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Richard Blake : une interview entre exploration et science-fiction !

Richard Blake : une interview entre exploration et science-fiction !

InterviewUrban

Sorti l'an dernier chez Urban Comics sous l'intitulé Horizons Obliques, le titre Hexagon Bridge de Richard Blake a su se démarquer du reste de la production indépendante américaine par ses allures de bande dessinée européenne, tant dans son découpage que dans l'approche du dessin de son artiste. Blake était présent en France au début de l'année 2025, étant notamment invité par Urban Comics pour le Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême. Parti ensuite en tournée de dédicaces, l'auteur a pris le temps de répondre à nos questions au sein de la librairie Album BD à Paris (que nous remercions chaleureusement), afin de retracer le parcours assez atypique de l'artiste, dont il s'agit de la première bande dessinée.

Une discussion à coeur ouvert où l'on revient sur les débuts de Richard Blake dans le milieu, le concours de circonstances qui a abouti à la publication d'Hexagon Bridge, les envies et thématiques de ce récit - et surtout son ouverture vers quelque chose de plus vaste, qui laisse clairement entendre que nous serons dans le futur amenés à retourner dans cet univers qui invite au voyage. Une interview que vous pouvez également retrouver en anglais et à l'audio via le podcast First Print si vous préférez ce format. 

Nous remercions chaleureusement Clément Boitrelle qui s'est occupé de la traduction et retranscription de l'interview.


C’est un plaisir de vous recevoir dans notre podcast Richard Blake.

Merci pour l’invitation.

Ce n’est sans doute pas la première fois que vous venez en France mais c’est assurément la première en tant qu’auteur et dessinateur de comics. Comment vous sentez-vous en France, aimez-vous être ici ?

J’adore ! C’est en fait la troisième fois que je viens. Je suis déjà venu en 2015 à Angoulême, mais seulement en tant que visiteur et avant tout pour la bande dessinée ! Depuis cette première visite, je suis tombé sous le charme de la culture française, de la langue et bien évidemment du pays en général et de sa capitale ! C’est donc toujours un plaisir de revenir. D’ailleurs si l’opportunité se présente, j’envisage de m’y installer.

Pourquoi n’est-ce pas encore le cas ?

C’est encore à l’état de projet ! Je ne pense pas emménager à Paris…

Où vivez-vous à l’heure actuelle ?

New York.

Vous devriez définitivement venir vivre en France ! On a aussi des fascistes par ici mais ils ne feront parler d’eux que d’ici trois ans !

[rires]

Désolé ! Parlons plutôt de comics, c’est bien plus intéressant ! C’est votre première venue sur nos ondes. Vous n’avez d’ailleurs pas un passif dans l’industrie des comics, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre enfance, quels comics lisiez-vous, à quel moment avez-vous voulu devenir artiste ?

Bien sûr ! Comme beaucoup d’autres artistes, j’ai commencé à dessiner très jeune. Les premières revues sur lesquelles j’ai pu mettre la main… Aux Etats-Unis nous avons ce que l’on appelle les Sunday Funnies [page dédiée aux courtes bandes dessinées humoristiques que l’on retrouvait dans les éditions du dimanche des journaux, ndlr]. J’y ai donc lu The Far Side ou bien Garfield qui m’ont inspiré pendant un temps. Puis j’ai découvert les comics. J’étais fasciné par le fait que l’on pouvait raconter une histoire juste par le dessin. Mon père était peintre et bien évidemment, il y avait des livres sur l’art un peu partout dans la maison. J’ai donc été très vite attiré par les beaux-arts en général. Il avait également des ouvrages sur le graphisme, ce qui m’a aussi attiré. J’étais donc exposé à ces différentes pratiques artistiques. J’expérimentais tout ce que je pouvais. Aussi, vers l’âge de quinze ans j’ai envisagé d’entamer une carrière dans les comics. C’est quelque chose qui m’intéressait beaucoup.


Comme vous l’avez mentionné, il y a différentes formes d’art pictural, pourquoi le comics vous a-t-il particulièrement attiré ?

