Alors comme ça, vous ne connaissez pas les comics ? Quelque part, permettez-moi d’en douter. En effet, si vous n’avez jamais mis la main sur un petit Batman, voire un grand X-Men, ou encore un discret Sandman, vous avez sûrement déjà lu une bonne vieille bande dessinée bien franco-belge comme il faut. Si là encore vous ne vous sentez pas concernés, alors peut-être êtes-vous de ceux qui aiment le noir et blanc des omniprésents mangas.
Peut-être même êtes-vous en train de vous demander : “Oui, mais quel rapport ?"
Ce que vous aimez
dans les classiques de la BD, c’est le dessin d’un Franquin,
les scénarios d’un Jan Van Hamme ou le charisme d’un Tintin. Vous y trouvez des styles variés, une maîtrise de la
colorisation tout à fait appréciable (pensez à Blacksad) et
parfois une certaine profondeur dans l’intrigue qui sait séduire
votre âme de vieux briscard. Mais vous ne restez pas insensibles aux
guignolades de Gaston.
Ce qui vous plait en somme dans
la bande dessinée disons “classique”, c’est sa variété, sa
richesse de registres mis au service d’une maîtrise artistique
toute particulière. Tant mieux, les comics proposent la même chose.
Vous ne lirez pas Un Long Halloween, un des classiques
de Batman tout juste ressorti et dispo chez vos crémiers,
comme vous lirez n’importe quel Deadpool. L’un ressemble à
un polar noir, au trait serré et à l’ambiance pesante. L’autre
ressemble à un Astérix consommant des champignons douteux de
chez les Schtroumpfs, le tout avec du sang. Ah oui, parfois
les ponts sont un peu longs, mais on s’y retrouve.
Le même parallèle peut se faire avec les mangas et les multiples publics visés par la discipline. Seinen et shônen sont cependant plus faciles à retrouver dans les comics que pourraient l’être les shoujos. Disons que la limite entre ce qui peut intéresser le public féminin n’est pas aussi fortement marquée outre atlantique qu’elle semble l’être chez nos amis nippons. Demandez à Katchoo : vous pouvez être une femme et ne pas vous contenter de Nana ou de ce que fait Clamp.
Il y a encore très peu de temps, les comics mainstream étaient cependant soumis à un forme d’autocensure. Les maisons d’édition principales soumettaient leurs productions à la “Comics Code Authority” qui refusait toute chose estimée trop “osée” (ce qui inclut le gore). La CCA n’était pas non plus toute puissante, mais vous connaissez la réputation du puritanisme US... Il y avait des alternatives (voyez chez Vertigo, ou Images, par exemple) mais il y a des choses qui se font très facilement dans la BD ou les mangas, moins dans les comics. Aujourd'hui, la CCA étant de moins en moins utilisée, il en découle sa quasi disparition du paysage comics.
Cette distinction
est importante pour Davy
Mourier,
auteur de BD français aux goûts larges et variés, à l’origine de l’émission Roadstrip
consacrée à ses auteurs préférés. “Le
comic-book parait, bizarrement (parce qu'on parle là de mecs en
collant), plus adulte dans l'imaginaire des lecteurs que la BD
franco-belge (on pense directement Tintin
et Astérix)
ou les mangas (on pense directement à Dragon
Ball
ou Naruto),”
dit-il. “Mais
dans le fond, on le sait, c'est totalement caricatural de penser
comme cela. Enfant, les comics m'apportaient la dose de manichéisme
et de super pouvoir que je ne trouvais pas dans les BD franco-belges.
À l'époque, le manga n'était pas arrivé en France et si on
voulait une vraie dose d'épique on ne la trouvait que dans les
comics.”
Ces
limites ne sont donc finalement pas toujours négatives, au
contraire. “Ce
que j'aime dans les comics c'est que tout bouge sans bouger. Que
l'histoire est 100000 fois réécrite mais qu'elle est, au fond,
toujours la même. Je me sens bien dans les comics parce que je
connais les limites, les lieux, les personnages, c'est balisé. C'est
un refuge où le mal est le mal et le bien est le bien, même si
depuis quelques années, les comics ont grandi et nous donnent plus à
réfléchir."
Un autre pont entre
les comics et les mangas, c’est la fréquence et le volume de
parution. Vous ne serez jamais à court de quelque chose à croquer,
avides consommateurs d’histoires que vous êtes. "Les
comics ressemblent aux mangas par le coté histoire fleuve qui
s'étale sur des milliers de pages,"
explique Davy. Ce n'est pas toujours facile de suivre, d'ailleurs.
"Tout
ça donne un côté "soap" où l'on voit se croiser des
tonnes de personnages, et si tu loupes un chapitre tu es complètement
paumé." "Ah bon il sort avec cette meuf maintenant ? Mais
ce n’était pas sa sœur ? Ah si, mais adoptive alors ça
va."
Pour
ceux qui préfèrent l’intemporalité des BD, pas
d’inquiétude. "Dans
les comics, il y a aussi une part de BD franco-belge, puisque les
héros n'évoluent quasiment pas ou reviennent très souvent à leur
statut de départ. Dans les mangas les persos grandissent et
vieillissent. Dans les comics ça n'arrive presque jamais. Attention
je généralise, bien sûr."
Davy
n’oublie pas que le lecteur n’est pas non plus insensible à un
joli trait de crayon. Il y a forcément des différences, que dis-je,
des mondes qui séparent les différentes cultures de la bande
dessinée ? Pas vraiment : “Pour
ce qui est du dessin, c'est amusant parce que chaque pays a été
influencé par l'autre. Dans les années 70 Mézières a été pillé
par Star
Wars.
Dans les années 80 les français copiaient les comics, dans les
années 90 les français et les ricains copiaient les mangas...”
En
effet, comme Davy nous le rappelle, les frontières culturelles ne
sont pas imperméables. Les auteurs français sont-il d’ailleurs
obnubilés par l’influence américaine, comme le reste de nous
autres mondialisés ? “Je
ne sais pas si on rêve de créer Batman.
Surtout que bon, Batman
c'est quand même piqué à Zorro
et que Zorro
à été piqué à "Mouron
Rouge"
un héros de roman anglais.”
“J'ai
appris dernièrement qu'un auteur Français avait créé un homme
élevé par les singes, qui commande à des singes et qui combat les
humains bien avant la création de Tarzan,
mais il a été complètement oublié. Le personnage s'appelait Saturnin
Farandoul.
Il méritait d'être oublié, hein. Je crois qu'on a pas 12000 types
de héros dans les histoires et qu'ils évoluent selon les époques
et revêtent des costumes plus à la mode, c'est tout. Alors qui
sait, peut être que la prochaine évolution de Batman
sera Française. Regardez, Freaks'
Squeele [de Florent Maudoux, qu'Apteis a interviewé ici, ndlr] c'est un bon X-Men
à la française, non ?"