Pour beaucoup de monde, c'est peut-être quelque chose qu'on ne pensait pas pouvoir lire, écrit noir sur blanc. Mais l'année 2020 est en train de nous montrer qu'à peu près tout peut arriver, même le plus inattendu. C'est donc désormais une réalité : HBO Max proposera, à compter de l'an prochain, la Zack Snyder's Justice League, version longue et complètement remaniée du Justice League de 2017, que le réalisateur avait dû abandonner et dont Joss Whedon s'était emparé pour les finitions. Il s'agit de la concrétisation de ce qui a été appelé depuis trois ans la Snyder Cut, et à l'évidence, une bonne partie de la communauté des fans de DC Comics, Zack Snyder et de ce qu'on appelait alors le "DCEU" a de quoi se réjouir. Il y a en effet plusieurs raisons pour être contents de cette décision, qui marque un nouveau tournant dans l'histoire du cinéma. Mais derrière l'annonce et la liesse de ceux à qui la vision de Snyder sur l'univers DC tenait à coeur, il y a aussi des réalités qu'il ne faut pas oublier. Et ne pas crier "victoire" trop fort, car ladite victoire ne s'est pas vraiment faite sur des fondations saines. Pour la faire simple, ce long édito ira donc peser le pour et le contre. L'envie est de voir pourquoi cette annonce de la Snyder Cut a des aspects positifs indéniables, tout comme il faut savoir prendre du recul sur cette affaire, et ne pas laisser la Mother Box de Pandore ouverte plus que de raison.
Le film Justice League sorti en 2017 est une aberration de studio. Il n'y a pas de doutes là dessus. Ma critique exposait déjà tout ce qui n'allait pas dedans, avec le rappel qu'il aurait été difficile d'avoir un résultat correcte compte tenu des conditions chaotiques de cette production. Bien sûr, c'est le suicide d'Autumn, la fille adoptive de Zack Snyder, qui a achevé d'enfoncer le clou, mais déjà auparavant, Warner Bros. mettait moult bâtons dans les roues du cinéaste. D'abord commanditaire de l'univers DC au cinéma suivant sa vision (personnelle, et clivante) de ses héros, il s'est vu peu à peu dépossédé de ses oeuvres. D'abord sur un Batman v Superman sur lequel on rajoutait un troisième acte en totale contradiction avec l'aspect thriller politique sur les super-héros et l'ambiance Dark Knight Returns. Un film qui se voyait de plus charcuté dans sa version cinéma, l'Ultimate Cut permettant d'avoir un film bien plus appréciable, même si le cahier des commandes de Warner restait identique avec la dernière partie. Puis sur un Justice League, prévu en deux parties, puis reconstruit dans l'urgence face au mauvais scores financiers de Batman v Superman au box-office, avec un studio désavouant peu à peu la vision de son auteur pour tenter de coller à une formule moins risquée, ou bien moins clivante, plus à même de plaire au plus grand nombre, et de rapporter assez d'argent.
Comme le rappelle le Hollywood Reporter, en janvier 2017, Zack Snyder a ce qu'il semble être un montage optimal de son Justice League, d'environ 4h, mais est conscient que le studio ne sortira jamais un film aussi long. C'est une version d'environ 2h20 qui est présentée, et les têtes dirigeantes de l'époque (Kevin Tsujihara) demandent à raccourcir à deux heures, et des reshoots sont commandités - ce qui est une norme dans les productions à gros budget, mais qui, après Batman v Superman et Suicide Squad, victimes des ingérences de Warner sur leurs réalisateurs, n'est pas synonyme de bonnes nouvelles. Puis, la tragédie frappe, et vous connaissez le résultat en salles. Dès lors, si l'on a aimé, apprécié la proposition de Snyder sur son "DCEU", ou que l'on s'intéresse à cette vision qui aura au moins le mérite d'être singulière, on ne peut qu'être content de voir qu'un réalisateur va pouvoir se réapproprier le film qu'un studio lui a volé.
