Disclaimer : la critique est garantie sans spoilers majeurs (on considère que tout ce qui est dévoilé en bande-annonce ne tient plus du spoiler). Nous rappelons aussi que l'onglet "reviews" existe sur le site et vous rappellera que nous avons écrit des papiers enthousiastes pour plusieurs productions Marvel Studios au fil des ans, que ce soit Deadpool & Wolverine, Guardians of the Galaxy Vol. 3 ou Doctor Strange : in the Multiverse of Madness. Pensez-y avant de vouloir nous insulter en commentaires.
Bienvenue dans le nouveau monde ! C'est dans le titre : le "nouveau" Marvel Studios est là, avec pour ambition de faire oublier les errements des dernières années. Certes, Deadpool & Wolverine a sauvé l'été 2024, mais il ne faut pas non plus oublier les terribles gamelles que s'est pris le MCU l'année précédente, avec les échecs retentissants de Ant-Man & The Wasp : Quantumania et The Marvels. Additionnés à d'autres plantades (Secret Invasion) ou de non évènements (Black Widow, Shang-Chi), il faut bien avouer que les Phases 4 et 5 de l'univers partagé de Marvel Studios ont eu du mal à fédérer le public comme avant. Fatigue des super-héros. Ou plutôt, fatigue du surplace, de scénarios vus et revus et d'effets spéciaux bâclés, qui plus est sur un ensemble de productions qui visaient à créer la nouvelle génération de super-héros Marvel post-Avengers.
Des personnages plus divers, dans tous les sens du termes, mais que Marvel Studios n'a visiblement pas su accompagner auprès du public avec des histoires et des films qui leur feraient honneur. Mais puisque les Avengers ne sont toujours pas revenus, il faut continuer de faire vivre les héros et héroïnes toujours là, et notamment Sam Wilson, qui entame ses premiers pas en tant que Captain America sur grand écran.
Promis, cette fois, Marvel Studios a compris qu'il fallait faire différemment. À commencer par l'ouverture du film, qui s'émancipe de la traditionnelle "Marvel Fanfare", l'habillage traditionnel depuis un long moment maintenant - avec son célèbre accompagnement sonore - qui ont fait partie des grandes forces du MCU en tant que marque établie. L'entrée en matière se veut plus directe, avec une séquence musclée au Mexique qui met directement Wilson (Anthony Mackie) en action. Sans super-pouvoirs, le nouveau Cap' utilise une panoplie de gadgets et un costume qui lui permettent de se sortir de situations délicates. Dans la foulée, on rappelle que Joaquin Torres (Danny Ramirez) a été introduit dans la série Falcon & Winter Soldier il y a de cela presque quatre ans, et qu'il lui appartient de prendre le nouveau rôle de Falcon. Le duo est désormais présenté, et le film peut dérouler ce qu'il a à dérouler.
L'ensemble des éléments du scénario a été dévoilé dans les quelques bandes-annonces qui ont accompagné le projet. Thaddeus Ross (Harrison Ford, qui remplace le regretté William Hurt dans le rôle) est devenu Président des États-Unis et espère que Captain America voudra bien relancer une équipe d'Avengers pour protéger le pays. En parallèle, le monde s'est enfin rendu compte qu'un cadavre de Celestial sortait de l'océan Indien ("ah bon ??" mais oui, dans le film sympa là, avec les deux fils de Ned Stark), et les nations du monde entier ont pu découvrir qu'une ressource formidable s'y logeait. Ce composant (dont le nom commence par A) n'a pas d'autre intérêt que de titiller les fans de X-Men dans l'absolu - on va dire que celui-ci existe surtout pour devenir le nouveau pétrole de demain, la fameuse ressource convoitée qui motive généralement l'action dans ce genre de thrillers géopolitiques.
Alors que Ross souhaite qu'un traité international soit signé pour que tout le monde puisse profiter de cette fameuse ressource futuriste, quelqu'un agit dans l'ombre pour pousser à l'ouverture d'un conflit entre les différentes puissances mondiales - les États-Unis et le Japon, plus précisément. Si on reprend le pitch tel quel, Captain America : Brave New World a tout ce qu'il faut pour cocher les cases conventionnelles d'un genre déjà largement exploité, et ce n'est sans doute pas un hasard si les équipes en charge du marketing ont souvent cité Captain America : The Winter Soldier pour motiver l'envie des spectateurs. Mais il ne faut pas du tout s'attendre à avoir un film du même calibre, et ce sur tous les plans.
