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Lumi : Colin Kaepernick lance un outil (merdique) de génération de comics par IA pour ''rendre le pouvoir aux créateurs''

Lumi : Colin Kaepernick lance un outil (merdique) de génération de comics par IA pour ''rendre le pouvoir aux créateurs''

NewsIndé

Reconnaissance faciale, drones de combat, caricatures racistes, les bienfaits de l'intelligence artificielle pour le genre humain sont d'ores et déjà attestées. Mais, la technologie n'a pas encore atteint son plein potentiel. La preuve : il reste encore des êtres humains qui travaillent dans les industries culturelles et créatives, comme quoi, on peut encore faire mieux. Pour remédier à ce problème, les géants de la tech' s'affairent à corriger le retard à l'allumage sur tous les secteurs possibles : arts picturaux, cinéma, musique, et bien sûr, bande-dessinée, tous les secteurs sont concernés et les initiatives ne manquent pas. 

En ce qui concerne les comics, dès les premiers pas de cette nouvelle technologie, de nombreux internautes s'étaient déjà amusés à taper dans les bases de données d'OpenAI, Midjourney Inc. et Stability pour faire apparaître par la magie de l'algorithme des illustrations réalisées à partir des dessins de vrais artistes qui savent peindre ou crayonner. Mais, cela ne va pas encore assez vite. Effectivement : une fois qu'on a le dessin, il faut le mettre sur une page, imaginer un découpage, un sens de lecture, entre autres labeurs fastidieux. Et puis, l'intrigue, les dialogues, le rythme, tous ces petits désagréments qui freinent la créativité de l'utilisateur lambda, continuent de poser problème. Fort heureusement, la solution est en chemin. Elle s'appelle Lumi, nouvelle plateforme d'IA générative qui se promet de créer des comics à votre place en vous permettant en plus de mettre votre nom sur la copie, pour revendiquer cette identité de créateur qui manquait à votre bio' sur les réseaux.

Zombies vs Robots

La rédaction de BleedingCool a rapporté la bonne nouvelle : Colin Kaepernick, un joueur de football américain professionnel, a levé 4 millions de dollars pour développer un outil futuriste qui permettra aux uns et aux autres de créer leurs propres comics, sur la base d'une variété de solutions pour les dialogues, dessins, mises en couleurs, etc. L'objectif n'est pas de remplacer le savoir-faire de l'être humain, évidemment, mais au contraire d'aider les artistes indépendants à contourner certaines problématiques de l'ancien monde. Notamment sur la distribution et la commercialisation de leurs travaux. Pour mieux comprendre, voici le descriptif de mission de Lumi, sans tricher avec les termes. Vous allez voir : en fait, tout ça part d'une bonne intention.
 
"Lumi vise à rendre le pouvoir aux créateurs en leur fournissant les outils nécessaires pour créer, publier et commercialiser de manière indépendante leurs histoires à la fois en numérique et en physique. La compagnie prévoit de concentrer son énergie sur les auteurs de comics et de romans graphiques, un marché qui nécessite de multiples compétences créatives réunies. Lumi a pour mission de démocratiser ces compétences en les rendant accessibles à toutes et à tous. La technologie utilise l'intelligence artificielle avancée pour améliorer le processus créatif et garantir des histoires diverses et authentiques afin de façonner notre avenir.

Avec Lumi, nous voulons démocratiser la création en fournissant aux auteurs les outils qui leur permettront de transformer leurs idées en produits finis, et servir d'intermédiaire pour l'édition et la diffusion. Avec notre technologie, n'importe quel créateur pourra se transformer en Walt Disney. En tirant parti des outils de l'IA avancée, Lumi permettra d'améliorer le processus créatif, permettant aux créateurs de se concentrer le fait de donner vie à leurs histoires, pendant que la plateforme gérera toute la logistique. Les créateurs ont eu un impact significatif sur l’IA, et ils devraient être les principaux bénéficiaires de son utilisation.



Les créateurs sont aujourd’hui confrontés à des défis importants, notamment l’exploitation et le manque d’indépendance par rapport aux éditeurs. Lumi se propose de résoudre ces problèmes en fournissant une solution qui va d'un bout à l'autre de la chaîne créative, pour débloquer davantage de stabilité financière, de contrôle et une meilleure protection sur leur travail. De plus, à mesure que l’IA continue d’évoluer, il est essentiel de garantir que le contenu qui en résulte reflète des perspectives diverses et authentiques. En permettant aux créateurs de créer leurs histoires sous un angle authentique, Lumi contribue à garantir un avenir plus équitable pour l'IA.

Lumi part d'une expérience personnelle : les obstacles auxquels Kaepernick s'est retrouvé confronté au moment de créer ses propres histoires. Lesquels incluent notamment, des coûts de production élevés, de longs délais de production et des gatekeepers au sein de l'industrie. Ces difficultés ont tendance à freiner les créateurs, et empêchent de nombreux projets de se lancer. En réduisant les obstacles à l'entrée du marché, Lumi compte faire sauter le barrage de la créativité, permettant à une nouvelle vague d’histoires diverses et innovantes de prendre vie."

Voilà pour la note d'intention. On comprend en lisant entre les lignes que Lumi devrait permettre aux uns et aux autres de générer un comics en quelques mots, ou de contourner certaines des problématiques mentionnées plus haut : si vous avez les dessins, la technologie pourra toujours fournir les dialogues. Si vous avez les dialogues, la technologie fournira les dessins. Et si vous avez seulement une vague idée, la technologie vous proposera une éventuelle application sur papier numérique. 
 
