de cet homologue qui l'écrase de tout son poids quand lui se pense, à l'instar de son camarade, comme un raté, celui qui n'a pas eu la bonne destinée, qui croule sous le poids de ses erreurs. La relation entre les deux frangins immortels en sort plus naturelle, et aussi plus crédible dans le comique et les moments de tendresse.
 
Hugh Jackman devient le premier acteur de la saga à répondre intelligemment au débit ininterrompu de Ryan Reynolds. Et si ce dernier reste bien cramponné à sa goguenardise habituelle, dans d'autres scènes, on peut apercevoir l'admiration et le respect qu'il entretient vis-à-vis de son camarade de jeu. Et aussi pour les comics, puisque le film ne manque pas de références aux autres versions de Wolverine. De ce point de vue, on peut se satisfaire d'une œuvre somme, qui ne cherche pas tant à désacraliser le Logan de James Mangold qu'à expliquer que le symbole continue et a toujours continué d'évoluer au fil des situations. En définitive, l'amitié (supposée, en comics) de Deadpool et Wolverine fonctionne mieux au cinéma à travers le lien de ces deux bras cassés incapables de communiquer efficacement que dans leur moule traditionnel. Une surprise, de ce point de vue. Puisque, si Wade Wilson emprunte effectivement ses pouvoirs à James Howlett, les scénaristes ne cherchent généralement pas à explorer plus que ça cet effet de "copie ratée" en dehors des comics Deadpool. Alors que, ici, l'idée d'un genre de lien fraternel fonctionne par la redécouverte d'un Wolverine qui ne peut pas simplement se dire que Wilson est son inférieur naturel.

Maximum Effort ?


 
Au global, le projet fonctionne donc comme un bon blockbuster qui compte sur sa générosité, une bonne relation entre ses deux vedettes et un fond de discours intéressant sur le sort des franchises à Hollywood pour trouver son originalité. Quelques scènes sont franchement hilarantes dans ce qu'elles dispensent en humour méta'. Comme souvent en comics aussi, Deadpool n'est jamais aussi drôle que quand il fonctionne en duo ou en groupe avec d'autres personnages. Mais malheureusement, Deadpool & Wolverine est aussi un blockbuster d'action et le troisième volet d'une franchise qui a déjà pu se coltiner de nombreuses critiques. Sur le fond, oui, mais mettons que l'humour est une question de goûts. 
 
En revanche, sur la forme, difficile de dire que la franchise nous a habitués à de grands films de mise en scène ou à des décors particulièrement travaillés. Du premier, on retient surtout le pont et la base du méchant, plus quelques faux décors d'intérieurs tournés en studio. Du second, une course poursuite, un manoir, un appartement. En réalité, les décors de Deadpool n'ont simplement jamais cherché à surprendre ou aller plus loin que le simple effet fonctionnel.
 
Mais, dans un film qui se base justement dans un désert où ont été entreposés tous les restes de l'univers Fox ? Est-ce que ça n'aurait pas été l'occasion de s'amuser un peu ? La réponse est non. Si quelques scènes d'action amusent, en exploitant les codes modernes sur la longueur des plans séquence, la variété des valeurs de plan et la violence des échanges (vu que les deux héros ne peuvent pas vraiment mourir...), on remarque quand même une petite difficulté à mettre la machine en marche. La plupart des scènes font toc, on remarque les décors artificiels, les fonds verts, les incrustations, certains effets de sang sont vraiment criards, et malgré son envie de mettre la gomme sur les échanges musclés et les chorégraphies, le résultat n'est pas franchement à la pointe de ce qui peut se faire aujourd'hui. 
 
Quand on voit, en face, des franchises telles que John Wick, Tyler Rake, sans même parler du cinéma asiatique moderne, Deadpool & Wolverine paraît au final un peu trop artificiel pour marquer la rétine. Certaines choses sont très réussies, et on sent que les chorégraphes ont eu des idées pour personnaliser les styles de combat des uns et des autres (notamment dans la scène d'intro' avec un combat osseux agréable à regarder), mais sur la ligne d'arrivée, le résultat final sonne encore trop studio, trop synthétique, trop léger. Dommage, pour une franchise qui avait pu nous habituer à mieux par le passé. 
 
