Bienvenue dans un nouveau numéro de la chronique des "critiques express". A intervalles réguliers, la rédaction vous propose de courtes reviews sur des numéros de comics VO sortis récemment. L'idée est de pouvoir à la fois vous proposer une analyse des sorties attendues du côté des éditeurs mainstream et indé', parler également de runs sur la durée, et essayer de piquer votre curiosité sur quelques titres moins en vue. En somme, tout simplement de mettre en avant le médium comics dans nos colonnes autrement que par le prisme pur de l'article d'actualités.
Oui : c'est le grand retour. La rubrique des critiques express, réclamée à corps et à cris par une horde de fans (globalement composée du rédacteur en chef et de... et de pas grand monde, mais il criait vraiment très fort, alors on a voulu lui faire plaisir), repartent pour un nouveau tour de piste dans la même philosophie et en suivant le même objectif : défendre le format du single issue et les sorties importantes du marché des comics en mensuel. Pourquoi ? Parce que c'est le format originel. L'attente fiévreuse qui pousse le fan attentif à patienter quelques semaines pour découvrir la suite de l'aventure. Parce que les histoires sont architecturées selon cette logique de découpage en séquences de vingt à trente pas, parce que c'est encore là que le monde des comics se distingue, et parce que ça fait bien de les emballer sous blister. Si si. Faites le test. On se sent presque comme un collectionneur.
Accessoirement, toutes les sorties n'ont pas forcément le bonheur de traverser l'Océan Atlantique pour finir empaquetées et embellies dans de beaux albums en version française. Ce qui ne sera pas le cas des titres évoqués cette semaine (en l'occurrence, beaucoup de super-héros) mais l'adage est vrai pour l'essentiel des productions indépendantes, et même pour certains projets mainstreams plus compliqués à soutenir du point de vue du lectorat potentiel en France. D'où l'utilité d'une chronique consacrée. Accessoirement, c'est le bon moment pour se remettre à acheter des singles. D'ici à ce que la crise géopolitique actuelle finisse par retomber sur le secteur de l'imprimerie (attention on touche du bois : ce n'est pas encore le cas à l'heure actuelle), vos précieux petits floppys finiront par devenir de véritables reliques d'un temps perdu d'ici quelques années. Et puis hey, la guerre commerciale, les conflits, le réchauffement, d'accord... mais quand même. Jeph Loeb et Jim Lee sont de retour sur Batman. Oh. Alors. On va se parler clairement : personne ne dit que ça rééquilibre la situation mondiale... mais en tout cas, ça ne la déséquilibre pas davantage.
Et donc, on va s'en contenter.
On reste sur la thématique du "classique" avec ce Batman #158, en flirtant même sur l'idée des comics "rétro-nostalgiques" puisqu'ici il s'agit de découvrir la nouvelle suite canonique à Batman : Hush, plus de vingt ans après la publication du premier arc. Moment historique surtout pour Jim Lee qui reprend un travail complet sur des planches intérieures, histoire de faire oublier l'affreux dernier souvenir qu'il nous avait laissés avec Suicide Squad de Rob Williams. On peut dire que l'entrée en matière se fait sur les chapeaux des roues. Batman affronte (une fois de plus) le Joker qui réussit à prendre l'ascendant et le laisse complètement sonné dans les eaux du réservoir de Gotham. Il cherche ensuite à retrouver sa némésis, alors que celui-ci a été fait prisonnier par Hush (ou du moins, un Hush), qui n'hésite pas à le torturer dans une séquence particulièrement violente.
Il y a donc effectivement des airs d'Hush dans cette suite, à la fois parce que Loeb utilise les mêmes mécaniques du précédent volet, en faisant intervenir pas mal de personnages de l'univers Batman, mais aussi avec le côté spectaculaire des scènes d'action qui s'enchaînent sans beaucoup de temps mort. On peut apprécier ce retour en arrière, d'autant plus qu'il y a plusieurs indices qui laissent à penser que, contrairement à ce que Batman affirme en conclusion de ce numéro, ce n'est pas Tommy Elliott qui est de retour. Ce qui laisserait au scénariste la possibilité de se jouer de ses lecteurs qui s'attendraient à quelque chose de convenu ou d'une suite un peu trop balisée. Pour le moment, l'introduction remplit sa tâche en donnant envie d'en voir plus... encore que. On pourra être décontenancé par ce Chevalier Noir particulièrement fragile, qui se laisse mener par le bout du masque du début à la fin de ce chapitre, et qui apparaît bien plus faillible qu'à l'ordinaire, sans qu'on ne s'explique trop pourquoi. Il faudra aussi être d'accord sur le fait que le dessin de Jim Lee commence mine de rien à dater, et que la superstar de l'industrie n'est plus aussi précis qu'il a pu l'être. Difficile pour autant de croire que Hush 2 ne s'adresserait qu'aux (jeunes) nostalgiques des années 2000 et qu'il n'y a pas la possibilité avec ce genre de blockbuster de s'adresser aussi à des personnes assez novices dans leur lecture de comics.