D'une part, parce que l'intrigue ne fera jamais qu'effleurer les thématiques pourtant servies sur un plateau par certains des éléments du scénario. Le fait d'avoir un Captain America au service du gouvernement américain est évacué au profit des tensions personnelles qui opposent Sam Wilson à Thaddeus Ross ("ah bon ??" mais oui, rappelez vous Civil War, le film pas terrible avec le Spider-Man de quinze ans là), la pseudo crise internationale montée par le fameux mystérieux méchant secret ne reste jamais qu'un motif en surface, avec des belligérants inexistants et des enjeux vagues, voire creux. Quant à la question : qu'est-ce que ça donne dans le présent de proposer un Captain America noir de peau, ou du grand retour d'Isaiah Bradley (Carl Lumbley), on va le dire tout net : ce n'est pas le sujet du film. Oui, The Falcon & the Winter Soldier avait évoqué cette question, mais compte tenu du climat actuel dans les sociétés occidentales depuis quelques années, on s'étonne un peu de voir cette donnée passer comme une lettre à la poste. Une sorte de refus d'obstacle, ou d'incapacité des équipes de Marvel Studios à nommer le sujet sous-jacent.
Et c'est comme ça sur tout le film : Brave New World n'a jamais vraiment envie de d'aller dans le fond des choses, de tenter le moindre propos (et donc de heurter qui que ce soit), préférant se concentrer sur des enjeux plus personnels, propres aux relations interpersonnelles des personnages présents à l'écran. On pourrait s'intéresser à Ross, par exemple. Le général tente de se racheter une conduite pour compenser le poids de ses actions passées. Mais on va nous expliquer que tout ça n'est en fait qu'une façon pour lui de se rabibocher avec sa fille Betty (Liv Tyler, vous souvenez-vous ? C'était il y a 17 ans). De la même façon, l'instigateur de toute l'intrigue ne veut s'en prendre qu'à Ross que par vengeance personnelle : pour ce qu'il lui a fait à lui, et c'est tout.
En restant au plus proche de ses personnages, le film de Julius Onah tente à l'évidence de ne froisser personne - et par personne, on parle évidemment de cette part du public qui s'était exprimé (parfois violemment) lorsque Sam Wilson avait obtenu le poste de Captain America à l'époque des comics de Rick Remender. Mais pas seulement : une autre illustration qui vient tout de suite en tête repose aussi sur le personnage de Ruth Bat-Seraph. Dans les comics, celle-ci fait partie du Mossad. Autrement dit, des forces spéciales de l'état d'Israël. Et pourtant, même s'il s'agit bien du même personnage... dans le film, on ne va pas en parler. Une phrase unique est là pour nous expliquer que Ruth est née en Israël. Mais surtout, que celle-ci a suivi le programme de la Red Room et est donc en fait une ancienne Widow.
Si on veut pousser l'idée plus loin, on peut se demander quel était l'intérêt de reprendre cette héroïne précise (à plus forte raison, dans un film qui revendique une tonalité géopolitique) si ce n'était pas pour embrasser son rôle classique en assumant les sujets qui vont avec. Accessoirement, on ne croit pas un seul instant à la performance de Shira Haas. Alors pourquoi ? Parce que si on copie The Winter Soldier, il faut un Captain America... et une Black Widow ? Parce que ça avait fonctionné à l'époque ? Qu'on applique à ce point cette mécanique de duplication ? Bien sûr, on peut comprendre que Feige et ses sbires n'ont pas forcément envie d'aborder le sujet du conflit israélo-palestinien, en particulier en ce moment. Mais : le héros de ce film s'appelle Captain America. Par nature, et de par son historique fondamental, ce justicier en particulier est théoriquement capable (ou obligé) d'embrasser des causes politiques réelles, d'aborder des thèmes précis. Même en ce qui concerne le Celestial et l'envie des pays puissants d'aller piller une ressource précieuse : cela ne sert, au final, que de décor pour une scène d'action. Littéralement.
