Vous connaissez la règle : si les éditeurs de comics aiment présenter la continuité comme la mémoire vivante de l'industrie des super-héros, comme un regard rétrospectif dont l'objectif est d'alimenter un mouvement perpétuel vers l'avant, les choses sont souvent un peu plus compliquées dans la concrétude des faits. Depuis quelques années, les éditeurs en poste chez Marvel ont pris l'habitude de maquiller les données. Certains personnages vont par exemple avoir le droit à de longues périodes d'évolution... jusqu'à ce qu'une bonne partie de ce qui a été inventé en cours de route devienne simplement trop lourd, trop compliqué à digérer pour le recrutement et la conversion de nouveaux lecteurs. Et si ce principe a longtemps dirigé la logique des allées et venues au sein de l'industrie des super-héros, avec des personnages qui bougent, qui accumulent, qui empilent, et qui sont ensuite rendus à leur socle originel, certaines transitions sont un peu plus difficiles à vivre.
Dans le cas des X-Men, beaucoup de gens avaient apprécié les idées présentées par Jonathan Hickman au moment où le scénariste a ouvert la période de Krakoa. Enfin, une franche évolution, qui allait plus loin que certaines tentatives passées d'établir de nouveaux états-nations indépendants pour les enfants de l'atome. Et puis, au départ, tout était neuf, la ligne était globalement dirigée par une envie de cohérence esthétique, artistique, tout en admettant des lectures ou des tonalités plus libres par endroits.
Et si tout le monde n'a pas forcément été satisfait de la façon dont Marvel a décidé de mettre un terme à la grande saga de Krakoa, l'essentiel des lecteurs pourront se mettre d'accord pour dire que celle-ci devrait globalement rester comme un bon souvenir. Comme un réel effort de renouvellement, l'une des dernières tentatives de faire réellement avancer le statu quo à l'échelle de tout un univers... mais encore une fois, cet effort seul n'aura pas résisté au passage du temps. Dans la foulée de Fall of X, Tom Brevoort, l'un des très hauts gradés de l'organigramme Marvel, a pris les commandes du pôle X-Men en remplacement de Jordan D. White. L'objectif affiché était clair : détruire Krakoa, déconnecter les mutants les uns des autres, et rendre à ces personnages une importance de premier plan sur le planisphère terrestre... au contact des humains.
Cette énième envie de faire table rase du passé (parfois de manière assez brutale) a pu surprendre, ou choquer certain(e)s des lecteur(ice)s qui avaient justement commencé les X-Men en prenant le train en marche avec Krakoa. De leur côté, les vétérans ne s'attendaient pas à ce que cette période dure éternellement... mais la question devient alors, puisque l'on sait ce que l'on a perdu : qu'est-ce que la Maison des Idées a décidé de nous offrir en échange ? Qu'est-ce que l'on gagne, avec cette nouvelle chronologie développée sous le titre "From the Ashes", ou encore "From the Ashes... A New Beginning", de si important qu'il était fondamental de se débarrasser complètement des idées précédentes ?
Pour toutes celles et ceux qui connaissent un peu le travail récent de Tom Brevoort en tant qu'éditeur, la question s'annonçait forcément légitime. Puisque, si le fidèle capitaine peut revendiquer, comme Nick Lowe sur le pôle Spider-Man, un passé glorieux à l'aune de ses vingt-cinq ans de fonction dans les rangs de la Maison des Idées, on connaît surtout de lui dans le présent sa façon toute personnelle de gérer les séries du groupe Avengers. C'est aussi une constante que le lectorat doit apprendre à considérer : certaines séries ne sont pas seulement mauvaises par manque d'inspiration de la part des équipes créatives en poste, mais aussi parce que l'éditorial commande certaines pistes, oriente certains projets, fabrique un bout du statu quo moderne à coup de suggestions et d'assemblages parfois réussis, et parfois non. Et si la symbiose entre Jordan D. White et Jonathan Hickman nous avait permis d'obtenir la période Krakoa... cette nouvelle saga pilotée par un nouveau meneur de jeu se présente encore comme un véritable point d'interrogation compte tenu du rapport comparatif.