Je pense qu’il s’agissait avant tout de la façon dont on y racontait des histoires. J’ai également découvert au même âge Heavy Metal et les versions anglaises des BD françaises. J’y ai par exemple découvert Bilal, Schuiten et Moebius. Cela m’a très vite enthousiasmé car avant de découvrir tout ça je n’avais lu que des comics Marvel ou DC.

Vous ne lisiez donc plus trop de comics super héroïques ?

Plus trop non. Mais vous savez, à cette époque je me disais que comme je n’étais pas européen, je ne pensais pas pouvoir dessiner le genre de BD que l’on trouve en France… Mais comme je voulais devenir dessinateur, je me suis dit qu’il faudrait que je passe par la case Marvel pendant un certain temps. Finalement comme je ne savais pas trop quoi faire, je me suis laissé porter vers les beaux-arts. J’ai suivi des études d’arts, j’ai étudié la peinture… Tout ça m’a vraiment passionné. J’ai continué jusqu’à la fin de mon cursus universitaire, j’ai commencé à exposer à New York mais tout ça m’a très vite déplu, et ce pour différentes raisons. J’ai également envisagé le cinéma pendant un moment. Je me suis lancé mais ça n’a pas pris la tournure que j’espérais. Et donc j’ai redécouvert les comics et je me suis dit qu’il était peut-être temps de me jeter à l’eau.

Entre votre premier contact et votre redécouverte des comics, avez-vous perçu l’évolution qui s’était opérée dans l’industrie, notamment avec la présence d’éditeurs indépendants et l’émergence de nouveaux artistes ?

Absolument. Mon premier contact avec les comics remonte aux années 80 où il y avait déjà une petite scène indépendante et quelques artistes en auto-édition. Mais lorsque je m’y suis vraiment intéressé, Image avait déjà traversé différentes phases et était en train de prendre la forme qu’on lui connaît aujourd’hui : une sorte de maison d’édition à l’européenne aux Etats-Unis qui s’intéresse à tellement de projets différents. Image était donc là, mais également Dark Horse, Boom Studios… Au moment où j’ai enfin voulu me lancer dans les comics, ces différentes maisons avaient déjà tellement changé et la période me paraissait particulièrement stimulante pour me jeter à l’eau.

Comment présente-t-on un nouveau projet dans ce marché ? Comme vous n’aviez encore travaillé sur aucun album auparavant, cela a-t-il été difficile ?

Je n’en ai encore pas la moindre idée ! Dès le début, j’ai voulu traiter les comics comme la peinture. J’ai trouvé l’idée pour Horizons Obliques et je me suis tout simplement lancé. Je ne savais pas du tout à qui j’allais pouvoir proposer ce projet…

Vous n’avez donc pas suivi le parcours typique de l’artiste qui écume les conventions avec son portfolio jusqu’à ce qu’un éditeur le contacte ?

Pas du tout ! J’ai simplement montré les premières étapes du projet à un rédacteur chez DC. Je ne l’ai pas fait avec en tête l’idée de décrocher un boulot chez eux, je voulais juste son avis. Je le connaissais et respectais son travail en tant que dessinateur. Il m’a donc prodigué de bons conseils et je suis tout simplement retourné au travail. Mais je n’ai fait ça qu’une seule fois. Je n’avais aucune idée de comment percer ou bien comment montrer mon travail à différentes personnes. Vous voyez je ne voulais pas travailler pour telle ou telle maison… Au final, mon entrée sur le marché s’est faite de manière plutôt spontanée.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Bien sûr. Différents auteurs et dessinateurs avaient créé une organisation appelée Creators for Creators qui décerne une bourse aux jeunes talents. Vous envoyez vos travaux, si vous êtes reçu vous recevez la subvention et vous bénéficiez d’une sorte de tutorat pour rentrer dans l’industrie. J’ai donc candidaté avec Horizons Obliques sans recevoir la dotation. Cependant Jonathan Hickman faisait partie du jury, il a repéré mon travail et juste après l’annonce des gagnants, il m’a envoyé un email disant qu’il avait beaucoup aimé mon travail et qu’il souhaitait me donner un coup de pouce pour le publier. Nous en avons discuté, il a envoyé mon projet chez Image. Erik Stephenson m’a contacté, tout aussi enthousiaste, et c’est comme ça que l’aventure a commencé.

