C’est le début d’une nouvelle collection chez Panini Comics, l’éditeur en charge des publications Marvel en France depuis de nombreuses années maintenant . Après le succès trois années de suite de la collection Incontournables, suivi d’un an de temps mort (qui peut s’expliquer par l’intérêt discutable de la dernière fournée : Spider-Man et les Héros Marvel), la voici de retour sous une forme sensiblement différente.
Outre sa nouvelle appellation Marvel les Grandes Sagas, on remarque d’emblée que nous n’avons plus affaire à un format hardcover (à couverture rigide), mais bien à du tradepaper back (à couverture souple). On pourrait débattre longtemps de l’attrait de cette nouvelle apparence, et ce n’est pas le but de cette review, mais force est de constater qu’elle reste largement acceptable.
Bien les présentations faites, passons maintenant aux choses sérieuses, le contenu ! Nous avons une compilation d’épisodes sortis entre octobre 2003 et février 2004, avec pour point culminant le cinq-centième épisode de la série Amazing Spider-Man, numéro anniversaire, le tout écrit par le duo d’auteurs qui a marqué l’histoire de l’homme-araignée, J.Michael Straczynski et John Romita Jr. Ces seuls noms suffisent à donner l’eau à la bouche de tout arachnophile qui se respecte puisque ces derniers ont signé le run d’auteurs le plus édifiant des années 2000, qui vint bouleverser l’univers du personnage tout entier. Entre Morlun, Ezekiel, Sin’s Past, the Other ou One More Day, on ne peut pas dire que cette longue période fut une partie de plaisir pour notre monte-en-l’air, certaines sagas furent décriées (Sin’s Past et OMD en tête), mais globalement ces sept années en compagnie de Straczynski et la majeure partie du temps de Romita Jr furent un régal pour nous, lecteurs que nous sommes. Après la publication de certains bouts de ce run dans les pages des Incontournables, voici son épicentre, la saga Happy Birthday, qui reviendra sur toute la carrière du Tisseur tout en abordant un thème cher à Straczynski : le complexe temporel.
Notre histoire démarre somme toute assez classiquement sur une scène de la vie quotidienne de Peter Parker mordante d’humour comme l’on en voit uniquement chez notre amical voisin l’araignée avant de mettre plein pied dans les hostilités. On aborde la première qualité de nos deux auteurs, l’art de la mise en scène.
Ponctué par les pensées d’un Peter qui ne peut s’empêcher d’en décortiquer les moindres détails, ce combat se montre renversant à plus d’un titre. Ainsi, les blagues de Spidey se complètent par son cynisme et son analyse poussée des évènements. C’est drôle, mais ce n’est pas de l’humour « bête » comme peut nous l’offrir un Deadpool (le personnage, pas le rédacteur. Quoique...), ici l’aspect humoristique repose sur la flegme pince-sans-rire du tisseur, ce qui caractérise la vision du personnage parStracz’. Allié au sens du cadrage et un découpage cinématographique dont fait usage Romita Jr ainsi que son style dynamique typé comics comme l’ont défini de grands hommes tel que Jack « dieu » Kirby, Steve Ditko voir même son propre père John Romita Sr, font que l’impact des séquences de baston s’en retrouve renforcé.
Passée cette introduction, nous rentrons dans le coeur de l’histoire : le complexe temporel. Pour ceux qui connaissent l’oeuvre de Joseph Michael Straczynski, vous savez sans doute que les cassures du temps et de l’espace, les voyages temporels font partis des sujets qui tiennent l’auteur à coeur. Outre sa participation à des séries tel que la Quatrième Dimension, c’est surtout avec Babylon 5, son chef d’oeuvre au sens littéral du terme, qu’il exploitera ce thème (Babylon 5 illustre toutes les idées chères à l’auteur, j’y reviendrais dans quelques temps lors de ma critique du Deluxe Thor vol.1, qui revient lui sur un autre de ses thèmes fétiches). Babylon 5 était une série télévisuelle en cinq saisons, représentant cinq années, et pensée comme tel dès son élaboration. Par la solidité de son script, la série utilisait le paradoxe temporel de fort belle manière. Ainsi certaines scènes se retrouvaient dans plusieurs saisons différentes car les protagonistes avaient fait des sauts dans le temps, et le tout était sublimé par une force d’écriture sans faille, pensé dans les moindres détails du début à la fin.