Alors. Qu'est-ce que ça donne ? Essayons de faire ça dans l'ordre.
X-Men : Jed MacKay, Ryan Stegman
Le nouveaux mensuel X-Men (From the Ashes) de Panini Comics prend les choses dans l'ordre. Comme convenu : l'ancien bastion des mutants s'est effondré, et ceux-ci ont été rendus au monde réel, en acceptant au passage de fragmenter les effectifs classiques... Cyclops et Magneto ont donc décidé de poursuivre les aventures des X-Men en montant une nouvelle équipe. Jean a pris la direction des étoiles dans son nouveau rôle de Phoenix, Wolverine ne tient pas forcément à s'associer à la nouvelle bataille qui s'annonce, Hank espère encore pouvoir convaincre les humains de la possibilité d'une coexistence pacifique... et une armée de fantassins répond désormais aux ordres de Scott et de Magnus dans l'idée de continuer le combat contre les adversaires de leur espèce. Autant le dire tout net : à l'instar de ce qu'il a pu proposer récemment sur les Avengers, la prestation de Jed MacKay sur le projet reste encore trop automatique pour convaincre.
L'introduction de la série déballe l'éventail traditionnel des lancements de séries Marvel. Tout de suite, on se précipite vers l'action, le dialogue mitraillette, on insiste sur la complicité des personnages principaux dans des dialogues comiques (entre Magik et Juggernaut en l'occurrence), et on présente le statu quo du moment en laissant l'oralité s'exprimer. La série part du principe que de nouveaux mutants adultes ont été "activés" récemment par une horde de nouveaux vilains, et que cette initiative participe d'un nouvel effort visant à déstabiliser les membres de la mutanité. Le projet a quelques bonnes idées à défendre : la nouvelle base des X-Men se situe en Alaksa, Magneto est visiblement celui qui a le plus mal vécu la chute de Krakoa et n'arrive pas à tourner cette page ou à pardonner à l'humanité, on comprend l'envie d'isoler les héros dans cette région perdue des Etats-Unis où ils pourront bâtir un nouveau refuge sécurisé. Dans le même temps, l'exposition dans les dialogues comprend une certaine lourdeur (on a un Cyclops qui explique l'intrigue à haute voix, juste après avoir annoncé qu'il allait... expliquer l'intrigue à haute voix) avec une tonalité légère qui ne correspond absolument pas aux priorités du moment.
On ne ressent pas le sentiment d'une équipe tout juste sortie d'un traumatisme réel, parce que l'écriture applique une tactique trop bien rôdée dans les méthodes d'écriture des comics Marvel pour réellement se dégager de l'atmosphère pesante des séries de Krakoa. En somme, d'entrée de jeu, se pose la question de la sincérité de cette nouvelle période. Comme si on demandait au lecteur d'accepter que c'est comme ça, que les choses passent, et que les personnages, eux, n'ont pas besoin de s'appesantir longtemps avant de tourner la page. Pour les anciens lecteurs, l'impression d'avoir déjà lu ce retour au point d'équilibre est accablante et ces premiers numéros n'offrent pas grand chose à manger pour compenser l'effet de redite. Pire encore : Ryan Stegman est en petite forme, avec une prestation finalement assez peu inspirée sur les designs, les combats ou les décors. Un comics qui tombe dans son propre piège, en voulant aller trop vite, et par une équipe créative qui n'est visiblement pas habitée par le souffle nécessaire pour justifier cette énième disquette d'éditeur pour faire fi du passé. Dommage.