Vous n’aviez aucune maison d’édition spécifique en tête pour la publication et quand on regarde l’édition française d’Horizons Obliques, on pourrait penser à un album destiné au marché français ou européen. Avez-vous considéré de le proposer à un éditeur français ?

J’y ai pensé oui mais je ne connaissais personne. Je ne savais pas du tout à qui le montrer ou l’envoyer. J’avais bien quelques pistes ici ou là mais je ne savais pas trop comment je me serais débrouillé. Tout me semblait si mystérieux !

J’espère que vous avez pu vous faire des contacts à Angoulême !

Ça me paraît beaucoup plus clair maintenant !


Pouvez-vous nous parler un peu plus des origines du projet ? Qu’est-ce qui a été l’étincelle ?

Un peu comme pour la peinture, des images ou des enchaînements d’images que j’ai en tête sont à l’origine de mes travaux. Plus particulièrement pour Horizons, j’ai d’abord dessiné ces images sur papier, puis j’ai travaillé un storyboard et effectué une mise en page. De ces enchaînements d’images j’ai ensuite commencé à tisser un récit. J’ai surtout eu une approche intuitive, ce qui en soit pose plusieurs difficultés. Mais je ne voulais pas d’un scénario ou d’un script classique avec un élément perturbateur, un antagoniste bien défini, un protagoniste avec des motivations et des péripéties… J’étais plus en quête d’une atmosphère, d’une ambiance… Un peu comme de la poésie j’imagine… Mon autre projet est bien plus traditionnel et structuré ! Mais pour résumer, tout a commencé avec moi qui dessine des pages, qui termine certains passages, les réajuste… J’essayais de voir quelle direction je pouvais faire prendre à l’histoire, recommencer… Parfois des personnages se présentaient d’eux-mêmes, je les incluais dans l’histoire qu’ils contribuaient ainsi à construire. Au final, le récit devenait plus clair... C’était un peu comme installer des rails alors qu’un train arrive !

Si je comprends bien, ce sont les images qui furent la force motrice de ce projet, et pas une intrigue ou des personnages. C’est une manière plutôt inhabituelle de travailler sur un comics !

Je sais pertinemment que certains lecteurs ne vont pas adhérer à cette approche. Ils risquent peut-être de trouver l’album trop vague, qu’il n’y a pas suffisamment de conflit dans le récit ou qu’il n’y a pas un protagoniste bien précis… Même si je trouve qu’Adley rempli plutôt bien ce rôle. En tout cas pour moi ce projet fut très enthousiasmant. Je pouvais y inclure de nouveaux éléments sans avoir à trop rationaliser l’ensemble. Je voulais surtout tenter quelque chose d’un peu différent.

Avez-vous essayé d’une manière ou d’une autre de relier entre elles les différentes images qui vous venaient en tête ? Je pense par exemple à tous ces décors que l’on voit flotter dans la dimension parallèle.

Je savais qu’il serait question à un moment de dimension parallèle et qu’il faudrait lui apporter une certaine esthétique. Au même titre que le récit en lui-même, le design de cette dimension s’est matérialisé de façon très picturale. Plus j’essayais de le rationaliser et de le complexifier, plus j’avais l’impression de voir des représentations que j’avais déjà vues ailleurs dans des jeux-vidéo ou des films. Je me suis donc concentré sur une poignée de grands principes qui régiraient le fonctionnement de cette dimension. Par exemple, cette dernière est constituée de différents souvenirs d’époques et de personnes qui l’ont visitée. Vous pouvez y trouver également différents objets. C’est par exemple le cas pour les vieilles Citroën… Ou bien vous avez des éléments d’architecture moderne ou au contraire des éléments plus classiques, brutalistes voire beaucoup plus anciens… Tous ces éléments s’entremêlent et forment ainsi des environnements hybrides, comme des petites îles instables qui finissent par se désagréger et finalement disparaître. Aussi, plus vous vous rapprochez du noyau de cette dimension, plus les paysages se font épars, le vide est de plus en plus présent. J’avais en tête tous ces exemples de métropoles géantes mais cela ne m’intéressait pas…

C’est aussi plus fatiguant de devoir les dessiner !

