Bienvenue dans la nouvelle édition de The Wanderer’s Treasures. Au programme cette semaine, un polar surnaturel : The Vinyl Underground de Si Spencer (Hellblazer, Books Of Magic : Life During Wartime) et Simon Gane (Northlanders) publié chez Vertigo en 2008. C’est plus précisément au premier trade paperback de cette courte série (douze numéros au total) que nous allons nous intéresser. Intitulé Watching The Detectives, il regroupe les cinq premiers numéros. On a donc droit au premier story arc (#1 à 4) et à un numéro « de transition ».
Mais avant d’évoquer l’intrigue, il convient de présenter les personnages, car ceux-ci sont à n’en pas douter le principal intérêt de cette série délicieusement trash. Il est en effet difficile d’imaginer équipe plus bancale que le Vinyl Underground, une bande de détectives amateurs qui aiment jouer les justiciers en coulisses et signent leur travail en laissant un vinyl d’Otis Redding en plus des preuvesaccablant les criminels qu’ils chassent (d’où le nom). On a Callum O’Connor alias Perv, un médium asthmatique, asocial et condamné à de la prison parce qu’il tenait un site pédophile. Rassurez vous tout de suite, le trash ne devient pas immondice : on apprend immédiatement qu’en fait le site était un faux destiné à piéger les vrais pervers. Mais ce qui a valu sa condamnation à Perv, c’est qu’il a empoché pour lui l’argent des monstres qu’il piégeait. On a déjà là un bel exemple de la façon so british d’écrire de Si Spencer. On est toujours sur le fil du rasoir, dans l’humour noir, mais on ne bascule jamais. Il y a aussi Leah King alias Juicy Lou. Assistante débutante à la morgue, elle est aussi la seule starlette vierge du porno en ligne, cocaïnomane à ses heures, pyromane et une bagarreuse hors pair. A côté de ces deux énergumènes, Morrison Sheperd dit Moz ou « Mozza » fait quasiment figure d’homme ordinaire. Fils d’une star du foot décédée et d’une actrice porno rangée mais qui a disparu des années plus tôt, Moz est une célébrité de troisième zone. Ancien toxico, en liberté conditionnelle, DJ amateur de soul et joueur de poker d’élite, il est surtout le leader du Vinyl Underground. C’est lui la star de la série, et celle-ci tourne autant autour de la résolution des enquêtes de l’underground que des secrets enfouis dans le passé de Moz. Celui-ci s’avère d’ailleurs être un personnage très attachant, à la fois provocateur charismatique et fragile, déterminé mais plein de doutes, drôle et tragique. Bref il est lui aussi on ne peut plus british. La dernière à rejoindre la petite bande est Kim Abiola, dite Abi. Princesse tribale africaine en exil, ex de Moz, experte en histoire de Londres (le lieu où se passe l’histoire) et surtout fille de Femi Abiola, chef tribal accusé d’avoir assassiné et décapité un enfant. Ce sont Moz et sa bande qui trouvent la tête de la victime et Abi se tournera vers eux pour les convaincre d’innocenter son père.
Ce sera la première enquête du Vinyl Underground à laquelle nous assisterons, et force est de reconnaître qu’elle est plutôt bien ficelée. Bon, on n’est pas non plus face au polar du siècle, et les habitués du genre ne devraient pas être surpris par le dénouement, mais la progression se fait selon un rythme efficace. On croise d’autres personnages marquants comme le sergent Caulfield, une femme flic qui accepte l’aide de l’Underground mais voudrait en savoir plus sur Moz et ses acolytes. Puis il y a Tommy McArdle, gangster londonien typique de la vieille école, rangé et ancien ami de la famille Sheperd. Tous auront leur rôle à jouer. L’autre aspect intéressant de l’intrigue, c’est qu’elle nous plonge dans l’univers de la communauté africaine à Londres. Entre magie mutu, traditions tribales et trafic de khat (une drogue « naturelle » redoutable et peu connue), on sent que Si Spencer s’est bien renseigné sur son sujet et il distille agréablement les anecdotes ou détails au fil du récit. Il fait de même dans le dernier numéro contenu dans le trade (sur l’intrigue duquel je ne peux m’étendre sans dévoiler la fin de l’enquête principale). On y apprend en effet pas mal de chose sur les plans de Londres et leur histoire. Le tout contribue à créer une véritable atmosphère qui fait tout le charme de la série. Les dialogues sont aussi excellents. Vifs, percutants et souvent drôles, il sont remplis de termes typiquement britanniques qui nous plongent encore plus dans l’ambiance sans pour autant que le texte devienne incompréhensible pour un non anglais.