X-Men : Heir of Apocalypse - Steve Foxe, Netho Diaz
Curieux projet, curieux caprice, curieuse façon de solder l'addition. Pour mettre une partie de la poussière sous le tapis, régler certains éléments laissés en suspens après Fall of X et poser une sorte de première ligne de fuite, Brevoort a commandé à Steve Foxe et Netho Diaz la première mini-série officielle de la période From the Ashes. Et en l'occurrence, le projet ne mérite pas forcément d'apparaître dans cette ligne temporelle, dans la mesure où on s'astreint à suivre le nuage de poussière d'une partie de la saga précédente sans forcément viser plus haut. C'est à dire ? C'est à dire que si Charles Xavier n'est plus là et que Magneto a pris la direction du grand nord en compagnie de ses propres X-Men, un autre des capitaines de Krakoa devait encore solder ses propres affaires courantes avant de raccrocher. On parle d'Apocalypse bien sûr, qui s'apprête à quitter la Terre et qui entend nommer une sorte d'héritier derrière lui pour assumer son rôle, sa vision et son rôle de protecteur (à la rude) pour les mutants.
Projet alourdi par sa quantité de personnages, complètement incohérent dans sa façon d'aborder la présence de Mr Sinister, le titre perd énormément de temps en interactions inutiles pour surgonfler le twist d'une révélation finale qui aurait pu se résumer dans une histoire comprise sur un seul numéro. Pour cette fois, le projet a surtout l'air de s'adresser aux fans purs, celles et ceux qui voudraient savoir ce qui arrive à Penance ou Exodus, ou qui prennent encore au sérieux l'idée d'un genre de chaînon manquant entre Krakoa et From the Ashes... là où toutes les autres séries ont surtout l'air impatientes de se déconnecter de ce souvenir encombrant. Avec une telle quantité de héros et d'héroïnes à gérer, l'intrigue ne laisse aucune place au naturel ou aux interactions, dans un titre qui progresse invariablement vers son unique gadget vendeur. De ce point de vue, le choix de l'héritier choisi est une agréable surprise... même si on aurait pu se passer de lire la série pour en arriver au même point. Accessoirement, le design n'est pas forcément très heureux.
Graphiquement, ce comics est aussi un peu faiblard. Netho Diaz, avec son coup de crayon à la Bryan Hitch, a visiblement bataillé pour rendre ses planches à l'heure. Pas d'inventivité dans les décors, les scènes d'action ou l'expression (particulièrement statique) des visages. Un titre en forme de bonus track adressé précisément à une petite communauté de personnages, mais qui ne défend pas son concept ou son utilité tangible en dehors de cette main tendue vers un futur crossover dont on ne sait même pas quand il finira par tomber. Au moins, quelques retrouvailles et quelques dialogues attendus se concrétisent enfin.
Uncanny X-Men - Gail Simone, David Marquez
Le voilà, le vrai point de départ. Il n'aura pas fallu chercher plus longtemps : avec cette entrée en matière, Gail Simone est la première du nouveau pôle X-Men à retomber élégamment sur ses pattes en suivant la consigne donnée avec un minimum d'adresse. La nouvelle série Uncanny X-Men est la première à introduire une nouvelle menace d'envergure pour le genre des mutants avec le Docteur (ou la "Gardienne") Ellis, une protagoniste qui impose immédiatement l'idée de cette haine, de cette page qui se tourne et cette envie de destruction concrète en forme de mantra généralisé au sein de la société humaine. Le projet introduit un élément qui sera immédiatement utile pour les deux titres du tronc commun, et assemble une nouvelle équipe (avec Rogue, Gambit et Wolverine) perdue face à son rôle dans ce monde nouveau et inhospitalier. C'est l'expérience qui parle : Gail Simone maîtrise le rythme de cette introduction à la perfection, en allant dans le sens d'un démarrage classique pour un comics mainstream, mais qui n'oublie aucun des éléments utiles et sait divertir en n'oubliant pas un nécessaire sentiment de gravité.