Ceci étant, pas d'inquiétudes pour les fans de gore : le film ne manque pas de saloperies et de coups de griffes en pleine tête ou dans la ceinture pour réveiller les instincts bestiaux des uns et des autres. On pourra tout de même se mettre d'accord : Shawn Levy ne brise pas le dogme en présence. Les films Marvel Studios manquent encore de travail sur la photographie, les fonds verts, les costumes (oui oui, vous avez bien lu), et malgré son envie de mettre un coup de pied dans la fourmilière, Deadpool & Wolverine reste, comme ses prédécesseurs, un pur produit de la machine blockbuster qui flemmarde sur la crédibilité du rendu. 
 
Même si, pour le point de détail (et c'est une donnée avec laquelle Kevin Feige devra composer s'il entend retravailler avec Ryan Reynolds) : l'homme orchestre est tout à fait conscient de l'utilité du masque de Deadpool pour marquer l'identité du héros, une donnée encore trop rare chez Marvel Studios pour les tenues qui dissimulent les visages des actrices et des acteurs, qui ne servent que pour les scènes d'action. De son côté, Reynolds ne tombe le masque que dans les moments utiles d'émotivité, et encore. Deadpool reste cette bouille rouge aux yeux expressifs, mobiles, et même si le comparatif n'est pas un indicateur fiable de qualité : ça fait tout de même plaisir de voir que cette exigence reste gravée dans le marbre au bout de trois films consécutifs.
 

 
Même critique pour les vilains : si Matthew MacFadyen fait très bien son travail (et retrouve avec bonheur la veulerie et la bonhommie trompeuse de son Tom de Succession, renforcé par un superbe accent britannique de cabotin des grands jours) et si Emma Corrin parvient à évoquer le cinéma d'épouvante quand elle utilise pouvoirs multifonctions, les motivations des super-méchants sont extrêmement légères dans cette nouvelle aventure. 
 
L'argument qui motive tout le film ? Un agent de la TVA trouve que l'extinction de la Fox ne va pas assez vite et décide de bazarder le projet. Et pour Cassandra Nova ? Celle-ci se sent plus à l'aise dans la poubelle de la TVA que dans le monde réel. Quelques retournements de veste franchement superflus ou faiblards plus loin, et une fin somme toute téléphonée ne permettent pas à l'une ou à l'autre à briller. On se trouve visiblement en face de vilains fonctionnels qui ne marqueront la mémoire de personne. Dommage, quand on pense tout son projet comme un clin d'œil géant envers la franchise des X-Men, dont on peut tout de même admettre qu'elle pouvait compter sur quelques adversaires intelligents, bien écrits et intéressant (dont un autre qui a joué dans Succession, d'ailleurs). Ce choix accentue le déséquilibre global : les adversaires des deux précédents Deadpool avaient surtout vocation à servir de placement pour les sketchs longue durée de Ryan Reynolds. Cette fois, quelques efforts sont concédés, mais pas suffisamment, et on a tout de même l'impression de gâcher une Cassandra en parfait état de marche au profit d'une comédie de potos qui ont des choses à se dire.
 
En ce qui concerne la direction des actrices et des acteurs au global... tout le monde a l'air d'avoir compris la consigne, mais encore une fois, il est difficile de briller dans l'ombre d'un personnage incarné par celui qui pilote la franchise depuis son poste de capitaine multitâches. Deadpool et Wolverine occupent l'essentiel de l'espace disponible, et seul un autre acteur surprise parvient à voler les scènes dans lesquels il apparaît. La musique tombe aussi dans le piège de l'autocongratulation : quand on croit que c'est forcément cool d'avoir un morceau du top cinquante sur une scène d'action violente, on a tendance à en foutre partout. L'effet s'amenuise à force d'utilisation, et au final, on n'aurait pas été contre une bande son avec davantage d'identité. Pas forcément en imposant à Deadpool une musique héroïque ou épique, mais par exemple en choisissant un seul répertoire. Surtout pour une franchise qui assume enfin de morceler l'intérêt du spectateur : si Wilson était le héros solitaire, comme d'habitude, on accepterait plus facilement d'être dans sa tête avec ses goûts musicaux comme seuls guides. Mais cette fois, l'action est partagée. Peut-être qu'une tonalité musicale plus proche de Wolverine aurait été la bienvenue.
 