Notez, bien sûr, que l'on ne reproche pas à Brave New World de ne pas être suffisamment politique. Ou même de ne pas aborder des sujets qui auraient pu sembler pertinents compte tenu de la matière sur laquelle le film repose. En revanche, on peut lui reprocher de faire ce choix spécifiquement, à cet endroit, à ce moment et avec ce héros précis. Personne n'a obligé Marvel Studios à s'enrober dans cette apparence de "thriller politique". Personne ne leur a demandé de faire de Thaddeus Ross le président des Etats-Unis ou d'adapter une héroïne venue d'Israël. C'est Kevin Feige lui-même qui a opté pour cette direction. Or, si le grand patron avait décidé de produire un film sur le sport, on aurait pu lui reprocher de ne pas vouloir voulu filmer les matchs et les entrainements pour se concentrer sur les coulisses et les rixes de vestiaire. C'est un peu la même chose ici. Les thrillers politiques apolitiques... et c'est dommage hein ? Mais n'empêche : c'est fade.
Particulièrement avec ce Sam Wilson, qui manque encore et toujours de substance. Ses seules interrogations passent par cette éternelle comparaison avec Steve Rogers, un sujet qu'on pensait évacué depuis la série Disney+. Accessoirement, la problématique reste très terre-à-terre. Presque tangible, basique, comme sur le fait que Sam n'a pas reçu la piquouse du sérum de super-soldat. Et pourtant, ce sujet dont on a l'impression d'avoir déjà fait le tour va nous occuper pendant un long moment, et le héros poursuit cette fuite vers le surplace, comme si le MCU était encore incapable de s'émanciper de son propre âge d'or, de cette première génération de héros d'autrefois.
C'est pareil pour les autres : Bradley va par exemple se retrouver dans une situation très difficile, qui fait ressurgir des échos d'un passé particulièrement douloureux, mais le film ne rentre jamais dans le fond de ce sujet. Au final son statut entre le début et la fin du film n'a pas vraiment changé. Quant à Ruth, on sait seulement que celle-ci est attirée par les hommes plus vieux. Voilà en somme ce qui est fait du personnage. En relisant les comics de Remender, on avait au moins des ennemis qui avaient quelque chose à dire sur le rôle de Cap' du XXIe siècle, avec cette rampe de lancement vers Secret Empire et cette fédération des néonazis assemblée par le Baron Zemo. Forcément : c'est difficile de reproduire le modèle quand le grand vilain de toute cette période a été rendu à un statut de guignol des pistes de danse, arraché à son fondamental essentiel d'incarnation de la haine, et incapable de fédérer les ennemis de Captain America à partir du moment où... il n'en existe plus vraiment qui seraient encore en magasin ?
Reste alors l'attraction principale du film : le Red Hulk, vendu et survendu dans tout le matériel publicitaire. Son apparence est réussie, et la bataille finale qui l'oppose à Sam Wilson se laisse regarder, à défaut d'être particulièrement agréable à l'œil. Dans l'ensemble, les scènes d'action d'Onah n'ont rien de particulièrement saisissant : pas de chorégraphies particulières ou inattendues, même si l'on reste loin des horreurs de certains films passés. La mise en scène des capacités technologiques de Sam Wilson n'a rien d'exceptionnel non plus, et au final, la seule réelle critique sur le plan visuel repose généralement sur le rendu du vrai grand vilain, tout droit sorti des tests de maquillages d'un film Troma Entertainment, et qui risque bien de provoquer quelques rires gênés lors de sa première apparition.
Maintenant, oui, c'est facile de niveler par le bas. Mais c'est aussi une réalité : le public ne va sans doute pas exiger beaucoup mieux compte tenu des habitudes locales, et d'un résultat sans fausse note majeure. Seulement, ce critère fatigue un peu, et on ne retient pas de moments particulièrement marquants malgré les dix-sept ans d'expérience (et le seuil qualitatif des chorégraphies de The Winter Soldier) et le nécessaire besoin de renouvellement. La réalisation n'est pas particulièrement inventive, les personnages font du surplace, personne ne soulève de point particulièrement pertinent... Anthony Mackie n'est certainement pas un mauvais acteur, mais rien n'est fait pour qu'il transcende son propre rôle. Et c'est curieux : dans The Winter Soldier, son introduction fluide, immédiatement complice de Steve Rogers, était immédiatement réussie. Comme si le scénaristes de l'époque avaient vite compris ce qui marchait dans cette figure vaillante de bon camarade, capable d'interpréter l'idée du soldat méritant et valeureux au moment des débuts. Quelque chose a dû se perdre dans le tri au point de ne plus chercher le nouvel horizon de l'image du Captain dans le présent. Idem pour les autres : Harisson Ford ne cherche pas spécialement à gommer l'impression habituelle, on comprend que l'acteur est encore à la recherche d'un nouveau cachet, comme il l'assume souvent lui-même. Quant à Tim Blake Nelson, mettons seulement qu'il n'est pas vraiment bien servi par son apparence physique. Son maquillage, hein. Attention. Qu'on se comprenne.