Le choix des protagonistes va dans le sens de leur nouvelle base : ces X-Men du Sud des Etats-Unis vont se réfugier en Louisiane sur les terres de Gambit, en accord avec leurs envies de nature et de quitter la grande ville, comme les Tortues Ninja à Northampton, pour panser leurs plaies et aviser sur la suite des événements. Le choix de prendre Rogue comme héroïne est aussi une agréable variation sur les profils classiques, dans la mesure où tout a l'air d'être encore à faire pour ce petit collectif de personnages, qui échappent à l'emprise tutélaire des leaders naturels. C'est peut-être cet effet précis qui permet à la série Uncanny X-Men de passer pour plus sincère, ou plus authentique, en cherchant son dosage dans l'humanité de ses héros sans chercher à se précipiter. Ou peut-être est-ce simplement lié au talent indiscutable de David Marquez, artiste exceptionnel qui rentre dans la série comme dans une élégante paire de gants : le design général est immédiatement réussi, depuis les costumes jusqu'aux couleurs de Matthew Wilson en passant par les visages et les décors (enfin, un peu plus naturels).
Reste encore à voir quelles seront les menaces de fond et comment le titre tiendra sur le temps long, dans la mesure où encore une fois : tout est encore à faire, et même une exécution réussie ne suffira pas à lancer une situation de nouvelle normalité obligatoire qui voudrait trop vite négliger le passé. Mais on apprécie de retrouver cette expertise et cette esthétique sur l'un des deux projets fondateurs de cette nouvelle ligne.
X-Force - Geoffrey Thorne, Marcus To
Entrée en matière compliquée pour la nouvelle série X-Force. Parfaite rencontre des deux problématiques de la période From the Ashes jusqu'ici, le projet arrive à la fois à donner l'impression d'une introduction forcée, sans la moindre espèce de sincérité, et d'une marche obligatoire vers l'avant qui se passe de toute remise en contexte pour les personnages principaux. Dans ce monde nouveau, Forge comprend que l'hostilité des humains envers les mutants est un problème secondaire. Pourquoi ? Parce que le monde risque d'être détruit. Et comment est-ce qu'il le sait ? Il a construit une petite boule qui lui assure que c'est le cas. Dans la mesure où l'ingénieur est d'abord un homme de solution, celui-ci se propose donc de contenir l'incendie en montant une nouvelle troupe de X-Men... ou plutôt, une nouvelle X-Force. Et... Et voilà ? C'est bien déjà, il est proactif, il a raison. Bravo.
Si on peut évidemment apprécier de retrouver Forge jusque dans ses contradictions, la série va beaucoup trop vite et ne se pose pas suffisamment de question pour mériter sa place dans cette grande relance dans l'immédiat. Pourquoi ces membres là pour composer la nouvelle X-Force ? Oui. La menace du moment ? Des créatures de glaise bleue. Et on en a profité au passage pour placer un caméo de Deadpool, dans la mesure où la série a surtout été vendue sur un gimmick précis : à chaque nouveau numéro, un invité sera convié à participer aux aventures de l'équipe, sans doute pour fabriquer un peu de variété sans trop se compliquer la vie. En l'occurrence, la série aurait probablement dû attendre son deuxième numéro avant de rameuter Wade Wilson, dans la mesure où celui-ci se retrouve parachuté en queue de peloton d'une intrigue qui doit d'abord justifier l'existence de la X-Force avant de se poser la question de divertir avec ce genre de gadgets.
Résultats ? Sans opinion pour le moment. Le projet a peut-être des choses à raconter, mais rien de particulièrement clair au sortir de cette introduction. Sans effort particulier sur le dessin, le titre a l'air de faire comme si les quatre dernières années n'avaient été qu'un cauchemar qu'on oublie devant le micro-ondes et le café du matin. Un retour à la base qui ne présente pas d'accroche utile ou de personnages particulièrement bien défendus. Bref, comme à chaque grand effort de relance, tout ceci a surtout l'air d'avoir été validé pour occuper le terrain et donner un os à ronger à certains personnages vedettes.