JMS réutilise ce thème pour créer un ensemble cohérent dans son récit, avec un début, un milieu et une fin. Ce procédé est d’ailleurs lui-même utilisé sur son run, notamment grâce à sa petite création préféré dans l’univers de Spidey (pourtant absent de cette saga), le Totem. Ce qui nous donne un ensemble symbolisé par ces arcs, avec pour début Morlun, pour milieuThe Other et pour fin One More Day (dans un contexte plus réduit, l’élément totémique suit le même schéma avec début Morlun, milieu Shatra et fin The Other).
Ce procédé se voit donc utilisé dans cette histoire, et JMS se sert du complexe temporel pour amener le début et la fin de la carrière du tisseur au lecteur. Ainsi cette saga représente un tout, cohérent, qui s’inscrit dans le run de l’auteur autant qu’elle en est indépendante, et donc le début est représenté par la morsure d’araignée, commencement de sa vie de justicier et mort d’oncle Ben, le milieu serait tous les combats que Peter a mené au cours de sa vie, pour lui, pour le monde et les gens qu’il aime, et enfin la fin serait cette scène intense où un Peter vieilli et marqué par la vie se retrouve face aux autorités et à sa mort. On peut voir dans cette situation les prémices d’un Civil War naissant chez les têtes pensantes de Marvel. En effet le détective Lamont, personnage récurrent du run de Stracz’et ami de Spider-Man, semble connaitre l’identité de ce dernier. Il énonce ensuite le fait que Peter est un « fugitif » et qu’il ne pourra l’aider que s’il se rend. Signe avant-coureur de la Super-Human Registration Act ? Possible d’autant plus que la série Amazing Spider-Man a accueilli une forme d’introduction à Civil War (épisodes réédités dans la collection Spider-Man et les héros Marvel, avecIron Man).
De plus, cette fin de carrière de l’araignée permet à JMS d’introduire une autre de ses idées-clés : le sens de la mort et son importance. A travers un monologue énoncé par le Spider-Man du futur, il fait naitre un sentiment de mélancolie chez le lecteur et le pousse à la réflexion en même temps que notre héros. Il poursuit ce questionnement tout au long de l’histoire qui va, après cette mort tragique, revenir sur les moments forts de la carrière de Spidey. Nous reverrons ses grands combats, ses exploits mais aussi ses coups durs, avec une finesse d’écriture incroyable. Sublimé par un John Romita Jr assurément en grande forme, qui se réapproprie tous ces instants avec son trait remarquable entre tous. Un vrai régal. L’interrogation sur le sens de la mort devient un questionnement sur celui de la vie, qui attendra sa conclusion à la fin du récit avec le retour d’un personnage important, probablement le plus important de l’histoire du monte-en-l’air qui donnera la réponse à toutes ces questions dans un final heureux et émouvant. Et qui de mieux pour dessiner cette fin que John Romita Sr, dessinateur qui aura laisser son empreinte par son aura.
J.M Straczynski nous prouve avec cette histoire qu’il est un maître de la narration et de la réflexion. Il se sert de ses idées fortes, et notamment du paradoxe temporel comme un tremplin émotionnel. Ne serait-ce pas là la marque des grands auteurs ?
En plus de cet arc exceptionnel, l’ouvrage est agrémenté de deux épisodes peu importants dans la continuité, mais pourtant forts plaisants à la lecture. Le premier s’intéresse plus particulièrement à tante May, comment prend-elle le « job » de son neveu, et les oppositions qu’elle peut avoir dans sa façon d’appréhender les évènements avec Peter. Un épisode drôle, émouvant et plein d’humilité. Le second est plus anecdotique, une petite histoire de Spidey comme on les aime, humoristique et intime, avec en prime un petit clin d’oeil à la dernière case.
Marvel les grandes Sagas #1 : Spider-Man nous offre le plus beau des anniversaires d’un personnage de comics, par les mains talentueuses des plus grands auteurs qui ont foulé le titre, J.Michael Straczynski et John Romita Jr. adressé autant au néophyte qu’au connaisseur, grand public et pourtant intimiste, ce recueil est une petite merveille. Et pour 4€95, il vous est impératif de vous le procurer.