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The Crow : y a-t-il vraiment besoin d'un papier pour vous dire que c'est pas bien ?

The Crow : y a-t-il vraiment besoin d'un papier pour vous dire que c'est pas bien ?

ReviewCinéma
On a aimé• Y a de la bagarre et du sang
On a moins aimé• Trois quarts d'heure d'exposition
• Skarsgard a beau être bien bâti, le look du Jared Joker n'aide pas
• Pas de photographie, pas de mise en scène particulière
• Des acteurs et actrices à qui on ne donne pas grand chose à faire
• Des choix scénaristiques/philosophiques particulièrement discutables
• Puis de toute façon, fallait visiblement pas le faire, ce film
Notre note

La question posée dans le titre de cet article est à peine provocatrice. Au moment de publier cet article, la messe a de toute façon été dite : The Crow s'est déjà planté pour son lancement au box-office américain, les critiques sont dans l'ensemble mauvaises - et la notre ne fera donc qu'ajouter une pierre à un mur déjà bâti. Ce n'est pas faute d'avoir vu le film de Rupert Sanders en avance - le distributeur Metropolitan Films a fait tout ce qu'il fallait pour proposer des projections presse en bonne et due forme. Mais plutôt une forme d'à quoi bon qui s'est manifestée à quelques jours de la sortie, car l'embargo, lui, n'était levé qu'à 9h du jour de sortie. Soit l'horaire précis de la lancée de la première diffusion en salles de cinéma, et certainement le signe le plus évident de l'absence totale de confiance du studio, qui a donc quelque part lui-même déjà abandonné tout espoir de pouvoir attirer du public en salles. 

Si les commanditaires eux-mêmes du projet n'y croient absolument pas, et que de façon générale The Crow n'a pas eu l'air de captiver grand monde en tant que tel, alors est-il nécessaire de prendre du temps pour conseiller de ne pas aller le voir ? Puisque la critique est un point de vue forcément subjectif, et fonction du parcours de spectateur - et de lecteur - de celui qui la rédige, vous excuserez la présence plus importante qu'à l'habitude du "je" dans ce papier, qui va s'attacher malgré tout à vous expliquer pourquoi le remake/reboot de The Crow n'est ni une bonne adaptation, ni un bon film.

Le corbeau a perdu ses plumes

Le préambule le plus important me semble être le rapport à l'oeuvre originelle. Le film The Crow d'Alex Proyas n'est pas n'importe quel film. Au-delà de toute considération qualitative ou artistique, c'est surtout son aura dans les sphères pop-culturelles qui importe. En cause : le triste décès de l'acteur principal Brandon Lee en plein tournage, particulièrement lugubre pour un film considérablement noir, dans lequel le protagoniste, Eric Draven, venge le meurtre de sa petite amie Shelly tout en passant le reste du temps à pleurer son souvenir et ses moments passés avec elle. Une mort accidentelle sur le tournage d'un film qui ne parle que de la mort et du deuil. Il est donc aisé de comprendre cet aspect mystique autour de ce projet, d'autant plus que la gestation de ce reboot a été un development hell parmi les plus ardus qui soit, réalisateurs et acteurs ayant été particulièrement nombreux à s'être cassés les dents sur ce projet. 


Au risque de choquer certaines personnes, jusqu'à il y a quelques semaines, The Crow m'était complètement inconnu. Ayant été trop jeune pour le découvrir à l'époque de sa sortie, et du fait d'une éducation télévisuelle/filmique hélas très lacunaire, je n'ai jamais pu découvrir le film originel en grandissant, et n'a pas pris le temps (par manque d'affect ou d'intérêt, tout simplement) de rattraper mon retard par la suite. En conséquence, quand est arrivée l'heure de voir le reboot, j'ai préféré découvrir l'original après pour ne pas être tenté immédiatement de faire la comparaison - et pour me préserver de tout affect personnel. Sachant que généralement, même dans le cadre d'oeuvres que j'adore, ma doctrine reste toujours celle de ne rien sacraliser et considérer que l'on peut toucher à tout. Les artistes doivent être libres de pouvoir tout réinterpréter, ce sera ensuite au public et à la critique de juger l'intérêt de la démarche. Mettons dans ces circonstances que j'incarnais en quelque sorte (et à quelques années près, peut-être) le public cible idéal de ce reboot de The Crow : de celui qui ne connaît pas l'oeuvre originelle et qui pourrait être intéressant d'en découvrir une version modernisée. 