Phoenix - Stephanie Phillips, Alessandro Miracolo
Comment mieux incarner cette idée d'éclatement des anciennes structures communes qu'en prenant ce projet comme exemple alpha ? C'est désormais officiel, Jean Grey a quitté la Terre pour occuper son nouveau rôle de représentante de la Phoenix Force. En accord avec certaines des idées développées depuis... depuis longtemps maintenant, même si Marvel a encore l'air de vouloir présenter ce principe comme une nouveauté à chaque fois, l'héroïne est désormais en paix avec ses pouvoirs et en capacité d'utiliser le Phoenix pour faire le bien. Et c'est avec cette vague promesse, qui paraît vouloir diriger la série vers l'angle d'une mythologie spatiale développée sous un axe autonome que Stephanie Phillips a pris les commandes de la série.
Le nouveau titre Phoenix ne livre pas encore suffisamment d'éléments pour former une promesse solide : on comprend globalement que le projet devrait prendre la route d'une équipe d'aventuriers cosmiques façon Gardiens de la Galaxie, et taper dans cette zone particulière du catalogue Marvel, avec les Skrulls, les Kree, les Captain Marvel et les Nova. Une direction qui n'est pas idiote sur le papier. L'histoire des mutants se sera souvent accrochée avec ces recoins plus éloignés de la Terre, et de fait, le Phoenix est naturellement associé aux forces cosmiques fondamentales. L'adversité présentée dans ce numéro aurait en outre de quoi nous rappeler les bons souvenirs de la série Thor : God of Thunder avec ce principe selon lequel les dieux des étoiles sont autant de petits seigneurs de guerre qui passent leurs temps à conquérir les royaumes des uns et des autres. Dans le même temps, une petite scène plus intime entre Jean et Scott nous rappelle que le personnage reste relativement proche de ses origines... et que la série devrait aussi avoir pour vocation d'explorer l'intériorité de l'héroïne.
En somme, un comics avec une offre originale, même si, encore une fois, le titre est tellement éloigné des enjeux du moment pour la période From the Ashes qu'on se demande un peu pourquoi celui-ci a été placé dans cette offre groupée. La série Phoenix s'adresse manifestement à une autre niche de fans. Plutôt destinée à toutes celles et ceux qui aiment voir des races aliens se réunir en cercle pour décider d'un plan d'action face à l'invasion de tel ou tel dictateur, sans le moindre rapport avec la haine des humains pour les mutants dans ce monde nouveau. On pourra trouver que c'est dommage, mais en un sens, ce rôle correspond plutôt naturellement aux évolutions opérées sur Jean Grey (même pendant la période Krakoa). Le titre n'est pas forcément désagréable à lire malgré l'habituel excès de confiance de Stephanie Phillips à chaque introduction : on impose une direction sans prendre le temps de contextualiser certains éléments, un grand classique, mais qui ne fonctionne pas trop mal pour peu que l'on adhère à cette proposition et la perspective d'une main tendue vers cette nouvelle page blanche.
NYX - Colin Kelly, Jackson Lanzing & Raul Angulo
Pour cette fois, un comics qui risque surtout d'agacer les anciens lecteurs, et pas forcément pour de bonnes raisons. D'abord, parce que le projet ne reprend pas le principe des premiers "X-Men de New York", mais surtout parce que la caractérisation de certaines des figures convoquées opère un grand retour en arrière en oubliant certaines des évolutions récentes. C'est un peu le principe - et c'est même une méthode de travail assez habituelle de la part de Colin Kelly et Jackson Lanzing. Le duo de scénaristes a souvent eu du mal à s'accorder avec la canonicité de certaines lectures de personnages... on ne s'attendait pas à un effort particulier dans le cas présent. Néanmoins, dans la mesure où il s'agit essentiel de héros et d'héroïnes plutôt secondaires, la question ne se situe pas forcément à cet endroit.