C’est vrai ! Même si je me sentais capable de le faire, je trouvais plus intéressant d’y faire régner le vide. Vous remarquerez que plus les personnages s’enfoncent dans cette dimension, plus l’architecture se fait rare.

Vous aimez également représenter des espaces négatifs pour montrer des choses sans vraiment les montrer.

Exactement. Ils permettent de faire des compositions très précises. Vous savez, j’ai déjà vu tellement d’artistes représenter ces environnements denses et complexes, avec des bâtiments dans tous les sens et tout en courbes, que j’aurais sans doute pu faire la même chose. Mais il y a déjà tant d’artistes qui font ça si bien. D’autant que je n’avais encore jamais vu une approche plus minimaliste. J’ai sans doute hérité ça de mon père qui était un peintre minimaliste… Je voulais jouer avec les formes…

En préparant cet entretien, j’ai lu la postface de l’album qui contient une interview entre vous et [François] Schuiten qui vous pose déjà énormément de questions… Qu’est-ce que je pouvais bien vous faire dire d’autres ? [rires] Plus sérieusement, dans cet entretien vous expliquez que durant la réalisation de l’album, vous êtes passé du dessin traditionnel au dessin numérique. Pourquoi cette nécessité de passer au numérique ?

Eh bien certains éléments se sont révélés bien trop complexes pour être dessinés à la main. Je pense notamment aux nombreuses cartes présentes dans l’album et dont se servent les personnes. S’il y a bien une chose qui se devait d’être très détaillée, c’étaient les cartes. Je désirais également un certain type de lumière afin de représenter une sorte d’énergie. Je pense notamment à la lumière quand les personnages commencent à passer d’une dimension à l’autre. Je ne voulais pas d’une lumière dessinée à la main, je voulais qu’on la perçoive comme chargée d’énergie. Cet effet ne pouvait être atteint qu’avec le numérique, en appliquant différents filtres. Et je ne sais pas si cela s’est fait consciemment ou non, mais dès lors que les personnages atteignent l’autre dimension, je voulais que l’atmosphère semble différente. Aussi, la première moitié de l’album a été faite à la main, tandis que l’autre moitié a été faite par ordinateur. Cela donne un certain cachet… Ah et ça a surtout été plus rapide à faire à l’ordinateur ! [rires] Il fallait que je termine l’album !


Vous auriez dû commencer par ça ! Plus sérieusement, il faut bien que vous trouviez des techniques qui vous fassent gagner du temps ! Avez-vous eu des dates butoirs à respecter ?

Sur ce point, Image vous laisse définir vous-même votre deadline. C’est à vous de leur dire de combien de temps vous aurez besoin. Mais à un moment, il a bien fallu que je m’impose une date limite, surtout quand il faut définir une date d’impression. Sans ça, je serais sans doute encore en train de travailler sur l’album ! C’est important de savoir quand s’arrêter.

En parlant de l’aspect plutôt inhabituel de l’album, j’ai remarqué que dans l’édition française il n’y avait pas de découpage en chapitre. Quand vous avez regroupé tous les éléments de l’histoire, vous avez dû réfléchir en termes de rythme pour la publication en single-issue, mais à la lecture, nous n’avons pas l’impression que l’album a été réfléchi ainsi, vous voyez ce que je veux dire ?

Oui. Le découpage en chapitre s’est également fait de façon très intuitive. Certains chapitres font plus de pages que d’autres par exemple. Un chapitre se termine quand je ressens qu’à cet instant, il faut une pause dans le récit. Il n’y a rien de fixe.

Effectivement, vous ne terminez jamais par exemple sur un cliffhanger.

Non.

Pourtant sur le marché américain des single-issues, c’est une approche plutôt dangereuse car vous devez garder l’attention des lecteurs.