 
En bref, Deapdool & Wolverine reste proportionnel à ce que l'on pouvait espérer d'un film qui en suit un autre, qui en suit un autre. La tonalité reste celle d'une comédie enrobée dans un habillage d'action débridé, mais qui ne fait pas de réels efforts pour se distinguer de la masse, à l'exception de quelques gimmicks. La caméra qui traîne sur l'action et les effets de sang, l'idée que les héros ne peuvent pas mourir mais restent d'infatigables losers pas foutus d'esquiver le moindre coup, des plans rapprochés en dessous de la ceinture... et une caméra qui a pourtant l'air bien engoncée dès lors que la seconde équipe lâche les commandes à Shawn Levy, avec des plans rigides, qui s'appuient seulement sur ce que les actrices et les acteurs veulent bien donner au milieu des fonds verts et des emprunts paresseux à la saga des Mad Max.
 
Mais, et c'est probablement ce qu'il faudra en retenir : dans sa démarche de grand historien des franchises Fox, on sent chez Ryan Reynolds une sincère envie de bien faire. En rendant hommage aux X-Men des comics et du cinéma, à Wolverine, à Hugh Jackman, ou à son propre passé dans le couloir des ratés de la machine à produire le popcorn. Jusqu'à conclure sur un générique surprenant - et pas parce qu'il transporte un caméo de plus ou une révélation inattendue, mais simplement parce qu'il dit sans doute plus de choses sur le propos de cet ultime volet que l'essentiel des gags dispersés tout au long du script. A savoir ? A savoir que le comédien a réussi à transformer ce qui pouvait passer pour une pompe à fric de plus basée sur la nostalgie du public envers d'anciens films aujourd'hui disparus. En optant enfin pour une démarche plus sincère qui ne cantonne pas son discours méta' aux simples astuces de scénario, mais qui dit quelque chose. Comme lors des deux précédents volets qui insistaient sur la référence systématique à Green Lantern : Reynolds a sauvé sa carrière avec Deadpool, mais ça ne veut pas dire que d'autres ont eu cette chance.
 
Voilà ce qui distingue le Deadpool du cinéma du Deadpool des comics. En BD, Wade Wilson brise le quatrième mur, c'est vrai, mais en général, le scénariste de l'histoire ne se propulse pas lui-même à travers cet avatar de fiction. Les auteurs qui écrivent Deadpool savent que Deadpool les regarde, mais son existence reste celle d'un personnage conscient de sa propre matérialité, qui accepte de jouer le jeu parce qu'il n'a pas le choix. A l'inverse, la fusion entre le mercenaire et son interprète de cinéma permet de débloquer dans ce film une autre strate de compréhension : Deadpool & Wolverine reste un film de studio, un divertissement, un blockbuster avec ses forces et ses faiblesses, mais dans le monceau de trucs idiots ou drôles qui se passent à l'écran, l'acteur parvient à nous communiquer une nostalgie qui ne tient pas seulement sur nos propres souvenirs de spectateur. Mais qui s'adresse aussi aux femmes et aux hommes qui ont fait les films de cet ancien empire de la 20th Century Fox, tombé face à la logique des conglomérats. Et en cela, si le cinéma de super-héros manque d'auteurs, il n'oublie pas qu'il reste le produit d'un travail collectif, commandé par des studios mais exécuté par des humains. En somme, un point de vue rebelle, empaqueté dans un modèle classique, comme si l'anomalie se poursuivait dans le présent.

Restent quelques vrais reproches dans la forme, une déferlante de gags souvent inutile, mais aussi une comédie sympatoche entre deux copains, quelques easter eggs bien trouvés et un film qui, en définitive, s'en sort plutôt bien.
Corentin
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