La situation à Hollywood n'est pourtant pas exceptionnelle : bon nombre de cinéastes voient leurs films et leur vision considérablement modifiés par les studios, et c'est un équilibre compliqué qui a déjà laissé ses marques dans l'histoire (ne citons que, pour cet article, le cas Fantastic Four de Josh Trank). Ici, on croit sincèrement à la liberté des auteurs et à leur vision, ce qui ne veut pas dire qu'avoir une vision exempt de critique. Quand on se rappelle qu'il a fallu vingt ans pour avoir le Superman II de Donner, et qu'il n'en faudra que quatre pour le Zack Snyder's Justice League, ça semble être une bonne chose, à se dire que les studios vont aussi, peut-être, revoir leur approche et laisser leurs créatifs plus libres. Dans le cas de Warner, d'aucun auront pu constater que sous la direction d'Hamada, DC Films a l'air de s'ancrer dans cette direction avec le Joker de Todd Phillips, le Birds of Prey de Cathy Yan, les futurs Batman et Suicide Squad de Reeves et Gunn. Des films plus centrés sur une vision, et tant pis si monter un univers partagé est alors bien plus compliqué. En ce sens, d'autoriser Snyder à finir ce film serait une confirmation de cette nouvelle direction, qui agit rétroactivement sur leur produit le plus charcuté. Dans cette perspective, cela ne peut être que louable. Le réalisateur va pouvoir délivrer sa vision, les spectateurs à qui ont la leur avait promis pourront la découvrir.
A titre personnel, et je passerai à la première personne brièvement pour l'exprimer : je fais partie de ceux qui apprécient la démarche de Snyder sur l'univers DC. En 2013, en découvrant Man of Steel, je rêvais d'un Justice League par le réalisateur. Je trouve la version longue de Batman v Superman réussie (sans réfuter qu'elle a évidemment des défauts), et je serai donc ravi de découvrir ce Zack Snyder's Justice League. Notamment parce qu'on sait déjà ce que cela peut signifier, quelle que soit la forme prise : plus de développement de personnages (sur Cyborg, la présence d'Iris West), des easter eggs supplémentaires (Martian Manhunter), la présence de Darkseid et a priori la résolution de la séquence Knightmare vue dans Batman v Superman. En soi, un sacré programme puisque Snyder affirme que le montage cinéma (il ne l'a pas vu, mais se base sur ce qu'on lui a raconté) ne contiendrait "qu'un quart" de ce qu'il a filmé, et la perspective d'avoir un vrai Darkseid à l'écran est là aussi réjouissante. Surtout, on aura un film sans l'horrible retouche de la moustache d'Henry Cavill et le score de Junkie XL, et ces deux éléments seuls permettent de se dire que le film sera plus appréciable. On se rappelle néanmoins que les plans initiaux étaient d'avoir un Justice League en deux parties, et il faudra voir dans quelle mesure Snyder se résoudra ou non à teaser une suite qui, elle, n'est absolument plus réalisable. Mais sur le contenu de cette Snyder Cut, c'est encore une autre question. L'essentiel est : que Warner laisse le réal' finir son travail est une bonne chose, au vu de l'ensemble des éléments qui manquaient dans le film proposé, et pour le principe de laisser au bonhomme terminer (au moins partiellement) la vision qu'on lui avait demandé de développer au départ.
Dans un communiqué officiel, un exécutif de Warner Bros., Robert Greenblat, raconte : "depuis que je suis arrivé [chez Warner] il y a quatorze mois, le cri de ralliement #ReleaseTheSnyderCut a été un roulement de tambour continu dans nos bureaux et nos boîtes mails. Hé bien, les fans ont fait leur demande, et nous sommes ravis de pouvoir enfin leur répondre." Une certaine façon de décrire ce qu'il s'est passé depuis deux ans, et il serait malheureux de vouloir condamner la ferveur et la passion de fans qui, comme nous par ailleurs, tiennent à la version d'un réalisateur, se sont sentis comme ce dernier volé par les actions d'un studio, et qui désirent simplement voir le travail fini d'un artiste tel qu'il l'avait envisagé.
Dans ce milieu de la pop culture où les affects sont désormais décuplés, on s'imagine bien qu'une majorité de ce mouvement autour de la Snyder Cut part de bonnes intentions, certaines de ces personnes ayant pu jusqu'à récolter des fonds pour faire connaître leur message. Bannière flottant au-dessus de la SDCC, affichage publicitaires jusque sur Times Square : il faut reconnaître une ferveur et une dévotion qui dépasse largement la simple pétition en ligne (cette dernière avait récolté plusieurs centaines de milliers de signatures). Avec le temps, le mouvement de la Snyder Cut a même lié son action à celle de l'American Foundation for Suicide Prevention, pour sensibiliser les personnes au drame que la famille Snyder a vécu. Une collecte de fonds a permis de ramener 150 000$ pour la fondation, illustrant là une très belle prouesse réussie par ce rassemblement de fans.
