On a longtemps entendu une critique, qui est presque devenue un lieu commun, comme quoi chez DC Comics ne travaillaient que des dessinateurs similaires et trop lisses, sans style propre. Il est vrai que si l'on regarde les travaux d'Ivan Reis, d'Ethan Van Sciver ou même de Mark Bagley, on aurait pu se le dire. Cependant, rien n'est plus faux, surtout depuis quelques années, où l'on a vu arriver chez la Distinguée Concurrence des artistes tels que Frank Quitely, David Finch, ou encore, celui qui nous intéresse aujourd'hui, J.H. Williams III. En effet, ce dernier produit des pages facilement identifiables et on reconnait immédiatement sa patte à la lecture de ses oeuvres... Ainsi, il s'est déjà constitué une base de fans "hardcore", alors même qu'il ne travaille pas depuis beaucoup d'années dans ce domaine, encore moins dans les comics mainstream.
Here Comes the Sun
La carrière du dessinateur américain commence au milieu des années 90, et le premier travail remarquable que l'on peut mettre à son compte est Deathwish, écrit par Adam Blaustein. Publié par Milestone Media, éditeur qui à l'époque connaîtra un certain succès et qui appartenait à DC Comics. On voit dans cette mini-série en 4 volumes les prémices de ce qui fera la particularité de son trait, mais c'est encore assez raide et trop fondu dans la mode des années 90. Cependant, il va en 1997, travailler pour la maison-mère avec Chase, puis deux Elseworld, Justice Riders et Son of Superman, ce dernier écrit par Howard Chaykin et David Tischman. Ces travaux voient une maturation de son art, les bases de l'architecture iconique de ses pages et son trait délicat sont posées. Il se fait remarquer et se voit confier le travail qui va le faire vraiment décoller, Promethea, écrit par la légende Alan Moore. Le nom du scénariste et la longueur de la série (32 numéros) offrent une véritable vitrine à Williams, et c'est tant mieux. En effet, c'est une partition de maître que livre l'illustrateur barbu, la théâtralité de ses compositions convient à merveille au voyage métaphysique et magique, on peut le voir aux multiples références mythologiques et magiques placée tout du long du recit, Williams joue avec le lecteur en multipliant les pistes (caducée, oeil de la connaissance,...). Et on ressent de plein fouet les influences art déco et gothique (pas dans le sens fans de Twilight, mais art flamboyant du début du second millénaire). Quand la série prend fin en 2005, ayant glanée en route un Eisner Award, il est auréolé de succès et d'estime.
Sun King
Après cela, les travaux de grandes qualités, associés à des scénaristes de grande renommée, vont se suivre régulièrement. Cela commence en 2005 avec Desolation Jones, paru chez Wildstorm et écrit par l'inévitable Warren Ellis. Cette histoire qui nous plonge dans le moonde des super-espions à la retraite, la décadence de Los Angeles et les déboires sentimentaux d'êtres fracassés sur le rivage de la vie. Et c'est un formidable argument pour que l'art du dessinateur américain s'exprime puisqu'il sait mieux que quiconque entremêler les scènes de grande violence grandiloquente et magnifique, et les scènes intimiste où les personnages dévoilent leur for intérieur. On le voit quand il capte à merveille les sentiments de cette ancienne espionne qui ne peut approcher personne sous peines de leur donner la nausée. Par petites touches subtiles, il parvient à nous faire comprendre ce que ressentent ces personnages. C'est d'ailleurs l'une de ces plus grandes forces, savoir saisir la psychologie des protagonistes, et parvenir à nous la faire comprendre sans nous l'exposer brutalement, comme s'il nous guidait par la main, tout en nous laissant faire le chemin seul. Suit après cela, une collaboration avec Grant Morrisson sur Seven Soldiers. Puis toujours avec le même scénariste, il entre par la grande porte des comics mainstream en dessinant 3 numéros de Batman, déroulant l'intrigue du Black Glove. Il montre qu'il peut allier son art si particulier aux récits super-héroïques, Batman y apparaissant dans toute sa grandeur, à la fois majestueuse et inquiétante. Puis avec Greg Rucka, il signe le comics qu'il l'a définitivement fait entrer dans le panthéon des plus grands dessinateurs de sa générations, en quelques numéros de Detective Comics, il nous narre les aventures, puis une partie des origines, de Batwoman. Il arrive à en saisir toute la complexité, alors qu'elle paraît déterminée et conquérante dans sa lutte contre le crime, il saisit à merveille ses fissures et ses doutes quand elle est dans le civil, la perte de sa soeur et de sa mère, le renvoi de l'armée à cause de son homosexualité, sa rupture avec Renée et cette relation complexe avec son père. Que ce soit la scène du bal qui possède le charme des films des années 50 ou celle de la bataille finale avec Alice, dans toute sa dramaturgie à l'antique (qui a dit Antigone?), il aligne les morceaux d'anthologie.
Let The Sun Shine
Ce succès critique et sa maîtrise du personnage lui permette alors de créer un comics au nom de Batwoman. L'un des titres le plus attendu de cette année, on tarde d'apprécier son travail en tant que scénariste, car il sait tellement bien raconter une histoire avec des images, que cela nous donne de grands espoirs quant à sa capacité d'en raconter avec des mots. D'autant plus que le Batwoman #0 nous avait plutôt alléché, et que l'on reste plus que confiant vis-à-vis de la suite de l'aventure. On aura notre réponse en Avril. Et si d'aventure, il venait à devoir chercher d'autres horizons? Et bien, je pense qu'il peut aller partout où la psychologie des personnages aurait le mérite d'être fouillé. Et pourquoi quitter les ruelles sombres pour le voir évoluer dans un domaine plus psychédélique et imposant? Il nous disait d'ailleurs dans son interview réalisée à Lille, que cela lui plairait bien de travailler sur les Fantastic Four, pour changer. Et pourquoi pas? Sa maîtrise des relations entre les personnages est un atout pour dessiner cette famille complexe, et son style flamboyant sierait parfaitement bien à leurs aventures cosmiques.
De plus, il y a un côté sympathique à parcourir ces pages quant on sait qu'elles ont dûe être réalisées en écoutant du Blondie ou du Sisters of Mercy (il portait d'ailleurs un T-shirt à leur effigie au LCF 2010, du plus bel effet), le meilleur du rock des années 80, pensez à Cure, Siouxie et compagnie, que du bon. On peut penser qu'aussi loin qu'il soit rendu, son art n'a pas encore atteint son apogée et promet de nous fournir encore plus de belles pages dans l'avenir ; On espère aujourd'hui que la mauvaise distribution de DC n'aura pas de répercussions négatives sur son public européen, à signaler d'ailleurs la sortie du chef d'oeuvre Batwoman : Elegy en Français dans la collection DC Icons le 10 Juin prochain, une occasion immanquable pour ceux qui ne le connaissent pas encore de découvrir un artiste immanquable.