Le principe de la nouvelle série NYX est surtout de s'intéresser à Kamala Khan dans l'immédiat. Maintenant que l'héroïne fait officiellement partie de la race des mutants, son devenir éditorial doit nécessairement s'intégrer dans l'effort From the Ashes, et la question était donc : est-ce qu'on ne risque pas de perdre ce qui fonctionnait par le passé en ce qui la concerne ? La réponse est toute bête : oui et non. On sait que le titre fera davantage de place à d'autres personnages dans un second temps (notamment Kitty Pryde et Emma Frost), mais pour l'heure, l'idée est surtout de reprendre les choses là où Kamala les avait laissées. Devenue une jeune femme, l'héroïne se fait une nouvelle copine mutante sur les bancs de la fac... et se retrouve directement confrontée au quotidien de son espèce d'adoption dans une version des Etats-Unis qui assume de regarder le racisme ordinaire dans les yeux. Comme d'habitude avec Ms. Marvel, c'est cette écriture humaine, quotidienne, à la Spider-Man, qui permet de marquer une différence nette avec le reste du groupe From the Ashes : on pardonne plus facilement à ces figures de la vie normale leur manque d'enjeu ou leur légèreté de ton, dans la mesure où ces éléments font simplement partie de la formule.
En l'occurrence, le scénario à donner suffisamment de place aux problématiques qui occupent la vie de Kamala dans sa nouvelle identité, une fois encore, tiraillée entre deux peuples. Le projet permet aussi de faire ressentir cette donnée ordinaire de la haine envers les mutants (toute ressemblance avec la réalité, etc). Et si l'intrigue a surtout l'air de chercher une construction très adulescente et très codifiée pour cette entrée en matière, l'impression reste globalement positive. On ressent une certaine envie de bien faire (quitte à se servir des mauvais éléments aux bons endroits) et pour toutes celles et ceux qui envisageaient la conversion forcée de Ms. Marvel dans la famille des X-Men comme un choix à double tranchant... pour l'heure, l'honneur est sauf, même si tout ceci manque encore un peu de subtilité.
X-Factor - Mark Russell, Bob Quinn
Pour achever cette quadrature du cercle, Marvel a eu la bonne idée de consentir un espace de respiration dans ce grand déballage de nouveaux comics. Un titre qui n'aurait pas tant été monté pour évoquer l'identité précise de tel ou tel personnage vedette, mais d'abord et avant tout pour évoquer le sujet de l'espèce mutante. Dans cette optique, l'éditeur a donc été chercher Mark Russell pour développer une nouvelle série X-Factor. Contrairement à X-Men et à Uncanny X-Men, cette fois, l'idée n'est pas précisément de suivre une équipe de justiciers en particulier... mais plutôt un concept. Comment monétiser la haine, comment transformer le racisme en un narratif vendeur. Et pour appliquer et démontrer cette théorie, le scénario part d'un principe élémentaire : les gens détestent les mutants, oui, mais pas les mutants célèbres (toute ressemblance avec la réalité... etc). Un promoteur aux dents longues va donc accepter un contrat pour le gouvernement américain et devenir le nouvel agent personnel des X-Factor, une équipe de commandos à la solde du gouvernement, en se servant de l'arme la plus puissante dans tout l'arsenal de la philosophie des Etats-Unis : le marketing.
Le projet n'oublie pas d'évoquer un fond sérieux (avec les choix personnels de Havok et sa façon de digérer l'effondrement de Krakoa, qui ouvrent quelques belles paraboles sur le monde réel et la difficulté de cohabiter avec la haine dans le quotidien) mais reste emballé dans un format résolument parodique. Connu pour son humour corrosif, Mark Russell ne perd pas de temps pour installer son rythme et sa panoplie d'astuces savamment orchestrées. Puisque les humains ne supportent plus les mutants, et que les mutants ne supportent pas les traîtres, il va falloir ruser pour faire avaler au grand public l'idée de ces nouveaux héros, véritables armes de distraction massive au service de la propagande militaire des Etats-Unis. Si le projet manque encore de substance pour le moment, le retournement de situation qui intervient en plein milieu nous renvoie aux bonnes heures de la Suicide Squad et permet immédiatement d'expliciter le propos : nous sommes en face d'un produit cruel, avec un humour noir, et l'envie féroce de raconter quelque chose sur la société du présent.
