Quand un duo
de stars du comics annonce une nouvelle collaboration, on en salive toujours
d’avance. En tous cas, moi, c’est ce que j’ai fait en apprenant que Brian Michael Bendis (Ultimate
Spider-Man, Avengers) et Michael Avon
Oeming (The Mice Templar) allaient lancer un nouveau creator owned via la
ligne Icon : Takio. Un nouveau
projet des créateurs de Powers, ça
ne pouvait qu’être génial. Puis l’enthousiasme a laissé place à la curiosité
(pour ne pas dire la perplexité) face au peu d’informations dévoilées. Quelques
planches, quelques phrases, le fait que l’idée venait de la fille de Bendis…
Enfin, un beau jour, Takio est sorti. Et autant vous dire tout de suite
qu’après la lecture, je suis toujours aussi perplexe.
Déjà, Takio
est une graphic novel, c’est à dire une histoire complète mais avec beaucoup
plus de pages qu’un simple one shot. Donc finalement, pas de nouvelle série
régulière pour Bendis et Oeming. En même temps, vu leurs plannings respectifs,
ce n’est pas très surprenant. Ce qui l’est beaucoup plus en revanche, c’est le
format de Takio. Plus grand qu’un manga, mais quand même nettement plus petit
qu’un comic ordinaire. Sans doute le résultat d’un brainstorming frénétique des
commerciaux de chez Marvel pour sortir un produit qui sera facile à placer dans
les rayons des librairies « normales » (par opposition aux seuls
magasins de comics). Pourquoi pas ? Enfin Takio est présentée comme une
série « all ages », tous publics. Dans le langage de l’édition, ce
label équivaut souvent à « pour enfants ». Et là, les derniers
espoirs de retrouver un comic dans la lignée de Powers s’envolent. Cependant,
il ne faut pas désespérer totalement non plus. Dans la culture anglo-saxonne,
la littérature « tous publics » n’est pas nécessairement abêtie, et
peut s’avérer très bien écrite. L’exemple le plus connu est bien évidemment la
saga Harry Potter. Le récit de
Bendis s’inscrit heureusement dans cette tradition.
Le pitch de
Takio est assez simple : deux demi
sœurs dans une famille adoptive se retrouvent accidentellement nanties de super
pouvoirs. Il y a la grande, Taki, évidemment la plus posée du haut de ses treize
ans. Et Olivia (qui porte le même nom que la fille du scénariste), véritable
pile électrique débordant d’enthousiasme à tous propos et souvent hors de
propos. Les lecteurs d’
Ultimate
Spider-Man le savent, Brian Bendis adore développer longuement la génèse de
ses super héros. Peter Parker avait mis plusieurs numéros avant de revêtir son
costume rouge et bleu pour la première fois. Ici c’est pareil. Nos deux frangines
n’adoptent le look « collant flashy » qu’à la toute dernière page du
récit. En fait, Takio est l’exemple type d’une histoire qui est
« character driven » (par opposition à « event driven »).
C'est-à-dire que ce sont les interactions entre les différents personnages qui
la font progresser, bien plus que l’enchaînement des évènements. Evènements qui
sont d’ailleurs au final assez peu nombreux (l’incident déclencheur, un
« entraînement » contre une poubelle, la « bataille »
finale et c’est à peu près tout). Ce qui fait tout l’intérêt de cette graphic
novel, c’est donc les relations entre les personnages, et celles-ci sont très
réussies. On s’attache immédiatement à Taki et Olivia, forcées d’être très
proches par une mère qui les surprotège, et qui se tapent sur les nerfs. Et
pourtant, malgré les tensions, on sent un réel lien entre elles, une véritable
affection. Kelly Sue, la meilleure amie de Taki, est aussi très réussie. Son
virage vers le côté obscur est très bien amené et ne fait pas artificiel. Le seul
personnage qui laisse un peu à désirer est le père de Kelly Sue, le véritable
vilain, qui fait franchement cliché. Mais ce n’est pas trop grave non plus car
cette histoire n’est clairement pas la sienne. Plus qu’un personnage, il est un
élément activant, guère plus. Les excellents dialogues de Bendis sont la raison
pour laquelle tout cela fonctionne si bien. Même dans l’optique du « tous
publics », il n’a pas changé son style si caractéristique et efficace.