Ni déçu, ni hyper emballé : le bilan pour Batman #158 reste assez mesuré. Il est de toute façon toujours difficile de juger le seul numéro attendu que la direction de l'histoire (et la tenue des dessins de Jim Lee) ne pourront s'apprécier qu'au cours des prochains mois. Mettons que pour celles et ceux qui n'aiment pas Hush premier du nom, il n'y a pas de raison de se précipiter sur ce numéro puisqu'en apparence, on devrait rester dans la même recette. Dans le cas contraire, il y a des chances qu'un petit trip rétro-nostalgique, qui peut aussi comporter son lot de surprises, soit la lecture mensuelle "de réconfort" que vous recherchiez pas ces temps plus ou moins maussades. Du reste, le Detective Comics de Tom Taylor est super. Lisez le Detective Comics de Taylor.
ArnoKikoo
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Vous avez dû remarquer : nous n'avons pas couvert sur le site les dernières sorties de l'univers Absolute dans des critiques plus complètes ou plus autonomes. Et si vous vous demandez pourquoi, c'est tout bête, mais ces numéros sont malheureusement un peu trop introductifs pour être étudiés dans les grandes largeurs. En comparaison, Absolute Batman, Wonder Woman et Superman avaient déjà posé une première brique sur les origines concrètes, jusqu'à aller plus loin (on avait déjà un point de vue sur l'enfance des personnages jusqu'à leurs débuts en tant que justiciers une fois devenus adultes). Ce n'est pas le cas de Flash ou de cette version des Green Lanterns. Quant à Absolute Martian Manhunter, mettons que l'on se réservera plutôt un bilan complet, plus tard, au vu du potentiel grandiose que promet cette autre série.
Mais alors, Absolute Green Lantern #1, qu'est-ce que ça vaut ? Difficile à dire dans l'immédiat. La série a visiblement respecté la consigne d'usage : plutôt que de procéder étape par étape, on comprend qu'Al Ewing a préféré mettre toutes les Lanterns dans le même panier. L'essentiel des porteurs de bagues habituels (Hal, John, Jo, Guy) sont apparemment d'anciens collègues, d'anciens amis d'enfance, qui viennent tous de la même ville. Une petite communauté paumée des Etats-Unis où il ne se passe pas grand chose. On isole assez facilement les caractères des uns et des autres, et on comprend aussi rapidement que tout ne colle pas aux présupposés classiques. Hal Jordan n'est pas le courageux pilote d'autrefois, John Stewart n'est pas le dur à cuire que l'on connaît, et Jo Mullein n'est pas une étrangère dans ce groupe de héros. Et surtout, l'arrivée d'Abin Sur ne suit pas du tout la formule traditionnelle du canon. Ewing mise sur une science-fiction plus conceptuelle, plus paranoïaque, qui évoque les séries télévisées d'autrefois : un phénomène étrange, inexpliqué, qui frappe un petit groupe de personnes... lesquels vont obtenir leurs propres pouvoirs en fonction des caractères individuels. Serait-on en face d'une version des Green Lanterns façon Damon Lindelof ?
Dans l'idée de renverser les structures classiques, la façon dont le personnage de Hal Jordan est abordé passe pour la plus grosse réinvention pour le moment. En dehors de ça, la Terre-Absolute a surtout l'air de vouloir orienter la mythologie des porteurs de bague vers quelque chose de plus sombre, de plus adulte et de plus localisé. Il serait assez étonnant de retrouver Oa et les patrouilleurs de l'espace dans ce contexte étrange, qui accepte de regarder l'idée du visiteur extra-terrestre comme quelque chose d'inexplicable ou de dangereux. De la même façon, cette parure de thriller très américain (avec les flics du bord de l'autoroute, les petits restaurants paumés, l'impression générale d'opérer loin des villes et de la civilisation) semblent réellement se démarquer des autres séries Absolute... à l'exception de Flash pour le moment. Il va falloir attendre un peu pour se faire un avis, mais la promesse fonctionne, comme une bonne boîte à mystère.