Aux dessins, Bob Quinn semble encore avoir un peu de mal à se dépêtrer de la consigne en s'orientant vers un résultat encore assez basique... mais qui comprend quelques belles scènes d'intimité et une envie d'aller à l'économie, peut-être pour compenser les idées du scénariste et proposer un peu d'équilibre le temps que le projet s'installe. A date, X-Factor passe surtout pour la seule série du peloton qui n'a pas l'air d'être guidée par un impératif de fan service (et c'est même assez ironique au vu de son propos) et que l'on peut lire invariablement de ses préférences personnelles pour l'un ou l'autre personnage vedette du pôle mutant.
Bilan ?
Autant le dire tel quel : pour le moment, la période From the Ashes ne vaut pas forcément le coup d'oeil dans cette offre groupée. Sur le papier, la logique de rassembler toutes les séries au même endroit avait un certain sens à l'époque de Krakoa, dans la mesure où l'objectif même de cette ligne était de fonctionner d'un seul tenant, avec des titres fédérés par une certaine unité graphique, philosophique, et l'idée d'une même progression vers un but commun. Mais c'est l'exact inverse qui se produit ici : l'idée même de Tom Brevoort était de casser ce principe d'unité pour permettre aux différents projets d'exister sur des plans individuels. Et ça se voit.
Les premières séries de cette nouvelle vague ne suivent aucun impératif de cohérence globale. On n'a même pas forcément l'impression que tous les projets se passent au même moment, ou que les séquelles de Fall of X ont eu le même impact, grave pour certains, déjà bien digéré et oublié pour d'autres. Et surtout : cette nouvelle période ne mise pas sur autre chose sur le placement des personnages bien identifiés. Comme si l'éditorial avait listé les grandes figures essentielles et décidé dans quels titres les ranger, une fois sorti du couple X-Men/Uncanny X-Men qui devrait servir de moteur essentiel à toute la saga. Et de ce point de vue, force est d'admettre que Marvel a peut-être été un peu vite en décidant de confier les commandes de la série principale à Jed MacKay.
Malgré un talent indéniable, le scénariste s'était surtout fait la main sur des séries qui comprenaient moins de personnages à manœuvrer au même endroit (Moon Knight, Doctor Strange). Et en parallèle de ses autres obligations, celui-ci doit désormais composer avec un agenda chargé, et la difficulté de devoir être à plusieurs endroits à la fois. En définitive, le lectorat risque de perdre une bonne plume sur Doctor Strange en échange d'un résultat moyen sur les X-Men. Pourquoi faire ? Quel est l'argument qui a motivé ce mercato productiviste ? De leur côté, Gail Simone et Mark Russell s'en sortent mieux, même si la série X-Factor gagnerait plus que les autres à être lue sur un plan plus indépendant.
Si on veut dresser un bilan global (en étant aussi enthousiaste et conciliant que possible), difficile de trahir l'impression générale : malgré les défauts de Fall of X, cette impression de retour au point de départ peine à convaincre pour le moment, avec une offre seulement à moitié convaincante, pas de réel sentiment de renouveau et l'impression que les artistes de génie ont quitté le navire depuis que l'éditorial a repris en main le pôle X-Men au sortir de quelques années libertaires et expérimentales. Pas de quoi sonner l'alerte non plus : c'est aussi le métier de gens comme Tom Brevoort de sonner la fin de la récréation quand vient le moment de revenir aux bases fondamentales. Mais, là où Marvel avait pu compter sur le véhicule Krakoa années pour imposer une vraie différence de niveau face à ses concurrents, From the Ashes renvoie à une réalité plus terne, plus conservatrice, en s'adressant surtout aux fans et en assumant que le grand renouvellement n'aura plus réellement lieu.