Bon, il convient de reconnaître que The Vinyl Underground n’est pas non plus une série exempte de tout défaut. Le premier est la place qu’occupe la magie. Car oui, au cas où vous l’auriez oublié il s’agit d’un polar surnaturel. Mais il faut parfois faire un effort de mémoire pour s’en rappeler vu qu’on a surtout affaire à des gangsters et autres trafics des plus ordinaires. Du coup, les rares fois où la magie s’invite dans le récit et joue un rôle déterminant (les visions de Perv, le rite magique accompli par Femi Abiola,…), on est un peu déconcerté. On n’ira pas jusqu’à parler de béquille scénaristique pour l’auteur (la dimension surnaturelle du récit est assumée), mais on aurait aimé un meilleur équilibre les séquences surnaturelles et celles plus réalistes. A trop hésiter entre Hellblazer et du polar classique, The Vinyl Underground se retrouve parfois assis entre deux chaises. Heureusement ça ne gâche pas le plaisir de lecture. De même pour certains personnages, un peu exagérés (le gardien de prison raciste et corrompu surtout).
Enfin le dessin, sans être mauvais loin s’en faut, n’est pas non plus exceptionnel. Il ne rebute pas, mais que je doute que beaucoup de gens achètent la série en raison du travail de Simon Gane même s’il est encré par l’excellent Cameron Stewart (dessinateur sur Catwoman ou encore Batman & Robin). Mais ne faisons pas non plus un mauvais procès à l’artiste, les designs de ses personnages sont très réussis. Les trois héros ont des physiques et des looks irréprochables, encore une fois très british, ce qui colle parfaitement au reste du comic. Et les personnages secondaires sont à l’avenant. Les mises en pages sont aussi efficaces avec de beaux efforts dans la construction des pages pour donner du dynamisme à la narration sans nuire à cette dernière. Mais ce qui est le plus remarquable, c’est le travail réalisé sur les décors. On a véritablement l’impression d’être à Londres, et pas dans une ville occidentale générique. Gane réussi à faire se dégager une atmosphère de ses pages, comme Si Spencer le fait par son écriture. Et cela qu’on soit dans les rues, à la planque des héros ou dans les tripots clandestins où Moz joue au poker. Finalement, le seul reproche qu’on peut faire à Simon Gane, et qui explique qu’on ne s’enthousiasme pas pour son œuvre malgré ses indéniables qualités, c’est son trait. Trop réaliste pour qu’on puisse le classer dans la catégorie des artistes cartoony, mais manquant quand même un peu de détails (la faute à des lignes un chouia trop appuyées). Bref, on l’impression que lui non plus n’a pas su choisir son camp. Mais encore une fois, le dessin reste agréable et il convient de prendre le qualificatif de « pas exceptionnel » au pied de la lettre : on ne tombe pas en arrêt devant mais c’est quand même bon.
Ce premier trade de The Vinyl Underground est donc excellent, surtout grâce à ses personnages hauts en couleurs et à son univers riche. Et le dernier numéro du trade montre bien la maîtrise de Si Spencer en matière de développement de ses personnages. Les dessins de Simon Gane assurent quant à eux l’essentiel, et même un petit peu plus. Le trade Watching The Detectives est assez facile à se procurer sur le net, de même que la suite et fin de la série Pretty Dead Things. La série n’a cependant pas été traduite en français. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bonne lecture, avec du Otis Redding en fond et une tasse de thé...
NB : La série est en couleur mais je n’ai trouvé que des images en noire et blanc pour illustrer cet article