C'est notamment à la NYCC 2019 que l'on pouvait retrouver une pancarte de soutien. Le logo de l'American Foundation for Suicide Prevention est clairement visible.
Même si l'on pouvait croire jusqu'à encore récemment que tous ces efforts étaient vains (en priorité parce que Warner est resté silencieux sur la question jusqu'à cette journée du 20 mai 2020), difficile de ne pas au moins comprendre les désirs des fans, de ce point de vue. D'autant plus que certains mouvements de soutien comme pour la série Lucifer ont su porter leurs fruits. Le problème, c'est que #ReleaseTheSnyderCut ne s'est pas fait que sur ces bases saines, et que quantité de comportements déplorables à différents niveaux des sphères pop-culturelles ont été à déplorer. De quoi relativiser cette "victoire", ou se demander à quel prix, moral notamment, le public a pu avoir gain de cause face au studio.
Le premier contrecoup dans cette annonce, et on l'exprimera forcément ici par rapport à notre activité, c'est qu'elle va donner raison à tout un tas de médias spéculateurs et autres "scoopers" qui ont profité pendant deux ans de la non communication de Warner Bros et du teasing de Zack Snyder pour se faire leur beurre à force d'articles clickbaits et rumeurs. Aujourd'hui, l'officialisation de cette Cut va de fait leur "donner raison" et conforter ces acteurs dans leur démarche, alors qu'ils représentent un problème important du traitement de l'information dans l'actualité pop culture. Nous vous faisions déjà un topo chiffré dans un précédent édito : il est avéré que plus des 3/4 des articles et déclarations de ces médias sont invérifiables et que c'est justement ce qui leur permet de continuer à faire de même.
Aujourd'hui, on peut dire que la Snyder Cut va se faire et que Warner Bros. en donne l'autorisation. Des mois avant, il n'y avait rien de tangible à l'affirmer. Dans le récent rapport du Hollywood Reporter, Zack Snyder explique lui même que depuis le départ, il n'y a jamais eu de cut qui soit exploitable. Seulement un montage préliminaire non terminé, sans effets visuels, sans post-production. Zack déclare : "quand nous sommes partis du film, j'ai pris le disque dur avec ce cut dessus. Honnêtement, je n'ai jamais pensé que ça donnerait quelque chose." Pendant la première année, le réalisateur et sa famille étaient occupé à se recentrer sur eux et faire leur deuil, alors que le mouvement #ReleaseTheSnyderCut se montait déjà. Là dessus, les rumeurs qui voulaient qu'un film exploitable existe, ou que Snyder avait continué de travailler dessus pendant tout ce temps, sont fausses. Mais ceci, tout le monde le pardonnera aux médias clickbaits, puisqu'au final ils peuvent clamer qu'ils avaient raison.
Le rôle du journaliste n'est pas de flatter les espoirs des uns et des autres, de relayer des théories infondées. Il s'agit d'apporter de l'information, qui se base sur un ensemble de faits, en s'appuyant sur des sources sérieuses. Pendant des mois, à un instant t, il n'y avait aucune raison de croire, dans un premier temps, à l'existence d'une Snyder Cut, ou de son exploitation par Warner. Parce que le studio ne communiquait pas dessus, parce que le réalisateur ne montrait que des bouts de film inachevés, et parce qu'il était irrationnel de débattre de l'état de complétion de ce cut. Parce qu'on n'avait jamais vu un studio se remettre au travail sur un film de la sorte, d'autant plus après l'échec au box-office, et l'envie manifeste (par ses films en projets et sortis par la suite) d'aller dans un mouvance post-Snyder.