Lancement façon Trilogie du Samedi pour cette nouvelle proposition de l'univers Absolute. Que sont les Green Lanterns ? Qu'est-ce qui va bien pouvoir se passer ? La perspective de casser tout ce que les fans connaissent de l'univers DC a encore une fois été appliquée à la lettre dans cette réinvention des porteurs de bague. Quelque reproches : on aurait pu s'attendre à un graphisme plus conventionnel pour la série. Si les effets de science-fiction proprement dit ont l'air d'être à niveau, les scènes civiles sont un peu plus vides avec un choix de couleurs étonnant et des encrages très légers, presque crayonnés, sur les détails des visages ou des objets. L'approche ne sera pas forcément du goût de tout le monde, mais on attendra quelque numéros pour laisser l'équipe créative trouver ses marques. Une chose est sûre : la fameuse "blackest night" sera au rendez-vous.
Corentin
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"Mais on est en avril, Arno, pourquoi nous parler d'un titre sorti en fin d'année dernière ?" - hé bien tout simplement parce qu'à l'heure de rédaction de cet article, le numéro #2 de The City Beneath Her Feet n'est pas encore sorti (c'est pour juin, et le #3 pour septembre), ce qui vous laisse encore largement du temps pour démarrer ce qui sera sûrement l'un des petits bijoux de l'année. Il faut dire que l'une de nos dessinatrices préférées s'est une nouvelle fois (après Room Service) associée à l'un des auteurs les plus en vue des dernières années, James Tynion IV ; mais fort heureusement, pas pour un récit d'horreur, ce qui permet de sortir un peu du registre dans lequel le scénariste, tout aussi brillant soit-il, officie le plus souvent. Faites donc la rencontre de Jasper Jayne, une espionne à l'allure enjouée et menant une vie chaotique, qui va faire irruption telle une furie dans la vie de Zara, une écrivaine en panne d'inspiration à tendance alcoolique. De cette rencontre va émerger une idylle intense, mais qui va mener la vie de Zara là où elle ne l'attendait pas.
On va reste le plus évasif possible puisque, à l'instar d'autres titres DSTLRY en trois numéros, le seul descriptif de l'intrigue qu'on retrouve en ligne est en fait un résumé de ce qui est présenté dans cette introduction. Il serait donc dommage de se gâcher la découverte, tant The City Beneath Her Feet a des qualités pour elle. Comme bien souvent avec Tynion IV, l'écriture est maîtrisée du début à la fin, Zara se faisant la narratrice de sa propre histoire - comme dans un film d'action moderne qui commence par une scène au milieu de l'intrigue avant de nous renvoyer aux débuts. Mais alors que le premier segment nous ferait croire que The City va vraiment nous faire vivre un récit d'espionnage et d'action assez sanglant, il y a une bifurcation bienvenue lorsque Jasper et Zara se rencontrent, où d'un coup le registre lorgne plutôt vers une version détournée par Tarantino de Coup de Foudre à Nothing Hill - et c'est le mélange des deux genres qui fait que l'ensemble fonctionne parfaitement. On a des dialogues (et des références très New Yorkaises) qui font mouche, deux protagonistes parfaitement reconnaissables et distinctes, dont le trait de Charretier épouse la personnalité, et une impression de folie généralisée particulièrement rafraichissante.
Mention spéciale d'ailleurs à Elsa Charretier qui réalise une nouvelle prouesse en profitant des planches plus larges du format DSTLRY pour se lâcher (littéralement) dans son découpage. On appréciera retrouver un jour ou l'autre le gaufriers ciselés de Love Everlasting, mais pour le moment on profite d'un dessin qui respire dans l'espace qui lui est attribué, d'une mise en scène qui pense toujours au plaisir du lecteur dans ses différents angles, et d'une mise en couleurs de Jordie Bellaire pétillante et vive. Il s'en dégage une ambiance particulière qui fait de ce premier numéro une lecture assez unique.
Autrement dit, si on met de côté la frustration de devoir attendre plusieurs mois pour pouvoir découvrir la suite, The City Beneath Her Feet est une entrée en matière réjouissante. On ne va pas se mentir, on avait peu de doutes sur le fait que l'association de James Tynion IV et Elsa Charretier ne puisse que faire des étincelles, notamment après Room Service, mais le fait de les voir opérer dans ce registre, qui alterne entre action/espionnage et comédie romantique queer, fait qu'on apprécie encore plus ce premier chapitre. Allez, ne reste plus qu'à être patient.