Ainsi les répliques sont travaillées sans faire artificielles et on se régale à
chaque bulle. En revanche, il y a bien un domaine pour lequel l’auteur a dû
sacrifier aux exigences de la catégorie « all ages » : le
background de l’univers qu’il crée. Takio n’est clairement pas une série pour
les maniaques du détail et les pinailleurs en tous genres. Des sbires armés
apparaissent et disparaissent au gré de l’action, le méchant dispose de moyens
à la provenance floue (on a droit au cliché de la « méchante grande
entreprise ») et les réactions des autorités aux évènements restent
marginales. Bon, il y a bien un petit effort pour faire que l’histoire ne se
passe pas totalement dans une bulle (la page de journal que consulte Taki),
mais ça reste léger. Idem pour ce qui concerne la nature et le fonctionnement des
pouvoirs des héroïnes, ils restent plus que vagues (elles appellent ça de la
« télékinésie kung-fu » et baste). Enfin, on ne sait presque rien de
leur passé si ce n’est qu’an moins une des deux a été adoptée (et encore c’est
parce que c’est écrit sur la quatrième de couverture). En gros, pour apprécier
Takio, il faut se laisser porter par les personnages et éviter de poser trop de
questions. Au même titre, on remarquera qu’il n’y a pour ainsi dire aucun
personnage secondaire. Même la mère de Taki et Olivia n’est qu’une voix et une
silhouette (on ne l’entrevoit que dans trois cases). En fin de compte, Brian
Bendis donne un peu l’impression d’être assis entre deux chaises. Il ne veut
pas écrire une histoire « bê-bête », mais on sent bien qu’il essaie
quand même de simplifier son style sans réussir totalement le tour de force que
fut Ultimate Spider-Man.
Michael Avon Oeming, lui, semble par
contre avoir éminemment conscience qu’il n’évolue pas dans son élément naturel.
Ses planches pour Takio n’ont pas grand-chose de commun avec son travail sur
Powers ou
Mice Templars. Certes son trait à la fois cartoony et anguleux
reste reconnaissable, même si le côté anguleux justement est très atténué. En
même temps, il ne va pas donner à des fillettes la mâchoire carrée d’un
Christian Walker (le héros de Powers).
Par contre, presque aucune trace de ses
habituels jeux d’ombre. Ici, à de rares exceptions près (la scène dans le
laboratoire du père de Kelly Sue par exemple), pas de noirs compacts. Tout est
extrêmement lumineux. Les ombres sont représentées par des nuances de couleurs.
On en profitera pour saluer l’excellent travail de
Nick Filardi, dont la palette pastel fait des merveilles. Mais il
n’empêche que chez Michael Avon Oeming la gestion des zones d’ombre est d’habitude
un élément essentiel, à l’instar d’un
Mike
Mignola (Hellboy). Le retirer revient à perdre une grande partie de
l’intérêt de lui faire dessiner le titre. D’un autre côté, on ne peut pas lui
reprocher de s’être adapté à l’histoire, qu’il était inenvisageable de dessiner
avec son style classique. Le dessinateur doit aussi s’adapter au format
particulier des pages, plus petites. Pour cela il ne change rien à ses mises en
page, toujours très efficaces et dynamiques même si elles sont un peu moins
« artistiques ». Par contre il allège beaucoup ses arrières plans
pour laisser respirer. C’est plutôt réussi et ça ne donne pas d’impression de
vide, sauf peut être un peu dans la bataille finale. Pour finir, on notera que
le design des personnages est très bon. Les trois fillettes ont vraiment l’air
d’enfants, pas d’adultes miniatures. Le vilain a quant à lui le look typique du
savant fou, mais ça lui convient bien.
Au final, Takio est plutôt un bon comic,
léger et agréable à lire grâce à ses personnages principaux et aux dialogues de
Brian Bendis. La prestation de Michael Avon Oeming au dessin, si elle ne
rentrera clairement pas dans les annales, reste tout de même de bonne facture.
La seule chose qu’on reprochera à ce titre, c’est d’être un peu trop conscient
du fait qu’il doit être « tout public », alors qu’il aurait pu être
tellement meilleur si les créateurs avaient été plus spontanés.
Les plus : Taki, Olivia et
Kelly Sue
Les dialogues
Bel effort de Michael Avon
Oeming…
Les moins : … même si on
regrette ses ombres
Background scénaristique
très léger
Les auteurs se soucient un
peu trop de faire du « tous publics »
Notes
Scénario : 3,5/5
Dessin : 3/5
Globale : 3,5/5