Je l’ai appris à mes dépends oui ! Je pense que certains lecteurs des single issues ont dû rester sur leur faim… Mais d’autres ont été intrigués. Comme il s’agit de mon premier album, je vais sans doute faire les choses autrement la prochaine fois !

Nous reviendrons sur ce prochain projet, j’ai encore quelques questions au sujet d’Horizons ! Je ne sais pas si c’était intentionnel mais dans le premier chapitre, le personnage principal, Adley, raconte qu’elle a fait un rêve où elle portait un ours sur son dos. Il se trouve que cette image sert de couverture au deuxième chapitre. S’agissait-il d’un clin d’œil pour le lecteur, une manière de montrer dans quel univers ce dernier va atterrir ?

Complètement. Je voulais qu’Adley fasse un rêve et qu’elle le décrive durant le récit. Pourtant, je ne voulais pas l’illustrer directement dans l’histoire. Je l’ai donc utilisé comme couverture. Quand elle raconte son rêve, le lecteur se représente la scène de manière plus ou moins claire, comme Adley qui essaie de se souvenir et de décrire son rêve. Vous avez donc cette représentation dans un coin de votre esprit… Et je n’avais jamais vu de rêve représenté en couverture d’un numéro ! D’habitude il s’agit d’un évènement qui se déroule dans le chapitre mais pour moi ce rêve représente le défi qu’elle doit relever dans le récit, retrouver ses parents… Cela résume donc son parcours mais de façon abstraite.


Les deux parents d’Adley sont des cartographes. Ce détail est intriguant car, il y a plusieurs siècles, le monde devait être exploré et les cartographes étaient essentiels. Pensez-vous que ces derniers sont encore pertinents de nos jours, étant donné qu’il reste encore des territoires inconnus voire des espaces numériques ?

Absolument. De nos jours, la planète est cartographiée… Sans doute à l’extrême d’ailleurs. Comme tout le monde, je trouve que le GPS est une invention formidable pour circuler en ville plus facilement, mais je regrette l’époque où l’on pouvait se perdre, déplier une carte et se demander où l’on est. C’est souvent quand on se perd que l’on découvre de nouvelles choses. Quand j’étudiais en Europe, il m’arrivait d’aller dans une ville que je ne connaissais pas et de m’y perdre. J’essayais de retrouver mon chemin et ainsi j’allais à la rencontre de choses inédites. J’imagine que quand vous pénétrez dans une dimension inconnue, vous devez sans doute revivre ce qu’ont ressenti les premiers cartographes.

Vous auriez dû tenter ça à Angoulême ! [rires]

C’est vrai oui, j’aurais pu désactiver mon GPS ! Mais vous savez, vous êtes sûrs de pouvoir retrouver votre chemin. J’ai pu me faire peur parfois, il fallait demander mon chemin… Quand on a grandi à une époque où il n’y avait pas d’Iphone ni Google Maps, je me souviens de la difficulté que l’on pouvait avoir à retrouver son chemin.

Certains personnages sont des intelligences artificielles. Etes-vous fasciné par le fait que notre technologie soit si avancée que nous pouvons créer des êtres doués de conscience à partir de silicone ?

Jusqu’à un certain point. Ce n’est pas quelque chose qui occupe mes pensées. Au moment où j’ai débuté l’album, les débats autour de l’IA étaient tout juste en train d’émerger car cette dernière en était à ses balbutiements. C’est une pure coïncidence si l’album sort à une période où les discussions font rage autour de ce sujet.

Je ne parle pas forcément d’IA générative mais plus de l’IA que vous faites figurer dans le récit.

J’étais intrigué par le fait de pouvoir télécharger une conscience dans un robot. J’ai lu The Singularity, le livre de [Ray] Kurzweil qui aborde cette thématique. C’est quelque chose qui m’a beaucoup intéressé. Et dans une certaine mesure, c’est ce que le personnage d’Adley a réussi à faire avec Staden : elle parvient à télécharger son… esprit en quelque sorte dans Staden. Ce dernier n’est donc que le reflet d’Adley. Si vous lisez l’album sous cet angle, vous vous rendez compte qu’elle n’est pas un point fixe sur la carte. Elle est deux êtres à la fois. Concernant l’IA, c’est cette idée précise qui m’a beaucoup intéressé.