Aujourd'hui, il faut rappeler que cette décision est réellement historique. Elle marque un précédent. Josh Trank n'a pas eu son cut alors qu'il a aussi osé en parler publiquement - et ça ne lui a pas fait que du bien. David Ayer aussi en a parlé, sans qu'aujourd'hui la situation ne change. Dès lors, sur la base de faits, il aura fallu attendre que cessent les scoopers et que des médias plus sérieux (Forbes, Variety, ou le Hollywood Reporter) s'emparent de l'affaire pour en suivre la véritable progression. A ce titre, nous avions relayé la lettre ouverte de Mark Hughes, les déclarations suivantes de Chris Terrio. Il sera aussi intéressant de noter que le coup de fil qui a déclenché réellement l'embrayage de Snyder sur son Justice League a eu lieu le lundi 18 novembre, après les deux ans de la sortie de Justice League, au moment où nous publiions cet édito ou, entre autres, on alertait déjà sur les dérives des scoopers sur le sujet et de l'agacement d'avoir une actualité polluée par des rumeurs. Des rumeurs qui, du coup, n'étaient bien que des rumeurs, puisque la réunion avait eu ce jour là. Ironie du sort par ailleurs, ce même jour, le Hollywood Reporter affirmait encore à ce moment qu'il n'y avait pas de plans pour cette Snyder Cut, alors qu'ils ont été le média à en rapporter l'officialisation hier. La chose est que ces plans se sont réellement formés il n'y a pas si longtemps.
La majorité du public n'en aura que faire. Et les clickbaiteurs sont ravis de pouvoir affirmer qu'ils ont "eu raison", et se voient confortés dans leur démarche néfaste (on vous en parlait plus longuement dans un podcast). Après tout, à jeter dix fois la ligne dans une mare au hasard, il y a bien un moment où ça finit par mordre. Mais produire dix actualités fausses pour en avoir une au final de juste, c'est légitimer cette façon de faire malhonnête, c'est faire croire aux scoopers que leur méthode est la bonne, et c'est tout le journalisme culturel qui en pâtit. Aujourd'hui déjà, les sites en question sont déjà passés à l'étape suivant : mais que contiendra ou ne contiendra pas Zack Snyder's Justice League ? Vous pouvez être certains que des centaines d'articles à ce sujet vont fleurir d'ici l'année prochaine.
C'est peut-être là qu'une partie du lectorat hurlera, mais il faut regarder les choses en face. A l'heure actuelle, la Snyder Cut n'existe techniquement pas, et on peut même aller plus loin : le Justice League qui sortira sur HBO Max n'est techniquement pas la "Snyder Cut" dont il a été question pendant de très nombreux mois sur tout un tas de discussions. Avant que le consensus ne se fasse, aux alentours de l'automne dernier, sur le fait qu'une version non complétée existe et circule dans les réseaux hollywoodiens, certains parlaient d'un film qui était exploitable en l'état (or : ça n'a jamais été le cas). On peut même remettre aujourd'hui en doute certaines déclarations de Mark Hughes qui arguait que Warner pouvait sortir le film en l'état sans injecter de dizaines de millions supplémentaires - alors que c'est précisément ce qu'ils sont en train de faire. Une affirmation alors que la projection de ce cut a été faite au cours du mois de février 2020. D'ailleurs, sur le plan de Warner Bros., malgré leur décision, il y a aussi une position qui n'a pas changé : le studio ne va pas ressortir le film au cinéma, mais sur une plateforme de streaming. Les implications en termes de coûts et de démarches sont tout à fait autres. S'il faut saluer malgré tout le courage du studio d'avoir fait marche arrière après deux ans de silence, il s'agit de rester lucide.
I (and the @WarnerMedia team) have been so impressed - and moved - by the passion exhibited by the #releasethesyndercut fan base. Stories matter, storytellers matter. Am thrilled for @ZackSnyder and the team that will be bringing this story to all of us as fans. What a great day. pic.twitter.com/mLEvWjB75z
— Jason Kilar (@jasonkilar) May 20, 2020
Sur la communication, Warner Bros. profite de la situation pour passer pour de bons princes, attentifs au sort des auteurs et à leur vision, comme si on allait oublier que le studio lui même avait charcuté Batman v Superman, Suicide Squad puis Justice League en premier lieu, en ayant pris soin de mettre Snyder en retrait avant que celui-ci ne parte pour des raisons personnelles. Le tweet ci-dessous laisse vraiment un goût amer. Si les histoires importent tant, pourquoi Warner n'a-t-il pas laissé faire Zack Snyder ses propres films ? Pourquoi ce montage cinéma de Batman v Superman ? Pourquoi avoir attendu plus de deux ans pour être touché par la "passion de la fan base" ? Bien sûr, on ne devrait plus s'étonner du cynisme des studios à l'heure actuelle, ce qui ne le rend pas plus acceptable. Parce que le géant américain ne se pose pas seulement en bienfaiteur de l'auteur, non. Le discours permet entièrement d'occulter toutes les fautes qui ont été commises et de ne pas reconnaître les erreurs qui ont été faites. Certes, une partie de l'équipe a changé depuis, mais de nombreuses personnes sont encore en poste. L'histoire n'a pas à être refaite simplement au bon vouloir des studios, et s'il faut à présent que l'heure soit à l'apaisement, difficile de se réjouir avec un tel propos de façade.