Que retenir, au final, de ce Captain America : Brave New World ? Une histoire sans relief et des personnages sans évolution, pas forcément compensés par une avancée majeure dans la grande trame du MCU. D'ailleurs, est-ce qu'on est encore vraiment dans la "Multiverse Saga" ? Pas vraiment. On peut apprécier la tentative de Marvel Studios de raccrocher les wagons avec The Incredible Hulk, un film souvent mis de côté (pour des questions de mésentente de studios et de droits) dans la chronologie générale. Mais pour ce qui est de se tourner vers l'avenir ou de proposer d'éventuelles surprises, de maigres os sont jetés aux fans pour se fatiguer les dents à ronger en attendant l'arrivée des Fantastic Four. La mention de la fameuse ressource ne fait que participer aux tentatives d'excitation du studio sur les X-Men telles qu'on en voit depuis plusieurs films (Doctor Strange : in the Multiverse of Madness, la post-générique de The Marvels...) et mettons que Deadpool & Wolverine a déjà calmé cet appétit. La scène post-générique ne fait qu'annoncer ce qui est déjà su, et au final le message à retenir du film serait un "on a besoin des Avengers" qui est aussi vrai dans la diégèse actuelle du MCU que pour Marvel Studios dans le monde réel.
Captain America : Brave New World incarne alors, et peut-être sans le vouloir, cette envie criante de Marvel Studios de revenir à ses années de gloire passée, dont les Avengers (en tant que héros, mais aussi pour les films en eux-mêmes) sont l'incarnation. Pour ce faire, il faut visiblement aussi changer de fusil d'épaule dans les discours, et abandonner toute thématique trop proche du réel, quand bien même Stan Lee expliquait que les comics Marvel étaient une "fenêtre sur le monde". C'est dans cette optique qu'on appellera ici le film le "Marvel Studios de l'apaisement". Brave New World est tout à fait sympathique et regardable parce qu'inoffensif sur tous les plans. Il n'a rien de particulier à montrer ou raconter, et de ce fait n'énervera personne. Mieux : les défenseurs des films de super-héros "sans politique dedans" et du "bon divertissement" seront certainement ravis d'avoir droit à un film qui les conforte dans le fait de n'avoir jamais à s'interroger sur ce que disent les super-héros de notre monde et de notre époque. C'est ainsi que démarre 2025 : avec un film qui ne fera de mal à personne. Mais qui ne fera pas de bien à qui que ce soit non plus.
Autrement dit, rien ne vous empêche d'aller voir Captain America : Brave New World. Le film est relativement joli, comprend son bagage de scènes d'action passables, et tente de titiller la curiosité du public pour l'après, pour la suite, encore et encore. Avec des éléments bien maigres, en l'occurrence. D'un autre côté, rien ne vous y oblige non plus. Les acteurs n'ont pas grand chose d'intéressant à dire ou à faire, l'intrigue opère dans une sorte de state inanimée, vous n'aurez pas grand chose à étudier sur le plan des thématiques ou des problématiques politiques évoquées en amont de la promo'. Et d'ailleurs, que vous le regardiez ou non, vous n'aurez pas forcément appris grand chose de neuf sur l'univers Marvel Studios et son évolution immédiate. Ce qui est forcément dommage, lorsqu'on sait tout le potentiel qu'un héros comme Captain America aurait à proposer à l'aune d'un nouveau monde qui, justement, s'ouvre en 2025. Et c'est tout le problème : à force de ne vouloir froisser personne, forcément, on ne plaît pas à grand monde non plus.