ArnoKikoo
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Dans la longue liste des projets qui ont bourgeonné aux branches de l'arborescence One World Under Doom, la série Doctor Strange of Asgard aurait probablement pu mieux s'en sortir. L'idée de base est bonne : confronter deux versions du mysticisme, deux mondes de la magie, et déplacer un personnage que l'on a l'habitude de suivre dans un certain contexte. Généralement, ce genre de métissages ludiques ont plutôt tendance à fonctionner. Comme lorsque le Black Panther avait pris la place de Daredevil, ou que le Punisher avait été chasser les géants des places dans la mini-série Kill Krew. En tant que fans, on aime retrouver ce genre de petites récréations, ces déplacements amusants pour confronter deux concepts qui ne semblent pas avoir été pensés pour se répondre au départ. Sauf que, pour Doctor Strange of Asgard, le scénariste Derek Landy n'a pas forcément appliqué la consigne à la règle. D'abord, on n'a pas forcément l'impression que Strange mesure ce qui est actuellement en train de se passer sur Terre avec la prise de pouvoir de l'Empereur Dooom.
Pendant que le dictateur décide de prendre le contrôle de la planète toute entière... Doctor Strange joue les médecins généralistes pour le peuple d'Asgard. En s'occupant au passage d'une quête secondaire (littéralement) autour de Loki. Si tout le projet n'est pas forcément mal écrit ou inutile jusqu'ici, on a tout de même le sentiment que la série a été validée pour donner quelque chose à faire à Strange en attendant son retour sur Terre... et peut-être aussi, lui confier de puissants pouvoirs au passage pour pouvoir affronter Doom dans la foulée. Mais c'est un peu le problème : ça se voit. L'écriture paraît totalement déconnectée de l'urgence du moment, Strange lui-même est un peu trop métallique pour porter le concept et la dramaturgie éventuelle du titre sur ses épaules de magicien. La gravité d'un meurtre, les complots internes, tout ceci paraît finalement très secondaire, très automatique. Et si vous faites partie des fans de continuité, ou des règles établies précédemment chez Marvel (comme celle qui veut que les Asgardiens sont naturellement beaucoup, beaucoup plus puissants que les humains normaux), cette série semble globalement ignorer certains préceptes pourtant figés dans le marbre. Même sans vouloir faire le fan obtus, on se demande bien pourquoi Landy hésite à ce point à utiliser la magie au moment des scènes de combat.
On retiendra tout de même quelques points positifs : le peuple d'Asgard lui-même est traité sous le bon angle, avec cette parure quotidienne, civile, cette impression d'un petit monde qui grouille et qui existe sur un plan tangible. Ce qui n'est pas forcément toujours le cas dans les comics Thor, où les habitants de ce royaume sont généralement vus de loin, avec une intrigue qui se concentre essentiellement sur la royauté. Quelques blagues fonctionnent, le projet est plutôt sympathique au global... mais ne défend jamais réellement sa propre existence en tant que série autonome. Là où aurait pu s'attendre à retrouver un héros meurtri, qui part s'entraîner avec les sorciers des Neuf Royaumes pour revenir sur Terre plus fort, comme dans un bon manga de baston, au global, on a surtout l'impression de perdre du temps avec une intrigue interstitielle et un dessin plutôt terne, gris et sans grande noblesse. C'est dommage. Avec Strange et Asgard, on aurait pu au contraire espérer quelque chose de plus coloré.
En définitive, un projet qui sent bon le tie-in pour le tie-in. Oui, tout ceci sera certainement utile lorsque le sorcier reviendra sur Terre avec de nouvelles capacités, et oui, on apprécie cette petite plongée dans partie civile d'Asgard, à défaut de respecter l'échelle de puissance traditionnelle. Mais malheureusement, Derek Landy confirme son statut de scénariste à la commande, ni bon ni mauvais, pour des titres qui se suivent par habitude mais qui n'accrochent pas réellement le regard. Et lorsque l'on sort du Doctor Strange de Jed MacKay, autrement plus intéressant à tous les points de vue, on comprend globalement la problématique : le scénariste qui a œuvré sur cette mythologie pendant les dernières années est actuellement trop occupé pour piloter son magicien préféré, et a donc certainement dû confier un objectif, un point de chute, et les équipes à l'éditorial ont probablement dû se débrouiller pour bricoler une série pour passer le temps avant que cet élément ne finisse par se produire. Tant pis, le résultat aurait pu être meilleur.
Corentin
- Vous pouvez commander Doctor Strange of Asgard #2 à ce lien !