En novembre 2019, nous écrivions ces lignes : "Personne ne semble se rendre compte, après avoir laissé la "colère" des fans remuer pendant deux ans, du cynisme que Warner Bros. aurait à proposer une Snyder Cut et faire payer une nouvelle fois les spectateurs. Pire encore: en l'agitant comme une carotte pour pousser, par exemple, les gens à s'abonner à HBO Max." Il faut bien avouer que faire cette annonce à une semaine du lancement de HBO Max aux Etats-Unis donne à ces mots, rédigés il y a plusieurs mois, une certaine résonance. Là encore, l'idée n'est pas de blâmer l'effort de Warner ou rabaisser la démarche d'avoir Zack Snyder's Justice League sur la plateforme de streaming. Simplement faire la part des choses, d'une part sur la communication de Warner Bros. et la façon dont ils s'en sortent pour aujourd'hui être loués (quand les jours d'avant, ils continuaient de se faire insulter régulièrement tous les jours). Et que de deux, s'il y a besoin de plusieurs millions de dollars pour que le film (ou la mini-série) voit le jour, c'est bien qu'à l'heure actuelle, la Snyder Cut n'existe techniquement toujours pas. On peut légitimement se demander si la mise en branle du projet aurait été ne serait-ce que considérée si les contenus originaux pour les plateformes de streaming ne représentaient pas le nouveau nerf de la guerre du divertissement de masse.
On en arrive maintenant à la dernière partie qui sera, à mon sens, la plus problématique sur le cas Snyder Cut : le fandom. Ou du moins, une partie particulièrement vocale. Si l'on a pu établir que la probable majorité des fans de Snyder ont voulu marquer leur soutien au réalisateur, il ne faut en rien oublier le fait que des dizaines (centaines ?) d'autres ont, pendant deux ans, martelé les mêmes messages en rengaine à l'attention des nombreuses personnes travaillant chez Warner Bros., qui étaient liées de près ou de loin à l'ancien DCEU. Que les comptes de Warner, DC, ou DC Universe, se sont fait spammer du même hashtag, et ce quel que soit le sujet. Encore en début de semaine, alors qu'on dévoilait un poster de Stargirl, les #ReleaseTheSnyderCut étaient présents. Au delà du spam, des personnes, qu'elles soient du milieu ou non, se sont vues littéralement harcelées de message, avec certains ayant un caractère particulièrement haineux. Les insultes, les menaces, ont été le quotidien, poussant même Geoff Johns ou Diane Nelson à devoir quitter leurs réseaux sociaux. C'est d'ailleurs par ces faits avérés que le mouvement a eu mauvaise presse pendant de longs moments. Et si, au jour des deux ans en novembre 2019, on peut supposer que le hashtag a eu un tel écho parce que la majorité silencieuse prenait parole ce jour là, le harcèlement continu le reste de l'année est, hélas, ce qui a cimenté le mouvement.
On pourra rétorquer qu'il y a une partie toxique dans chaque communauté, et qu'elle est minoritaire. Soit. Mais cela ne légitime rien. Le harcèlement, quel qu'il soit, n'est pas l'expression d'une opinion, mais un délit, dorénavant largement répandu en ligne. Quels que soient les griefs contre un film, un studio, un réalisateur ou un exécutif, il n'y a rien qui justifie les comportements qui ont eu lieu pendant tout ce temps. La chose est d'autant plus problématique que l'on parle bien d'une minorité bruyante, et que si la plupart des fans sont sûrement restés courtois, cette minorité là, de fait, a obtenu gain de cause. Si Warner Bros fait beau jeu en laissant à Snyder la possibilité de réaliser son oeuvre, le studio valide le fait que passer deux ans à harceler en ligne est une technique qui fonctionne. Et si, dans ce cas précis, on pourrait dire que l'intention reste louable, à quel moment ce genre de choses va-t-elle s'arrêter ?