C'est en effet ce choix évident que fait Rupert Sanders : tout conscient qu'il est de ne pas pouvoir tenter de "refaire" le film d'Alex Proyas, il s'affranchit de quasiment tout ce qui faisait l'esthétique (très marquée) d'Eric Draven et de la ville, son terrain de chasse, pour donner une lecture moderne - modernisée ? - de The Crow. Dans les grandes lignes, l'histoire ne change pas et n'est pas bien compliquée à saisir : Eric Draven file un parfait amour avec Shelly Webster, ils se font assassiner, Draven est tiré du trépas par une force surnaturelle représentée par un corbeau, et repart dans le monde des vivants pour se venger de ses assassins. Un récit au déroulé classique, sur lequel les comics de James O'Barr arrivent à se démarquer par le design de son héros, la douleur de son deuil qui le terrasse dès qu'il n'est pas occupé à chasser ou tuer quelqu'un, et la noirceur de l'ambiance générale. Des éléments d'ailleurs qui forgent l'identité graphique du film de Proyas. Dans The Crow nouvelle version, le constat immédiat est qu'en effet, le reboot se veut être tout à l'inverse de l'original.


D'une part, dans son déroulé. Si le film de Proyas raconte le passé d'Eric et Shelly par des flashbacks au montage halluciné, celui de Rupert Sanders est bien plus linéaire. On revient dans un très bref temps sur une scène de l'enfance de Draven (qui permet d'ailleurs d'utiliser la scène du cheval dans les comics originels), pour le montrer comme étant très perturbé, avant de passer un très long moment à raconter les origines de Shelly et sa rencontre avec Eric dans un centre de désintoxication. La jeune femme, campée par une FKA Twigs à qui on ne donne pas grand chose d'autre à faire que de minauder dès qu'elle voit son partenaire de jeu, a choisi d'être incarcérée pour échapper à de mystérieux poursuivants, car elle a été témoin - et a filmé - quelque chose qu'elle n'aurait pas dû voir. Une fois que les deux tourtereaux se croisent, ils s'échappent du centre en question - puisque ceux qui cherchent Shelly ont fini par la retrouver - et vont ensuite pouvoir s'éprendre l'un de l'autre et rêve à un avenir meilleur. Toute l'attention donnée à cette amourette, dans le but de donner plus d'épaisseur à l'héroïne, fait que The Crow version 2024 souffre d'emblée d'un gros problème de rythme et d'exposition. Il faut en effet 45 minutes pour que Draven entre vraiment en action (quand il en fallait dix dans le film de Proyas) et que la quête de vengeance, mâtinée de surnaturel, se mette en place. 

A partir de ce moment-là, Sanders essaie d'instaurer un semblant de mythologie dans laquelle, au final, le corbeau en lui-même ne prend pas tant de place que ça visuellement, avant qu'Eric Draven finisse par se trouver son look et entamer son joyeux carnage. Là aussi le bat blesse : sans chercher à faire une comparaison vaine à Brandon Lee, cet Eric incarné par Bill Skarsgard et ses superbes tablettes de chocolat n'a rien d'excitant. Il faut bien dire que la caméra de Sanders ne fait pas grand effort pour l'iconiser, et que l'allure ultra-tatouée - mais avec des tatouages assez aléatoires, façon Joker de David Ayer - n'aide pas. Dès lors, ce manque de classe pourrait être compensé par l'action, et on accordera à ce The Crow une sorte d'apothéose sanglante avec une scène tournée à l'Opéra de Munich, où le réalisateur trouve un peu d'inventivité avec l'immortalité de son héros. Comprendre que Draven peut s'aider par moments des sabres qui lui traversent le corps pour en faire un arme contre ses assaillants. De quoi satisfaire les spectateurs qui se contentent de la violence à base de giclées de sang numérique (dont je considère faire partie), et encore. Cette seconde partie, qui se conclut d'ailleurs par un final anti-climatique déroutant, place The Crow dans une tentative d'être un John Wick-like, comme une tentative du studio de coller aux canons de ce qui plaît dans le cinéma d'action moderne. Encore eut-il fallu y mettre les moyens dans la dite action.