Caricatural ? Qu'est-ce que vous voulez : c'est la promesse, et sans application immédiate, on aurait du mal à ne pas tomber dans cette chimère de la corne d'abondance à comics que les artistes professionnels redoutent depuis l'apparition des premiers algorithmes génératifs. Il est probable que l'arbre de noël soit un peu trop chargé (ou plutôt, trop bien emballé) pour être vrai. Avec un budget de seulement quatre millions, en plus de quelques investisseurs externes, on voit mal comment Lumi aurait réussi à synthétiser une telle quantité de savoir-faire, au moment où les géants de la tech' assument encore de ne pas être capables de générer un film complet sur la base d'un simple prompt
 
Du reste, beaucoup de choses sont encore à déballer dans cette petite prise de parole (probablement générée par un chatbot génératif d'ailleurs). Pour commencer, les "gatekeepers" en question désignent probablement les éditeurs, un métier essentiel de l'industrie des comics qui ne se résume pas à "valider ou invalider" le projets caprice des aspirants créateurs. Ceux-ci servent aussi à orienter les artistes, associer les équipes créatives, gérer et superviser un projet sur le temps long... le portrait un peu rapide des patrons de Lumi, qui présentent ce corps de métier comme de vilains empêcheurs de créer en rond, suit une logique populiste qui marche à fond dans le discours volontaire des marchands de l'intelligence artificielle moderne. 
 
Grosso modo, la rhétorique à chaque fois identique : vous ne savez pas faire quelque chose, mais au fond de vous, vous sentez que vous êtes faits pour ça ? Vous êtes persuadés qu'un musicien, qu'un dessinateur ou qu'un réalisateur sommeille en vous, mais la flemme de prendre des cours et de gaspiller dix ans ? Ne vous inquiétez pas, nous avons créé une intelligence artificielle pour ça. Sans écarter les éventuels bienfaits des algorithmes dans divers secteurs (recherche, handicap, etc), cette obsession pour la "démocratisation" de l'intelligence artificielle dans le domaine des arts repose à chaque fois sur la même mélodie. Le communiqué de presse de Lumi parle par exemple de "rendre le pouvoir" aux artistes... en oubliant au passage que les bases de données qui servent à générer des dessins par la voie de l'IA s'appuient toutes sur le stockage illégal de dessins dans ces bases de données, qui servent à entraîner les robots planqués dans chaque logiciel. On ne voit pas exactement comme ce principe, indissociable du fonctionnement même de l'intelligence artificielle générative, se conjugue avec l'idée d'encourager la création "authentique", ou de créer "de nouvelles protections" pour le travail des artistes.
 
Sur le principe, on aurait même envie de voir plus loin : en général, la vocation de dessinateur passe généralement par une phase d'apprentissage. Pour dessiner, on lit, on étudie, on découvre de nouvelles esthétiques, de nouveaux coups de crayon. On copie, on restitue, et suite à cette restitution, on se découvre un style, une façon de faire, de s'exprimer. La même logique fonctionne pour les autrices et les auteurs. Avant d'écrire, il faut lire, et en lisant, on affute son regard, on découvre des œuvres, des bibliographies, des filmographies, on se constitue un bagage culturel et un stock personnel de références, de discours, de sujets, d'œuvres à part entière sur lesquels on bâtit sa propre approche des choses. La sempiternelle promesse du raccourci, qui permettrait à n'importe qui de s'improviser artiste, oublie que cette voie d'apprentissage n'est pas nécessairement qu'un labeur pénible et redondant, mais aussi un chemin obligatoire qui permet au talent d'apparaître, de se forger, et de porter un caractère unique et (réellement) authentique. Et à l'art de transitionner de génération en génération, comme une éternelle chaîne humaine, lorsque les suivants s'inspirent des anciens, etc.
 
Bien sûr, l'objectif n'est pas ici de produire le prochain postulant aux Eisner Awards. Ni même de faire la courte échelle aux futurs créateurs vedettes : comme d'habitude, on le rappelle, si tout le monde peut produire des comics sur internet, alors l'offre risque d'exploser en se multipliant par cent, par mille ou par dix mille. Le public pourrait alors se perdre face à ce choix infini, sans savoir vers quoi s'orienter, quoi conseiller, quoi lire, et s'écœurer rapidement si la moindre lecture manque d'intérêt, de panache ou bien... d'âme. 
 
Enfin, pour la partie qui concerne la diffusion et la distribution, là-encore, difficile d'en dire plus sans avoir une idée plus claire de la stratégie économique de l'entreprise, mais il est facile d'imaginer que les fondateurs de Lumi comptent monétiser les BDs générées sur la base de leurs algorithmes via une éventuelle boutique en ligne. A voir.
 
Les réactions des professionnels de l'industrie n'ont pas tardé à tomber. Pour Tom Taylor, Gail Simone, Chris Burnham, Bruno Redondo, Ben Templesmith, et quelques dizaines d'autres curieux individus qui savent réellement écrire ou dessiner, l'annonce de Lumi est une nouvelle écœurante. D'autant plus de la part de Colin Kaepernick, qui avait visiblement quelques fans dans cette marée d'artistes dont le travail et le mode de vie se trouve désormais mis en danger par cette superbe trouvaille. Reste à voir si les tribunaux finiront par trancher sur le cas de intelligences artificielles pour les dessins générés sur la base de créations déposées, ou si les émissions de CO2 provoquées par cette flambée des IAs deviendront un problème suffisamment grave pour inquiéter les pouvoirs publics d'ici les prochaines années.
 
De son côté, Khary Randolph explique avoir été mis au courant auparavant, et avoir présenté au fondateur de Lumi certains des arguments évoqués plus haut, comme pour éliminer toute forme de contre-discours. Les personnes à l'origine de cette technologie ont parfaitement conscience du danger que représente cette technologie pour les artistes professionnels, mais ont tout de même choisi de la lancer tout de même, sous l'argument de rendre service aux créateurs.
 
 
 
Corentin
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