Comme vous l’avez mentionné, il n’y pas vraiment de réel antagoniste, les personnages n’ont pas vraiment de but précis. Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un récit type « tranche de vie », mais plus d’une étape durant le parcours de quelqu’un dont nous ne verrons pas la finalité. Au final, elle ira peut-être explorer voire créer d’autres dimensions. Quelle était votre intention derrière ce récit ? Était-ce une invitation à la création dans nos vies de tous les jours ?

En partie oui. Pour moi, l’intention n’était pas non plus de clore le récit. Il y aura toute une série d’albums traitant de différents personnages dans cet univers en mouvement.


Vous allez donc réaliser des suites et des spin-offs ?

Totalement. Comme il s’agissait de mon premier album, j’étais mal à l’aise à l’idée d’indiquer « volume 1 » ou bien « tome 1 ».

Ce n’est jamais une bonne idée ! [rires] Les lecteurs ne sont pas forcément intéressés par de nouvelles séries ou des ongoing de nos jours, c’était sans doute la meilleure chose à faire que de ne pas indiquer « volume 1 »  et plutôt les laisser découvrir qu’il y aura une suite.

J’ai toujours eu en tête de développer l’univers mais j’étais persuadé que personne ne lirait l’album… Je me disais que les single issues sortiraient et c’est tout… J’imaginais encore moins qu’il serait publié en trade paperback, qu’il serait adapté en français et dans d’autres langues.

Mais quand on y pense maintenant, cela semble logique. Vous avez cet univers dans lequel on peut voyager entre différentes réalités et dimensions, il semble évident que d’autres albums feront suite.

Vous retrouverez Adley de nouveau ainsi que d’autres personnages comme Dutois le robot photographe, le koala ainsi que Staden et ce qu’il devient. Mon souhait est de prolonger cet univers pas seulement en comics mais également par le biais de peintures, d’artworks… Vous aurez donc un univers dépeint sous plusieurs formats, comme des albums au format paysage, qui auront une cohérence une fois mis en commun.  

On dirait que vous souhaitez également explorer les possibilités que vous offre une page de comics :  pas seulement en termes de structure mais aussi en termes de format, de taille de page…

Tout à fait. Mon prochain album sera au format paysage. J’aimerais également pousser le côté expérimental plus loin, en termes de texte, de graphisme…


Comme ce que peut proposer un artiste comme Chris Ware par exemple ?

Exactement, j’aimerais tendre vers une structure un peu plus ludique et expérimenter les différentes formes que pourraient prendre un comics.

Comme vous l’avez expliqué précédemment, vous ne venez pas forcément du monde des comics, vous avez eu une carrière de peintre. A-t-il été difficile d’appréhender l’art du storytelling ? Comment s’est passée la transition ?  

Eh bien pour ce projet cela n’a pas vraiment été très compliqué car sur bien des aspects, cela s’est beaucoup apparenté à ce que je faisais en peinture. En revanche, pour l’album suivant, j’ai dû étudier différentes structures narratives car je souhaite raconter une histoire plus formelle et expérimenter sur des éléments plus traditionnels. Cette fois-ci j’ai éprouvé un peu plus de difficultés car vous pouvez appréhender ce sujet par tant d’angles différents. Vous avez par exemple plusieurs façons de faire, le voyage du héros, la structure en trois ou quatre actes… Il faut vraiment trouver celle qui correspondra le mieux, celle avec laquelle vous vous sentez le plus à l’aise. Je m’y suis particulièrement consacré l’an dernier…

Avez-vous lu d’autres comics pour analyser ces éléments ?

