Depuis plusieurs années, le cas du Punisher interroge les pontes de Marvel Comics. Fréquemment associé à une imagerie précisément politique, le personnage et son emblème particulier auront tous deux été récupérés sous différentes formes - par différents corps d'individus ou différentes sous-cultures - aux Etats-Unis ou, parfois, en Europe. Le logo symbolique du plastron de Frank Castle, une tête de mort à la dentition imposante, apparaît à intervalles réguliers dans les colonnes de faits divers au grand dam de l'éditorial (associé malgré lui à une nouvelle imagerie, plus dure, plus raciste, plus litigieuse, ou simplement, plus premier degré).
Qu'il s'agisse de policiers en patrouille floquant le logo du Punisher sur leurs véhicules ou leurs uniformes, voire sur leurs matraques, au départ du mouvement Blue Lives Matter, des Three Percenters, un corps d'extrême droite favorable aux milices armées et à la détention du port d'armes, ou du rassemblement Unite the Right du côté des néo-nazis et suprématistes blancs auto-diagnostiqués, Frank Castle aura fait le tour du pays, évoluant dans un spectre particulier de l'appareil idéologique. Gerry Conway, co-créateur du Punisher, avait déjà condamné cette récupération, expliquant que le personnage devait, au départ, fonctionner comme une critique du système auquel la police était censée croire, et faire respecter. Matthew Rosenberg avait aussi tenté de répondre à la polémique, dans Punisher #13, où Castle lui-même engueulait deux officiers utilisant son symbole.
Du côté de Marvel, la récupération du Punisher inquiète, à plus forte raison quand ces logos et badges mettent en action la mécanique du merchandising (l'éditeur aura été jusqu'à une ou deux menaces de procès contre ceux qui profitent de l'argent généré par cette exploitation frauduleuse). Mesures insuffisantes, manifestement : un nouveau groupe revendique aujourd'hui le symbole de Frank Castle, aperçu sur un tract officiel du rassemblement des QAnon, une organisation conspirationniste d'extrême-droite pro-armes, pro-milices illicites particulièrement radicale. L'animateur d'un podcast consacré à ce groupuscule a posté sur les réseaux sociaux l'un des tracts distribués pendant l'une de leurs manifestations publiques. Le Punisher était, là -encore, présent.
A souvenir from yesterday's Tampa QAnon rally:
— Travis View (@travis_view) January 12, 2020
A flyer encouraging QAnon followers to "consider forming your own mutual assistance group with like minded friends. Or check out existing Patriot groups such as Oath Keepers, Three Percenters, Sons of Liberty, and State Militias." pic.twitter.com/8k5ynpK1ZS
Quant à savoir ce que sont précisément les QAnon, il s'agirait vraisemblablement d'un groupe de complotistes adhérents à une théorie précise. Celle-ci développe l'idée que Donald Trump n'aurait pas réellement collaboré avec la Russie pour être élu à la présidence - en réalité, le filou à tête blonde aurait truqué toute l'affaire dans le but d'empêcher un coup d'état préparé par la maléfique Hilary Clinton, mais également Barack Obama et le milliardaire hongrois George Soros. L'ensemble va même plus loin, les membres de QAnon étant persuadés qu'un réseau international de pédophilie clandestine se trame en sous-main, liant entre eux l'ensemble des politiciens du parti Démocrate, quelques vedettes d'Hollywood, et, grosso modo, l'ensemble des personnalités publiques opposées à la présidence actuelle.
Au travers de différents communiqués plus ou moins obscurs, les membres du groupe évoquent fréquemment cette "cabale d'adorateurs de Satan", pédophiles, qui contrôlent le monde en secret depuis la politique jusqu'aux médias, et, comme tout complot qui tient debout, les dirigeants du cinéma grand public. Fort heureusement, ce grand plan du mal serait actuellement tenu en échec par le bon Donald Trump, sans qui nous serions tous au bord d'une apocalypse aux proportions bibliques. En août 2019, le FBI a classé l'organisation QAnon dans la catégorie des source potentielles de terrorisme domestique (pour les tueries de masse perpétrées aux Etats-Unis). Probablement des pédophiles, eux aussi. Si les motifs ideologiques mis en avant pourraient faire croire à une blague, les organisateurs incitent bien à former un réseau de corps armés, entraînés et autonomes pour "défendre le pays".
Le hasard veut qu'un nouveau groupuscule d'extrême-droite aux idées claires se soit donc à nouveau emparé du pauvre Frank Castle, devant le silence de Marvel, qui ne semble pas particulièrement pressé de se positionner sur le dossier. De la même façon, les théoriciens du Comicsgate semblent pour l'instant ne pas regarder dans cette direction (jouez la surprise, ça fera plaisir à plein de gens).