Au-delà de ces écueils de narration et de mise en scène, il y a aussi toute une philosophie problématique dans ce The Crow, fait par des choix particuliers de l'histoire. Le fait, en premier lieu, que le meurtre d'Eric et Shelly ne soit pas du tout un acte de violence gratuite sorti de nulle part, mais un plan orchestré par un grand vilain, Vincent Roeg (sympathique Danny Huston à qui on ne donne là aussi pas grand chose à faire), dont les tenants et aboutissants sur ses capacités surnaturelles et le but de ses manigances restera flou tout du long. Puisqu'il y a une forme de justification incarnée à l'assassinat du couple, sa brutalité en est au final atténuée. Dans ce même ordre d'idée, les truands de l'histoire de base comme Tin Tin, Funboy ou T-Bird, hauts en couleurs et en caractère, sont remplacés par une armée d'hommes de main interchangeables - qui ne servent que de chair à canon - et deux sortes de lieutenants dont le public ne retiendra jamais les noms. Le film y perd toute une partie de son habillage "comicbook" avec ce choix d'être plus terre-à-terre.

Enfin, le fait est que dans ce reboot de The Crow, Eric Draven fait ce qu'il fait car on lui donne l'espoir de pouvoir ramener Shelly dans le monde des vivants. Il n'y a donc pas de vengeance sourde motivée par le deuil et la douleur la plus abominable, mais ici par une forme d'espoir qui est donc aux antipodes de l'esprit originel de ce que vit le héros. Par ailleurs, alors que Draven peut se laisser à disparaître une fois sa mission accomplie, le reboot use de quelques grossières ficelles scénaristiques pour tenter de faire de ce film le début d'une franchise - encore une fois, façon John Wick - dans laquelle Eric pourrait continuer d'aller venger la mort d'autres personnes dans d'autres films. Certes, il y a bien eu des suites au premier film The Crow, ce qui fait de facto qu'il y a déjà une franchise, James O'Barr n'a jamais envisagé que Draven soit un justicier qui opère pour le compte des autres. A priori, le pouvoir transmis par le Corbeau doit servir aux personnes touchées par l'injustice pour qu'ils puissent eux-mêmes avoir l'occasion de se venger, ou venger les personnes proches disparues.


En somme, par lui-même, The Crow (2024) est un film d'action qui souffre d'une exposition bien trop longue, d'acteurs et d'actrices à qui on ne donne pas grand chose à faire, d'une photographie quelconque et d'un grand nombre de choix artistiques et scénaristiques assez douteux. Un film qui est donc passablement moyen et pas vraiment recommandable, sauf pour celles et ceux qui recherchent un peu de violence (et qui ont la patience d'attendre plus d'une heure pour ça). Lorsqu'on rajoute la comparaison aux comics et surtout au film originel, le constat est encore pire pour le film de Rupert Sanders. Le souci principal, c'est que The Crow était condamné à l'échec dès le moment où le projet était de reprendre l'histoire d'Eric Draven plutôt que, quitte à moderniser le mythe, choisir un autre avatar existant dans les suites/spin-offs des comics, ou même en créer un de novo - avec O'Barr, tiens, pourquoi pas ? Mais puisque le péché originel a été assumé par le studio, alors le résultat final ne pouvait que décevoir. Soit Sanders copiait l'original et il y avait toutes les chances de souffrir la comparaison ; soit il décidait de s'en écarter, sauf qu'à l'arrivée, les choix opérés ne font qu'accentuer le fait qu'ils ne sont pas bons. 

En définitive, vous aurez peut-être apprécié de passer cinq minutes à lire cet article qui ne vous recommande pas un film que vous n'aviez très certainement pas l'intention d'aller voir au cinéma. The Crow a pour lui le mérite d'avoir réussi à voir le jour. On espère à toutes les parties impliquées qu'elles pourront vite aller de l'avant et rebondir depuis ce projet maudit, qui devrait dans tous les cas tomber très vite dans l'oubli. 

Arno Kikoo
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