J’ai effectivement essayé de faire ça un peu plus. Parmi mes projets futurs, le plus important comportera tous ces éléments plus classiques qui nous viennent à l’esprit : un protagoniste et un antagoniste bien définis…

Vous essayez de voir si vous pouvez réaliser un album plus traditionnel ? J’imagine que cela est plus compliqué pour vous car vous passez de l’expérimental au mainstream en quelque sorte.

Tout à fait. C’est un peu comme quand George Lucas a réalisé THX138, un film expérimental et un peu dingue. Il s’est ensuite confronté à un format plus traditionnel avec American Graffiti. Et évidemment après il a découvert le Héros aux mille visages… Mais oui c’est un vrai défi pour moi mais je suis enthousiaste !

 

Dans Horizons Obliques, il y a plusieurs séquences silencieuses. Comment se dit-on qu’une pareille séquence fonctionne correctement ? En tant que lecteur, vous pouvez juste vous contenter de tourner les pages s’il n’y a pas de texte… Comment capter l’attention du lecteur ?

Vous voulez-dire, est-ce que j’ai une formule pour ce genre de pages ?

C’est ça oui.

Je n’ai pas vraiment de recette particulière… C’est avant tout une question de sensations : c’est quand j’estime que le récit a besoin de respirer, de faire une pause. C’est un peu comme quand vous jouez de la musique : parfois vous avez besoin d’une note particulière ou d’un mouvement spécifique pour apporter un contraste, une ambiance. Très souvent, c’est purement intuitif. Vous êtes à votre poste de travail et vous sentez qu’il faut rajouter un ingrédient bien spécifique.

Ce n’est donc pas forcément conscient ?

Non pas vraiment.

Travaillez-vous à partir d’un storyboard ? Car comme un réalisateur vous avez parfois besoin d’adopter un angle particulier pour telle ou telle case…

Je me sers d’un storyboard oui, vous avez besoin d’avoir une ligne directrice.

Vous avez mentionné dans l’entretien le fait que vous avez dû refaire certaines planches ?

Très tôt dans le projet j’ai dû refaire trois ou quatre fois certaines pages. Le projet a été très long, environ trois ans, et une fois arrivé aux dernières planches, je me rendais compte qu’il fallait améliorer les toutes premières. Les erreurs me sautaient aux yeux. Mais il faut apprendre à les laisser de côté et passer à la suite.

Il faut aller de l’avant.

Exactement. Mais je suis satisfait des modifications que j’ai pu apporter, ces dernières n’étaient pas trop excessives. Il fallait juste modifier deux ou trois bricoles. Je pense que si vous voyiez mes premières planches vous vous rendriez compte du chemin parcouru !

Vous travaillez donc sur deux nouveaux projets. Je suppose que nous ne devrons pas attendre trois ans avant leur publication ?

Je n’espère pas ! J’arrive maintenant à trouver des astuces pour travailler plus rapidement. Comme il s’agissait de mon premier album, j’ai beaucoup appris. Y compris des choses très basiques : quels outils numériques, quelles encres utiliser… Auprès d’Image j’ai appris comment se passait la pré publication, comment gérer la sortie d’un album et même le marketing. Tous ces aspects étaient nouveaux pour moi. Maintenant que je connais un peu mieux le système et que je sais comment je veux travailler, je peux me permettre d’être un peu plus rapide.

Il y aura donc un spin off à Horizons Obliques au format paysage. En ce qui concerne l’album plus mainstream, il sera donc séparé de l’univers d’Horizons ?

Tout à fait.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Absolument. C’est un récit de science-fiction. L’histoire commence au début des années 1960 et… elle impliquera des pickpockets… C’est tout ce que je peux vous dire ! [rires]

Je suppose que vous avez un rapport particulier avec la science-fiction ?

Tout à fait. Même si je me base sur un script plus traditionnel, il y a des chances pour que tout ça devienne un peu plus… abstrait. Et la science-fiction est un bon moyen d’amener cette abstraction. Grâce à elle je peux trouver un moyen de rendre l’abstraction cohérente.

En espérant ne pas avoir à attendre trop longtemps pour ce prochain album ! Nous avons hâte d’en savoir plus ! Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez consacré Richard !

Merci à vous. 


Arno Kikoo
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