Il y a en effet quelque chose d'inquiétant à voir ces mouvements populaires, non seulement vocaux, mais très souvent largement agressifs, se répandre et dicter aux studios, ou aux créatifs les choses à faire. On a déjà vu récemment à quel point les vociférations du fandom toxique de Star Wars, après l'épisode 8, ont conduit à ce qu'est devenu l'épisode 9 (l'exemple le plus tristement célèbre étant le harcèlement subi par Kelly Marie Tran et le sort de son personnage Rose Tico d'un film à l'autre). Dans le même ordre de choses, c'est la même vindicte populaire qui a poussé Paramount a reporter son film Sonic pour en refaire le design. On sera d'accord pour dire que la première apparence était laide, mais la conséquence, c'est que les employés du studio ont été mis sous pression constante et en crunch pour que le film sorte à temps. Il y a des questions à se poser sur les conséquences des actes de chacun : parce que derrière les oeuvres et les studios, ce sont des êtres humains.
Si beaucoup célèbrent aujourd'hui "l'amour et la patience des fans", on imagine aisément que Nelson, Johns, et toutes les autres personnes harcelées voient de façon amère cette "victoire" qui n'est pas si belle que ça. On peut dire que c'est "bien" pour un studio d'écouter son public, mais cette tendance d'une minorité vocale à exiger de la part de créatifs ce qu'ils doivent faire devrait-elle devenir une norme ? On n'a pas demandé à De Vinci de repeindre la Joconde, et si un film ne nous plaît pas, ou qu'un studio n'agit pas dans le bon sens, c'est généralement au box-office que la sanction se fait. Surtout, à présent que la Snyder Cut a été validée, qu'est-ce qui empêchera n'importe quel fandom de procéder exactement de la même façon, puisqu'au fond, à force, ça fonctionne ?
#ReleaseTheOriginalSnyderCut I want the ORIGINAL Snyder Cut. not on HBO max but on 35 mm film reel. not this mini-series BS but its original long-movie form with unfinished cgi, . Not release in next year in 2021 but that its released in 2017. anything else is unacceptable
— MastGRR (@MastGRR) May 20, 2020
Et que se passerait-il si au final ce même fandom n'était pas content du Zack Snyder's Justice League ? Une heure après l'annonce d'HBO Max, on voyait déjà fleurir un #ReleaseTheOriginalSnyderCut, soit le projet tel qu'il est encore à l'heure actuelle. Et l'on pourra rétorquer qu'il ne s'agit que d'un gus, oui. Mais au départ, pour la Snyder Cut aussi ils n'étaient pas nombreux. Tous les réalisateurs floués par les studios vont-ils se mettre à demander leur cut si leur film ne fonctionne pas ou s'ils se brouillent avec les studios ? A quel moment le fandom se met-il à harceler non pas parce qu'un réal' n'a pas pu faire son film, mais parce que ce qu'il est ne leur convient pas (spoiler alert : Star Wars 8) ? C'est à cause de cette dérive malsaine, empreinte de comportements dangereux, qu'il est difficile de se réjouir complètement pour la Snyder Cut. Parce qu'il n'est pas dit que le harcèlement s'arrête, et qu'il semble qu'une grande boîte de Pandore soit en train de s'ouvrir.
En définitive, l'officialisation de Zack Snyder's Justice League a de bons et mauvais aspects. On ne pourra qu'apprécier que le réalisateur puisse terminer son film, et que les fans de sa vision ou les curieux puissent connaître ce qu'il avait en projet. Mais la joie apparente ne doit pas faire oublier la quantité de comportements détestables qui ont eu lieu, le fait qu'un studio donne raison à ce genre de minorité vociférante. Que le studio profite de l'occasion pour se donner le beau rôle sans faire amende de ses erreurs passées, et que le tout contribue aussi à légitimer l'attitude de médias et scoopers proprement nocifs pour toute l'industrie culturelle. Ceci étant dit pour que chacun puisse bien avoir le panorama complet de la situation, on espérera désormais que l'heure soit à l'apaisement. Et que l'attente en vaudra définitivement le coup.